STRANGE, THOMAS BLAND, officier dans l’armée et dans la milice, éleveur et auteur, né le 15 septembre 1831 à Meerut, Inde, deuxième fils de Henry Francis Strange et de Maria Letitia Bland ; le 4 novembre 1862, il épousa à Simla, Inde, Maria Elinor Taylor (décédée en 1917), et ils eurent deux fils et trois filles qui parvinrent à l’âge adulte, puis en 1918, Janet Fell, veuve de F. C. Ruxton ; décédé le 9 juillet 1925 à Camberley, Angleterre.

Parmi les officiers de l’armée britannique qui servirent au Canada au xixe siècle, Thomas Bland Strange est l’un des plus pittoresques. Le plus souvent, quand on parle de lui, c’est pour rappeler qu’il commanda l’Alberta Field Force pendant la rébellion du Nord-Ouest. Cependant, ses dix ans à titre d’inspecteur de l’artillerie et du matériel de combat pourraient avoir contribué davantage à la tradition militaire canadienne.

Deuxième d’une famille dotée d’une longue tradition militaire, Strange naquit pendant que le régiment de son père était stationné en Inde. Il fut formé à l’Edinburgh Academy, pépinière de jeunes gens destinés à servir l’Empire britannique, et en assimila l’idéologie à tel point que, par la suite, on soulignerait son chauvinisme en le surnommant Jingo Strange. Comme ses parents n’avaient pas les moyens d’acheter à leurs deux garçons une commission d’officier dans un régiment de cavalerie ou d’infanterie, ils l’inscrivirent à la Royal Military Academy de Woolwich (Londres) pour le préparer à une carrière dans l’artillerie. Nommé officier le 17 décembre 1851, après la fin de ses études, Strange fut bientôt envoyé à Gibraltar. Deux ans plus tard, il fut promu lieutenant en premier et affecté à la Jamaïque. Pour les militaires, cet endroit était un trou. Malgré des efforts désespérés, Strange ne put échapper à cette affectation. Non seulement rata-t-il l’occasion de participer à la guerre de Crimée, mais il contracta la fièvre jaune et faillit en mourir. D’après son témoignage, il survécut en ne consommant ni alcool ni viande ; il suivrait ce régime jusqu’à la fin de ses jours.

Une fois guéri, Strange servit quelque temps à Nassau, aux Bahamas, puis retourna en Angleterre en 1856. Lorsque la crise suivante arriva, en 1857, la chance lui sourit : il s’embarqua avec le premier groupe de renforts dépêchés en Inde pour écraser la mutinerie de l’armée bengali de l’East India Company. Arrivé à Calcutta le 11 octobre 1857, il s’empressa de se rendre à Bénarès (Vârânasi), quartier général de la lutte à la rébellion. Là, il participa volontiers, sinon avec enthousiasme, à de terribles exécutions : quelques-uns des mutins, ligotés à des bouches de canon, furent littéralement réduits en bouillie. Des tâches plus conventionnelles lui furent confiées ensuite. Durant les mois de féroce combat qui menèrent à la chute de Lucknow le 21 mars 1858, il se signala suffisamment pour avoir droit à quatre citations et à une promotion au grade de capitaine en septembre. Il prit part à des opérations de nettoyage jusqu’à ce que, épuisé, il soit victime d’un accès de fièvre. Après sa guérison, il servit deux ans au Pañjãb. En 1861, il sollicita un congé de six mois et fit une extraordinaire randonnée pédestre dans l’Himalaya, du Tibet au Cachemire, le plus souvent seul. L’année suivante, à Simla, il épousa Maria Elinor Taylor. Ce mariage et l’arrivée imminente d’un premier enfant hâtèrent le retour du couple en Angleterre.

Après une brève période en Irlande, Strange fut affecté au personnel d’instruction à Woolwich. Il avait toujours suivi avec un vif intérêt les progrès techniques dans l’artillerie. Amener ses hommes au plus haut niveau possible de compétence lui tenait encore plus à cœur. Son travail à Woolwich lui convenait parfaitement et il s’en acquittait bien. En 1869, on lui confia la formation des Artillery Volunteers, ce qui témoigne de ses capacités. Apparemment, il était très populaire auprès des volontaires, mais il commit l’imprudence de dénoncer la désuétude de leur équipement. Ses propos, parus dans le Times, lui valurent des mesures disciplinaires. Il fut néanmoins promu major en juillet 1871. Le dernier poste qu’il occupa fut celui d’instructeur à la School of Gunnery à Shoeburyness.

Les perspectives d’avancement limitées qui s’offraient à Strange sont probablement l’une des raisons qui l’incitèrent à accepter en septembre 1871 le commandement de l’école d’artillerie établie depuis peu à Québec (B Battery, Garrison Artillery), ce qui le promut au rang de lieutenant-colonel. En outre, l’année suivante, il fut nommé inspecteur de l’artillerie et du matériel de combat. Ces fonctions, créées parce que le nouveau dominion assumait désormais une bonne partie de la responsabilité de sa propre défense, consistaient à organiser les premières unités militaires permanentes et à former les artilleurs de la milice. Par ailleurs, elles s’exerçaient à Québec, lieu qui offrait amplement à Strange l’occasion de manifester son dynamisme. Strange parlait couramment le français et la ville lui plut beaucoup. Il fut membre actif de la Société littéraire et historique de Québec, organisa les célébrations publiques du centenaire de la défaite subie en 1775 par les troupes américaines de Richard Montgomery* et fut maître d’équipage du Stadacona Hunt Club. C’est donc à regret qu’il quitta Québec lorsque, en 1880, le gouvernement décida d’interchanger les écoles d’artillerie de Québec et de Kingston, en Ontario.

Pendant qu’il se trouvait à Kingston, Strange passa au grade de colonel dans l’armée en juin 1881 et fut avisé que, comme ses 30 ans de service étaient écoulés, il devrait prendre sa retraite en décembre. Il conserva son poste au Canada une autre année, jusqu’au moment où on l’informa que, s’il ne le quittait pas, sa pension serait annulée. À 51 ans, Strange avait plus d’énergie que la plupart des hommes deux fois moins âgés que lui. Sa promotion au grade honorifique de major-général n’atténua guère l’amertume qu’il éprouvait à devoir quitter son travail. Il avait beaucoup fait pour insuffler du professionnalisme à ses artilleurs amateurs. Ce n’est pas à tort qu’on l’a baptisé « père de l’artillerie canadienne ».

En faisant une tournée d’inspection sur la côte Ouest pour déterminer s’il fallait défendre le terminus du chemin de fer canadien du Pacifique, Strange avait été impressionné par le potentiel des Prairies. En 1882, il fit l’acquisition d’une concession statutaire et d’un bail d’élevage à l’est de Calgary et forma la Military Colonization Company of Canada Limited, qui obtint une charte l’année suivante. Son projet consistait à élever des chevaux de cavalerie pour l’armée britannique et à se servir du ranch pour initier de jeunes Anglais de bonne famille à l’élevage. Dès 1884, il avait bâti une maison de dix pièces, et son troupeau de chevaux semblait florissant, quoiqu’il se soit plaint constamment de se faire voler par les habitants de la réserve voisine, celle des Pieds-Noirs.

Lorsque la rébellion du Nord-Ouest éclata, au printemps de 1885 [V. Louis Riel*], le ministre de la Milice et de la Défense, Adolphe-Philippe Caron*, avec qui Strange s’était lié pendant son séjour à Québec, lui demanda d’organiser la défense du district de l’Alberta. Strange se mit à la tâche avec son enthousiasme coutumier. À partir de trois bataillons de milice très inexpérimentés, d’une poignée de cow-boys et de quelques membres de la Police à cheval du Nord-Ouest, il forma l’Alberta Field Force. La petite unité marcha vers le nord jusqu’à Edmonton, puis descendit la Saskatchewan-du-Nord en vue de trouver le chef cri Gros Ours [Mistahimaskwa*] et ses hommes. Après avoir constaté les répercussions de la tuerie du lac La Grenouille (lac Frog, Alberta), la colonne de Strange continua sa poursuite. Quelques escarmouches eurent lieu entre les Cris et des groupes d’éclaireurs. Quand l’Alberta Field Force captura enfin Gros Ours à Butte-aux-Français (Frenchman Butte, Saskatchewan), Strange, voyant que les Cris se trouvaient en position de force, estima que ses soldats manquaient trop d’expérience et refusa de les laisser attaquer. Sans nul doute, par sa prudence, il évita un bain de sang.

Une fois la rébellion terminée, Strange retourna à son ranch. Quelques mois plus tard, un cheval lui décocha une ruade, ce qui lui causa une mauvaise fracture à une jambe. Le ranch n’allait pas aussi bien qu’il l’avait espéré. Le fils aîné de Strange, Henry Bland, avait terminé ses études au Royal Military College of Canada à Kingston et servait dans la Royal Artillery. Strange ne touchait plus sa pension du ministère de la Guerre parce qu’il avait été rémunéré pour ses services pendant la rébellion, et il était engagé dans une longue bataille pour la recouvrer. En 1887, il vendit son ranch et rentra en Angleterre. Il ne quitterait plus ce pays, sinon pour faire quelques voyages à l’étranger à titre de représentant de commerce du fabricant de mitraillettes Hiram Stevens Maxim. Toujours vigoureux et actif dans les années 1920, il publia même un article dans le Canadian Defence Quarterly à l’âge de 93 ans.

Le titre de l’autobiographie de Thomas Bland Strange, Gunner Jingo’s jubilee, résume tout à fait le personnage. D’un racisme et d’un militarisme flamboyants, même pour l’époque, il était aussi intelligent, courageux et très bon dans la profession qu’il avait choisie. Son rôle n’est pas négligeable, puisqu’il inculqua du professionnalisme et du savoir-faire aux premières unités militaires permanentes du Canada.

Roderick C. Macleod

Les meilleures sources concernant la vie et la carrière de Thomas Bland Strange sont ses écrits, particulièrement son autobiographie, Gunner Jingo’s jubilee (Londres, 1893), qui a été réimprimée avec une introduction de R. C. Macleod ([Edmonton], 1988). Les autres publications de Strange comprennent : Artillery retrospect of the last great war, 1870, with its lessons for Canadians (Québec, 1874) ; Colonial defensive organization : précis of information concerning the province of Quebec (Québec, 1876) ; The military aspect of Canada : a lecture delivered at the Royal United Service Institute (Londres, [1879 ?]) ; et « The father of the Canadian artillery, by « The Bombardier », Revue canadienne de défense (Ottawa), 2 (1924--1925) : 5–9. Pendant qu’il a été inspecteur des magasins d’artillerie et de combat, Strange a aussi compilé Manual for the militia artillery of Canada pour le département de la Milice et de la Défense (3 part., Québec, 1875–1878). On trouve les dossiers de Strange dans l’armée britannique aux PRO, WO 76/368, ainsi que quelques documents de correspondance avec Henry George Hart, compilateur de Hart’s annual army list (WO 211/29). Les papiers de Strange conservés aux AN (MG 29, E40) consistent presque exclusivement en des copies de télégrammes et de documents de correspondance concernant la rébellion de 1885. [r. c. m.]

Canada Gazette, 10 févr. 1883 : 1309.— Hart’s annual army list [...] (Londres), 1880, 1882.— G. W. L. Nicholson, The gunners of Canada ; the history of the Royal Regiment of Canadian Artillery (2 vol., Toronto, 1967–1972), 1

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Roderick C. Macleod, « STRANGE, THOMAS BLAND », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 12 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/strange_thomas_bland_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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