Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3622978
MOONEY, HELEN LETITIA (McClung), institutrice, réformatrice sociale, auteure, femme politique et fonctionnaire, née le 20 octobre 1873 près de Chatsworth, Ontario, fille de John Mooney et de Letitia McCurdy, fermiers ; le 25 août 1896, elle épousa à Wawanesa, Manitoba, Robert Wesley McClung, et ils eurent quatre fils et une fille ; décédée le 1er septembre 1951 à Saanich, Colombie-Britannique.
Helen (Nellie) Letitia Mooney était la benjamine de six enfants. Son père, fidèle de l’Église méthodiste, avait immigré dans le Haut-Canada en provenance du comté de Tipperary (République d’Irlande) en 1830. Il travailla comme bûcheron dans les chantiers de la rivière des Outaouais et, en 1841, il s’installa sur une concession gratuite de 50 acres de terrain rocheux près de Chatsworth, au sud de la baie Georgienne. Il épousa Letitia McCurdy, presbytérienne d’origine écossaise de 20 ans sa cadette. Dans son autobiographie, Nellie décrirait ses parents comme de bons chrétiens qui attachaient beaucoup d’importance au travail acharné, à l’éducation, à la vie rurale et à la discipline. Elle aimait l’esprit irlandais et la gaieté de son père, et admirait sa mère pour sa détermination et son sens du devoir, même si, peut-être, elle ne vénérait pas son approche calviniste de la vie.
En 1880, la famille suivit le mouvement de migration vers les Prairies des fermiers avides de terres. Les Mooney voyagèrent en navire à vapeur, en char à bœufs et à pied jusqu’à la vallée de la rivière Souris, au Manitoba. Après avoir refusé une terre qui aurait pu entraîner des contacts un peu trop rapprochés et malaisés avec des Métis voisins, ils choisirent une propriété isolée, au sud-ouest de Portage-la-Prairie, près de Millford. La vie y était très difficile, mais la ferme s’avéra plus prospère que celle qu’ils avaient quittée en Ontario. L’enfance de Nellie, qu’elle relate de façon imagée dans le premier volume de sa biographie, paru en 1935 et intitulé Clearing in the west, se déroula au sein d’une famille méthodiste affectueuse, qui tenait pour acquis son droit de déplacer les autochtones et les Métis et de créer une communauté britannique dominante. Pour s’évader des obligations de la ferme, Nellie avait les prairies, où, dit-elle, elle pouvait « courir librement », jusqu’à ce qu’elle commence à fréquenter l’école, à l’âge de neuf ans. Une lecture attentive de son autobiographie laisse toutefois supposer que les corvées quotidiennes et les efforts des parents pour contenir leur fille, qui avait beaucoup de volonté, freinèrent ses élans. Pourtant, elle chérirait toujours la vie de colon et ferait appel, dans ses récits, à des souvenirs de « route froide » et de « cheveux collés aux draps par le gel de la nuit » pour faire comprendre son empathie à l’égard des femmes vivant en milieu rural. À l’occasion d’un pique-nique communautaire, elle fut exposée pour la première fois aux méfaits de l’ivresse, thème récurrent dans toute son œuvre, et elle se rallia rapidement à l’opinion de sa mère qui considérait que l’alcool était « un des instruments du diable pour confondre l’humanité ». En fin de compte, comme le ferait remarquer l’historien Pierre Berton*, « elle était un produit des Prairies, aussi typique de l’Ouest que le blé Red Fife ». Non seulement y avait-elle grandi, mais elle y avait fait sa scolarité. D’abord élève récalcitrante, elle étudia avec sérieux et plaisir pendant six ans à l’école de Northfield, près de Millford, auprès de son instituteur Frank Schultz. Elle lui attribuerait plus tard le mérite d’avoir stimulé son ambition. Il l’aida aussi à s’interroger sur les colons qui dépossédaient les autochtones et les Métis de leurs terres. À l’occasion de reconstitutions historiques jouées par des enfants, le fait que Nellie avait choisi d’incarner Poundmaker [Pītikwahanapiwīyin*], chef cri mêlé à la rébellion du Nord-Ouest en 1885, laissait présager une certaine sympathie envers les Premières Nations du Canada, à défaut d’une véritable compréhension de leurs problèmes. Tout comme la plupart des Canadiens blancs de son époque, elle considérait que ces peuples formaient une race en voie de disparition. À l’histoire et aux paysages des Prairies vint rapidement s’ajouter la littérature comme source d’inspiration. Les publications Ontario readers, History of England de Collier et Family Herald and Weekly Star de Montréal furent ses premières lectures et lui procurèrent une source de distraction et de conseils.
En 1889, Nellie entra à la Winnipeg Normal School pour obtenir un brevet d’enseignement de deuxième classe, l’une des rares options professionnelles offertes aux femmes. L’école nourrissait son appétit de littérature. Après avoir lu le roman de Charles Dickens intitulé The life and adventures of Martin Chuzzlewit, elle « sut dans cette splendeur ce que pouvait être un écrivain au sommet de son art, un interprète, un révélateur de secrets, un chirurgien céleste, un sculpteur qui peut faire jaillir un ange de la pierre ». Sa rétivité à l’autorité, qu’elle manifesta toute sa vie, fut également alimentée par sa conviction que les livres, ou, de façon plus générale, l’éducation, mettaient en lumière l’oppression des gens ordinaires et offraient un moyen de libération.
La vie d’adulte et la carrière d’institutrice de Mlle Mooney commencèrent en 1890, à l’école Hazel, près de Manitou, au Manitoba, où elle enseigna toutes les divisions, de la première à la huitième année. Elle occupa des emplois rémunérés pendant cinq ans, dans quatre écoles différentes du centre-sud du Manitoba. Dès le début, ses actions suscitèrent une certaine controverse : elle introduisit le football pour les filles autant que pour les garçons, afin d’encourager le jeu loyal et la discipline, et elle présenta sous un aspect dramatique les effets destructifs de l’alcool à l’aide d’un tableau de tempérance. Ces deux initiatives soulevèrent la protestation de parents, qu’elle sut calmer grâce à son sens de l’humour et à sa diplomatie, des atouts qui lui seraient très utiles plus tard. La jeune institutrice mûrit rapidement, tout en affinant ses opinions politiques et en élargissant son réseau d’amis. En 1892, elle accepta un poste à l’école de Manitou et logea chez la famille du ministre méthodiste James Adam McClung. L’épouse de ce dernier, Annie E., qui figurait parmi les leaders de la Woman’s Christian Temperance Union (WCTU) et qui était une farouche militante du droit de vote des femmes, fit une grande impression sur Nellie qui ne tarda pas à prendre part aux mêmes causes. L’affection croissante et le profond respect qu’elle lui vouait influencèrent directement sa décision d’épouser quelqu’un de la famille. Une idylle naquit entre Nellie et le deuxième fils des McClung, Robert Wesley, alors étudiant en pharmacie. La jeune fille approfondit encore davantage ses connaissances lorsque, en 1894, elle étudia pendant six mois au Collegiate Institute de Winnipeg, où elle obtint une bourse Isbister et un brevet de première classe. Elle accepta ensuite un poste à l’école de Treherne, et prit pension à nouveau chez les McClung, qui s’étaient installés dans cette ville. En 1895, elle retourna à Northfield pour y enseigner. Elle y demeura avec sa mère, qui était devenue veuve. L’année suivante, elle épousa Robert Wesley McClung et ils s’établirent à Manitou, où le jeune homme tenait une pharmacie. Certaine de son choix, elle écrivit : « Je savais que je pourrais être heureuse avec Wes [...] je ne craindrais pas la vie auprès de lui. » Même si, pour se conformer aux conventions, elle dut quitter son emploi après son mariage, elle resterait une éducatrice toute sa vie.
Dans le second volume de son autobiographie, paru en 1945 et intitulé, The stream runs fast, Mme McClung décrivit sa vie de femme mariée et son plein engagement dans les réformes. Solidement ancrée dans la classe moyenne, puisqu’elle était mariée au pharmacien de Manitou, elle se plaisait beaucoup dans le milieu du militantisme social, de l’écriture, de la politique et de l’éducation des enfants. Élevé de manière à considérer les femmes comme des égales, Robert Wesley lui offrit son soutien absolu. Sorte d’« homme nouveau », il défendit discrètement la cause féministe qu’il considérait comme essentielle à l’amélioration de la communauté. Les naissances de John Wesley (Jack) en 1897, de Florence en 1899, de Paul en 1900, d’Horace Barrie en 1906 et de Mark en 1911 apportèrent de la joie au couple, et un surcroît de travail. Mme McClung avait presque toujours de l’aide ; elle embauchait habituellement de jeunes immigrantes (souvent des Finlandaises ou des Ukrainiennes). Elle présenterait bon nombre d’entre elles comme des amies, les décrirait parfois dans ses récits, et déclarerait que des relations bienfaisantes, d’aucuns diraient paternalistes, constituaient un moyen d’assimiler les nouvelles venues. L’arrivée des bébés affermit également sa volonté de poursuivre les objectifs du féminisme. Pendant son enfance, elle avait été contrariée par le fait que « c’était les femmes qui étaient responsables de tout » et elle remettait en question la « vénération pour les hommes, caractéristique du vieux continent », dont faisaient preuve sa mère et d’autres femmes. Horrifiée par les malaises physiques causés par sa première grossesse, elle se tourna vers le maternalisme, idéologie selon laquelle les femmes ne sont pas des victimes de la nature, mais des êtres bénis, investis d’une mission divine. Le profond respect pour la maternité, dogme populaire à son époque, renforça sa critique grandissante de l’injustice entre les sexes et son sentiment de solidarité féminine.
Mme McClung affirma dans son autobiographie que « les femmes [devaient] être amenées à prendre conscience de leur responsabilité. Tout cet amour protecteur [... devait] être canalisé de quelque façon et mis à profit. » Déterminée à ne pas devenir, à Manitou, « la personne la plus mortellement ennuyeuse et celle qui a la plus grande tentation de ne pas penser du tout, [...] l’épouse bourgeoise et heureuse », la jeune mère lutta contre la complaisance. Aidée par sa belle-mère et le personnel de maison dans les tâches ménagères, elle se bâtit une vie en dehors du foyer. En 1902, sur l’insistance d’Annie McClung, elle participa à un concours de nouvelles organisé par le très populaire magazine familial américain Collier’s. Elle ne remporta aucun prix, mais son récit devint le premier chapitre d’un grand succès de librairie, son roman paru en 1908 et intitulé Sowing seeds in Danny, premier tome d’une trilogie mettant en vedette la fougueuse Pearl Watson. Tout comme sa créatrice, cette jeune pionnière britannique bousculait les conventions. Dans The second chance et Purple Springs, publiés respectivement en 1910 et 1921, elle prenait tout pour cible, notamment la violence faite aux femmes et aux enfants, les lois contre les femmes, les mères célibataires, la nécessité de créer des garderies, l’isolement des habitants des Prairies, le sentiment de culpabilité typiquement calviniste, la thésaurisation des richesses, et le fait de laisser les Amérindiens s’enraciner dans leur propre culture. L’héroïne, Pearl, appartenait à la même catégorie de personnages qu’Anne Shirley, créée par Lucy Maud Montgomery*, et que Pollyanna et Elsie Dinsmore, d’autres protagonistes de récits américains. Semant la bonté autour d’elle et chassant l’ignorance, Pearl représentait une vision attrayante de la jeunesse protestante des petites villes et de la campagne.
L’auteure partageait avec son héroïne un très grand sens du devoir chrétien dans sa façon d’être une femme au foyer responsable et une bénévole engagée dans la communauté. Elle était active au sein de divers organismes : la WCTU de Manitou, la Ladies’ Aid de l’Église méthodiste, la Home Economics Association, l’Epworth League (association vouée à la jeunesse méthodiste), le Band of Hope (groupe de la WCTU destiné aux enfants) et l’école méthodiste du dimanche. Elle aimait également les prestations des artistes itinérants, qui égayaient la vie des gens avant l’arrivée de la radio et du cinéma. Avec son mari, elle « assistait à tout spectacle qui, au début des années 1890, était en tournée ». À l’une de ces occasions, elle rencontra Emily Pauline Johnson*, artiste autochtone de premier plan au Canada, également critique et écrivaine, qui deviendrait une amie fidèle.
C’est au sein de la WCTU, dont l’objectif principal était l’amélioration de la société par la sobriété, sous la supervision de femmes responsables, que Mme McClung se sentit capable de combattre les inégalités. Comme d’autres féministes, elle trouvait que cette organisation de femmes, la plus grande au Canada, était une source de croissance politique et d’amitiés. Au congrès de la WCTU qui eut lieu en 1907 à Manitou, lorsqu’elle tenta de susciter des appuis ou, en d’autres termes, d’« allumer un feu de prairie », elle « sentit naître l’ambition de devenir oratrice ». Rétrospectivement, elle déclara : « Il est fort probable que personne ne se souvient de ce discours, mais, moi, je m’en souviens [...] Pour la première fois, je savais que je détenais le pouvoir de la parole. J’ai vu des visages s’illuminer, des yeux briller et senti l’atmosphère vibrer d’une énergie nouvelle. » Auteure très populaire et oratrice passionnée, elle était sollicitée dans la province. Malgré les reproches qu’on lui adressait parce qu’elle passait du temps loin de ses enfants, elle croyait qu’une maternité respectable était tout à fait compatible avec le travail à l’extérieur de la maison, qu’il soit rémunéré ou non.
Au fil de ses voyages, tout comme dans ses rôles d’épouse et de mère, Mme McClung aiguisa sa conscience critique à l’égard des changements sociaux, économiques et politiques qui secouaient le Canada. L’immigration, particulièrement en provenance de l’est et du sud de l’Europe, créa un nouveau creuset ethnique qui suscita chez elle des sentiments partagés ; l’avenir l’inquiétait, mais elle éprouvait de la compassion pour les gens dépossédés. Elle considérait que les privilèges masculins étaient au cœur de nombreux problèmes, tels que l’abandon de la famille, l’alcoolisme, l’appropriation des revenus des épouses, la violence familiale, les conflits entourant la garde des enfants et l’isolement des femmes en milieu rural. Méthodiste convaincue, dotée d’une profonde conscience sociale, elle se joignit à d’enthousiastes apôtres manitobains du Social Gospel (croyance selon laquelle la chrétienté exigeait des réformes sociales tout autant que personnelles), parmi lesquels se trouvaient James Shaver Woodsworth*, surintendant de l’All Peoples’ Mission à Winnipeg, et Ella Cora Hind*, reporteur et suffragette, dans leur remise en question de plusieurs aspects du statu quo. Faisant partie d’une alliance progressiste très unie, elle se tourna davantage vers l’État pour remédier aux abus.
Lorsque Robert Wesley accepta un poste à la Compagnie d’assurance sur la vie, dite des Manufacturiers, en 1911, ils partirent vivre à Winnipeg. Mme McClung fut accueillie comme une militante émérite par les réformateurs établis dans la capitale en pleine croissance. Tout en publiant, en 1912, un nouveau recueil d’histoires, The Black Creek Stopping-House, elle trouva le temps de s’imprégner de son nouveau milieu. La vie à Winnipeg l’exposa aux problèmes causés par l’urbanisation rapide ; l’exploitation industrielle, les sans-abri et la violence accentuèrent sa conscience sociale. Très tôt, elle représenta une force dont le gouvernement provincial conservateur de Rodmond Palen Roblin* dut tenir compte. Les réunions hebdomadaires du Canadian Women’s Press Club lui offrirent une première tribune. C’est là que germa l’idée de fonder un organisme voué au droit de vote des femmes : « Il ne nous suffisait pas de nous réunir, de parler, et de manger des sandwiches au poulet et des olives. Nous pensions que nous devions nous organiser et sensibiliser l’opinion publique au suffrage féminin. » La visite, en 1911, de la féministe britannique Emmeline Pankhust facilita la découverte de mouvements internationaux. Mme McClung travailla également avec le Local Council of Women, qui réclamait la nomination d’une inspectrice d’usines pour protéger les travailleuses. Accompagnée par Mme Claude Nash, amie de Roblin, elle fit visiter au premier ministre récalcitrant les usines de Winnipeg qui étaient dans un état déplorable, mais cela ne servit à rien. Ce dernier refusa, ce qui confirma la nécessité d’adopter de nouvelles stratégies.
Au début de 1912, avec d’autres militantes, des femmes instruites de la classe moyenne, parmi lesquelles se trouvaient Ella Cora Hind, Lillian Kate Thomas [Beynon*] et sa sœur Francis Marion Beynon, Winona Margaret Dixon [Flett*] et le docteur Amelia Yeomans [Le Sueur*], Mme McClung fonda la Political Equality League (PEL), considérée par l’historienne Catherine Lyle Cleverdon comme l’« un des organismes de défense du droit de vote les plus dynamiques et les plus efficaces du dominion ». Bien que militant principalement pour le droit de vote, les membres de la ligue, qui provenaient de la WCTU, du milieu ouvrier et de la communauté progressiste islandaise, s’intéressaient aussi vivement à la prohibition, ainsi qu’aux réformes concernant le statut juridique des femmes et les lois du travail. Pendant la croisade de Mme McClung sous la bannière de la PEL, le Canada Monthly de London, en Ontario, écrirait en 1916, qu’elle était « aussi éclatante qu’un lis tigré à des obsèques ». L’un des moments forts de la campagne fut sa prestation dans une pièce intitulée The women’s parliament, organisée par la PEL au Walker Theatre, à Winnipeg. Cette remarquable satire constituait une riposte stratégique après l’échec essuyé par la ligue qui avait tenté d’amener l’Assemblée législative du Manitoba à donner suite à une pétition massive pour le droit de vote. À la séance tenue le 27 janvier 1914, Roblin « n’eut jamais, de toute sa vie, d’auditeur plus attentif » que Mme McClung, qui l’imiterait à la perfection, après avoir mémorisé ses arguments et ses manières affectées. Sur scène, le lendemain soir, elle tint le rôle de première ministre au sein d’une assemblée entièrement féminine dans une province imaginaire où les hommes n’avaient pas le droit de vote ; elle s’adressait avec condescendance à une délégation masculine qui réclamait le droit de vote, la garde partagée des enfants et l’autonomie financière, et elle rejetait leurs revendications. Les journaux firent état de l’hilarité et des applaudissements du public devant cette scène où l’arrogant premier ministre se faisait rendre la monnaie de sa pièce.
Lorsque des élections provinciales furent fixées pour juillet, Mme McClung devint la porte-parole non officielle de la cause du droit de vote. Comme beaucoup de progressistes, elle se méfiait des politiques partisanes et décida de lutter selon ses propres convictions. Elle assista néanmoins à de nombreuses réunions, où elle prit la parole au nom des libéraux, qui donnaient leur appui au droit de vote. Elle fut qualifiée par les médias d’« héroïne de la campagne électorale » et de « Jeanne d’Arc canadienne », et les conservateurs brûlèrent son effigie à Brandon. Il n’est pas étonnant que Mme McClung se souvint de la campagne comme un événement « exaltant – plein de réunions, d’entrevues, de déclarations, de contradictions, pendant lesquelles [elle eut] l’ardente conviction de participer à un moment historique ». Les libéraux ne remportèrent pas les élections, mais le droit de suffrage féminin occupa sans conteste l’avant-scène. En 1915, les conservateurs furent défaits et, un an plus tard, le Manitoba devint la première province à accorder le droit de vote aux femmes.
Dès la fin de l’été de 1914, Mme McClung avait été bouleversée par la perspective d’une guerre, inquiète pour l’avenir de la civilisation et pour celui de son fils de 17 ans, Jack. Même si elle approuvait les efforts de paix, elle était d’avis que l’Allemagne, despotique et patriarcale, devait être vaincue. Cette prise de position créa des tensions dans ses relations avec des amis pacifistes, dont les Beynon. En décembre, pour la carrière de Robert Wesley, la famille s’installa à Edmonton, la « porte du Nord ». Mme McClung y fit immédiatement sa place, devenant un membre influent de l’Equal Franchise League, organisation qui présenta une pétition comptant 12 000 signatures au premier ministre libéral Arthur Lewis Watkins Sifton*. Elle unit ses forces à celles de la féministe bien connue Emily Gowan Murphy [Ferguson*]. Mme McClung devint présidente honoraire du Women’s Institute d’Edmonton et de l’association méthodiste Woman’s Missionary Society de l’Alberta ; elle continua de s’intéresser au Women’s Canadian Club, et devint membre de la Croix-Rouge et du Fonds patriotique canadien. Par ailleurs, elle continua à être une conférencière populaire. En octobre 1915, même les salles et les églises les plus grandes de Toronto ne pouvaient accueillir les foules avides de goûter à son « énergie tout à fait typique de l’Ouest ».
En 1915 fut publié le volume le plus connu de Mme McClung, In times like these. Ce tour de force, d’intelligence, de satire, de bonne humeur et de bon sens regroupait des discours de la PEL, des allocutions en temps de guerre, ainsi que des arguments en faveur du féminisme et de la tempérance. Le droit de vote était étroitement lié à la prohibition : les femmes autorisées à voter appuieraient la tempérance et balaieraient de nombreuses tragédies morales et sociales. Quand elle prit la parole devant l’Assemblée législative de l’Alberta en 1915, en tant que membre d’une imposante délégation pour le droit de vote, elle affirma : « notre appel n’est pas pour la pitié mais pour la justice ». Elle fut récompensée. Les forces qui prônaient la tempérance remportèrent le référendum provincial sur l’alcool le 15 juillet. Dès l’année suivante, la vente d’alcool fut interdite par la loi. Le 6 mars 1916, l’Assemblée législative de l’Alberta reconnut que les femmes devraient avoir le droit de voter ; le projet de loi en ce sens reçut la sanction royale le 19 avril. Entre-temps, la Saskatchewan, province voisine, avait étendu le droit de suffrage pour l’accorder aux femmes.
Jack, l’un des fils McClung, s’était enrôlé dans l’armée à l’été de 1915. Désespérée, elle écrirait The next of kin, publié en 1917, en guise d’hommage. En 1916, elle passa six semaines, sa plus longue tournée de conférences, à prononcer des discours aux États-Unis, au nom de la National American Woman Suffrage Association. L’ouverture avec laquelle Mme McClung exprimait ses sentiments de mère de soldat rendit la réalité de la guerre plus tangible à bon nombre d’Américains. Au cours d’une deuxième tournée, en 1917, après l’entrée des États-Unis dans le conflit, elle remarqua que les auditeurs désiraient vivement des conseils pour les aider à réconforter leurs fils. Dès 1918, lorsqu’elle publia Three times and out, told by Private Simmons, elle était convaincue que les femmes devaient participer aux plans de reconstruction de l’après-guerre. Après avoir écrit au premier ministre unioniste sir Robert Laird Borden*, Emily Murphy et Mme McClung furent invitées à Ottawa afin de prendre part à la Women’s War Conference, en 1918, première occasion où le gouvernement canadien consulta officiellement des femmes. Après la Première Guerre mondiale, plusieurs victoires survinrent. Mme McClung se réjouit du retour de son fils, sain et sauf, et célébra l’avancement de la cause féminine : « Les femmes ont remporté une victoire aussi grande que [celle de] la bataille de Verdun ! »
Dans le contexte de l’après-guerre, toutefois, aucun consensus quant à l’avenir ne ressortit parmi les forces progressistes au Canada. Les féministes étaient divisées en de nombreux camps – communistes, conservateurs, libéraux, progressistes et projets de partis de femmes. Comme elle redoutait la partisanerie, Mme McClung s’opposa toujours à l’idée d’un parti de femmes. L’agitation ouvrière s’intensifia à mesure qu’augmentèrent les prix et que disparurent les emplois. Une fois de plus, elle se trouva en conflit avec des réformateurs radicaux, comme James Shaver Woodsworth, qui milita en faveur de la grève générale de Winnipeg, en 1919. Libérale, elle était persuadée que l’éducation et la bonne volonté suffisaient pour instaurer l’égalité, et qu’une révolution était inutile. Sa sympathie pour les ouvriers ne franchit jamais le point de promouvoir l’action directe. Les grèves avaient leur raison d’être, mais, pour concrétiser les réformes, il fallait manœuvrer à l’intérieur du système politique.
Mme McClung, qui avait soutenu les libéraux favorables au suffrage des femmes lors d’élections au Manitoba et en Alberta, devint députée provinciale libérale de l’une des cinq circonscriptions d’Edmonton, en 1921. Événement sans précédent, huit femmes se présentèrent comme candidates à ces élections. Les Fermiers unis de l’Alberta, aux tendances progressistes, prirent le pouvoir et les libéraux durent se ranger du côté de l’opposition. À l’Assemblée législative, elle agissait régulièrement comme une députée indépendante. Comme elle le disait : « J’estimais que nous étions les délégués de la population et [que nous] devions porter un jugement sur toute question au meilleur de nos connaissances, sans égard aux liens du parti. » Au sujet des questions sur la condition de la femme, elle unit ses forces à celles de Mary Irene Parlby [Marryat*], membre du cabinet. Toutes deux s’entendaient sur la nécessité d’avoir des bibliothèques itinérantes, des cliniques médicales et dentaires, des infirmières de santé publique, et sur des sujets comme la régulation des naissances et la législation eugénique, qui consistait à limiter la fertilité des handicapés mentaux. Nellie exprima également ses espoirs de revitaliser la communauté dans de nouvelles publications : The beauty of Martha (1923), When Christmas crossed « The Peace » (1923) et All we like sheep (1926).
Pendant son mandat, Mme McClung déploya des efforts pour faire appliquer les lois sur les boissons alcoolisées. En 1923, la province céda aux pressions publiques ; elle révoqua la loi sur la prohibition et approuva la vente d’alcool par le gouvernement. Cette année-là, Mme McClung s’installa à Calgary, où son mari avait été muté. Elle tenta de nouveau sa chance aux élections provinciales de 1926, mais elle les perdit, apparemment parce qu’elle approuvait la prohibition, et se sentit trahie par les électrices. La rédaction d’autres recueils de nouvelles – Be good to yourself et Flowers for the living, parus respectivement en 1930 et 1931 – lui apporta consolation. En 1930, le premier ministre William Lyon Mackenzie King* l’invita à se porter candidate aux élections fédérales, à Calgary, et à affronter le chef conservateur Richard Bedford Bennett*. Elle déclina l’offre et ne se présenterait jamais plus devant les électeurs.
Mme McClung n’en demeura pas moins une militante. Elle prit part à la lutte que menait Emily Murphy pour faire nommer les femmes au Sénat. En 1927, unissant sa voix à celles d’Emily Murphy, d’Irene Parlby, de l’ex-députée provinciale de l’Alberta Louise McKinney [Crummy*] et de la vice-présidente du National Council of Women of Canada, Henrietta Louise Edwards [Muir*], elle demanda si les mots « personnes qualifiées », dans l’article sur la nomination du personnel de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, s’appliquaient aux femmes. L’année suivante, la Cour suprême du Canada déclara que les femmes n’étaient pas des personnes et qu’elles étaient par conséquent inadmissibles, mais, en octobre 1929, le comité judiciaire du Conseil privé statua en faveur de la requête des « célèbres cinq », comme on surnommerait par la suite Nellie et ses compagnes.
L’engagement de Mme McClung au sein de l’Église continuait également d’occuper une place importante dans sa vie. En 1921, elle devint la première femme à être envoyée par l’Église méthodiste du Canada à la conférence œcuménique, à Londres. Son appartenance à l’Église unie du Canada (créée par suite de la fusion des églises méthodiste, presbytérienne et congrégationaliste en 1925) l’amena entre autres à lutter pour l’ordination des femmes, objectif qui se concrétisa finalement en 1936. Après avoir été la première femme membre du conseil d’administration de la Société Radio-Canada, de 1936 à 1942, la militante de l’Ouest mit son Église au défi de tenter des expériences avec la radio, « la meilleure des universités ». Au cours de la période de paix incertaine entre les deux guerres, elle demeura attentive aux événements et mouvements internationaux, dont la Women’s Guild of Empire d’Angleterre, l’Oxford Group et le Moral Re-armament. Publiés à cette époque, soit en 1936 et 1937, Leaves from Lantern Lane et More leaves from Lantern Lane firent ressortir l’intérêt qu’elle portait aux affaires internationales, son engagement en matière de droits des femmes et de réformes sociales, tout comme son mépris de l’apathie et de la corruption.
Les McClung s’étaient installés à Victoria en 1932, pour la dernière mutation de Robert Wesley. Celui-ci prit sa retraite l’année suivante et, en 1935, la famille fit l’acquisition d’une petite ferme, à proximité, qu’ils baptisèrent Lantern Lane. Là encore, Mme McClung continua de se tenir occupée. Nommée déléguée du Canada à la Société des nations en 1938, elle fit partie du cinquième comité, qui traitait des enjeux sociaux, plus particulièrement de ceux qui concernaient les femmes et les enfants. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, elle froissa beaucoup de gens en s’opposant à l’emprisonnement des Canadiens japonais. En 1945, elle publia The stream runs fast, son dernier ouvrage. Elle mourut le 1er septembre 1951, à l’âge de 77 ans, et fut inhumée au cimetière Royal Oak Burial Park, à Victoria.
Helen Letitia McClung reçut d’importantes marques de reconnaissance de la population et des critiques. En 1938, le premier ministre King rendit hommage aux célèbres cinq en inaugurant une plaque commémorative à l’entrée du Sénat du Canada. Un timbre-poste à l’effigie de Mme McClung fut émis en 1973, ce qui marquait le 100e anniversaire de sa naissance, puis, deux ans plus tard, sa résidence de Manitou fut également l’objet d’une commémoration. Le 18 octobre 1999, à l’occasion du 70e anniversaire du jugement final, donné dans l’affaire « personne », des statues de bronze de chacune des célèbres cinq furent dévoilées sur l’Olympic Plaza, au cœur de Calgary. Des répliques de ces sculptures furent érigées sur la colline du Parlement en octobre 2000 ; il s’agit des premières statues de femmes canadiennes à cet endroit. L’œuvre littéraire de Mme McClung, qui comprend 17 livres, ainsi qu’un grand nombre de nouvelles et d’articles parus dans des magazines et des journaux, connut une grande popularité du vivant de l’écrivaine, mais fut également critiquée pour son côté didactique. L’auteure répliqua, dans son autobiographie, qu’« [elle] ne [s’était] jamais préoccupée de [son] art. [Elle] a[vait] écrit le plus clairement possible, jamais négligemment ni malhonnêtement, et si certains de [ses] récits [étaient...] des sermons camouflés, [son] vœu le plus sincère [était] que le camouflage [n’ait] pas obscurci le sermon. » Après l’obtention du droit de vote des femmes, la charismatique Mme McClung trouva une place favorable dans l’histoire de l’avancement de la démocratie et de la restriction des privilèges masculins. L’analyse moderne est plus circonspecte. Après réévaluation, les chercheurs voient en elle un précurseur des auteurs canadiens modernes, comme Jean Margaret Laurence [Wemyss*]. Cependant, parce qu’elle acceptait l’idée d’un leadership anglo-celte exercé par la classe moyenne et aussi à cause de son manque de compréhension des autochtones et des gens qui n’étaient pas d’origine britannique, de son appui à l’eugénique et de son maternalisme typiquement chrétien, de nombreux spécialistes jugent que son idéologie n’était pas assez englobante. Sa contribution à une grande variété de causes importantes et son œuvre littéraire, qui reflète un esprit généreux, continuent néanmoins de faire de Mme McClung la personne la plus célèbre de la génération des suffragettes canadiennes.
Deux ouvrages de Nellie Letitia McClung, Clearing in the west : my own story (Toronto, 1935) et The stream runs fast : my own story (Toronto, 1945), ont été réunis en un seul volume, Nellie McClung, the complete autobiography [...], Veronica Strong-Boag et M. L. Rosa, édit. (Peterborough, Ontario, 2003). Outre ses ouvrages autobiographiques, McClung a été une auteure prolifique en d’autres genres, surtout le roman et la nouvelle. Parmi ses publications, mentionnons : Sowing seeds in Danny (New York, 1908) ; The second chance (Toronto, 1910) ; The Black Creek Stopping-House and other stories (Toronto, 1912) ; In times like these (Toronto, 1915) ; The next of kin : those who wait and wonder (Toronto, 1917) ; Three times and out, told by Private Simmons (Toronto, 1918) ; The beauty of Martha (Londres, 1923) ; When Christmas crossed “The Peace” (Toronto, 1923) ; Painted fires (Toronto, 1925) ; All we like sheep and other stories (Toronto, 1926) ; Be good to yourself : a book of short stories (Toronto, 1930) ; Flowers for the living : a book of short stories (Toronto, 1931) ; Leaves from Lantern Lane (Toronto, 1936) ; et More leaves from Lantern Lane (Toronto, 1937). Son livre Purple Springs (Toronto, 1921) a été réédité à Toronto en 1992 avec une introduction de R. R. Warne. Certaines de ses œuvres ont fait l’objet d’une nouvelle édition intitulée Stories subversive : through the field with gloves off – short fiction by Nellie L. McClung ([Ottawa], 1996), dont M. I. Davis a fait l’édition et l’introduction.
Malheureusement, les papiers relatifs à Nellie McClung sont peu nombreux et concernent surtout sa carrière littéraire ou des souvenirs d’autres personnes. Les trois collections les plus importantes sont : British Columbia Arch. (Victoria), MS-0010 ; Univ. of Victoria Libraries, Special Coll., SC263 ; et Bibliothèque et Arch. Canada (Ottawa), R4200-0-9-E.
H. M. Buss, Mapping our selves : Canadian women’s autobiography in English (Montréal et Kingston, Ontario, 1993).— C. L. Cleverdon, The woman suffrage movement in Canada, Ramsay Cook, introd. (2e éd., Toronto, 1974).— Janice Fiamengo, « A legacy of ambivalence : responses to Nellie McClung », dans Rethinking Canada : the promise of women’s history, Veronica Strong-Boag et al., édit. (4e éd., Toronto, 2002), 149–163 ; « Rediscovering our foremothers again : the racial ideas of Canada’s early feminists, 1885–1945 », Essays on Canadian Writing (Toronto), 75 (hiver 2002) : 85–117.— M. E. Hallett et M. I. Davis, Firing the heather : the life and times of Nellie McClung (Saskatoon, 1993).— C. S. Savage, Our Nell : a scrapbook biography of Nellie L. McClung (Saskatoon, 1979).— Veronica Strong-Boag, « Ever a crusader : Nellie McClung, first-wave feminist », dans Rethinking Canada : the promise of women’s history, Veronica Strong-Boag et A. C. Fellman, édit. (3e éd., Toronto, 1997), 271–284.— Veronica Strong-Boag et Carole Gerson, Paddling her own canoe : the times and texts of E. Pauline Johnson (Tekahionwake) (Toronto, 2000).— R. R. Warne, Literature as pulpit : the Christian social activism of Nellie L. McClung (Waterloo, Ontario, 1993).
Michelle Swann et Veronica Strong-Boag, « MOONEY, HELEN LETITIA (McCLUNG) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mooney_helen_letitia_18F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mooney_helen_letitia_18F.html |
Auteur de l'article: | Michelle Swann et Veronica Strong-Boag |
Titre de l'article: | MOONEY, HELEN LETITIA (McCLUNG) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 18 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2009 |
Année de la révision: | 2015 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |