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PROVENCHER, JOSEPH-NORBERT (baptisé Joseph), prêtre catholique, évêque et homme politique, né le 12 février 1787 à Nicolet, Québec, fils de Jean-Baptiste Provencher, cultivateur, et d’Élisabeth Proulx ; décédé le 7 juin 1853 à Saint-Boniface (Manitoba).

D’une famille nombreuse et peu fortunée, Joseph-Norbert Provencher ne commença ses études qu’en 1801, avec l’ouverture d’une école élémentaire gratuite à Nicolet. En 1802–1803, il fréquenta le collège Saint-Raphaël à Montréal, puis il revint à Nicolet en 1803 ; il s’inscrivit au cours classique dès l’ouverture du séminaire en janvier 1804. En compagnie de Thomas Cooke*, futur évêque de Trois-Rivières, Provencher y étudia jusqu’en 1808 ; il passa l’année scolaire 1808–1809 au collège Saint-Raphaël comme régent, tout en entreprenant des études théologiques. Il poursuivit sa théologie au séminaire de Nicolet, où il occupa aussi les postes de professeur de méthode et de belles-lettres en 1809–1811. Après quelques mois au grand séminaire de Québec, il fut ordonné prêtre le 21 décembre 1811.

Pendant les sept années qui suivirent, Provencher desservit plusieurs paroisses. Compte tenu du manque flagrant de personnel sacerdotal à cette époque, la disponibilité du jeune prêtre facilita la tâche de Mgr Joseph-Octave Plessis*, évêque de Québec, au moment des nominations. Nommé vicaire à la cathédrale de Québec en 1811, Provencher remplit les mêmes fonctions à Vaudreuil en 1812 et à Deschambault en 1813. Plessis lui confia en 1814 la cure de la paroisse Saint-Joachim (à Pointe-Claire) et, deux ans plus tard, celle de Kamouraska.

La correspondance de Provencher pendant ces années fait ressortir certains traits de sa personnalité : l’humilité, la disponibilité et le zèle apostolique. Il décria partout où il passa le manque de ferveur religieuse de ses paroissiens : à Vaudreuil, les bals lui semblaient trop nombreux et des gens, se croyant ensorcelés, fréquentaient un guérisseur ; à Pointe-Claire, il trouvait « la jeunesse pas saine [...] et la vieillesse guère fervente » ; à Kamouraska, il regrettait que « le péché de la chair [soit] le plus dominant ». Il lui semblait qu’« il y a[vait] de quoi occuper un ouvrier évangélique plus fervent et plus habile » que lui.

Ayant sans doute discerné les qualités du jeune prêtre, Mgr Plessis lui proposa en 1818 de se rendre dans la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba) pour implanter l’Église catholique romaine. Lord Selkirk [Douglas*], qui était actionnaire de la Hudson’s Bay Company, avait établi la colonie sur une terre au confluent des rivières Assiniboine et Rouge, concédée par la compagnie en 1811 ; les premiers colons y étaient arrivés en 1812. Cette initiative colonisatrice n’avait toutefois pas été bien accueillie par la North West Company, qui concurrençait la Hudson’s Bay Company dans la traite des fourrures, parce qu’elle la considérait comme une menace à la libre circulation des provisions entre son dépôt de fort William (Thunder Bay, Ontario) et la région riche en fourrures du lac Athabasca. Depuis 1812, un conflit violent, parfois même sanglant, opposait les deux compagnies autour de la colonie de Selkirk [V. Cuthbert Grant]. En 1816, Selkirk et Miles Macdonell*, gouverneur d’Assiniboia, avaient demandé à Plessis d’envoyer un missionnaire à la Rivière-Rouge, dans l’espoir que la présence d’une mission solidifierait les assises précaires de la colonie. Catholique lui-même, Macdonell était sensible au fait que la majorité des nouveaux colons était des catholiques irlandais et écossais, et que la population métisse et canadienne de la région, formée d’anciens employés de la North West Company et de leurs familles, se composait elle aussi en grande partie de catholiques. En 1816, Plessis avait donc envoyé l’abbé Pierre-Antoine Tabeau* dans l’Ouest pour évaluer les possibilités de fonder une mission permanente à la Rivière-Rouge et des missions itinérantes au lac à la Pluie (Ontario) et à Grand Portage (près de Grand Portage, Minnesota). À la suite de la bataille de Seven Oaks (Winnipeg) en juin 1816, au cours de laquelle Robert Semple*, gouverneur des territoires de la Hudson’s Bay Company, fut tué, Tabeau décida de ne pas s’aventurer plus à l’ouest que le lac à la Pluie. Dans le rapport qu’il soumit à Plessis, il recommanda qu’aucune mission ne soit établie à la Rivière-Rouge tant que durerait le conflit entre les deux compagnies.

Plessis ne partageait pas l’avis de Tabeau. Par suite d’une pétition datée de 1817 et signée par 22 résidents de la colonie lui demandant un missionnaire permanent, il décida d’envoyer Provencher accompagné d’un jeune prêtre, Sévère Dumoulin, et d’un séminariste, William Edge. Provencher opposa des objections à cette nouvelle nomination : son « peu de connaissance », son incapacité de parler anglais, une hernie qui le faisait souffrir, une dette d’environ £250 non encore réglée et la trop grande envergure missionnaire d’un tel projet. Il n’était pas, selon lui, « l’homme qu’il fallait ». Devant l’insistance de son évêque, qui était convaincu que Provencher possédait les qualités nécessaires, il accepta.

Dès janvier 1818, Samuel Gale*, l’avocat de Selkirk, lança une souscription générale à la grandeur du Bas-Canada afin de solliciter des fonds pour la mission. Plessis et le gouverneur en chef, sir John Coape Sherbrooke*, furent parmi ceux qui contribuèrent, mais les dirigeants de la North West Company, Henry McKenzie*, William McGillivray*, Thomas Thain* et d’autres, refusèrent. Fortement encouragée par de nombreux protestants, la souscription rejoignit tous les catholiques du Bas-Canada.

Partis de Montréal le 19 mai, Provencher, Dumoulin et Edge arrivèrent le 16 juillet au fort Douglas (Winnipeg), résidence du gouverneur d’Assiniboia, Alexander McDonell*, et furent accueillis chaleureusement par les catholiques de la colonie. Provencher était imposant. Il mesurait six pieds quatre pouces et, comme son confrère Dumoulin, il avait le port d’un gentilhomme. Les nouveaux venus firent impression, d’autant plus que les Métis et les enfants n’avaient jamais vu d’habits ecclésiastiques. D’après les instructions de Plessis, les deux premiers objectifs de la mission étaient la conversion des « nations sauvages répandues dans cette vaste contrée » et le soin des « mauvais chretiens qui y [avaient] adopté les mœurs des sauvages ». Les missionnaires reçurent l’ordre spécifique d’apprendre les langues indiennes, d’instruire et de baptiser les femmes indiennes mariées à la façon du pays avec des Canadiens et de bénir ensuite ces unions. Ils devaient rester neutres dans le conflit entre les deux compagnies et enseigner « de parole et d’exemple le respect et la fidélité [...] au Souverain ».

Aussitôt arrivés, les missionnaires se mirent à régulariser la vie chrétienne des catholiques et de leur progéniture, administrant 72 baptêmes en moins de deux semaines. Avec l’aide des voyageurs qui les avaient amenés de Montréal, ils commencèrent en outre la construction de leur maison, dont seulement une partie de 20 pieds sur 30 fut terminée avant l’hiver. Divisée en deux, cette maison servit à la fois de chapelle et de résidence. Selkirk avait cédé aux missionnaires un terrain d’environ 25 acres sur la rive est de la rivière Rouge, vis-à-vis de l’embouchure de l’Assiniboine, afin qu’ils construisent une église, et un domaine de cinq milles de long sur quatre de large destiné à soutenir la mission. L’inauguration de la chapelle eut lieu le 1er novembre ; elle fut placée sous le patronage de saint Boniface, l’évangélisateur des peuplades germaniques au Moyen Âge. Deux mois plus tôt, Dumoulin était parti avec Edge établir une mission à Pembina (Dakota du Nord), plus au sud, où plusieurs familles de la Rivière-Rouge s’étaient installées pour vivre de la chasse au bison après que les sauterelles eurent détruit les récoltes en août 1818. Provencher visita ces familles pendant l’hiver de 1818–1819 et, au mois de mars 1819, il se rendit aux postes de la rivière Souris et de la rivière Qu’Appelle, un périple d’environ 300 milles au cours duquel il rencontra quelque 260 personnes des deux compagnies.

Déjà avant d’envoyer Provencher à la Rivière-Rouge, Plessis savait qu’il serait nécessaire de nommer un évêque dans le Nord-Ouest, compte tenu de la distance qui séparait cette région de son siège épiscopal à Québec. Lorsqu’il visita l’Europe en 1819, il exposa ce projet à Londres et à Rome, de même que celui de donner un évêque à Montréal ; Provencher et Jean-Jacques Lartigue* étaient ses candidats. De l’avis de certains membres du clergé canadien, la nomination d’un évêque dans l’Ouest était prématurée, et le choix de Provencher inapproprié. Plessis ne changea pas d’idée. Ayant convaincu le gouvernement à Londres du bien-fondé de son projet, il revint au Bas-Canada en juin 1820 avec les bulles qui avaient été signées à Rome le 1er février et qui proclamaient Provencher évêque auxiliaire et suffragant de l’archevêque de Québec, en même temps que son vicaire général.

Quatre jours après l’arrivée à la Rivière-Rouge de l’abbé Thomas-Ferruce Picard* Destroismaisons le 12 août 1820, Provencher se mit en route pour le Bas-Canada et arriva à Montréal le 17 octobre. Quand Plessis lui remit les bulles à Québec, Provencher demanda le temps de réfléchir. Plessis le nomma provisoirement à la cure de Sainte-Anne, à Yamachiche. En janvier 1821, Provencher écrivit à Plessis qu’il ne pouvait « accepter un fardeau qui [était] si visiblement au-dessus de [ses] forces et de [sa] capacité ». Plessis n’était toutefois pas de cet avis, ainsi qu’il le précisa à Jean Raimbault*, supérieur du séminaire de Nicolet : « Plus je l’étudie, plus je trouve d’uniformité, de bon sens, de gravité et de sagesse dans son caractère. » En mars 1821, Provencher annonça à Plessis sa décision d’accepter les bulles. Il resta au Bas-Canada en 1821 afin d’amasser des fonds pour le soutien de sa mission. Sa consécration eut lieu le 12 mai 1822 à Trois-Rivières ; comme il n’y avait pas encore d’évêché dans le Nord-Ouest, Rome le nomma évêque titulaire de Juliopolis, ancien siège épiscopal de Galatie.

Provencher repartit pour la Rivière-Rouge accompagné d’un jeune prêtre, Jean Harper, le 1er juin. Il parvint à Saint-Boniface le 7 août suivant, peu après le départ de John Halkett, exécuteur testamentaire de lord Selkirk, mort en 1820, et membre du comité de Londres de la Hudson’s Bay Company. Désireux de consolider la colonie établie au confluent de la rivière Assiniboine et de la rivière Rouge, Halkett avait ordonné l’abandon du poste de la Hudson’s Bay Company à Pembina et avait obtenu de Plessis la promesse que la mission catholique serait fermée pour encourager les habitants à revenir à la Rivière-Rouge. Provencher écrivit à Halkett pour lui faire remarquer que l’établissement de Saint-Boniface était incapable de faire vivre tous les résidents de Pembina pendant l’hiver à venir. Pour cette raison, il remit le démantèlement de la mission de Dumoulin à 1823. Ce dernier, plutôt découragé, rentra au Bas-Canada. Mgr Provencher prit alors sur lui de faciliter l’implantation des nouveaux venus à Saint-François-Xavier, dans la prairie du Cheval-Blanc, sur la rivière Assiniboine. Les missionnaires, depuis leur arrivée dans le Nord-Ouest, avaient déjà célébré 800 baptêmes, régularisé ou béni 120 mariages et donné la première communion à 150 personnes. Plus de la moitié de ces sacrements furent administrés à la mission de Pembina.

Parmi les objectifs qui peuvent être décelés chez les évangélisateurs du Nord-Ouest, quatre semblent avoir été privilégiés : l’éducation des jeunes, l’aide à la colonisation, le redressement des mœurs chez les Blancs et la conversion des Amérindiens. Dès 1819, Provencher avait commencé l’instruction des jeunes enfants à Saint-Boniface. Il ne cacha pas sa préoccupation de trouver parmi les garçons des candidats au sacerdoce, mais il ne s’illusionnait pas. Les deux élèves sur lesquels il comptait à son retour en 1822 le quittèrent quelques années plus tard et les autres garçons susceptibles de devenir prêtres étaient encore des enfants. De fait, aucun jeune homme de son territoire ne deviendrait prêtre durant son épiscopat. L’éducation des filles n’apparaissait pas moins importante aux yeux du missionnaire. En 1823, une petite maison fut bâtie dans ce but, mais elle brûla à peine sa construction terminée. De plus, il manquait d’institutrices. En 1824, Mgr Provencher sollicita les services d’Angélique Nolin, fille métisse de Jean-Baptiste Nolin*, qui avait fait ses études à Montréal et qui parlait couramment le français, l’anglais et certaines langues indiennes. À cause de l’opposition du père, l’école de filles de Saint-Boniface n’ouvrit ses portes qu’en janvier 1829, avec Angélique et sa sœur Marguerite comme institutrices. Entre-temps, l’évêque avait pris l’habitude de visiter les enfants de l’école de Saint-Boniface, où l’abbé Harper enseignait aux garçons et aux filles, et de donner des cours de catéchisme. Dans le domaine agricole, Provencher encouragea la culture et l’élevage, et s’occupa de faire venir des semences et du bétail du Bas-Canada et des États-Unis. Il mit sur pied « une école d’industrie » de tissage en 1838 pour exploiter la laine des moutons introduits dans la colonie et la laine du bison des plaines.

Dans son travail de missionnaire, Provencher dut aussi intervenir en moralisateur. Les abus d’alcool étaient fréquents, surtout après que plusieurs Blancs et Métis eurent réussi à en distiller sur place. Les missionnaires demandèrent instamment aux autorités civiles d’empêcher la vente de tout spiritueux et même de la bière aux aborigènes. Pendant les années 1840, la Hudson’s Bay Company commença à en restreindre l’utilisation. La vie conjugale des habitants de la Rivière-Rouge soulevait aussi des problèmes. En 1819, Dumoulin avait noté la difficulté que les missionnaires éprouvaient à convaincre certains Canadiens de régulariser leurs mariages à la façon du pays avec des Indiennes ou des Métisses parce qu’ils aimaient « cette liberté qu’ils [avaient] de renvoyer leurs femmes ». La même année, Provencher mentionnait dans une lettre à lady Selkirk que le concubinage était à la mode surtout dans les postes éloignés. Selon lui, plus de régularité dans les mœurs éloignerait sans doute les fléaux qui les accablaient et qu’on attribuait le plus souvent au hasard.

L’évangélisation des Amérindiens prit beaucoup de temps à se réaliser et, mises à part les tentatives de Dumoulin dans la région de Pembina, très peu de progrès accompli avant les années 1830. Ni Provencher ni aucun des missionnaires avec lui ne parvinrent à se familiariser avec les langues indiennes et ils durent avoir recours à des interprètes. Provencher retourna au Bas-Canada en 1830 et ramena l’année suivante l’abbé George-Antoine Bellecourt*, jeune prêtre qui avait déjà étudié la langue des Sauteux. Dès 1832, Bellecourt commença sa mission chez les Sauteux à l’ouest de Saint-Boniface, sur la rivière Assiniboine, et y établit le village de Baie-Saint-Paul (Saint-Eustache, Manitoba). Il chercha à rendre les Indiens sédentaires et les incita à devenir agriculteurs. Cela créa une tension entre lui et Provencher, car ce dernier désirait voir respectées les habitudes des autochtones.

En 1831, la population blanche et métisse de la colonie représentait 2 390 personnes, dont 262 familles catholiques et 198 protestantes. Le premier missionnaire non catholique à œuvrer à la Rivière-Rouge fut le ministre anglican John West*, qui était arrivé en août 1820. Tout en travaillant auprès des protestants, pour la plupart des presbytériens écossais amenés par Selkirk, il avait ouvert un pensionnat pour de jeunes Indiens. Anticatholique et mal accepté par les Écossais qui voulaient un ministre de leur propre Église, West ne tarda pas à se trouver en concurrence avec Provencher, lequel avait déjà demandé le droit de marier des protestants dans l’espoir de « retarder l’introduction des ministres protestants » dans l’Ouest. Les relations entre Provencher et les ministres anglicans qui suivirent, David Thomas Jones* et William Cockran*, semblent avoir été plus harmonieuses, sans que l’évêque perde toutefois la conviction que leur doctrine était dangereuse.

Pendant les premières années de son ministère, Provencher s’était heurté à certaines difficultés avec les administrateurs de la Hudson’s Bay Company qui étaient, selon lui, plus intéressés au commerce des fourrures qu’au progrès de la colonie. Après la mort de Selkirk, les missionnaires catholiques furent moins les bienvenus à bord des canots de la compagnie qui effectuaient le trajet entre le Bas-Canada et la Rivière-Rouge ; au dire de Provencher, « il ne fa[llait] rien attendre de ce qui [pouvait] favoriser la mission de la part des gens auxquels le monde catholique [était] odieux ». Si Provencher s’entendit bien avec Andrew H. Bulger, gouverneur intérimaire d’Assiniboia en 1822–1823, tel ne fut pas le cas avec Halkett à qui il reprochait d’être « très attaché aux intérêts de la compagnie [...] sans paraître beaucoup s’occuper de ceux de la colonie ». L’évêque se plaignit en 1823 que Halkett avait interdit à Bulger et à John Clarke, agent principal de la compagnie à la Rivière-Rouge, d’approvisionner les missionnaires catholiques en vin, pourtant nécessaire à la célébration de l’eucharistie. De plus, il nota que ceux-ci n’avaient pas bénéficié de la réduction de 20 p. cent sur leurs dettes, que la compagnie avait accordée aux colons parce qu’elle avait vendu ses marchandises trop cher.

Sous l’influence de George Simpson, gouverneur du département du Nord de la Hudson’s Bay Company, une nette amélioration se fit cependant sentir. Le gouverneur passa l’hiver à la Rivière-Rouge en 1823–1824, et Provencher rapporta qu’il était en « bonne intelligence » avec lui. Ainsi, en 1825, le conseil du département, sous la présidence de Simpson, donna à la mission du sucre, du vin, du thé et d’autres aliments d’une valeur de £20 à £25. La même année, le conseil recommanda au comité de Londres de la compagnie de fournir une subvention annuelle de £50 à la mission de Provencher pour souligner qu’il approuvait son travail bénéfique. Simpson se serait dit étonné de voir tout le bien que les missionnaires catholiques faisaient avec si peu de moyens, « pendant que leurs ministres, avec tant d’argent, ne [faisaient] rien ». La même année, il assura Provencher qu’il accorderait sans problème le passage gratuit à un ecclésiastique sur les canots de la compagnie. Au fil des ans, il parraina d’autres dons de la compagnie tels que le versement d’une somme de £100 en 1830 pour la construction d’une église en pierre à Saint-Boniface. En 1835, la subvention annuelle fut portée à £100 ; en outre, quand Provencher proposa l’établissement de l’école de tissage en 1837, Simpson offrit de payer le voyage et les salaires de deux tisserandes du Bas-Canada qui viendraient y enseigner pendant trois ans. Le gouverneur reconnaissait la valeur de la mission de Provencher. Dans la colonie, plus de la moitié des habitants étaient catholiques. La position de la Hudson’s Bay Company devenait de plus en plus contestée et celle-ci avait de la difficulté à préserver son droit exclusif de traite face aux trafiquants métis indépendants. L’influence de Provencher et de ses prêtres tendait à inciter les Métis au respect de l’ordre établi et à la stabilité, chose que Simpson sut apprécier.

Dans les années 1830, l’Église catholique romaine était vraiment établie le long de la rivière Rouge et de la rivière Assiniboine, tant auprès des Blancs et des Métis de la colonie ou même de Pembina, d’où la population n’était pas complètement partie, qu’auprès des Amérindiens. Les jeunes pour leur part jouissaient de l’enseignement élémentaire, tout en s’initiant peu à peu à des métiers qui leur seraient utiles. Une aide financière importante était venue des souscriptions lancées dans le Bas-Canada auprès des prêtres et de la population en général. En février 1835, Provencher assista pour la première fois, en tant qu’invité, aux séances du Conseil d’Assiniboia, corps législatif mis sur pied par la Hudson’s Bay Company pour gouverner la colonie. Deux ans plus tard, il fut admis comme conseiller et participa par la suite aux affaires du conseil jusqu’à sa mort. Au sein de cet organisme, Provencher possédait une certaine influence, puisqu’il siégea à partir de 1845 au comité d’économie ; le gouverneur Simpson le consultait également sur le choix des conseillers métis [V. François-Jacques Bruneau*].

En 1835, Mgr Provencher crut le temps venu de se rendre en Europe pour donner un essor définitif à l’Église du Nord-Ouest. Il désirait aussi faire valoir l’idée d’instaurer une mission au delà des montagnes Rocheuses, en Colombie. Des Blancs qui étaient établis là-bas le lui avaient demandé, et les dirigeants de la Hudson’s Bay Company étaient prêts à l’aider en ce sens. Parti de la Rivière-Rouge en août 1835, Provencher se rendit d’abord dans le Bas-Canada, puis à New York où il prit le bateau. À Londres, les attentes de l’évêque furent comblées par les dirigeants de la Hudson’s Bay Company. Ceux-ci lui garantirent en particulier que les prêtres qui se rendraient à la Rivière-Rouge ou même en Colombie auraient droit de voyager à bord des canots de la compagnie. À Paris et à Lyon, il obtint une augmentation de la somme d’argent qui lui était allouée annuellement par l’œuvre de la Propagation de la foi. À Rome, il informa le préfet de la Propagande de ce qu’il faisait dans le Nord-Ouest et lui fit part de ses projets, dont les principaux obstacles lui semblaient être la pénurie de prêtres et le manque d’argent. Le pape Grégoire XVI le reçut avec affabilité et tendresse, et lui donna un très beau calice, tandis que la Propagande lui versa l’équivalent de £225 et lui remit une caisse de livres précieux. Le pape accepta le projet de Provencher concernant la mission sur la côte du Pacifique et étendit la juridiction de l’évêque jusqu’en Colombie.

De retour dans le Bas-Canada le 22 juin 1836, Provencher encouragea la création de comités de l’œuvre de la Propagation de la foi et incita les évêques de Québec et de Montréal à instaurer de tels comités dans leur diocèse respectif. Il passa l’hiver dans le Bas-Canada et, avant d’emprunter la route de la Rivière-Rouge au printemps de 1837, il convainquit Modeste Demers*, vicaire à Trois-Pistoles, et François-Norbert Blanchet, curé aux Cèdres, d’aller en mission au delà des Rocheuses. Demers fut envoyé à la Rivière-Rouge pour l’année 1837–1838 avant de se joindre à Blanchet pour le voyage sur la côte ouest.

En mars 1843, la colonie de la Rivière-Rouge comptait 5 143 habitants, dont plus de la moitié (2 798) étaient catholiques romains. Sur les 870 familles, 571 étaient métisses ou amérindiennes, 152 franchement canadiennes, 110 écossaises et 22 anglaises. La main-d’œuvre missionnaire manquait toujours et, pire encore, elle n’était pas stable. En 1843, Provencher avait déjà reçu l’aide de 13 missionnaires ; parmi eux, seuls Bellecourt, Jean-Baptiste Thibault*, Joseph-Arsène Mayrand et Jean-Édouard Darveau* étaient toujours dans la colonie. En 1844, Darveau fut tué par des Indiens à Baie-des-Canards (Duck Bay, Manitoba) ; l’arrivée de Louis-François Laflèche* à l’été ne fit donc que maintenir l’effectif. Quant à l’évêque lui-même, il souffrait de gravelle et devait diminuer ses activités. De son côté, Mgr Joseph Signay*, archevêque de Québec depuis 1833, considérait qu’il serait désormais difficile pour lui et pour ses successeurs d’obliger l’un ou l’autre de ses prêtres séculiers à se rendre dans l’Ouest. Provencher ne s’était pourtant jamais montré difficile dans le choix de ses collaborateurs. Toutefois, dans une lettre adressée à Signay en 1839, il avait posé quelques exigences : « Il faut qu’ils aient du goût pour l’œuvre et qu’ils soient instruits, d’un caractère ferme et sans aigreur, capables de se contenir et de ne pas se laisser emporter, qui aient comme on dit la parole en bouche et le chant aussi. L’anglais serait bien nécessaire. » Il savait cependant que les archevêques de Québec lui avaient envoyé des jeunes prêtres un peu au hasard ; ils avaient généralement été bons, et l’évêque ne s’en plaignait pas.

Provencher partit pour le Bas-Canada et l’Europe en mai 1843 dans l’espoir de trouver l’aide qu’il lui fallait pour répondre aux besoins de sa mission. Il passa par les États-Unis afin de persuader un certain nombre de religieuses de s’établir à la Rivière-Rouge pour enseigner et soigner les malades, mais à Dubuque (Iowa), à St Louis, au Missouri, à Louisville, dans le Kentucky, et à Cincinnati, en Ohio, ses efforts furent vains. À Montréal, grâce à Mgr Ignace Bourget*, évêque depuis la mort de Lartigue en 1840, il put convaincre les Sœurs de la charité de l’Hôpital Général de Montréal, appelées communément sœurs grises, d’envoyer quelques religieuses dans la colonie [V. Marie-Louise Valade*, dite mère Valade]. Quant au personnel sacerdotal, il le chercha d’abord chez les jésuites. Ceux-ci, récemment arrivés dans le Bas-Canada, ne purent prendre sur eux une telle responsabilité. L’évêque de l’Ouest tenait de plus en plus à des religieux et il en donnait les raisons au vicaire général Charles-Félix Cazeau* en 1844 : « Des pretres séculiers iront lentement. Il n’y a point d’ensemble dans leurs vues, outre qu’ils ne mettent la main à la charrue que pour un teins, qu’ils trouvent toujours trop long. » Provencher se rendit en France où il rencontra Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, évêque de Marseille et fondateur de la Congrégation des missionnaires oblats de Marie-Immaculée. Ce dernier répondit à l’appel de Provencher et, dès l’été de 1845, deux oblats, Pierre Aubert* et Alexandre-Antonin Taché*, arrivaient dans la colonie. Trois autres suivirent peu de temps après. Provencher lui-même était revenu dans la colonie de la Rivière-Rouge à l’été de 1844.

Lors de son passage dans le Bas-Canada en 1843, Provencher avait convaincu l’archevêque de Québec de l’opportunité d’ériger une circonscription ecclésiastique autonome dans le Nord-Ouest. Le 16 avril 1844, Rome acquiesça au projet et décida d’établir un vicariat apostolique, dit de la baie d’Hudson et de la baie James. Sur ces entrefaites, l’œuvre de la Propagation de la foi à Lyon assura Provencher d’un versement annuel de 30 000 francs, ce qui le rendait plus à l’aise sur le plan financier. D’ailleurs, de ce côté-là, la présence de deux communautés religieuses le rassurait, étant donné le vœu de pauvreté de leurs membres et leur générosité habituelle envers les missions. Le personnel sacerdotal et religieux était désormais garanti. Les moyens financiers ne manqueraient plus. L’Église du Nord-Ouest était enfin répandue et organisée, après 25 ans de durs labeurs.

À la suite de l’établissement d’une province ecclésiastique sur la côte du Pacifique sous l’archevêque Blanchet en 1846, Rome songea à faire autant pour le Nord-Ouest. Mais le projet parut vraiment prématuré aux yeux de Provencher. Devant son refus, on se limita, le 4 juin 1847, à ériger son vicariat apostolique en diocèse, celui du Nord-Ouest ; comme un diocèse fait ordinairement partie intégrante d’une province ecclésiastique, Provencher redevint évêque suffragant de l’archevêque de Québec. Il désirait d’abord et avant tout un coadjuteur. Il aurait résulté, selon lui, de graves inconvénients s’il était mort sans évêque qui puisse lui succéder rapidement. De tous les prêtres séculiers qui se trouvaient avec lui ou qui avaient déjà œuvré dans le Nord-Ouest, il n’en voyait qu’un qui soit apte à l’épiscopat, le très jeune Laflèche. Mais l’état de santé de ce dernier laissait à désirer ; il souffrait de rhumatismes de façon telle qu’il était incapable de voyager. Des démarches furent alors entreprises afin d’obtenir la nomination du jeune oblat canadien, Taché. Celui-ci fut sacré évêque d’Arath et coadjuteur du diocèse du Nord-Ouest le 26 novembre 1851. Lors de sa visite à Rome après sa consécration, Taché obtint que le nom du diocèse soit changé pour celui de Saint-Boniface.

Mgr Provencher mourut le 7 juin 1853, à la suite d’une attaque d’« épilepsie » (plus probablement d’apoplexie) qui l’avait terrassé une vingtaine de jours auparavant. Il avait accompli la tâche qui lui avait été confiée 35 ans plus tôt. La paroisse de Saint-Boniface comptait plus de 2 000 habitants, dont 1 000 catholiques disséminés sur des terres qui s’échelonnaient sur les bords des rivières Rouge et Assiniboine ; dans le village se dressaient la cathédrale, l’évêché, la résidence des religieuses, qui servait aussi d’hôpital, et quelques maisonnettes. Dans la paroisse Saint-François-Xavier se trouvaient une église, un couvent où les religieuses faisaient l’école et 900 catholiques. Entre les deux villages, le noyau de Saint-Charles regroupait 200 habitants, et il constituerait une nouvelle paroisse dès 1854. Il en serait de même peu après pour Saint-Norbert, encore le long de la rivière Rouge, où on dénombrait 900 catholiques. Quant aux missions amérindiennes, elles étaient au nombre de trois : Sainte-Anne (Lac-Sainte-Anne, Alberta), à l’ouest du fort Edmonton (Edmonton), Saint-Jean-Baptiste, à Île-à-la-Crosse (Saskatchewan), et La Nativité, sur le lac Athabasca. Chacune avait des succursales que les missionnaires visitaient périodiquement. Le 1er janvier 1854, ceux-ci avaient baptisé au total 4 309 Amérindiens depuis leur arrivée dans le Nord-Ouest. Une Église était vivante.

Mgr Joseph-Norbert Provencher fut un homme strict, qui ne connaissait point de compromis quand il s’agissait du devoir. Son dévouement auprès de tous, son intérêt à la chose publique, son bon sens pratique, sa bonté, son courage et sa ténacité, son indéniable simplicité et son esprit de sacrifice (son oreiller consistait en un billot de chêne) furent remarquables. Son collaborateur des neuf dernières années, Laflèche, porta sur lui ce simple témoignage : « Combien de fois n’ai-je pas admiré en lui cette tendre piété et cette confiance admirable en la Providence qui font la consolation et le bonheur du véritable Chrétien. » Il ne s’agit pas d’en faire un surhomme. Il importe de reconnaître en Provencher un homme qui a pris à cœur la mission à laquelle il a été appelé ; il a essayé de l’accomplir avec réalisme et avec espérance.

Lucien Lemieux

Une grande partie de la correspondance de Joseph-Norbert Provencher a été publiée sous le titre de « Lettres de monseigneur Joseph-Norbert Provencher, premier évêque de Saint-Boniface », Soc. hist. de Saint-Boniface, Bull. (Saint-Boniface, Manitoba), 3 (1913). Plusieurs de ces lettres ont été traduites par la suite et publiées dans Documents relating to northwest missions, 1815–1827, Grace Lee Nute, édit. (St Paul, Minn., 1942). Le rapport que Provencher a préparé à l’occasion de sa visite à Rome en 1836, Mémoire ou Notice sur l’établissement de la mission de la Rivière-Rouge, et ses progrès depuis 1818, présenté à la Propagande, le 12 mars 1836 ([Rome, 1836]), a aussi été traduit et publié sous le titre de « Memoir or account on the establishment of the Red River mission, and its progress since 1818 ; presented to the Propaganda, March 12, 1836 [...] », J. E. Rea, édit., J. R. Tumbull, trad., Beaver, outfit 303 (printemps 1973) : 16–23.

AAQ, 12 A, H ; 210 A, IX-XIV ; XVIII-XXII ; 90 CM, Angleterre, II ; 36 CN, 1 ; 330 CN, I-III ; 331 CN.— ACAM, 255.109, 831–833, 835 ; 295.101, 833–834 ; 355.110, 814 ; RC, I ; RLL, II ; VIII.— ANQ-MBF, CE1-13, 12 févr. 1787.— Arch. de la chancellerie de l’évêché de Valleyfield (Valleyfield, Québec), Saint-Michel (Vaudreuil), I, 51.— Arch. de l’évêché de Sainte-Anne-de-la-Pocatière (La Pocatière, Québec), Kamouraska, I.— Archivio della Propaganda Fide (Rome), Scritture riferite nei Congressi, America Settentrionale, 3 (1831–1836) ; 4 (1836–1842).— A.-A. Taché, Vingt Années de missions dans le nord-ouest de l’Amérique (nouv. éd., Montréal, 1888).— Allaire, Dictionnaire.— J.-É. Champagne, les Missions catholiques dans l’Ouest canadien (1818–1875) (Ottawa, 1949).— J.-E. Cyr, Monseigneur Joseph-Norbert Provencher : quelques considérations sur sa vie et son temps (Saint-Boniface, 1919).— Douville, Hist. du collège-séminaire de Nicolet, 1 : 19–49, 2 : 5*, 12*, 127*.— Georges Dugas, Monseigneur Provencher et les missions de la Rivière-Rouge (Montréal, 1889).— Donatien Frémont, Mgr. Provencher et son temps (Winnipeg, 1935).— B. J. Gainer, « The Catholic missionaries as agents of social change among the Métis and Indians of Red River : 1818–1845 » (thèse de m.a., Carleton Univ., Ottawa, 1978).— Lemieux, l’Établissement de la première prov. eccl.— A.-G. Morice, Histoire de l’Église catholique dans l’Ouest canadien, du lac Supérieur au Pacifique (1659–1905) (3 vol., Winnipeg et Montréal, 1912).— Gaston Carrière, « Mgr Provencher à la recherche d’un coadjuteur », SCHÉC Sessions d’études, 37 (1970) : 71–93.— Gilles Chaussé, « Deux évêques missionnaires : Mgr Provencher et Mgr Lartigue », SCHÉC Sessions d’études, 37 : 51–60.— Raymond Douville, « les Trois Abbés Harper », Cahiers des Dix, 13 (1948) : 139–185.— Lucien Lemieux, « Mgr Provencher et la Pastorale missionnaire des évêques de Québec », SCHÉC Sessions d’études, 37 : 31–49.— David Roy, « Mgr Provencher et son clergé séculier », SCHÉC Sessions d’études, 37 : 1–16.— Albert Tessier, « Un curé missionnaire : l’abbé S.-N. Dumoulin (1793–1853) », Cahiers des Dix, 16 (1951) : 117–131.

Bibliographie générale

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Lucien Lemieux, « PROVENCHER, JOSEPH-NORBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/provencher_joseph_norbert_8F.html.

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Auteur de l'article:    Lucien Lemieux
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
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