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MASCARENE, PAUL (né Jean-Paul), officier, administrateur de la Nouvelle-Écosse, né en France en 1684 ou 1685, dans la province du Languedoc, vraisemblablement à Castres, fils de Jean Mascarene et de Margaret de Salavy ; il épousa Elizabeth Perry, de Boston, décédée vers 1729, qui lui donna quatre enfants ; décédé à Boston, le 22 janvier 1760.
Le père de Paul Mascarene était huguenot et il fut banni de France après la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ; Paul fut confié à des parents qui réussirent, en 1696, à le faire sortir du pays et gagner Genève où il fit ses études. Il se rendit en Angleterre vers 1706 et y reçut le grade d’enseigne dans le régiment français d’infanterie recruté parmi les immigrants huguenots. Il reçut sa commission de lieutenant en avril 1706 et il se trouvait à Portsmouth, en 1708, quand il reçut l’ordre de se joindre aux forces qu’on réunissait en Nouvelle-Angleterre en vue d’une expédition contre le Canada. Les troupes britanniques devant faire partie de ce corps expéditionnaire arrivèrent à Boston en avril 1709 en même temps que Samuel Vetch* et Francis Nicholson*. Le projet d’expédition fut abandonné pour cette année-là, et Mascarene passa l’hiver à exercer les troupes coloniales aux manœuvres d’artillerie. Au printemps de 1710, on fut informé que le projet d’attaque du Canada était remplacé par une tentative contre Port-Royal (Annapolis Royal, N.-É.). Mascarene fut promu capitaine et prit charge d’une compagnie de grenadiers ; lorsque Daniel d’Auger* de Subercase se rendit et livra Port-Royal à Nicholson, en octobre, le jeune capitaine « eut l’honneur d’en prendre possession et de monter la première garde ».
Les premières années que Mascarene passa dans la jeune province de la Nouvelle-Écosse furent de nature à lui donner un parfait avant-goût des défis et des frustrations qu’il devait connaître ultérieurement ; elles lui ont, par ailleurs, permis de montrer son savoir-faire dans la façon de traiter les questions qui exigeaient diplomatie, minutie et esprit d’analyse. En novembre, Vetch, le gouverneur, voulant, d’une part, montrer à la population qu’elle était passée sous une nouvelle et puissante domination et, d’autre part, parce qu’il estimait que c’était simplement son dû, décida d’exiger des Acadiens « un très gros présent ». II délégua aux Mines (région de Grand-Pré) Mascarene, « qui avait l’avantage de parler français », à la tête d’un détachement de soldats, avec mission d’être courtois mais de collecter un tribut d’une valeur de 6 000#. Mascarene ne put recueillir qu’une faible partie de cette somme, les Acadiens se déclarant trop pauvres ; cependant, la semaine qu’il passa aux Mines lui fournit pour la première fois l’occasion d’avoir des rapports avec les Acadiens. Plus tard, Vetch le désigna avec trois autres officiers, auxquels se joignirent deux Acadiens, pour entendre et régler les causes portant sur les différends entre les habitants. Selon ce qu’il en a lui-même dit, le plus clair de son temps se passa à traduire en français des lettres et des proclamations de Vetch.
Mascarene se rendit à Boston avec Vetch en octobre 1711 et y demeura jusqu’au début de 1714. En août de la même année, on le délégua aux Mines avec le capitaine Joseph Bennett pour aller discuter avec Louis Denys de La Ronde et Jacques d’Espiet* de Pensens les conditions d’après lesquelles les Acadiens pourraient avoir la permission d’aller se fixer à l’île Royale (île du Cap-Breton). Au cours des cinq années qui suivirent, Mascarene partagea son temps entre Boston, où il semble s’être marié et avoir élu domicile, et Plaisance (Placentia, T.-N.), où il avait le commandement d’une compagnie d’infanterie. En août 1717, il reçut une commission de capitaine dans le 40e régiment, nouvellement constitué. Soit en raison des études qu’il avait faites, soit à cause de ses connaissances étendues, on le considérait comme ingénieur en même temps qu’officier régulier et artilleur, et, au cours d’une visite qu’il fit en Angleterre à cette époque, on le nomma ingénieur du Board of Ordnance. En 1719 il était de retour à Boston et se préparait à s’embarquer pour Annapolis avec l’ordre de préparer un rapport sur l’état de ses fortifications.
L’intérêt soudain que le Board of Ordnance manifestait pour la Nouvelle-Écosse reflétait quelque peu la récente décision du gouvernement anglais de porter dorénavant une attention plus étroite à ses provinces trop longtemps négligées. En 1719 le colonel Richard Philipps fut nommé au poste de gouverneur et il passa le premier hiver à Boston où, semble-t-il, il se fit une opinion favorable de Mascarene. Ils arrivèrent tous deux à Annapolis Royal en avril 1720, et, lorsque Philipps forma son conseil, sur la liste des officiers et des commerçants de l’endroit qui devaient en faire partie, Mascarene venait en troisième place et il y était désigné comme « ingénieur en chef, homme prudent et compétent ». Mascarene fut affecté par la suite à différentes tâches de génie, y compris un relevé de la côte en 1721, l’amélioration des défenses de Canseau (Canso), ridiculement précaires, et une tentative pour restaurer le fort croulant d’Annapolis ; tout cela sans paraître enfreindre les ordres stricts mais peu réalistes du Board of Ordnance d’éviter les dépenses. La vie de Mascarene était tellement compliquée par les incessants problèmes de divisions de commandement et d’ordres contradictoires émanant d’Angleterre que ses fréquentes visites à Boston devaient être pour lui un bon dérivatif. Les ordres qu’il recevait en tant qu’ingénieur provenaient du Board of Ordnance, mesquin et jaloux, tandis qu’à titre d’officier de l’armée il devait des comptes à ses supérieurs hiérarchiques, Philipps et John Doucett*. Le Board of Trade and Plantations estimait que les secours réclamés par les officiers d’Annapolis étaient justifiés mais il n’avait guère d’influence sur le Board of Ordnance.
Au cours de cette période, la contribution de Mascarene aux affaires civiles se limita à l’assistance aux réunions du conseil, où il fut témoin de l’échec que connut Philipps, en 1720, dans sa tentative pour arracher aux Acadiens le serment de fidélité sans réserve. Le régiment de Philipps, à court d’hommes, confiné à Annapolis Royal dans un fort délabré, n’était sûrement pas en posture de convaincre la population acadienne disséminée que l’autorité et la tutelle anglaises devaient être prises au sérieux. Même s’il n’y a pas lieu d’accorder à Mascarene le crédit d’une prescience particulière en reconnaissant la faiblesse de la position anglaise en Nouvelle-Écosse, il fut néanmoins l’un des premiers à faire une analyse claire et convaincante de la situation. La « description de la Nouvelle-Écosse » qu’il rédigea à l’intention du Board of Trade en 1720, à l’instigation de Philipps, était une étude qui cherchait à informer sur l’état de la province et sur sa population de langue française. II recommandait une augmentation de la force militaire, qui serait répartie dans les établissements les plus importants, et, une fois cette force armée bien en place, l’imposition du serment sans réserve ; ceux qui hésitaient encore seraient déplacés en territoire français. De toute façon, on devait procéder à l’établissement de colons protestants de langue anglaise. II faisait remarquer que les autorités françaises ne désiraient pas non plus accueillir les Acadiens puisqu’il y allait de leur intérêt de conserver une population se suffisant à elle-même sur le continent, population qui restait accessible à l’influence provenant de l’île Royale par l’intermédiaire de ses prêtres. Bien que ce rapport ne contienne rien de bien original, il constitue un bon résumé des problèmes auxquels le gouvernement d’Annapolis avait à faire face, et, pendant plusieurs années, il servit de document de travail à chaque fois que les autorités de Londres étudiaient la question toujours pendante de la Nouvelle-Écosse.
En 1725, Mascarene se rendit en Nouvelle-Angleterre pour représenter la Nouvelle-Écosse dans les négociations de paix avec les Indiens de la côte de la Nouvelle-Angleterre. Quand il retourna en Nouvelle-Écosse, en 1729, le lieutenant-gouverneur, Lawrence Armstrong*, avait terminé son premier mandat, mandat rempli de difficultés, s’il en fut, et les Acadiens étaient plus décidés que jamais à refuser de prêter le serment d’allégeance. Des dissensions mesquines entre officiers et conseillers tournaient le gouvernement en ridicule et perturbaient la discipline dans la garnison. Philipps, qui avait quitté Annapolis en 1722, y retourna en novembre, bien décidé à rétablir l’ordre, mais il ne fit qu’envenimer les conflits parmi ses conseillers en désignant à la présidence du conseil son propre beau-frère, le major Alexander COSBY, et cela malgré le peu d’ancienneté de celui-ci. Mascarene s’y objecta vigoureusement, à la surprise et au mécontentement de Philipps.
Philipps fut rappelé en Angleterre en 1731 et Armstrong revint à Annapolis. Après avoir passé l’hiver à Boston, Mascarene reprit ses fonctions à Annapolis au printemps de 1732 mais retourna à Boston à l’automne, chargé par Armstrong d’encourager les colons de la Nouvelle-Angleterre de venir s’établir en Nouvelle-Écosse. Il avait mission de chercher à obtenir l’appui du gouverneur, Jonathan Belcher, qui semble avoir été un de ses amis intimes, tout en « prenant un soin particulier de ne rien conclure qui soit de nature à subordonner cette province [...] à la province de la Nouvelle-Angleterre ou à la placer sous sa dépendance ». Les démarches de Mascarene ne connurent aucun succès car les colons de la Nouvelle-Angleterre avaient une opinion assez piètre du gouvernement de la Nouvelle-Écosse et de la sécurité qu’elle leur offrait. Si l’on excepte une année passée à Annapolis en 1735–1736, et peut-être aussi une autre en 1738, Mascarene demeura à Boston jusqu’en 1740, où il s’occupa de la construction de sa « grande maison de brique » et s’occupa de ses quatre enfants qui n’avaient plus leur mère et pour lesquels il éprouvait beaucoup d’attachement.
II revint en hâte à Annapolis à la nouvelle qu’Armstrong s’était suicidé en décembre 1739. À la demande de Mascarene, Armstrong avait autrefois demandé à Londres d’établir un protocole concernant la question de préséance au sein du conseil et on avait entériné le règlement selon lequel le conseiller le plus ancien devenait président du conseil et chef du gouvernement par intérim en l’absence du gouverneur et de son représentant. Lorsque Mascarene arriva, à la fin de mars 1739/1740, John Adams, membre âgé du conseil, contesta, mais sans succès, le droit de celui-ci d’occuper le fauteuil du président ; il prétendait que l’absence prolongée de Mascarene lui avait fait perdre ses droits. Lorsque, par la suite, Adams en appela à Westminster, il insinua perfidement que la Nouvelle-Écosse serait en danger aussi longtemps qu’elle aurait à sa tête un officier d’origine française, ce qui donne une idée de l’état dans lequel était tombée la capitale négligée. Alexander Cosby fut promu lieutenant-colonel du 40e régiment vers l’époque du retour de Mascarene et il devenait de ce fait le supérieur hiérarchique de Mascarene. Le conflit entre eux fut dénoué finalement par la mort de Cosby, en 1742, après quoi Mascarene lui-même fut promu lieutenant-colonel.
Même si son expérience et sa compétence en faisaient l’homme tout désigné pour le poste, la situation à laquelle Mascarene eut à faire face, en 1740, en était une des plus embrouillées. Les Acadiens avaient bien ancré dans la mémoire la promesse que leur avait faite Philipps, dix ans auparavant, de les exempter du service militaire s’ils prêtaient le serment d’allégeance, et Mascarene, fort réaliste, vit qu’il n’y avait plus d’espoir d’imposer un nouveau serment plus approprié. La garnison était toujours aussi mal entretenue qu’avant, le fort d’Annapolis n’avait jamais été convenablement réparé et le détachement de soldats isolé à Canseau avec mission d’y protéger les pêcheries d’importance vitale avait à peine un toit sur la tête. À cause de la guerre qui sévissait entre l’Angleterre et l’Espagne, un conflit avec la France était à peu près inévitable ; Mascarene estimait que la sécurité de sa province reposait en grande partie sur le maintien de la neutralité des Acadiens, à défaut de loyauté. Il se mit donc en frais de « faire sentir à ces populations françaises la différence qui existe entre un gouvernement français et un gouvernement anglais en exerçant une justice impartiale [...] et en les traitant avec clémence et humanité, sans céder en rien ». Au cours des premiers mois de 1740, il fit connaître aux députés acadiens la position qu’il avait adoptée et leur fit part de sa bonne volonté mais il leur rappela leur devoir au sujet de la collecte des loyers et de leur obligation de demeurer en contact avec le gouvernement. Il les prévint que si la guerre éclatait leur loyauté devrait être au-dessus de tout soupçon. L’Angleterre avait jusqu’à présent fait preuve de mollesse dans l’affirmation de sa souveraineté mais il allait de soi qu’il n’en serait pas toujours ainsi. Le jour des règlements de comptes viendrait et les circonstances ne permettraient peut-être pas de départager les coupables et les innocents.
Ceux qui inquiétaient le plus Mascarene mais qui étaient en même temps son sujet d’espoir étaient les prêtres, dont il avait dit en 1720 qu’ils exerçaient assez d’influence sur les Acadiens pour « les guider et les mener à leur guise aussi bien dans les questions temporelles que spirituelles ». La façon dont il aborda le problème revêtit cet aspect pragmatique qui le caractérisait. Il commença à échanger une correspondance régulière avec plusieurs des prêtres, y compris Charles de La Goudalie, Claude de La Vernède de Saint-Poncy, Jean-Baptiste de Gay Desenclaves et l’abbé Jean-Louis Le Loutre* ; il les rencontra personnellement et, quand c’était possible, cultiva de prudentes amitiés. II leur donna l’assurance qu’il était « d’un caractère à ne pas vouloir de mal à une personne dont les convictions religieuses différaient » des siennes et il exhorta chacun d’eux à ne rien tenter qui soit « à son préjudice personnel et à celui de la population ». Par la suite, ses relations avec les prêtres furent dans l’ensemble empreintes de cordialité.
Les dépêches que Mascarene envoya en Angleterre pendant les deux premières années qu’il occupa la fonction d’administrateur demeurèrent sans réponse ; s’il avait besoin d’appui, il lui fallait le trouver ailleurs. En 1741 il écrivit à William Shirley, gouverneur du Massachusetts, et fit valoir que la sécurité de la Nouvelle-Écosse était aussi de l’intérêt de la Nouvelle-Angleterre et il exprima le souhait que si la guerre venait à éclater avec la France, le gouverneur enverrait du secours pour défendre la province. Les réponses bienveillantes de Shirley pouvaient toujours servir à impressionner les Acadiens mais Mascarene craignait que dans le cas réel d’une guerre, « il ne fallait peut-être pas trop compter sur cette assistance ».
L’autorité que Shirley exerçait sur les membres de l’assemblée valait toutefois mieux que cela. La nouvelle de la guerre avec la France parvint à Mascarene et à ses 150 officiers et soldats, à Annapolis, en mai 1744, en même temps que celle de la chute de Canseau. Les troupes et les hommes de l’Ordnance se mirent au travail pour réparer les plus importantes brèches du fort d’Annapolis. Mascarene rappela aux députés acadiens que leurs gens seraient étroitement surveillés pour parer aux défections et confia les femmes et les enfants de la garnison aux soins de Shirley, à Boston. La première attaque survint le 1er juillet, quand un groupe de 300 Indiens commandés par Le Loutre, avec qui Mascarene s’était cru en bons termes, s’avança sur le fort réparé tant bien que mal. L’artillerie de Mascarene et une couple de vigoureuses sorties tinrent l’ennemi à distance jusqu’au 5 juillet alors que 70 soldats arrivèrent de Boston et annoncèrent que d’autres renforts suivaient ; les assaillants décidèrent de se retirer. En août, François Du Pont* Duvivier, à la tête d’un corps composé d’Indiens et de soldats français, fit une tentative beaucoup plus sérieuse mais l’arrivée de John Gorham et de 60 rangers indiens, en septembre, obligea Duvivier à abandonner la partie.
En août de la même année, Mascarene avait été nommé lieutenant-gouverneur de la ville et du fort d’Annapolis Royal. Au cours de l’hiver, la Nouvelle-Angleterre prépara une attaque contre Louisbourg, île Royale. Mascarene, qui s’attendait à d’autres attaques contre son petit fort au cours de 1745, ne pouvait qu’observer avec une certaine amertume les événements qui se déroulaient à Boston et à Louisbourg et qui le reléguaient dans l’oubli. Louisbourg fut capturée en juin. À la demande de Mascarene, des renforts restèrent à Annapolis de sorte qu’en mai suivant, lorsque Paul Marin de La Malgue vint de Québec avec une petite armée, il trouva le fort protégé par une trop forte garnison et décida de ne pas attaquer. En octobre 1746, lorsque Jean-Baptiste-Nicolas-Roch de Ramezay* investit le fort, la garnison était plus aguerrie et celui-ci vit s’anéantir l’espoir qu’il caressait de voir une partie de la flotte du duc d’Anville [La Rochefoucauld[ s’unir à ses forces de terre, la malheureuse flotte ayant été dispersée par la tempête. Le 3 novembre d’autres renforts arrivèrent de Boston et le découragèrent tout à fait : il se replia alors sur les Mines et Beaubassin (près d’Amherst, N.-É.).
Mascarene donna tout le crédit à Shirley à cause de l’aide qu’il lui avait apportée pendant les périodes critiques de 1744 à 1746 mais son propre rôle avait lui aussi été de taille. Les troupes avaient besoin de chefs et, jusqu’à la fin de l’année 1744, il avait encore moins de 300 hommes dont près de la moitié étaient arrivés sans armes. Les individualistes venus de la Nouvelle-Angleterre et les vétérans harassés du régiment de Philipps ne constituaient pas un corps très équilibré pour un officier coupé depuis si longtemps des ordres de routine de Londres, si bien qu’on mettait en doute sa compétence à faire appliquer les sentences du conseil de guerre. La discipline n’était pas, semble-t-il, le point fort de Mascarene en tant qu’officier, et les nouvelles recrues d’Angleterre, « le rebut et la lie des prisons », qui arrivèrent au printemps de 1746, le poussèrent à bout par leurs nombreuses désertions et particulièrement par leur ivrognerie qu’encourageaient des subalternes qui se livraient à la contrebande de l’eau-de-vie. Cependant, n’était-ce pas Mascarene qui, pressé par des officiers démoralisés d’accepter les conditions préliminaires de reddition, en 1744, avait réussi à convaincre ceux-ci que Duvivier « ne cherchait rien d’autre [...] qu’à semer la division » au sein de la garnison assiégée ? Pour un esprit militaire agressif, la préférence marquée de Mascarene pour l’action défensive peut constituer une source d’irritation mais le sang-froid était encore la qualité le mieux en accord avec la situation. Les rangers de Gorham excellaient dans des sorties, mais les soldats de la Nouvelle-Angleterre n’étaient pas plus habiles dans la guerre d’escarmouches que les recrues non aguerries de Mascarene, et lorsqu’ils s’aventuraient à l’extérieur du fort ils tombaient dans les embuscades.
Mascarene fut toujours convaincu cependant que sa ligne de conduite à l’égard des Acadiens avait été aussi importante que le secours fourni par Shirley. Si ses déclarations selon lesquelles la province était redevable de sa sécurité au refus général des Acadiens d’aider les assaillants ressemblent quelque peu à des plaidoyers pro domo, c’est parce que la foi qu’il avait en leur neutralité fondamentale et en leur désir de se tenir à l’écart avait été sérieusement mise en doute par ses officiers et les membres du conseil. Aux Mines et même à Annapolis il y eut certainement des complicités voulues avec l’ennemi. Mascarene n’entretenait pas d’illusions sur la population et il y avait chez lui plus d’espoir que de confiance. Il était au fait qu’il y avait aux Mines des factions sympathiques à la cause française, et il fit subir aux députés et aux suspects des interrogatoires serrés. Néanmoins, il était d’avis qu’une neutralité d’ensemble était ce qu’il pouvait attendre de mieux et c’est effectivement ce qu’il obtint. Toutefois, pressé par la majorité au conseil, en décembre 1745, il signa et fit parvenir à Londres un document qui faisait valoir le point de vue de cette majorité sur l’affaire de l’allégeance des Acadiens et dans lequel on citait des incidents où l’on soupçonnait qu’il y avait eu collaboration ; la question d’une expulsion générale y était soulevée. Par la même occasion il annexa son propre résumé de la situation dans lequel il convenait que le remplacement des Acadiens par une population protestante aurait de nets avantages mais il expliquait aussi sa politique plus modérée pour amener les Acadiens « avec le temps et des bons soins [...] à devenir d’abord des sujets et par la suite de bons sujets ». Shirley avait remarqué le partage des avis à Annapolis et il s’inquiétait parce qu’il y avait « danger de trop d’indulgence de la part [de Mascarene] et peut-être de trop de rigueur de la leur ». Cependant Shirley aussi était conscient de la nécessité de traiter les Acadiens avec précaution et, à la requête de Mascarene, il émit une déclaration en 1746 dans laquelle il invitait les Acadiens à ne pas croire les rumeurs qui voulaient que les Bostonnais iraient s’emparer de leurs terres.
Le reste de la décennie fut plus facile à Annapolis, qui ne subit pas d’autres attaques. Le ravitaillement se fit avec plus de fréquence, de sorte qu’en 1750 le fort était mieux en état de se défendre qu’il ne l’avait été depuis 1710. En 1748, l’île Royale avait été rendue à la France, ce qui n’avait pas manqué d’éveiller l’intérêt de l’Angleterre sur son empire d’outre-mer et d’affermir sa volonté de tenir énergiquement la Nouvelle-Écosse. En juillet 1749 Mascarene reçut l’ordre du nouveau gouverneur, Edward Cornwallis*, d’aller le rejoindre à Halifax pour l’assermentation du nouveau conseil. La première réunion eut lieu le 14 juillet, et on ouvrit les discussions en attaquant le sujet du serment d’allégeance. Mascarene passa le problème en revue, y compris l’exemption accordée par Philipps. La résolution subséquente du conseil d’imposer le serment d’allégeance sans réserve, le refus des Acadiens de le prêter, leur menace de quitter la province et la vaine imposition d’une date ultime par Cornwallis, toutes ces situations ont dû sembler bien familières à Mascarene, ce pragmatiste qui avançait en âge. Il retourna à Annapolis en août pendant que se déroulaient ces événements, éprouvant sans doute l’impression d’être un anachronisme vivant. En 1750 il vendit sa commission de lieutenant-colonel du 40e régiment et reçut le grade de colonel honoraire. En 1751, Cornwallis délégua Mascarene en Nouvelle-Angleterre, lors du renouvellement du traité signé en 1726 avec les Indiens de l’Est (Canibas, Pentagouets et Malécites) ; Mascarene continua pendant plusieurs années à correspondre avec les amis qu’il avait laissés à Annapolis mais il ne revint jamais en Nouvelle-Écosse. Il était heureux de se fixer à Boston, de consacrer ses loisirs à la lecture, aux échecs, affichant la modeste personnalité d’un officier jouissant confortablement de sa retraite ; il était enfin arrivé à vivre, selon sa propre expression, « grâce au Dieu tout-puissant, dans [sa] propre maison au milieu de [ses] enfants et [...] de [ses] petits-enfants ».
Mascarene fut en un certain sens un étrange phénomène dans cette colonie reculée d’Annapolis Royal. Comme ceux qui l’avaient précédé, il fut aux prises avec l’ennuyeuse et ingrate tâche de maintenir une possession anglaise avant que la couronne ait sérieusement décidé d’assumer son rôle impérial. Même si on lui accorde le mérite d’avoir préservé la neutralité des Acadiens et conservé la possession de la province en 1744, les événements, dans une plus vaste perspective, ont échappé à son contrôle, comme ce fut le cas pour Philipps et Armstrong. À l’instar de Thomas Caulfeild* et d’Armstrong, il s’est peut-être usé à la tâche et a sollicité en vain la charge officielle de lieutenant-gouverneur de la province ; cependant sa vie fut loin d’être aussi pénible et aussi dramatique que la leur. Qu’il ait pu échapper à leur destin tragique s’explique par son tempérament et ses antécédents. Il avait puisé sa formation chez les classiques et il resta toujours un de leurs fidèles admirateurs. En réalité, Mascarene avait par ses attitudes quelque chose du patricien, et il n’est peut-être pas exagéré de dire que sa conduite en tant que serviteur de l’État fut d’inspiration classique. Les premiers historiens qui ont parlé de lui ne furent pas longs à le sentir et lui ont prêté un grand respect pour tout ce qui était modération, justice, érudition, service à la société et à la famille. La supposition raisonnable qu’il fut guidé par ces idéals, la personnalité qui se dessine à travers sa correspondance officielle ou intime, le net contraste qu’il offre avec ses contemporains sur qui on possède moins de renseignements, autant de raisons qui contribuent à expliquer pourquoi au milieu du xixe siècle il fut hissé au rang de héros secondaire de l’histoire canadienne. Ces qualités propres aux classiques étaient fort à l’honneur à l’époque victorienne, et des auteurs comme Beamish Murdoch*, Duncan Campbell* et James Hannay* se sont détournés avec soulagement de l’inventaire des événements enchevêtrés de la Nouvelle-Écosse d’avant 1739 pour s’attacher à louer celui chez qui ils décelaient une sérénité olympienne. Cette image de lui n’est peut-être pas celle qu’on attend d’un officier de carrière anglais du xviiie siècle, qui étudia à Genève et fonda une authentique famille de la Nouvelle-Angleterre, mais Mascarene en eut sans doute été grandement flatté.
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Maxwell Sutherland, « MASCARENE, PAUL (Jean-Paul) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mascarene_paul_3F.html.
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Auteur de l'article: | Maxwell Sutherland |
Titre de l'article: | MASCARENE, PAUL (Jean-Paul) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1974 |
Année de la révision: | 1974 |
Date de consultation: | 2 nov. 2024 |