FABRE, ÉDOUARD-RAYMOND (baptisé Raymond), libraire, patriote et homme politique, né le 15 septembre 1799 à Montréal, fils de Pierre Fabre et de Marie-Anne Lamontagne ; décédé le 16 juillet 1854 au même endroit.

Édouard-Raymond Fabre vient d’une famille d’origine modeste. Maître forgeron de Montpellier, en France, son ancêtre Raymond Fabre immigre en Nouvelle-France en 1745. On sait peu de chose des parents d’Édouard-Raymond Fabre. Son père est menuisier à Montréal vers la fin du xviiie siècle. En 1794, il contracte mariage dans cette ville, et de cette union naissent huit enfants dont seuls les quatre aînés, Josephte, Julie, Sophie et Édouard-Raymond, atteindront l’âge adulte.

Mis à part quelques rappels sentimentaux qui laissent entrevoir qu’il a eu une enfance heureuse, Fabre est totalement silencieux dans ses écrits sur les 20 premières années de sa vie. On sait cependant que son itinéraire personnel le détachera tôt de sa famille même s’il garde toute sa vie une fidélité concrète aux siens. Sans être aisée, la famille Fabre ne fait quand même pas partie du sous-prolétariat qui pullule à Montréal tout au long de la première moitié du xixe siècle. Aussi Pierre Fabre peut-il envoyer son fils au petit séminaire de Montréal ; celui-ci y fait des études de 1807 à 1812. L’année suivante, à l’âge de 14 ans, le jeune Édouard-Raymond entre en qualité de commis dans la quincaillerie d’Arthur Webster, l’une des plus grosses maisons d’affaires de Montréal, où il travaille pendant neuf ans. Dans cette maison, il se familiarise avec les diverses pratiques du commerce : comptabilité, crédit, financement, profit.

L’intérêt de Fabre pour le commerce se diversifie grâce aux contacts qu’il entretient avec Hector Bossange, fils de Martin Bossange, célèbre libraire parisien. Après un bref séjour à Québec, Hector Bossange va s’établir à Montréal et y ouvre en 1815 la librairie Bossange, « succursale » des galeries Bossange de Paris, considérées à l’époque comme l’une des plus importantes maisons d’affaires dans le domaine de la librairie. Peu après son arrivée à Montréal, Bossange se met à fréquenter la famille Fabre et épouse, en 1816, Julie, amie et confidente de son frère Édouard-Raymond.

En 1822, Fabre quitte Montréal pour Paris où il fera pendant un an l’apprentissage du métier de libraire aux galeries Bossange. Ce départ pour la France témoigne d’un goût de la nouveauté, du risque et d’un souci calculé d’indépendance. Dans la « première ville du monde », qu’il reverra en 1843, Fabre se familiarise avec la complexité des activités financières, commerciales et culturelles du métier qu’il exercera dès son retour à Montréal. Il sera le premier véritable libraire du Bas-Canada.

Revenu à Montréal en 1823, Fabre achète de Théophile Dufort le fonds de commerce de l’ancienne librairie Bossange, dont ce dernier s’est porté acquéreur en 1819. Fabre ne tarde pas à enrichir ce modeste fonds grâce à ses bons contacts français. De 1823 à 1828, cette librairie sera connue sous le nom de Librairie française ou librairie Édouard-Raymond-Fabre. C’est à cette époque, le 9 mai 1826, que Fabre épouse dans la paroisse Notre-Dame de Montréal Luce Perrault, fille de Julien Perrault. Il s’allie ainsi à une famille « des plus anciennes et des plus estimables de ce pays », selon l’expression de Laurent-Olivier David*. À la suite de difficultés posées par le choix de la marchandise à offrir à la clientèle canadienne-française, Fabre met un terme aux relations privilégiées qu’il entretient avec la maison Bossange et s’associe, en 1828, son beau-frère Louis Perrault*, imprimeur. Les deux hommes feront commerce en société sous le nom de librairie Fabre et Perrault jusqu’en 1835. Afin d’améliorer ses services, Fabre délègue Perrault en Europe à quelques reprises pour sélectionner la marchandise destinée à la maison montréalaise. Le projet initial prévoyait toutefois que Perrault « se fixerait à Paris », Fabre désirant se doter dans cette ville d’un agent permanent afin d’exploiter son commerce avec plus d’efficacité et d’éviter les intermédiaires dispendieux. En 1835, Fabre et Perrault rompent leur association, et la librairie reprend le nom de Librairie française ou librairie Édouard-Raymond-Fabre. Celui-ci annonce alors qu’il continuera de faire en son seul nom le commerce de la librairie. Cette année-là, il engage à titre de commis son neveu, Jean-Adolphe Gravel, fils de sa sœur Sophie. La librairie de Fabre occupe le premier étage d’une grande maison de pierre, située au coin des rues Saint-Vincent et Notre-Dame. Jusqu’en 1844, Fabre est locataire dans cette maison, propriété de la famille Perrault. Il l’achète alors et y aménage « un magasin superbe à la française de 20 pieds sur 60 ». La même année, il s’associe son neveu Gravel qui n’a que 24 ans. Les mises respectives de l’oncle et du neveu sont décrites comme suit : Fabre investit dans la société £3 755 12 shillings ; la mise de Gravel consiste en son temps, son industrie et ses talents. Au début, les associés partagent inégalement, puis après un certain temps ils répartiront également les profits et les dettes. Fabre fera le commerce de librairie en société avec Gravel jusqu’à sa mort en 1854. En affaires pendant 31 ans, Fabre fait donc l’expérience de trois associations liées entre elles par un élément commun : les trois associés de Fabre sont tous, à des degrés divers, ses parents.

La clientèle de la maison de Fabre est constituée de membres du clergé, de membres des professions libérales, d’enseignants, d’étudiants et de commerçants. Les catalogues de 1830, de 1835 et de 1837 montrent la prédominance et la progression du livre religieux. Cette évolution est significative. La promotion de la connaissance religieuse, les innovations dans les styles de dévotion et de piété s’appuient au Bas-Canada sur des instruments nombreux dont l’influence a sans doute été décisive dans l’expansion et le maintien de ces renouveaux.

Les inventaires témoignent aussi du net déclin des œuvres littéraires et philosophiques par rapport aux volumes religieux et scolaires. Tandis que les catalogues de 1830, de 1835 et de 1837 contiennent, en plus des grandes œuvres des auteurs religieux tels que saint Augustin, Bourdaloue, l’abbé François, François de Sales, Fénelon, Bossuet, les principales œuvres philosophiques et littéraires du temps, l’inventaire de 1854–1855 ne présente plus cette exceptionnelle qualité.

La progression quantitative des ouvrages de pédagogie, liée à l’essor de l’instruction primaire, constitue l’un des éléments majeurs dans l’évolution de la maison d’affaires. Cette progression s’effectue au détriment de la jurisprudence, de l’histoire et de la politique, et, fait surprenant, de la technique et des métiers. Les premiers catalogues révèlent toute une littérature de l’apprentissage (celui de 1837 propose des manuels théoriques et pratiques pour 38 métiers différents) qui, semble-t-il, rejoint une clientèle assez importante, mais qui disparaît presque complètement des tablettes de la librairie Fabre et Gravel, selon les données de l’inventaire de 1854–1855.

Il est difficile d’établir absolument l’évolution de la marchandise offerte par la librairie de Fabre. Selon la publicité de la Minerve, avant son voyage à Paris en 1843, Fabre offre à sa clientèle, en plus d’un assortiment considérable de volumes, diverses autres marchandises telles que papier à dessin, papier à écrire et à imprimer, enveloppes, livres de comptes, cahiers de registres, cartes de visite, plumes et crayons à dessin, et autres. De plus, la maison vend des livres du culte, des images et des gravures pieuses, des lithographies, des cartes géographiques, des fournitures d’école et des livres d’étrennes. La librairie Fabre constitue à Montréal le dépositaire des documents officiels tels que les statuts, ordonnances et lois des Parlements provincial et impérial touchant le Bas-Canada. À partir de 1830, la maison Fabre et Perrault offre divers objets du culte : calices, ciboires, ostensoirs, bénitiers, canons d’autels, chandeliers pascals, chemins de la croix en toile douce, bassins pour les fonts baptismaux. Le voyage de Fabre à Paris en 1843 a pour effet de modifier considérablement la marchandise offerte par sa maison. Afin de mesurer l’ampleur des transactions qu’il a effectuées en France, il suffit de rappeler le contenu de l’annonce que le libraire fait paraître dans la Minerve à son retour au pays. On peut y lire que Fabre attend « environ 80 caisses et balots » contenant en partie la marchandise traditionnelle de sa librairie, mais aussi toute une catégorie nouvelle de marchandises : parfumerie, gants, souliers, parapluies, bretelles, cravates, champagne, absinthe, fromage de gruyère et autres.

Entre 1828 et 1835, la maison Fabre et Perrault possède une imprimerie, dont l’activité est importante. Elle fait paraître au moins cinq titres annuellement. Les méthodes de financement de l’édition au Bas-Canada sont alors multiples : soit l’abonnement ou la souscription, soit l’association d’un libraire à un imprimeur en retour des droits exclusifs de vente pour le libraire, soit des ententes entre libraires. À titre d’exemple, la maison de Fabre et celle de John Neilson* de Québec concluent des ententes concernant des échanges d’ouvrages publiés par l’une ou l’autre des deux maisons. On a retrouvé 49 publications auxquelles l’entreprise de Fabre a été associée entre 1827 et 1854.

L’ensemble des opérations commerciales de la maison, édition, reliure, importation de livres et de marchandises diverses, assure le succès financier de Fabre. Derrière cette réussite, on note l’aptitude de celui-ci à adapter la marchandise offerte aux grands secteurs de la demande et à établir des relations stables et diversifiées avec des éditeurs et des libraires de France. Fabre se révèle un homme d’affaires capable de s’accorder aux conditions nouvelles des pouvoirs et des ressources. Il sait tirer parti des forces montantes : le conservatisme et le cléricalisme.

Si Fabre déploie une très grande énergie pour assurer le succès de son commerce, il ne se passionne pas moins pour les grands débats politiques de son temps. Dès 1827, il se joint aux milieux patriotes de Montréal que fréquente son beau-frère et ami, Charles-Ovide Perrault, alors clerc chez Denis-Benjamin Viger*, cousin de Louis-Joseph Papineau*. Selon le témoignage de son biographe Joseph Doutre*, lors des élections générales de cette année-là puis de la mission de Viger, de Neilson et d’Austin Cuvillier* en Angleterre en 1828, Fabre commence à s’initier aux mouvements politiques. Il ne tarde pas à exercer une grande influence sur les démarches des hommes publics, et son bureau d’affaires devient dès lors le rendez-vous quotidien des chefs du parti patriote. C’est dans ce contexte que Fabre consolide son commerce et prend peu à peu une part active aux affaires publiques bas-canadiennes jusqu’à la rébellion de 1837.

De 1832 à 1837, Fabre exerce des fonctions et une influence de première importance au sein des organismes que se donne le parti patriote. Ainsi, en 1832, Fabre figure parmi les membres fondateurs de la Maison canadienne de commerce. Secrétaire de la première réunion du groupe, tenue à l’hôtel Nelson, Fabre est entouré de ses amis Côme-Séraphin Cherrier*, Pierre-Dominique Larocque, Dominique Mondelet* et Pierre-Dominique Debartzch*. La Maison canadienne de commerce a pour but de regrouper les milieux d’affaires canadiens-français, d’assurer leur pénétration « dans le haut commerce » et de créer des entrepôts d’importations où les marchands détaillants pourraient venir s’approvisionner sans devoir passer par les grandes maisons britanniques. Il s’agit d’une volonté clairement exprimée par une élite en grande partie montréalaise et réformiste de canaliser et de maîtriser l’épargne populaire en vue de s’en servir comme d’une arme puissante dans la lutte qui l’oppose au gouvernement de la colonie. En 1834, Fabre signe l’acte d’association pour la création de la Banque du peuple avec, entre autres, Louis-Michel Viger, Jacob De Witt et Joseph Roy. Nommé trésorier de la banque, il reçoit dans sa maison de commerce les souscriptions pour ce nouvel établissement. En 1835, la Banque du peuple ouvre ses portes.

Cette année-là, Fabre participe à Montréal avec Denis-Benjamin Viger, De Witt, Roy, Augustin-Norbert Morin*, Edmund Bailey O’Callaghan*, Léon Asselin et André Ouimet à la fondation de l’Union patriotique. Les buts de cette association peuvent être résumés comme suit : propagation de la connaissance, obtention du gouvernement responsable, amélioration des moyens de communication dans la colonie, administration prompte et peu coûteuse de la justice, opposition, par tous les moyens possibles, à l’intervention indue du ministère des Colonies, de la Trésorerie ou du ministère de la Guerre. Sous ces principes, on retrouve mot à mot les réclamations du parti patriote telles qu’exprimées sommairement dans une lettre adressée en 1834 par les chefs patriotes de la région de Montréal à ceux de la région de Québec. Fabre se voit chargé à titre de trésorier d’administrer les fonds de l’Union patriotique. En plus des responsabilités qu’il cumule à la Maison canadienne de commerce, à la Banque du peuple et à l’Union patriotique, Fabre fait partie en 1835 du groupe des propriétaires du bateau à vapeur le Patriote. En avril de la même année, il est élu secrétaire-trésorier du comité général de direction et du comité exécutif de ce groupe. De plus, Fabre est associé étroitement à la nouvelle association Saint-Jean-Baptiste dont il est l’un des organisateurs les plus actifs à Montréal.

D’autre part, Fabre rend des services pécuniaires considérables aux organes d’information et de propagande du parti patriote. Il assure le maintien de la Minerve, journal de Ludger Duvernay. En 1832, Duvernay est arrêté et emprisonné pour diffamation. Fabre intervient immédiatement et promet au directeur arrêté « de réparer [ses] affaires ». En 1836, Duvernay est de nouveau emprisonné pour diffamation. Aussitôt, Fabre lance et préside une grande souscription publique « pour indemniser M. Duvernay de son incarcération ». En 1832, Fabre a aussi acquis le Vindicator and Canadian Advertiser, journal d’expression anglaise et d’obédience patriote qui sera dirigé par son ami O’Callaghan.

Avant la rébellion, Fabre, qui s’est lié d’amitié avec Papineau et lui voue une admiration sans bornes, agit comme conseiller de ce dernier. Il accompagne Papineau aux principales assemblées qui précèdent les troubles. Le 15 mai 1837, il participe notamment à l’assemblée de Saint-Laurent où il est élu délégué à la Convention générale, sorte d’états généraux des patriotes, et est aussi élu membre d’un comité permanent chargé de veiller aux intérêts politiques de la circonscription de Montréal. Le 28 juin, il préside la grande assemblée anti-coercitive de Montréal où Papineau lance en quelque sorte le mouvement insurrectionnel. Fabre ouvre la séance de l’assemblée en invoquant les droits du peuple et les dangers de tyrannie qui menacent le pays.

Quelques heures avant que la rébellion n’éclate, le 23 novembre 1837, Fabre se présente à Saint-Denis, sur le Richelieu, pour convaincre Papineau et O’Callaghan de fuir aux États-Unis. Fabre lui-même ne sort pas du Bas-Canada, mais il doit vivre à l’extérieur de Montréal pendant sept mois. Il se tient caché tantôt à Contrecœur, tantôt à Lavaltrie, ou dans des villages voisins. En plus d’être séparé des siens, Fabre est affecté par l’état de santé de sa femme, qui a fait une fausse couche, ainsi que par la mort de son beau-frère, Charles-Ovide Perrault, à la bataille de Saint-Denis. Il est finalement arrêté, puis, le 9 novembre 1838, incarcéré à la prison de Montréal. Compte tenu de l’activité qu’il a exercée avant novembre 1837, il est étonnant que cela ne soit pas arrivé auparavant. Il faut donc attribuer son emprisonnement à la tentative d’invasion du Bas-Canada dirigée par Robert Nelson* et Cyrille-Hector-Octave Côté*. Selon Doutre, les autorités doivent le relâcher un mois plus tard, faute de preuves.

Au lendemain de la rébellion, Fabre ne reste pas indifférent au malheur des exilés canadiens. Il joue d’abord un rôle d’intermédiaire entre le Bas-Canada et certains réfugiés, en particulier Papineau et Duvernay. Pendant l’exil de Papineau, Fabre conserve au leader des patriotes son amitié. En 1843, il se rend à Paris, pour des raisons d’affaires mais aussi pour revoir « son très cher ami ». Il se prend à rêver du retour de Papineau en qui il voit l’unique sauveur du pays. Quant à Duvernay, qui a déjà bénéficié des secours de Fabre au moment de son incarcération, il peut, dans son exil, compter sur la disponibilité et la présence de ce dernier. Au retour de Duvernay, Viger et Fabre aident à la réorganisation de la Minerve.

Cependant, l’action de Fabre en faveur des exilés déborde largement le cercle étroit de ses relations montréalaises. Le 19 décembre 1843, la Minerve publie une adresse au peuple dans laquelle il est question de la fondation de l’Association de la délivrance. Fabre est nommé trésorier de cette association et joue à ce titre un rôle éminent dans la solution du problème du retour des exilés. Inlassablement, il multiplie les démarches pour obtenir le rapatriement des réfugiés. Enfin, en 1846, les derniers exilés sont de retour « dans la patrie », et Fabre se félicite du travail accompli.

Dès le retour de l’ancien chef du parti patriote en 1845, Fabre souhaite ardemment que Papineau reprenne sa place dans l’arène politique. Il est persuadé envers et contre tous que la présence de celui-ci en chambre suffira pour rétablir son leadership. Lors des élections de 1847–1848, qui consacrent la défaite accablante du ministère de Denis-Benjamin Viger et la remontée spectaculaire de Louis-Hippolyte La Fontaine*, Papineau est élu député. En avril 1848, celui-ci fait sa rentrée politique à l’Assemblée législative de la province du Canada. Mais les espérances sont rapidement dégonflées. Papineau n’a pas « fait fureur » en chambre et il n’a pas reconquis son influence passée.

De plus en plus isolé, le petit groupe qui gravite autour de Papineau, dont Fabre fait partie, s’inquiète depuis la défaite de Viger de ses mauvaises relations avec la presse du temps. D’une part, la Minerve de Duvernay n’approuve pas le radicalisme de l’ancien chef patriote et, d’autre part, l’Avenir, organe des « rouges » de l’Institut canadien, après avoir appuyé les vues de Papineau, notamment sur l’annexion aux États-Unis, se radicalise : il entre en conflit avec les Mélanges religieux, organe officieux de l’évêché de Montréal, sur le terrain délicat des rapports entre les pouvoirs religieux et politique. Fabre, qui a jusque-là soutenu l’Avenir, s’en désolidarise et lance en janvier 1852 avec Jacques-Alexis Plinguet le Pays. Cette intervention modératrice de Fabre dans la presse libérale répond sans doute à la nécessité de tenir compte d’une clientèle et d’une institution, l’Église, dont la force montante s’accompagne de retombées économiques imposantes pour la librairie de Fabre.

L’activité publique de Fabre l’amène à poursuivre une carrière en politique municipale à cette époque. En 1848, il cède aux sollicitations pressantes des électeurs et brigue les suffrages. Élu aisément conseiller du quartier Est, il est désigné comme échevin et président du comité des finances du conseil. En 1849, il est élu maire de Montréal. Il semble que la réussite de Fabre à la présidence du comité des finances explique son élection, qu’il n’a aucunement recherchée. Durant son premier mandat, Fabre, dans des circonstances économiques extrêmement difficiles, poursuit avec constance un travail d’assainissement des finances de la ville. Il fait aussi adopter par le conseil municipal des mesures pour réprimer les émeutes qui ont mené à l’incendie du Parlement par suite de l’adoption de la loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion. Il s’emploie à multiplier les mesures de protection et de prévention contre l’épidémie de choléra qui sévit dans la ville cette année-là. En 1850, réélu sans opposition, il se retrouve contre sa volonté maire de Montréal pour un second mandat. Le 28 février 1851, il s’adresse dans son discours d’adieu aux conseillers et échevins pour les remercier de leur collaboration et profite de l’occasion pour résumer les réalisations des deux dernières années de son administration. D’une lecture attentive de ce discours se dégage l’impression qu’il a exercé sur les 11 départements et sur les fonctionnaires qui en assurent la marche une influence que jamais aucun maire de Montréal n’a exercée. En 1850, Fabre a par ailleurs été élu président de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal, charge qu’il occupe pendant un an, à un moment où son activité commerciale et politique, jointe aux difficultés économiques, ne lui permet pas d’accorder une grande attention à la société dite nationale.

Malgré son activité commerciale qui l’accapare et sa participation assidue aux affaires publiques, Fabre connaît une vie familiale intense. Sa femme tient la maison avec autorité, mais consulte constamment son mari qui veille à tout et en particulier à l’éducation des enfants. Du mariage de Fabre et de Luce Perrault sont nés 11 enfants parmi lesquels Édouard-Charles*, qui deviendra le premier archevêque de Montréal, Hector*, qui sera le premier délégué du Canada à Paris, et Hortense, qui épousera George-Étienne Cartier*, et que Fabre qualifie de l’« un des premiers partis de Montréal ».

En 1854, Édouard-Raymond Fabre pose de nouveau sa candidature à la mairie de Montréal et fait la lutte à Wolfred Nelson*. La campagne électorale est extrêmement violente. Fabre échoue dans sa tentative de se faire élire. Le 11 juillet de la même année, épuisé, il est atteint par le choléra et meurt cinq jours plus tard. Apprenant sa mort, Papineau rendra à Fabre l’amitié et l’admiration que le libraire montréalais lui a témoignées au cours de sa vie. Dans une lettre écrite quelques jours après la mort de Fabre, il exprimera ses sentiments profonds envers ce « constant et chaleureux ami, compagnon d’armes dans les luttes constitutionnelles, frère de cœur [... à la] foi patriotique inébranlable, [à] la générosité et libéralité abondante [... qui a] rendu au pays des services insignes ».

Jean-Louis Roy

ACAM, 576, F ; 902.002 ; RCD XXIX.— ANQ-M, CE1-51, 15 sept. 1799, 17 juill. 1854 ; CN1-135 ; CN1-295, 8 mai 1826 ; CN1-311, 25 oct. 1854–31 mars 1855 ; CN1-312, 17 mars 1842.— ANQ-Q, P-9 ; P-68 ; P-69 ; P1000-37-694 ; P1000-76-1540.— APC, MG 24, B1, 1 ; B6, 1–5 ; B37, 1–2 ; B46, 1 ; B50 ; C3 ; RG 4, B37, 1–5.— Arch. de la ville de Montréal, Doc. administratifs, Commissions, 1843–1854 ; Divers, 1843–1854 ; Procès-verbaux du conseil municipal, 1843–1854 ; Règlements, 1843–1854.— McGill Univ. Libraries, Dept. of Rare Books and Special Coll. (Montréal), ms coll., « Livre de notes d’É.-R. Fabre » (Paris, 4 mai 1843–Montréal, 7 juill. 1843) ; lettre d’É.-R. Fabre.— L’Avenir, juill. 1847–déc. 1854.— Mélanges religieux, 1848–1852.— La Minerve, 1826–1837, 1842–1854.— Montréal Gazette, 1849–1854.— Le Pays, janv. 1852–déc. 1854.— Vindicator and Canadian Advertiser (Montréal), 1832–1835.— Montreal directory, 1842–1854.— Hector Berthelot, Montréal, le bon vieux temps, É.-Z. Massicotte, compil. (2 vol. en 1, 2e éd., Montréal, 1924), 2 : 24–26.— J. D. Borthwick, History of the Montreal prison from A.D. 1784 to A.D. 1886 [...] (Montréal, 1886), 67.— David, Patriotes, 73–75.— Joseph Doutre, « Notice biographique sur feu Édouard R. Fabre, écr. [...] », Institut canadien en 1855, J.-L. Lafontaine, édit. (Montréal, 1855), 117–149.— Antonio Drolet, les Bibliothèques canadiennes, 1604–1960 (Ottawa, 1965), 77.— Hist. de Montréal (Lamothe et al.).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967).— J.-L. Roy, Édouard-Raymond Fabre.— Marcel Trudel, l’Influence de Voltaire au Canada (2 vol., Montréal, 1945), 1 : 128.— Cabrette [É.-Z. Massicotte], « les Disparus », BRH, 30 (1924) : 232.— Alfred Duclos De Celles, « la Maison canadienne », BRH, 11 (1905) : 220.— Édouard Fabre-Surveyer, « Charles-Ovide Perrault (1809–1837) », SRC Mémoires, 3e sér., 31 (1937), sect. i : 151–164 ; « Édouard-Raymond Fabre d’après sa correspondance et ses contemporains », 38 (1944), sect. : 89–112.— É.-Z. Massicotte, « Cinquante ans de librairie à Montréal », BRH, 49 (1943) : 103–107 ; « Nos anciens présidents : Édouard-Raymond Fabre, président en 1850 », la Rev. nationale (Montréal), 7 (1925) : 283.— Léon Trépanier, « Figures de maires : Édouard-Raymond Fabre », Cahiers des Dix, 24 (1959) : 189–208.

Bibliographie de la version modifiée :
Bibliothèque et Arch. nationales du Québec, Centre d’arch. de Montréal, CE601-S51, 9 mai 1826.— J. D. Borthwick, History of the Montreal prison from A.D. 1784 to A.D. 1886 [...] (Montréal, 1886), 147.

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Jean-Louis Roy, « FABRE, ÉDOUARD-RAYMOND (baptisé Raymond) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 7 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/fabre_edouard_raymond_8F.html.

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Auteur de l'article:    Jean-Louis Roy
Titre de l'article:    FABRE, ÉDOUARD-RAYMOND (baptisé Raymond)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    2022
Date de consultation:    7 nov. 2024