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[Les termes employés dans cet essai reflètent l’usage au moment de sa rédaction, au début des années 1960. Ils sont donc représentatifs de l’historiographie de cette époque.]

Le présent volume du dictionnaire renferme les biographies de 65 Amérindiens. De bien des façons, ces gens forment un groupe distinct. En effet, sur la plupart d’entre eux, la documentation est fragmentaire. Comme des mouches à feu, ils brillent un moment avant de disparaître de nouveau dans l’obscure forêt de l’histoire anonyme. Il faut même retracer la plupart de leurs faits et gestes dans des annales qui ne sont pas les leurs. L’histoire des Amériques que nous connaissons est celle du Blanc, nécessairement écrite à l’aide de ses propres documents. La tradition orale des Amérindiens apporte quelques renseignements, en somme fort peu nombreux ; depuis quelques années, l’archéologie est assez féconde, mais, fait significatif, surtout sur la période précédant l’arrivée des Blancs. Toutefois, nous commençons à mieux comprendre le drame palpitant des conflits ethniques et de cultures et les tragiques conséquences qui découlèrent de la « découverte » des Amériques par les Européens. Dans l’étude de cette phase, la biographie nous apporte une aide précieuse, puisque l’histoire des Amérindiens pris individuellement nous fournit, mieux que tout autre moyen, des aperçus plus nets de ces luttes et de ces tensions, car elle nous les révèle en termes humains et non pas sous forme de forces aveugles. C’est pourquoi le nombre d’Amérindiens inclus dans le présent volume peut paraître, dans l’ensemble, plutôt généreux.

Sur les premiers autochtones que rencontrèrent les Européens dans ce qui s’appelle aujourd’hui le Canada, nous ne possédons aucun état personnel, même si les relations des explorateurs signalent leur présence. Parmi les Amérindiens, les Inuits appartiennent à une famille distincte par la langue et la culture ; on les connaît surtout depuis l’exploration de la baie d’Hudson ; toutefois, les sagas des Norsemen en faisaient déjà mention. Néanmoins, les contacts avec eux furent de courte durée et plutôt rares [V. Baffin ; Best ; Hall ; Knight  ; Snorri Thorfinnsson ; Thorfinnr karlsefni Thordarson ; White].

Au commencement de la période historique, les Inuits s’étaient avancés au sud jusqu’au Havre-Saint-Pierre (autrefois Pointe-aux-Esquimaux) sur la côte nord du Saint-Laurent. Les Amérindiens du golfe que virent les premiers explorateurs [V. Hore ; Parmenius ; Wyet] furent les Béothuks. Appartenant probablement à une famille linguistique distincte, comptant alors près de 500 âmes, ils étaient entièrement confinés à Terre-Neuve. Les Blancs les traitèrent d’une façon déplorable ; les pêcheurs de Terre-Neuve les traquaient partout, les considérant à peine mieux que des bêtes. Jamais les Béothuks ne reçurent de missionnaires et aucun colon de l’île n’apprit leur langue. La tribu finit par disparaître au milieu du xixe siècle (V. J. P. Howley, The Beothuks or Red Indians, the aboriginal inhabitants of Newfoundland (Cambridge, 1915) ; Jacques Rousseau, Le Dernier des Peaux-Rouges, Cahiers des Dix, xxvii (1962) : 47–76).

Lorsque nous en venons aux Amérindiens du continent, il s’en trouve que nous pouvons identifier et parmi lesquels nous pouvons faire un choix représentatif. Le nord-est de l’Amérique septentrionale constitue un vaste territoire s’étendant de l’Acadie jusqu’au delà des Grands Lacs. Il est donc essentiel de se rappeler, pour comprendre ces biographies, que les Amérindiens de cette région formaient une indescriptible mosaïque de tribus et de bandes nomades, à divers niveaux culturels et différant considérablement dans leur mode de vie. Bien plus, si nous voulons nous représenter avec une certaine justesse la tension tragique qu’éprouvèrent Amérindiens et Blancs, nous devons avoir une idée des modes de vie fondamentaux modelant la pensée et les actes des premiers.

Le Nord-Est comprenait, outre les Inuits, deux groupes linguistiques : les Algiques (ou Algonkiens), nomades vivant surtout de la chasse et de la pêche, et les Iroquois, pratiquant un certain nomadisme agricole. Au nord, occupant de beaucoup le plus vaste territoire, se trouvaient les nombreuses tribus de la famille algique. Complètement à l’est, les Micmacs et les Malécites occupaient au moment de la découverte ce qui forme aujourd’hui la province de la Nouvelle-Écosse, y compris l’île du Cap-Breton, le nord du Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. Les deux groupes avaient comme frontière la ligne de partage des eaux de la rivière Saint-Jean et des cours d’eau du golfe Saint-Laurent ; le territoire des Malécites s’étendait jusqu’au Saint-Laurent, en face de Tadoussac, et il comprenait aussi une partie de l’État du Maine. Les Malécites et plusieurs tribus algiques du sud formaient la confédération des Abénaquis (comptant entre autres les Pesmocodys (Passamaquoddys), les Pentagouets (Penobscots) et peut-être les Socoquis, lesquels s’allièrent au xviie siècle aux Français contre la confédération des Iroquois et les colons anglais du littoral atlantique.

Au nord du Saint-Laurent et à l’est du Saint-Maurice se trouvaient les Montagnais ; plus à l’est, le long de la côte nord du golfe et dans la péninsule, dispersés sur une vaste étendue de terre, vivaient les Naskapis, étroitement apparentés aux Montagnais, dont ils se distinguaient parfois fort peu. À l’ouest du Saint-Maurice, les Algonquins occupaient le bassin de la rivière des Outaouais (Ottawa). Encore plus à l’ouest, les Outaouais habitaient les terres conduisant à la baie Georgienne et les Népissingues, les environs du lac Nipissing. Les Sauteux se concentraient au voisinage du lac Supérieur. Également au nord des Algonquins et des Sauteux, entre la ligne de partage des eaux de la baie James et, vers l’ouest, jusqu’à la Saskatchewan actuelle, erraient les bandes de Cris.

On place d’ordinaire les Algiques parmi les peuples migrateurs parce qu’ils rôdaient plus ou moins continuellement à travers de vastes espaces en quête de gibier – orignal, cerf, caribou, de plus petites bêtes à prendre au piège – et de poisson. Ils augmentaient leur régime alimentaire de plantes indigènes et, en certains endroits, ils cultivaient du riz sauvage et fabriquaient du sirop d’érable, la saison venue. Quelques tribus s’adonnaient aussi à l’horticulture sur une petite échelle, semant du maïs, des haricots et des courges [V. Tessouat, circa 1603–1613]. Ces Amérindiens jouissaient généralement d’une abondance de vivres durant les mois d’été, mais plusieurs tribus souffraient sérieusement de la famine au cours de l’hiver.

Parce que les Algiques étaient migrateurs, leurs effets, par nécessité, étaient transportables. Ils se servaient d’écorce ou de bois pour fabriquer des paniers. La hutte unifamiliale, conique ou hémisphérique, le wigwam, constituait le principal abri dans toute cette région. Couverte de rouleaux d’écorce de bouleau, de nattes de jonc ou de peaux de bêtes, cette hutte était facile à monter et à démonter. Pour les déplacements en hiver, les peuplades algiques employaient la tobagane et les raquettes ; lors des expéditions d’été, elles utilisaient l’élégant canot d’écorce de bouleau, l’une des grandes contributions des Amérindiens au transport par eau en Amérique du Nord.

La bande constituait l’unité socio-économique importante, même si l’on rencontrait et l’on reconnaissait des divisions par tribus. Les bandes variaient en nombre allant de quelques familles à plusieurs centaines d’individus. De maintes façons, les peuples algiques étaient enclins à l’individualisme. Le chef reconnu de la bande était d’ordinaire un chasseur expérimenté, célèbre pour son astuce et la sûreté de son jugement. Quelquefois, il s’agissait de fonctions héréditaires transmises au sein d’une famille puissante (les droits héréditaires se transmettaient par les descendants mâles). Quand un certain nombre de bandes se réunissaient en vue d’une expédition guerrière, de négociations avec d’autres tribus ou avec les gouvernements des Blancs, on choisissait alors comme chef un homme particulièrement doué. Toutefois, dans la localité, c’était plus souvent le shaman qui exerçait la plus grande influence [V. Carigouan ; Pigarouich].

Avec l’expansion de la traite des pelleteries, les Algiques mirent à profit leur connaissance de la forêt et des habitudes des animaux à fourrure ; la chasse au piège devint leur principale occupation. Ce furent les commerçants européens qui leur firent connaître les instruments de fer, les fusils, les marmites, l’eau-de-vie et d’autres aspects de la culture européenne. En échange, ils recevaient les peaux de lynx, de loutres, de martres, de renards et, les plus importantes de toutes, celles de castors. En se faisant trappeurs, les Algiques durent abandonner en grande partie leur économie traditionnelle d’hommes des bois ; ils s’installèrent autour des postes de traite. Ils devinrent ainsi tributaires du marché des fourrures, avec tout ce qu’il comporte de vicissitudes, exposés qu’ils étaient à plusieurs aspects néfastes de la civilisation européenne, à l’alcoolisme en particulier. Leur participation au commerce des fourrures, à titre d’alliés des Français, les mêla aux conflits avec les Iroquois et, en fin de compte, les entraîna dans la lutte que l’Angleterre et la France se livraient pour l’Amérique même.

Le contraste est frappant entre la vie des Algonkiens et celle des tribus iroquoises, dont les groupes les plus remarquables au xviie siècle furent ceux des Hurons, qui habitaient au sud de la baie Georgienne, et les Iroquois de la confédération des Cinq-Nations, qui occupaient le territoire situé au sud du Saint-Laurent et du lac Ontario, depuis la rivière Richelieu jusqu’aux abords du lac Érié. Maîtres de ces régions bien arrosées et des plus fertiles qui forment aujourd’hui le sud de l’Ontario et l’ouest de l’État de New York, ils disposaient de terres fort propices à une vaste économie agricole. Ils pouvaient y cultiver le maïs, leur denrée principale, aussi bien que les haricots, les courges de toutes sortes, dont la citrouille, le tabac et d’autres produits végétaux, certains d’entre eux en grande quantité. Les forêts environnantes leur fournissaient plusieurs plantes sauvages, du gibier (en particulier le cerf), et les cours d’eau, du poisson.

Une documentation ethnohistorique, riche et bien appuyée, décrit le rôle de ces peuples au xviie siècle, mais la période d’histoire qui précède leur rencontre avec les Blancs fait encore l’objet de maints débats parmi les archéologues. De nos jours, on croit que les Hurons et les Iroquois ont eu une origine commune dans les régions du sud ; ils seraient venus vers les Grands Lacs en suivant la ligne de l’Ohio ; ils se seraient séparés sur les bords des lacs Érié et Ontario, certains se dirigeant du côté nord de ces lacs, d’autres vers le sud. En 1534, Cartier rencontra des Iroquois sur les rives du Saint-Laurent inférieur ; cependant, durant l’intervalle qui s’écoula entre cette époque et la venue de Champlain en 1608, ils seraient retournés dans le secteur, situé au sud du fleuve, qui servit au xviie siècle de « zone tampon » entre la Nouvelle-France et les colonies anglaises, du côté de l’Atlantique.

Quatre tribus faisaient partie de la confédération des Hurons ou Wyandots : les Attignaouantans (Ours), les Attingueenougnahaks (Cordes), les Ahrendarrhonons (Pierres), les Tahontaenrats (Cerfs). D’autres tribus iroquoises avoisinaient les Hurons : la nation du Tabac ou du Pétun, à l’ouest, et les Neutres, au sud, le long de la rive nord du lac Érié. La célèbre confédération iroquoise comptait cinq tribus au xviie siècle : les Agniers, les plus à l’est, vers la rivière Richelieu ; à l’ouest de ceux-ci, les Onneiouts, les Onontagués, les Goyogouins et les Tsonnontouans. Au sud et à l’ouest des Tsonnontouans se trouvaient les Ériés, une autre tribu iroquoise.

Tous ces peuples iroquois vivaient dans des villages plutôt fixes qu’ils abandonnaient après 10 à 15 ans. Ces agglomérations étaient situées d’habitude sur des élévations à proximité de sources d’eau ; elles groupaient une population assez importante, atteignant plusieurs centaines d’âmes. La plupart étaient protégées par une palissade de bois. Les habitations multifamiliales se nommaient, à juste titre, des « cabanes longues », à cause de leur forme rectangulaire ; elles logeaient d’ordinaire de 8 à 10 familles et même, rapporte-t-on, de 20 à 30.

La maisonnée constituait l’unité sociale des Iroquois ; en termes techniques, on pourrait décrire leur généalogie comme étant matrilinéaire. Le noyau de toute maisonnée comprenait un certain nombre de femmes qui descendaient d’une ancêtre commune. À son mariage, l’homme occupait la maison de sa femme. L’autorité de ces maisonnées reposait sur une femme âgée. Bien qu’elles ne constituassent pas un véritable matriarcat, ces femmes anciennes exerçaient une grande influence, particulièrement dans le domaine politique.

Le clan, groupe plus considérable de parents, comptait un certain nombre de maisonnées et ressemblait quelque peu à une grande famille. Les hommes d’un clan se considéraient comme des enfants des mêmes parents et s’opposaient au mariage à l’intérieur du groupe. La coutume voulant qu’ils s’aident les uns les autres en cas de nécessité, ils mettaient leurs biens en commun à la façon d’un groupe corporatif. Entre eux, ils cherchaient à redresser leurs torts, mais ils vengeaient impitoyablement la mort des leurs. La plupart des clans portaient des noms d’animaux, ceux de l’Ours, du Loup et de la Tortue étant fort répandus.

L’unité politique principale était la tribu. Elle portait un nom propre, occupait un territoire défini et était dotée d’un conseil de chefs ou de sachems. La parenté linguistique et un mode de vie commun n’impliquaient pas nécessairement des relations amicales. Les Hurons, qui devinrent les ennemis irréconciliables des Iroquois, leurs parents par la langue et la culture, s’entendaient beaucoup mieux avec les Algonkiens, des chasseurs nomades parlant un dialecte étranger. Ainsi, au moment où les Blancs survinrent, il existait des confédérations qui visaient à maintenir la paix parmi les tribus membres. Les Cinq-Nations appelaient leur groupement la « Ligue des Iroquois » ou « La grande paix ». Ses fondateurs étaient les chefs semi-légendaires Dekanahouideh et Hiaouatha. Ce régime politique considérait comme des belligérants ennemis les tribus qui n’étaient pas membres de la ligue.

Les termes symboliques empruntés à la cabane précisaient la place des associés dans la structure interne de la ligue : certaines tribus étaient les « gardes de la porte », etc. [V. le Bâtard Flamand]. Les liens de parenté de la ligne maternelle, représentant la maisonnée, s’étendaient à toutes les tribus membres, lesquelles se divisaient elles-mêmes en clans. Puisque certains clans se retrouvaient dans les diverses tribus, il était donc en principe inimaginable qu’on se querellât entre frères d’un même clan.

Les décisions de la ligue relevaient d’un conseil fédéral composé de 50 sachems dont les postes se transmettaient suivant l’hérédité matrilinéaire. C’étaient les matrones qui déterminaient quel parent mâle éligible hériterait de la fonction. Dirigeant la maisonnée, elles prenaient en fait la plupart des décisions, tandis que les hommes portant les titres de l’autorité mettaient les ordres à exécution. Les cinq tribus formant la ligue n’avaient pas le même nombre de délégués. Les Tsonnontouans, par exemple, étaient représentés par 8 sachems et les Onontagués par 14, les 3 autres par des nombres intermédiaires. La règle exigeant des décisions unanimes compensait l’inégalité des groupes. Les sachems jouissaient d’une haute réputation et, en dehors de la guerre, leur fonction était le seul moyen d’acquérir du prestige.

L’éloquence s’avérait l’une des qualités primordiales d’un grand sachem [V. Kiotseaeton ; Otreouti]. Les discours et la narration des grandes légendes entourant la fondation de la ligue restaient les plus belles manifestations de la réunion annuelle du conseil fédéral tenue à Onontagué (Onondaga), New York. Comme aide-mémoire, on recourait aux ceintures de wampum fabriquées de perles de nacre noire ou blanche (faites de coquillages), rappelant des idées ou des événements importants. Parfois le wampum servait de monnaie.

Il arrivait que les membres de la ligue se réunissaient pour déclencher une guerre concertée (par exemple, la destruction des Hurons) ; mais la plupart de leurs actions militaires avaient une allure de vendetta. Quelques guerriers se groupaient pour mener un raid, profitant au mieux de l’attaque surprise. Ils scalpaient leurs victimes et ramenaient leurs prisonniers au village. Chaque famille qui avait perdu l’un de ses occupants avait droit de choisir un captif pour combler le vide. La torture attendait les autres. Mourir sans montrer le moindre signe de douleur passait pour héroïque et les victimes étaient censées afficher du mépris pour leurs ravisseurs en prétendant endurer avec joie les tourments. Peu importe l’envergure des opérations militaires de l’époque historique, les Iroquois subirent de lourdes pertes ; témoin, un passage des Relations des Jésuites d’après lequel des captifs hurons et algonkiens remplacèrent les deux tiers de la tribu des Onneiouts en 1668 (JR (Thwaites), LI : 123).

Un aperçu aussi incomplet laisse à peine entrevoir la nature de la société amérindienne au moment de l’arrivée des Blancs, mais il nous aidera à comprendre pourquoi l’impact de la culture européenne du xviie siècle sur celle des Amérindiens ébranla jusque dans ses fondements chacun des aspects de la vie et de la pensée de ces peuplades. Que des bribes de la culture amérindienne aient survécu témoigne de sa puissance et de la fidélité aux traditions. Nous pouvons comprendre aujourd’hui mieux qu’un observateur de l’époque le sens et l’effet dévastateur de ce choc culturel ; pourtant, Indiens et Blancs nous ont laissé maintes observations pertinentes, en particulier Marie de l’Incarnation [V. Guyart] et les Jésuites, notamment dans leurs lettres, leurs Relations et leur Journal.

Pour les Amérindiens du nord-est de l’Amérique, le choc culturel s’est fait sentir violemment dans trois secteurs d’importance vitale. En premier lieu, le secteur idéologique : leurs croyances religieuses et leur système tribal ont été ébranlés jusqu’à la racine, au point de saper l’autorité des chefs et des sorciers. En deuxième lieu, le secteur économique : la traite des pelleteries a provoqué une révolution sociale marquant chaque trait de la vie quotidienne, semant la discorde parmi les tribus pour aboutir aux « guerres de la fourrure ». Enfin, le secteur politique : les rivalités entre les empires français et anglais ont sans cesse entraîné les Amérindiens dans les luttes des envahisseurs cherchant la suprématie militaire en Amérique. Dans chacun de ces domaines, les conséquences furent beaucoup plus profondes et tragiques pour les Amérindiens que pour les Blancs. Depuis les contacts assez restreints avec les premiers explorateurs, multipliés par la suite des milliers de fois à travers le continent, les Amérindiens assistèrent à un complet bouleversement de leurs anciennes coutumes ; puis la désintégration sociale et morale, aggravée par l’eau-de-vie et les maladies contagieuses, s’ensuivit. M. André Vachon (L’Eau-de-vie dans la société indienne, CHA Report, 1960, 26s.) a décrit sous de vives couleurs cette révolution :

« La société indienne, extrêmement primitive, n’était aucunement préparée au contact avec les Européens. Sa première rencontre avec l’homme blanc fut, pour l’Indien, un choc brutal. Le sauvage découvrait tout d’un coup un monde sans proportion avec le sien : les couteaux de fer des Blancs avaient plus de puissance que ses couteaux de silex, leurs canots étaient immenses, leurs armes tuaient à distance, en faisant un bruit de tonnerre. Sûrement, les esprits avaient, chez les Blancs, une puissance infiniment supérieure à celle des esprits qu’il avait jusque-là affrontés. Habitué à interpréter les phénomènes naturels en termes spirituels, l’Indien, de cette première rencontre avec la civilisation occidentale et chrétienne, revint sentimentalement ébranlé dans ce qui était à la base même de toute la structure de sa vie culturelle : sa religion.

« À mesure que les relations avec les Blancs se faisaient plus intimes, l’âme indienne se désintégrait un peu plus. Au début, les Français distribuèrent aux Indiens des couteaux, des hachettes, des marmites, afin de gagner leur amitié. Au contact de ces produits européens, toute la vie indienne fut bouleversée. Les instruments de fer étaient d’une efficacité et d’une rapidité extraordinaires. Ils avaient plus de puissance, de force : les Indiens les adoptèrent sur-le-champ. En conséquence, délaissant leur art traditionnel, ils cessèrent de fabriquer leurs propres armes et leurs propres ustensiles ; ils modifièrent leurs techniques de chasse, pour les adapter aux armes nouvelles. Contre des fourrures, les Français leur troquèrent aussi des vêtements, des vivres et, bien entendu, de l’eau-de-vie. Chaque fois qu’ils adoptaient un produit européen, les Indiens abandonnaient quelque chose de leur culture. Rapidement, ils devinrent esclaves des trafiquants de pelleteries : pour obtenir tout ce dont ils avaient besoin, ils devaient apporter aux magasins de la Compagnie des quantités de plus en plus considérables de fourrures. Un fait brutal s’imposait à l’Indien : lui qui n’avait jamais chassé que pour satisfaire à ses besoins, il se trouvait tout à coup au milieu d’une société dans laquelle la concurrence avait entièrement modifié le rythme de la vie […] Certaines traditions fondamentales sont peu à peu oubliées, et l’Indien, conscient de sa déchéance, démoralisé, perd graduellement le goût de vivre.

« L’eau-de-vie, certes, faisait son œuvre dans cette désintégration de la société indienne. Mais gardons-nous d’isoler ce facteur et d’en exagérer l’importance. L’eau-de-vie ne fut qu’un élément parmi tant d’autres, dont l’action combinée amena le dépérissement physique et moral de l’Indien. »

La population indigène avant l’arrivée des Blancs restait néanmoins en équilibre, malgré le taux de mortalité élevé. Les maladies contagieuses nouvelles, introduites par les Européens, provoquèrent une chute catastrophique de la population.

L’influence prédominante dans le domaine idéologique naquit du choc provoqué par les missions des Récollets et, plus tard, des Jésuites. Les Amérindiens, tout primitifs qu’ils étaient, parvenaient difficilement à concilier les deux motifs dominants des Blancs pour pénétrer à l’intérieur du continent : la recherche des biens matériels et la conversion des païens. Ni l’un ni l’autre de ces mobiles ne semblait raisonnable à des hommes préoccupés surtout des besoins matériels du moment et possédant un système de croyances singulièrement adaptées au milieu dans lequel elles s’étaient établies. En outre, les Amérindiens se voyaient encore plus perplexes en face d’une autorité civile qui se manifestait tantôt par l’intermédiaire des robes noires, tantôt par la voix d’Onontio (le gouverneur) ou parfois simplement par celle des commerçants. Ces normes multiples dans les idéologies et le comportement des Blancs devaient produire une impression ineffaçable chez l’Amérindien. Le choc inévitable d’intérêts et de valeurs culturelles allait engendrer la violence jusqu’au pied même de l’autel [V. Brébeuf ; Gabriel Lalemant] ; il explique en grande partie les obstacles rencontrés par des missionnaires épris d’un idéal et qui cherchaient à conduire ces peuples du paléolithique à l’ère moderne. Bien des individus, Amérindiens ou Blancs, dont ce volume présente la biographie, se sont trouvés désespérément aux prises avec des problèmes pratiquement insolubles imposés par la phase initiale de l’histoire du Canada.

Le sort des Hurons, par suite de leur alliance avec les Français, fournit un exemple excellent des conséquences tragiques de l’envahissement d’une culture primitive par une autre, éloignée d’elle par des siècles d’avance. Mus par un esprit de dévouement sans limites, décidés à accepter les souffrances, la torture et la mort, les missionnaires durent affronter cependant une tâche particulièrement frustrante : il leur fallait initier à de nouveaux concepts religieux et sociaux un peuple dont ils ne comprenaient pas les mœurs ni la langue, au début de leur apostolat du moins. Pour ajouter à leurs difficultés, leur place dans la minuscule élite de la colonie allait les impliquer bien malgré eux souvent dans le dédale des intérêts civils et commerciaux, dans les conflits de la traite des fourrures et de l’eau-de-vie, et dans les engagements violents de la guerre amérindienne, qui détruisirent le pays huron et, à un moment, menacèrent l’existence même de la Nouvelle-France.

Des jugements trop hâtifs attribuent à la guerre la décroissance numérique des Amérindiens. La plupart succombèrent d’abord aux maladies nouvelles pour eux et apportées par les Blancs. Au début de leur alliance avec les Français, les Hurons étaient au nombre de 30 000 contre 15 000 Iroquois. La rougeole sévit chez les premiers en 1634, suivie bientôt par la variole et une autre épidémie. En 1640, ils n’étaient plus que 12 000, quand le nombre des Iroquois restait sensiblement le même. La disparité épidémiologique s’explique. Les alliés hurons et algonquins visitent régulièrement les établissements de la Nouvelle-France avec leurs familles et campent de longues semaines, en contact avec les colons, s’exposant ainsi à une contagion nouvelle. Les missionnaires et commerçants français, d’autre part, fréquentent librement leurs bourgades, tandis que les Hollandais et les Anglo-Saxons pénètrent plus rarement chez les Iroquois. Les Agniers vivent au cœur de la forêt ; par de longs portages, les émissaires se rendent au fort Orange (Albany, N. Y.) pour de brèves transactions. Des marcheurs isolés, pressés de retourner, évitent mieux la contamination que des maisonnées entières venues en canots et qui s’attardent. La famille iroquoise n’est pas la bienvenue au fort Orange et cela l’a sauvée. Après 1643, les Hollandais fournissent des armes aux Iroquois, mais les Français, craignant la révolte, refusent d’en munir leurs alliés non chrétiens. En 1649, quand les Cinq-Nations donnent le coup de grâce aux Hurons, la maladie les avait déjà vaincus. L’histoire accable souvent les victimes. En vérité, les Hurons égalaient les Iroquois ; les uns et les autres sont de même ethnie, de même langue, de même caractère et de même structure sociale. (V. Jacques Rousseau, Les premiers Canadiens, Cahiers des Dix, XXV (1960) : 9–64.)

La position géographique des Iroquois dans la partie occidentale de l’État de New York leur assurait un avantage stratégique considérable ; elle leur permettait d’attaquer par le sud, avec une impunité relative, les routes du Saint-Laurent et de l’Outaouais, deux voies de communication vitales des Français avec les pays d’en haut, centre principal d’approvisionnement en fourrures, auquel les Iroquois voulaient, eux aussi, avoir accès. À cause de cela, l’Iroquois avait des raisons pour se lancer à l’offensive, et il disposait d’une base propice, tandis que le Huron n’avait aucun intérêt à attaquer le voisin du sud.

À la différence des Hurons, les Iroquois étaient dans une situation qui favorisait leurs relations avec plus d’un gouvernement européen. Bien qu’ils aient été entraînés contre leur gré dans les conflits et rivalités entre les Français du Saint-Laurent et les Hollandais (après 1664, les Anglais) de la vallée de l’Hudson et de New York, leur solide position militaire (qui se révélera vulnérable plus tard) leur permit, pendant la plus grande partie du xviie siècle, d’opposer les Hollandais ou les Anglais aux Français. De la sorte, ils purent jouer gros jeu dans la traite des fourrures, grâce à l’art diplomatique et oratoire que leurs chefs pratiquaient à la perfection.

« Des personnes pratiques croient que Champlain aurait mieux fait de s’allier aux Iroquois ! D’autres soutiennent qu’il a choisi par idéalisme le parti des Hurons et des Algonquins, exposés aux vilenies des cruels Iroquois. Aucune de ces opinions n’est fondée. Champlain veut explorer l’ouest de la Nouvelle-France, découvrir la route de la Chine et fonder un établissement agricole ; mais il favorise d’abord le commerce des pelleteries, base économique de la jeune nation et raison d’être des Cent-Associés, alors maîtres du Canada. Les territoires du nord recèlent les plus belles fourrures. Les Algonquins et les Hurons en contrôlent les issues fluviales. Ils sont donc plus utiles à la colonie que les Iroquois. Les Hurons, d’ailleurs, bénéficient de la même armature sociale que les Iroquois et ils les dépassent de 10 000 à 15 000 hommes. L’alliance choisie par Champlain s’impose de toute évidence. Mais ces peuplades ont aussi leurs problèmes. Pour participer à la traite des fourrures, elles exigent une assistance militaire contre les Iroquois avec lesquels elles guerroient depuis un demi-siècle. Leurs ennemis veulent les contraindre à entrer dans la ligue des Cinq-Nations. L’indépendance est un bien qui se paie cher. » (Rousseau, Les premiers Canadiens, ibid., 50.)

Pour la traite des pelleteries, la position géographique des Iroquois, au xviie siècle, les favorisait moins que les Hurons. Ils ne purent se rabattre sur les riches territoires de l’ouest lorsque leurs propres ressources furent épuisées, ni jouer le rôle d’intermédiaire, enviable pour l’Amérindien, entre les bandes de chasseurs et les acheteurs français, hollandais ou anglais. À partir des années 1620, la demande de fourrures, de la part des Européens, devint illimitée et les Hurons en dominaient les sources au nord et à l’ouest. Ils prirent même soin d’empêcher les Français de traiter directement avec la nation du Tabac et celle des Neutres, des partenaires des Hurons, de même qu’avec les Népissingues, au nord. Pendant une brève période, la tribu algonkienne de l’île aux Allumettes, sur la rivière des Outaouais, en travers du trafic franco-huron, nourrissait des ambitions commerciales, en dépit de sa faible population, mais elle ne réussit jamais à supplanter les Hurons. Ses membres étaient assez puissants toutefois pour prélever un tribut sur le trafic fluvial [V. Tessouat, mort en 1636]. La carrière de l’infâme Oumasasikoueie illustre bien les manœuvres d’Amérindiens pour régir en maîtres la traite des fourrures.

Néanmoins, au cours des années 1630 et 1640, ce furent les Hurons qui montrèrent de la façon la plus saisissante la puissance de l’intermédiaire. Maîtres du territoire au sud du Bouclier pré-cambrien, ils bâtirent un « empire » commercial parmi les tribus algiques échelonnées des Grands Lacs au Saint-Maurice, et même jusqu’au Saguenay et à la baie d’Hudson. Chargés de marchandises amérindiennes et européennes, leurs canots parcouraient les lacs et rivières de ce vaste territoire, échangeant des fourrures pour les transporter à Montréal et à Québec, par la rivière des Outaouais surtout. De leurs voisins, les nations des Neutres et du Tabac, qu’ils détournaient jalousement des Français, les Hurons obtenaient des produits du pays, comme le maïs et le tabac, pour augmenter leurs moyens de troc avec les tribus algonkiennes.

Ce fut cet empire commercial des Hurons, déjà affaibli par la maladie, que les Iroquois détruisirent en 1649–1650 en même temps que les missions des Jésuites ; ils réussirent si bien que les Hurons cessèrent d’exister comme peuple. Les restes se dispersèrent parmi les tribus du nord et de l’ouest ; quelques-uns cherchèrent refuge dans l’île d’Orléans, puis à Québec même et enfin, dix ans plus tard, à Notre-Dame-de-Foy, à trois ou quatre milles à l’ouest de Québec.

« Des 50 000 Hurons, Neutres et Ériés du début de la colonie, il ne reste que des lambeaux ; dans l’Oklahoma, leurs descendants Wyandotes se chiffraient à peine à 378 en 1905, et à Lorette, près de Québec, on comptait 835 Hurons en 1953. La plupart des fugitifs se sont fondus avec les Iroquois ; le père [SimonLe Moyne en rencontre 1 000 chez les Onnondaga en 1653. Trois ans plus tard, les Iroquois présentent un ultimatum aux vaincus près de Québec : ou la fusion, ou la guerre d’extermination ? La majorité des Hurons céda à la menace. » (Rousseau, Les premiers Canadiens, ibid., 51.) Si bien que les Iroquois combattant Dollard au Long-Sault en 1660 pouvaient très bien compter dans leur effectif des Hurons adoptés. Le dialogue entre les Hurons de Dollard et l’ennemi, tel que l’a rapporté Louis Taondechoren, échappé du massacre, le laisserait croire.

Après 1650, les Iroquois ne réussirent jamais à remplacer complètement les Hurons dans le commerce des fourrures ; en effet, ce furent les Outaouais qui héritèrent d’une grande partie de la traite. Cependant, les Iroquois continuèrent leurs sanglantes incursions loin au nord et à l’est ; leurs embuscades, à certains moments, fermèrent la rivière des Outaouais aux convois de pelleteries, et leurs attaques des établissements échelonnés le long du Saint-Laurent menacèrent l’existence même de la Nouvelle-France. Ce n’est qu’avec l’arrivée du régiment de Carignan-Salières, sous les ordres du marquis de Tracy [V. Prouville] et ses campagnes de 1665–1666 que la colonie put jouir d’une sécurité relative. Même alors se poursuivront de longues palabres de paix, marquées par des accalmies et la reprise des armes. Ces difficultés couvrirent tout le xviie siècle et débordèrent sur le xviiie, car les Iroquois jouèrent un rôle considérable dans les hostilités anglo-françaises et la Révolution américaine. Parmi les Amérindiens du nord-est de l’Amérique septentrionale, l’Iroquois offre ainsi l’exemple le plus frappant du choc résultant des rivalités coloniales des Blancs qui ont dominé l’ancien et le nouveau continent.

Il est impossible de déterminer avec exactitude le rôle respectif de la géographie et de la traite des fourrures sur l’histoire des Iroquois au xviie siècle. Personne ne niera que ces deux facteurs aient eu une influence considérable, même si l’on n’accepte pas trop rigoureusement l’explication déterministe de George T. Hunt dans The Wars of the Iroquois (Madison, 1940). Entre les Hurons et les Iroquois, pourtant liés étroitement par la langue et la culture, il existait des différences notables dans l’idéologie et les institutions. Par exemple, les Iroquois ne se montrèrent jamais aussi bien disposés à l’égard du christianisme que les Hurons. Les Hollandais et les Anglais n’amorcèrent aucun projet de missions, tandis que les Français concentrèrent leurs entreprises religieuses et civiles au nord du Saint-Laurent et, de cette base, gagnèrent le Mississippi. L’effort fervent mais tragique du père Jogues, tentant de fonder une mission au pays des Agniers, fut trop limité pour avoir influé sur la culture iroquoise. Quelle qu’en soit l’explication, il est certain que les Iroquois réussirent à se protéger assez contre les bouleversements pour que leurs descendants continuent à former une entité distincte. Sans aucun doute, la position géographique, la qualité des chefs, la puissance intrinsèque des traditions et des institutions et d’autres éléments secondaires ont contribué à assurer la survivance de ce peuple. La célèbre confédération des Cinq-Nations iroquoises fut une institution particulièrement efficace. Bien qu’il s’agisse d’une association volontaire et de membres libres en temps de guerre ou de paix, elle constituait un puissant agent de cohésion, particulièrement après 1660.

La rencontre des deux cultures a marqué les Amérindiens d’une façon rigoureuse, mais elle a aussi touché l’Européen qui se sentait étranger dans le décor inusité du Nouveau Monde. C’est à l’Amérindien qu’il doit d’avoir survécu dans ce rude milieu. La description du premier voyage de Cartier en 1534 constitue le premier récit authentique des relations entre Amérindiens et Européens dans le nord-est de l’Amérique. Il y dépeint les Iroquois de la baie de Gaspé, explique leurs coutumes et mentionne leurs cultures de maïs à cet endroit. Domagaya et Taignoagny, partis pour la France avec la permission accordée à contrecœur par leur père, Donnacona, devinrent, l’année suivante, les premiers interprètes canadiens à Stadaconé (Québec). Grâce à leurs bons offices, Cartier put se renseigner sur la Grande Rivière du Canada et apprendre qu’elle n’était pas un détroit vers la mer de Cathay. Les cartographes du vieux continent dressèrent les premières cartes du Canada au moyen des renseignements obtenus des Amérindiens. Ce sont eux encore qui apprirent à Cartier le remède infaillible contre le scorbut, qui assaillit l’équipage au cours de l’hiver de 1535–1536 (Jacques Rousseau, L’Annedda et l’Arbre de vie, RHAF, VIII (1954) : 171–212).

La première et probablement la principale contribution des Amérindiens fut l’aide aux Blancs dans leurs explorations. Ce fut l’Amérindien avec son canot, ses raquettes et ses interprètes (nombre d’entre eux issus des premières unions de Français et d’Amérindiennes) qui permit à Champlain, à Jolliet, à La Vérendrye [Gaultier*], et à bien d’autres de se frayer un chemin vers les pays d’en haut, parfois sur de simples filets d’eau, et de découvrir un continent. Grâce au savoir de l’Amérindien et à sa connaissance des animaux à fourrure, les coureurs de bois firent corps avec la forêt et établirent une entreprise commerciale d’importance mondiale dont l’évolution forme un thème dominant des premiers temps de l’histoire du Canada.

La connaissance des plantes américaines d’importance économique, chez les Amérindiens, fut d’une grande utilité aux Européens. Le tabac, le maïs, le haricot, toutes les variétés de courges ou de citrouilles étaient inconnus en Europe avant Christophe Colomb. Les Hurons tiraient, du tournesol, de l’huile dont ils se servaient pour graisser leur chevelure. Champlain découvrit le topinambour dans l’est du Canada, mais ce fut l’historien Marc Lescarbot qui l’introduisit en Europe. Les Amérindiens du Canada utilisaient un sirop d’érable léger mais le sucre du pays leur était inconnu. Quelques recettes amérindiennes sont entrées dans la cuisine des Blancs, comme le maïs en épi et d’autres mets où entre le blé d’Inde, par exemple, le succotash – bouillie de maïs et de haricots si appréciée en Nouvelle-Angleterre ; le gibier accompagné de riz sauvage ; enfin, certaines techniques de panification perfectionnées dans les forêts du Nord, au grand bénéfice des explorateurs anciens et actuels. Les peuples indigènes d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, à eux seuls, ont fourni plus de 100 plantes à l’agriculture universelle, transformant ainsi le commerce et la cuisine de l’Ancien Monde. La pomme de terre, appelée patate au Canada français et dans plusieurs provinces de France, vient du Pérou. Les Amérindiens des Caraïbes cultivaient le manioc et la patate sucrée. Le piment constitue le principal condiment au Mexique où on le considère comme un excellent légume. On cultivait des espèces de coton au Nouveau-Mexique. Parmi d’autres espèces originaires du continent nouveau, mentionnons la tomate, le cacao, l’arachide, l’ananas, l’avocatier, l’arrow-root.

Même le français et l’anglais ont fait des emprunts aux dialectes amérindiens ; l’anglais, par exemple, a adopté les mots pow-wow, canoe, tepee, chipmunk, moose, hominy, squash, tamarack, etc. En français, on ne retrouve pas moins de 100 mots, entre autres : canot, tobagane, cometik, wigwam et plus de 25 noms de plantes et d’animaux dans la seule province de Québec.

Ainsi, les 65 biographies d’Amérindiens du présent volume soulignent à peine la part des indigènes dans le développement initial du Canada ; c’est tout au plus un tribut symbolique à des artisans inconnus de notre culture, d’obscurs héros tombés dans la guérilla, des interprètes et portageurs qui entraînèrent la moitié d’un continent vers la civilisation moderne. À cette multitude anonyme, l’histoire du Canada doit quelques-unes de ses pages les plus saisissantes.

 
 
† Brown, George WFirst General Editor, Dictionary of Canadian Biography/Dictionnaire biographique du Canada, University of Toronto Press, 1959–63; Professor Emeritus, Department of History, University of Toronto, Toronto, Ontario.

 

Rousseau, Jacques. Professeur d’ethnobiologie et chargé de recherches à l’université Laval, Québec, Québec.

 

Jacques Rousseau et G. W. Brown« les Indiens du Nord-Est de l'Amérique », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 (les Presses de l’univ. Laval, 1966 ; éd. corrigée 1986)

 

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