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YOUNG, JOHN, marchand, auteur et homme politique, né le 1er septembre 1773 à Falkirk, Écosse, fils du marchand William Young et d’une prénommée Janet ; il épousa Agnes Renny, et ils eurent neuf enfants, dont trois parvinrent à l’âge adulte ; décédé le 6 octobre 1837 à Halifax.

John Young entra vers 1790 à l’University of Glasgow, où il fit de brillantes études théologiques, qu’il ne termina pas. Il souhaitait plutôt s’orienter vers la médecine, mais son père, qui avait espéré le voir devenir ministre presbytérien, refusa d’assurer plus longtemps sa subsistance. Le jeune homme se lança donc en affaires à Falkirk, puis à Glasgow, sans guère de succès.

Young décida d’immigrer en Nouvelle-Écosse probablement parce que la prospérité commerciale engendrée par la guerre de 1812 l’impressionnait. Arrivé à Halifax le 30 avril 1814 en compagnie de sa femme et de ses quatre fils, il se mit sans délai à vendre l’imposant stock de marchandises sèches qu’il avait apporté. Peu après, il fonda une entreprise, la John Young and Company. En septembre, les troupes britanniques s’emparèrent de Castine (Maine) et, en y ouvrant un bureau des douanes, permirent la reprise des échanges entre les Maritimes et la Nouvelle-Angleterre. Sautant sur l’occasion, Young se rendit à Castine où, durant les huit mois de l’occupation britannique, il pratiqua « un commerce fort lucratif, tant par des voies légales qu’illégales ». Son représentant à Halifax, qui n’était nul autre que son fils William*, âgé d’à peine 15 ans, lui expédiait les marchandises que la compagnie importait de Grande-Bretagne ; un autre de ses fils, George Renny*, qui avait 12 ans, l’aidait à Castine. Les profits amassés là étaient réinvestis dans l’entreprise de Halifax, mais Young disait à William qu’il s’installerait aux États-Unis si les perspectives étaient favorables. Effectivement, tout de suite après la guerre, William fut pendant une courte période son représentant à New York.

La correspondance que Young entretenait à cette époque montre qu’il avait un sens aigu des affaires et tenait à réussir. Dans une lettre où il exprimait sa vision des choses, il conseillait à William de donner une impression de libéralité, d’être précis dans ses transactions, d’étudier le tempérament des gens afin de décrocher les meilleures aubaines et d’« exercer une stricte économie ». Il se réjouissait du sens des affaires naissant de ses fils, qui allaient demeurer tous deux dans le commerce pendant plusieurs années. Leurs lettres révèlent que de solides liens d’affection unissaient la famille Young.

L’économie néo-écossaise, florissante pendant la guerre de 1812, sombra dans le marasme peu après la fin des hostilités. Les fermiers ne recevaient plus, de l’année, de grosses commandes de bœuf, de porc et de foin ; et, ce qui empira leur détresse, l’année 1815 fut marquée par un été particulièrement pluvieux ainsi que par une invasion de mulots, et 1816 fut si froide qu’elle a gardé le nom d’« année sans été ». Le gouvernement se vit contraint d’importer et de distribuer des semences. Malgré de meilleures récoltes en 1817, l’agriculture se portait encore mal l’année suivante. La situation était d’autant plus précaire que la Nouvelle-Écosse n’avait pas la réputation d’être une bonne colonie agricole. Selon un auteur contemporain, bien des gens étaient convaincus que la province « n’offrait que des pâturages et ne compenserait jamais les coûts d’une culture régulière ».

La nécessité de développer l’agriculture néo-écossaise s’imposa à l’esprit de Young. Avant son arrivée, il avait acquis quelque expérience en travaillant pour l’un des pionniers de la réforme agricole en Écosse, sir John Sinclair ; on croit qu’il avait aussi amassé de solides connaissances, probablement en étudiant Elements of agricultural chemistry [...] (Londres, 1813) de sir Humphry Davy et le Traité élémentaire de chimie [...] (2 vol., Paris, 1789) d’Antoine-Laurent Lavoisier. C’est en comparant la médiocrité de l’agriculture néo-écossaise à l’excellence de l’agriculture écossaise d’alors (qui, selon un commentateur du xxe siècle, était « la plus habile [...] qui se puisse trouver ») que Young résolut d’intervenir. Le 25 juillet 1818, sous le pseudonyme d’Agricola, il commença à publier une série de lettres dans l’Acadian Recorder de Halifax.

Dans sa première lettre, Young proposait qu’on fonde des sociétés locales d’agriculture. Dans la deuxième, il préconisait la création d’un bureau central d’agriculture que les sociétés locales devraient « considérer comme le principal guide de leurs activités et comme le point de convergence de leur influence et de leurs énergies rassemblées ». Faisant valoir combien les sociétés d’agriculture avaient été bénéfiques ailleurs, il proposait qu’elles organisent divers concours et décernent des prix. Dans sa quatrième lettre, il invitait les « fermiers compétents » à lui communiquer, dans un document daté, signé de leur nom et indiquant leur lieu de résidence, les résultats de toutes les expériences qu’ils avaient faites. Dans ses lettres suivantes, Young entreprit d’examiner les facteurs qui influaient sur la végétation et la culture ; il parla d’abord du climat et du sol, puis des machines agricoles, du défrichement et de travaux comme le labourage et le hersage. Il ne manquait jamais de préciser quelles améliorations les fermiers néo-écossais pouvaient apporter à leurs méthodes, en insistant surtout sur l’équipement agricole, l’état des terres, la jachère estivale et la rotation des cultures. Il projetait aussi d’aborder d’autres sujets, notamment le bétail, mais quand ses lettres cessèrent de paraître, au printemps de 1821, sa section sur la végétation et la culture n’était même pas terminée. En tout, il écrivit 64 lettres, dont 38 parurent en 1822 sous forme de recueil.

Sans doute Young, en rédigeant ces lettres, ne songeait-il pas uniquement au progrès de l’agriculture ; il devait aussi espérer se faire remarquer « des classes de la métropole qui inspiraient le respect » et, en s’assurant leur protection, améliorer ses affaires. Quoi qu’il en soit, il provoqua un engouement considérable. Des centaines de personnes lui écrivirent et, dès décembre 1818, quatre comtés avaient leur société d’agriculture. Le lieutenant-gouverneur lord Dalhousie [Ramsay], lui-même fermier enthousiaste, loua les efforts d’Agricola, dont l’identité était encore inconnue. Dans une lettre, il le pressa de convoquer une réunion afin de rédiger la constitution d’une société provinciale d’agriculture. À l’occasion d’un banquet de la North British Society, le 30 novembre 1818, il lui porta un toast et proposa qu’on fonde une société d’agriculture à Halifax.

L’appui de Dalhousie fut déterminant : le 15 décembre eut lieu l’assemblée de fondation d’une société provinciale d’agriculture qui servirait de modèle aux futures sociétés locales et renseignerait les fermiers. Beaucoup de représentants de l’élite figuraient parmi les 120 personnes qui devinrent membres ; Dalhousie fut nommé président de la société et Agricola, secrétaire. Young prétendit ne pas être prêt pour ce poste ; il avait « écouté avec une parfaite impassibilité tous les éloges qui avaient surgi en cours de discussion [...] Mais tout honnête observateur de la nature humaine aurait compris, à le voir s’exciter et rougir malgré lui en apprenant sa nomination, que c’était lui le mystérieux Agricola ».

Les participants de la réunion avaient résolu de demander une constitution au Parlement. En mars 1819, un projet de loi qui constituait le Central Board of Agriculture en société pour une durée de sept ans reçut l’approbation de Dalhousie et, neuf mois plus tard, le Parlement accorda une charte à l’organisation. Le Central Board avait pour mandat de correspondre avec les sociétés de comté, de publier des informations utiles sur l’agriculture, d’encourager la compétition en offrant des prix ainsi que d’importer et de distribuer du bétail, des instruments aratoires et des semences. En décembre, Young, qui avait déjà révélé son identité, fut élu sans opposition secrétaire et trésorier.

Le Central Board connut des débuts fort prometteurs : les cotisations de ses membres représentaient quelques centaines de livres, et le Parlement lui accorda une subvention de £1 500 en 1819. Young espérait que ces sommes suffiraient aux dépenses et souhaitait utiliser £500 de la subvention pour récompenser ceux qui démontreraient, dans des concours, qu’ils avaient remarquablement accru la qualité de leur bétail ou de leurs cultures. Comme il avait fait valoir qu’il négligeait ses propres affaires pour s’occuper de la société, il touchait, à titre de secrétaire et de trésorier, un salaire annuel de £250. Non seulement avait-il l’entière responsabilité de la correspondance et des finances, mais il devait veiller à ce qu’on tienne des concours sur les légumes, le lin, les semences et les produits laitiers, que les épreuves de labour et les expositions de bétail se déroulent conformément au règlement de la société et qu’on verse des primes pour la culture céréalière, le défrichement, la jachère estivale, la fertilisation et la construction de moulins à farine d’avoine. En outre, les réunions du conseil d’administration nécessitaient des préparatifs. Les membres apportaient parfois de nouveaux instruments aratoires ; il fallait discuter de leurs qualités respectives et prendre une décision quant à leur achat. Les administrateurs montaient également une bibliothèque d’agriculture, à laquelle ils avaient eu la sagesse d’affecter une modeste part des fonds recueillis par la société.

Dès 1825, il existait 30 sociétés locales, dont 19 avaient vu le jour entre 1818 et 1820. Organisées comme la société centrale (chacune avait un président, un vice-président et un secrétaire), elles s’engageaient à réaliser chaque année un certain nombre d’expériences. Leurs dépenses devaient être acquittées à même les cotisations, qui représentèrent d’abord une somme imposante. La société centrale leur apportait quelque assistance, par exemple en payant pendant un temps l’entretien des animaux de race élevés pour la reproduction. Les administrateurs des sociétés locales correspondaient régulièrement avec Young et empruntaient parfois de l’argent à la société centrale pour acheter des semences ou des instruments aratoires.

On fonda des sociétés locales jusqu’en 1824, mais dans l’ensemble l’engouement pour l’agriculture se refroidit à compter de 1820. Indice de ce déclin : en novembre 1822, le Central Board proposa de vendre les instruments aratoires qui servaient de modèles. Quelques mois plus tard, il était sur le point de se départir de l’étalon qu’il avait importé. Son effectif diminua régulièrement : de 235 en 1819, il passa à 79 en 1824. L’année suivante, la chambre d’Assemblée refusa de lui verser la subvention annuelle qu’elle lui donnait depuis 1819 ; en 1826, elle rejeta un projet de loi sur le renouvellement de la charte : c’en était fini, pour le moment, de l’aide gouvernementale à l’agriculture. Plusieurs sociétés locales s’effondrèrent peu après.

Divers facteurs concoururent à l’échec des sociétés d’agriculture. L’un des plus importants fut que Young, pris par d’autres occupations, ne pouvait pas bien s’acquitter de ses fonctions de secrétaire et de trésorier. Certes, l’agriculture l’intéressait, mais il essayait toujours d’étendre ses activités commerciales, même s’il protestait vertueusement du contraire. En fait, comme ses papiers le montrent abondamment, il se consacrait plus au commerce qu’à l’agriculture. Tout en travaillant pour la société centrale, il continuait d’importer et de vendre des marchandises sèches et faisait aussi le commerce du poisson et du bois. De plus, il présenta une soumission en vue d’approvisionner la garnison de Halifax en fumier et conclut un marché pour recueillir les cendres dans les casernes.

On se plaignait que Young tardait à répondre à la correspondance du Central Board, mais on trouvait aussi à redire contre ses méthodes de tenue de livres, contre la lenteur des livraisons d’approvisionnements et contre le peu de précisions qu’il donnait sur les concours. C’est à lui qu’il incombait d’importer et de répartir les semences et le bétail et, trop fréquemment, il s’acquittait mal de cette responsabilité. Souvent, parce qu’il n’avait pas vu avec assez de soin à leur transport, les animaux et les arbres fruitiers étaient morts lorsque les sociétés locales les recevaient. Les semences arrivaient quelquefois trop tard dans la saison, et pas toujours en bon état. De temps à autre, les sociétés locales, au lieu des animaux de race qu’elles avaient payés d’avance, recevaient du bétail de qualité inférieure. Ces cas de négligence coûtèrent fort cher à Young et, dans les dernières années d’existence du Central Board, les fermiers lui manifestèrent un mécontentement de plus en plus vif. Aux sociétés locales, qui réclamaient leur juste part de la subvention gouvernementale, il répondait que « les gentlemen indépendants et les riches marchands » de Halifax étaient seuls compétents pour gérer ces fonds. Cette condescendance creusa davantage le fossé qui le séparait de la population des agriculteurs, qu’il appelait parfois « notre paysannerie ». Elle rend aussi plausible l’accusation selon laquelle il voulait moins aider le fermier moyen que se faire valoir auprès de l’élite haligonienne.

Young avait aussi des adversaires au sein même du Central Board. Certains de ses collègues, dont William Lawson, lui reprochaient de cumuler les postes de secrétaire et de trésorier et de recevoir un salaire. On lui imputait de temps à autre la difficulté d’acquérir des animaux de race et des semences de qualité à des prix raisonnables, ou encore les retards de livraison ou de perception des comptes. De fait, il était à la source de ce dernier problème, entre autres. Il n’y a guère de doute aussi qu’il tirait un avantage personnel de sa position. Ainsi, en 1821, il envoya son fils William acheter du bétail à Boston au nom de la société puis, à titre de trésorier, approuva sa forte note de frais. Par ailleurs, il persuada ses collègues du conseil d’administration de faire de Willow Park, qu’il avait acheté en 1819 près de Halifax, la ferme modèle de la société. Il put dès lors utiliser les semences, le bétail et les instruments de la société, ce qui réduisit ses coûts d’exploitation. Les produits de cette ferme qu’il présenta à des concours remportèrent de nombreux prix ; il faut cependant préciser, à sa décharge, qu’il en remit certains à la société.

Le ton de supériorité que Young empruntait dans sa correspondance avec les sociétés locales transparaissait parfois dans ses articles, ce qui n’améliorait pas son cas. On lui reprochait en particulier une tendance à l’arrogance et au didactisme. Lorsque, dans la quatrième lettre d’Agricola, il exposa les règles que ses correspondants devaient suivre, il les décrivit comme « le rempart derrière lequel Agricola s’[était] retranché afin d’accomplir sa mission sans être dérangé et sans être ennuyé par l’imbécillité des lourdauds ». Il interprétait et expliquait bien ses sources, mais son style s’adressait davantage à l’élite cultivée qu’au fermier moyen. « Il ne quitte jamais les hauteurs et déclame toujours en employant le plus sublime langage de la passion », déplora en 1823 un correspondant de l’Acadian Recorder. En conséquence, certains fermiers se désintéressèrent de ses idées.

Une polémique suscitée par des lettres parues dans le Free Press de Halifax illustre mieux que tout les réactions que provoquait la personnalité de Young. À compter de janvier 1819, plusieurs articles signés de pseudonymes contestèrent certaines de ses théories sur l’agriculture. Persuadé que James Cuppaidge Cochran* et James William Johnston*, notamment, figuraient parmi les auteurs, Young réagit à outrance et menaça, s’ils ne mettaient pas fin à leurs attaques, de révéler que les responsables étaient les rédacteurs en chef du Free Press. Ses critiques répondirent par d’autres articles, dont certains étaient particulièrement drôles : avec son ton majestueux, son refus de la contestation et ses distributions de prix, Young, faisaient-ils remarquer, ne contribuait guère au progrès de l’agriculture. En voyant que ses critiques avaient passé outre à ses menaces, Young fut encore plus irrité, et Cochran lui servit en privé ce conseil : « apprenez à supporter la contradiction, comme des hommes plus sages ont dû le faire avant vous [...] ne laissez plus la vanité être la disposition prépondérante de votre caractère ».

Young avait tout de même des partisans : Dalhousie, le lieutenant-gouverneur sir James Kempt*, le juge William Hersey Otis Haliburton* et un certain nombre de fermiers issus de toutes les régions de la province. Certes, il méritait une bonne part des reproches qu’on lui adressait, mais c’est quand même lui qui avait fait ressortir les forces et les faiblesses de l’agriculture néo-écossaise. Même si, en 1824, les sociétés locales n’avaient pas réalisé toutes leurs ambitions initiales, elles comprenaient sûrement mieux la nécessité d’améliorer les techniques agricoles. Les articles de Young n’étaient pas d’une lecture facile pour le fermier moyen, mais les lettres que les administrateurs des sociétés locales lui envoyaient montrent qu’ils comprenaient ses textes et pouvaient en expliquer le contenu à d’autres. Diffuser de l’information était son but et, même si ses écrits ne produisirent pas le résultat désiré ou escompté, l’expérience fut certainement utile. Les renseignements amassés à tous les échelons étaient fort impressionnants, et Young les rendait accessibles au public. Grâce à lui, plus de gens comprirent que l’agriculture était un ensemble de travaux complexes et non une activité pour ignorants.

Les lettres d’Agricola parurent à une époque où les Néo-Écossais vivaient ce qui a été qualifié de « réveil intellectuel », et il faut les replacer dans ce contexte. Au moment même où ces écrits achevaient de paraître, Thomas McCulloch commençait à publier, dans l’Acadian Recorder, une série de morceaux satiriques, les lettres de Stepsure. Il s’y servait de son personnage principal, Mephibosheth Stepsure, pour vanter les mérites de la vie pastorale, du dur labeur et de la frugalité, tous éléments qui, sous-entendait Young, étaient essentiels à la réussite.

On ne saurait imputer seulement à Young la mort du Central Board of Agriculture. Bien sûr, sa personnalité n’aida pas, non plus que ses trop nombreuses occupations et sa répugnance à donner plus d’autonomie aux sociétés locales. Mais le changement de lieutenant-gouverneur entra aussi en jeu. Dalhousie eut une part déterminante dans le succès initial de la société ; tant qu’il demeura en Nouvelle-Écosse, il s’y intéressa vivement et assista fidèlement à ses réunions. S’il était resté après 1820, peut-être aurait-il pu en prolonger l’existence. Cependant, la première vague d’enthousiasme reflua après son départ, même si son successeur, Kempt, paya sa cotisation à l’organisme.

De 1819 à 1826, le Central Board et les sociétés locales dépensèrent au delà de £7 000 des fonds publics, en plus de l’argent qu’ils avaient collecté eux-mêmes. Quelque £2 500 furent distribuées en primes et prix, £490 furent remises aux constructeurs de moulins à farine d’avoine, £422 servirent à l’achat de semences et £72 furent affectées à l’achat d’ouvrages sur l’agriculture. Toutefois, le Central Board commit des erreurs. Les semences d’importation étaient de piètre qualité et arrivaient trop tard ; il cessa donc d’en commander en 1821. Il mit également fin à la remise de primes au défrichage quand il constata que les forêts se dépeuplaient trop vite. La sélection des animaux reproducteurs suscitait aussi des désaccords, et l’importation de ce type de bétail cessa après 1821, comme les expositions animales tenues dans diverses parties de la province. Le principal objectif du Central Board était de faire en sorte que la Nouvelle-Écosse produise assez de blé pour ses besoins ; survalorisé, il ne fut jamais atteint, peut-être parce qu’il était prématuré ou irréaliste.

Dès sa fondation, le Central Board avait eu des difficultés avec plusieurs groupes de la colonie. Maints fermiers n’arrivaient pas à se soustraire au poids de la tradition. Ils continuaient donc d’ouvrir des terres à la culture au lieu d’accroître la productivité du sol par de nouvelles techniques. Les communautés de pêcheurs, regroupées surtout dans la moitié occidentale de la province, contestaient la légitimité de la subvention annuelle à l’agriculture car leur propre industrie ne recevait rien de comparable. Quant aux marchands, ils s’intéressèrent d’abord aux articles de Young parce qu’ils comptaient sur un renouveau agricole pour aider à surmonter la crise économique. En 1818, la Grande-Bretagne, au moyen de changements législatifs, permit aux colonies d’importer des comestibles américains par des ports francs désignés, dont Halifax. Une fois levées les interdictions sur les produits agricoles des États-Unis, les Néo-Écossais ne sentaient plus l’urgence d’accroître leur propre production. En outre, comme la Grande-Bretagne tendait, dès 1825, à libéraliser les échanges, ainsi que le montraient les modifications apportées cette année-là aux règlements impériaux sur le commerce, il devenait évident que le secteur agricole céderait le pas au commercial.

Bien avant de terminer les lettres d’Agricola, Young avait manifesté du goût pour la politique, et en 1820 il avait sérieusement envisagé de se lancer dans l’arène. En 1823, il brigua les suffrages, sans succès, dans la circonscription du canton de Halifax. Pendant cette campagne où Charles Rufus Fairbanks lui faisait la lutte, on apprit que le fils de Young, William, apprenti au cabinet d’avocat de Fairbanks, avait dévoilé la stratégie électorale de son employeur à son père. Young dut donc user de son influence auprès du juge en chef Sampson Salter Blowers et d’autres juges pour que William soit délié de son contrat d’apprentissage.

Young se représenta en 1824, cette fois à une élection partielle dans la circonscription de Sydney. Il remporta la victoire, mais peu après qu’il eut pris possession de son siège, le 15 février 1825, l’Assemblée reçut des pétitions où des électeurs se plaignaient d’irrégularités dans le scrutin et qu’il n’était pas franc-tenancier dans la circonscription. Un comité de l’Assemblée annula l’élection, mais Young fut réélu au scrutin suivant et put occuper son siège à compter du 1er février 1826 sans plus de difficultés. Néanmoins, le fait qu’il résidait à Halifax déplaisait à nombre de ses électeurs, et dès avril 1826 Thomas Cutler, de Guysborough, le prévint que cela pourrait lui nuire.

En qualité de député, Young s’exprimait volontiers et, d’ordinaire, avec à-propos. Selon un commentateur de la fin du xixe siècle, il défendait ses positions avec « une éloquence claire et lucide » ; il faisait preuve à l’occasion d’un bel humour. Par contre, ses exposés étaient plus longs que nécessaire, et il cherchait trop à donner l’impression d’être un homme à principes. La Pictou Academy fut l’un des premiers sujets auxquels il s’intéressa. Même s’il appuyait l’idée de subventionner cet établissement et de l’aider au même titre que les autres, il refusa toujours que la subvention devienne permanente. Son opposition s’explique par la séparation entre l’Église d’Écosse, dont il était membre, et les presbytériens scissionnistes, auxquels appartenait le directeur de la Pictou Academy, Thomas McCulloch. Toutefois, il se souciait des besoins de l’ensemble de ses coreligionnaires, et en 1827 il réclama en chambre qu’on donne au clergé presbytérien tous droits de célébrer des mariages.

À l’occasion de la querelle du Brandy, en 1830 [V. Enos Collins*], Young défendit les droits de l’Assemblée contre le Conseil de la Nouvelle-Écosse en affirmant que ses électeurs et ceux de ses collègues pâtiraient des pertes fiscales que pourrait entraîner ce différend. Réélu cette année-là, il prit souvent la parole durant les sessions de la quatorzième Assemblée. Il consacrait une attention particulière à l’examen des dépenses, surtout dans les cas où pesait un soupçon de favoritisme. Au début des années 1830, il se prononça sur le canal Shubenacadie [V. Charles Rufus Fairbanks], les salaires des fonctionnaires des bureaux de douanes, les redevances, les banques et la monnaie. Il se plaignit aussi du fait que Halifax recevait une part excessive du revenu provincial. En 1835, il indiqua quels postes superflus le gouvernement pourrait abolir pour épargner et parla de réduction des dépenses en soulignant que l’État pourrait avantageusement recourir à de saines pratiques commerciales.

Après ses interventions en chambre sur la réduction des dépenses, Young publia dans l’Acadian Recorder 20 lettres signées du pseudonyme de Joe Warner. Il y déclarait que l’Assemblée avait besoin de députés soucieux d’apporter des réformes et d’accomplir la volonté du peuple ; son deuxième objectif était de prévenir la population contre le danger d’élire trop d’avocats car, selon lui, ces hommes tenaient trop à leurs propres intérêts pour être de bons députés. Il dénonçait la manière dont on dépensait les fonds publics et disait que ce gaspillage découlait en partie de la collusion de certains députés avec le conseil. Il se montra particulièrement virulent envers le président de l’Assemblée, Samuel George William Archibald, qu’il accusa d’user de son poste à des fins personnelles. Les désaccords entre les deux hommes découlaient sans aucun doute de leurs positions contraires quant à la Pictou Academy.

Les élections de 1836 furent pénibles pour Young. Cette année-là, on divisa sa circonscription, Sydney, et il fit campagne dans la partie qui constitue maintenant le comté d’Antigonish. Le ressentiment causé par le fait qu’il n’était pas résident refit surface, et à la fin du deuxième jour de scrutin il se classait bon dernier sur trois candidats. Ce soir-là, une délégation de ses partisans rendirent visite au vicaire apostolique de la Nouvelle-Écosse, Mgr William Fraser*, qui vivait à Antigonish, pour l’inviter à faire connaître son opinion sur la course électorale. Le lendemain matin, Fraser donna son appui à Young, ce qui permit à celui-ci de se hisser au deuxième rang et d’obtenir un siège. Les motifs de l’intervention de Fraser sont difficiles à déterminer. Peut-être agissait-il par amitié personnelle et voulait-il remercier Young d’avoir œuvré en 1830 pour la pleine émancipation des catholiques. Sans son soutien, Young aurait certainement perdu.

Young assista, le 31 janvier 1837, à la réunion de la nouvelle Assemblée. Malgré sa santé chancelante, il ne ménagea pas ses énergies : il s’opposa à un projet de loi contre l’exportation des céréales et des pommes de terre, proposa une réduction du salaire des greffiers de la chambre et présenta une motion en faveur de la formation d’un comité conjoint d’examen des comptes publics. Le principal débat de la session tourna autour de résolutions où l’Assemblée reprochait au conseil de refuser à la population de participer à ses débats lorsqu’il agissait à titre d’instance législative. Après que le conseil eut opposé une fin de non-recevoir et laissé entendre que la chambre pourrait être rappelée à l’ordre, Young présenta deux résolutions qui visaient à éviter un affrontement direct avec la Chambre haute, comme celui de 1830. Joseph Howe*, convaincu de l’inefficacité des résolutions de Young, en présenta 12 de son cru, à la fois plus globales et plus précises. Young les appuya, mais il regretta peut-être que ce soit Howe, et non lui-même, qui devienne le héros du jour.

En juin 1837, Young était si malade qu’il devait passer le plus clair de son temps assis dans son lit ou dans un fauteuil. En août, il écrivit à son fils George Renny qu’il se sentait mieux, mais il mourut à Willow Park le 6 octobre.

Sous bien des rapports, John Young représente le type de l’homme instruit qui, à son arrivée dans les colonies, vit des possibilités que d’autres avaient négligées ou laissé échapper faute de confiance en eux-mêmes. En éduquant ses fils, il leur laissait entendre que l’intérêt personnel était le mobile des actions humaines ; lui-même sembla souvent obéir à ce motif au cours de sa carrière en Nouvelle-Écosse. Cependant, en conciliant ses objectifs avec l’intérêt public, il sut rendre service à sa terre d’adoption.

R. A. MacLean

John Young a publié, sous le pseudonyme Agricola, The letters of Agricola on the principles of vegetation and tillage, written for Nova Scotia, and published first in the Acadian Recorder by John Young, secretary of the Provincial Agricultural Board [...] (Halifax, 1822).

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R. A. MacLean, « YOUNG, JOHN (1773-1837) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/young_john_1773_1837_7F.html.

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Auteur de l'article:    R. A. MacLean
Titre de l'article:    YOUNG, JOHN (1773-1837)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
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