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TACHÉ, ALEXANDRE-ANTONIN, prêtre, oblat de Marie-Immaculée, missionnaire, archevêque, homme politique et auteur, né le 23 juillet 1823 à Fraserville (Rivière-du-Loup, Québec), fils de Charles Taché, marchand, et de Louise-Henriette de Labroquerie (Boucher de La Broquerie) ; décédé le 22 juin 1894 à Saint-Boniface, Manitoba.
Alexandre-Antonin Taché est le troisième enfant d’une famille de cinq. Son père meurt le 12 janvier 1826. Sa mère laisse alors son aîné Joseph-Charles à Kamouraska et, avec ses autres enfants, va se réfugier chez ses parents à Boucherville. Elle y retrouve son frère, Joseph-Antoine, qui assume le rôle de père ; sa vie durant, Taché le considérera comme tel.
Taché vit une enfance heureuse auprès de sa mère, qui a pris la résolution de ne pas se remarier et mène une vie retirée. D’une intelligence vive, elle est passionnée d’histoire, de littérature et de philosophie. Alexandre-Antonin est élevé dans une atmosphère religieuse imprégnée de traditions familiales et du souvenir des ancêtres, tels Louis Jolliet*, découvreur du Mississippi, et Pierre Gaultier* de Varennes et de La Vérendrye, découvreur de l’Ouest canadien. En 1832, après la mort des grands-parents, Joseph-Antoine installe la petite famille dans le manoir de Sabrevois, où ont déjà séjourné Marguerite Bourgeoys* et Jacques Marquette*. Ce décor marque Taché, enfant sentimental, impressionnable et déjà habité par le mystère de l’au-delà. Il écrira plus tard : « je me suis amusé sur ce lieu tout embaumé des suaves odeurs du dévouement et de l’héroïsme, et, au milieu de ces jeux, de ces amusements, une pensée grave m’a attiré, une voix éloquente, comme celle d’un monument, m’a indiqué la route à suivre et je suis parti ».
Taché entre au séminaire de Saint-Hyacinthe en septembre 1833. Joseph-Sabin Raymond*, Joseph La Rocque* et Isaac-Stanislas Lesieur-Désaulniers* lui enseignent. Au dire de ses professeurs et de ses condisciples, il est brillant sans être premier de classe. Esprit ouvert, il travaille régulièrement, se montre actif, raisonneur, jovial et taquin, exubérant, friand d’excursions. L’attrait pour le sacerdoce qu’il avait éprouvé dans son enfance se fait plus pressant. Il s’en ouvre à sa mère, sa confidente de toujours, qui lui suggère de prier et de demeurer à l’écoute. Lesieur-Désaulniers, son directeur spirituel, l’encourage dans cette voie. Le 1er septembre 1841, il entre au grand séminaire de Saint-Sulpice à Montréal ; il est tonsuré le 21 mai de l’année suivante.
Les études de Taché ne sont pas terminées lorsque l’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget*, le nomme régent au collège de Chambly, puis en janvier 1844 professeur de mathématiques au séminaire de Saint-Hyacinthe. Son esprit, cependant, est ailleurs. Depuis qu’il a croisé des oblats en décembre 1841, l’idée de joindre cette communauté l’habite. Sa mère l’incite à suivre ses impulsions ; bien que parents et amis tentent de l’en dissuader. À la fin de l’automne de 1844, il entre au noviciat des oblats à Longueuil. Animé d’un vif désir de prêcher l’Évangile « parmi les tribus sauvages de l’Ouest, que le père Marquette parti de Boucherville avait commencé de découvrir, que les La Vérendrye, partis des mêmes lieux, avaient continué de faire connaître », Taché s’en ouvre à ses supérieurs. Joseph-Bruno Guigues*, supérieur des oblats au Canada, vient de se voir confier par Mgr Charles-Joseph-Eugène de Mazenod, fondateur de la communauté et évêque de Marseille, le mandat de prendre en charge les missions catholiques du nouveau vicariat apostolique de la baie d’Hudson et de la baie James que dirige Mgr Joseph-Norbert Provencher*. Guigues désigne le père Pierre Aubert* pour organiser les missions oblates et il autorise le frère Taché, qui n’a que 21 ans et n’est que sous-diacre, à l’accompagner.
Une route de quelque 1 400 milles sépare Montréal de Saint-Boniface. Taché part le 25 juin 1845 dans un canot de la Hudson’s Bay Company. Tout au long du voyage, il pagaie, traîne son fardeau dans les portages et divertit l’équipage par des facéties, des cantiques et des lectures pieuses. Lorsque le canot arrive à la ligne de partage entre le bassin du Saint-Laurent et celui de l’Hudson, Taché ne peut retenir ses larmes. Il a conscience d’une rupture avec le lien symbolique – le Saint-Laurent – qui l’attachait encore à sa patrie, surtout à sa mère. Le pemmican que Mgr Provencher fait parvenir aux voyageurs est pour lui le signe qu’il entre en pays étranger. Le 25 août, Taché parvient à destination. La tradition rapporte que Provencher se serait alors exclamé : « On m’envoie des enfants ! Ce sont des hommes qu’il nous faut. » Jugement hâtif qu’il n’aurait pas tardé à réviser. Il l’ordonne diacre dès le 31 août et prêtre le 12 octobre. Alexandre-Antonin fait sa profession religieuse le lendemain.
Le vicariat apostolique de la baie d’Hudson et de la baie James est très vaste, soit environ 1 790 000 milles carrés. Il englobe tout le bassin de l’Arctique et Rupert’s Land dans lequel lord Selkirk [Douglas*] a taillé en 1812 la colonie de la Rivière-Rouge. La Hudson’s Bay Company détient dans ces régions des droits de traite des fourrures que contestent les trafiquants indépendants et y assume de par sa charte des obligations administratives. La population est bigarrée et clairsemée. Point de statistiques précises, mais des évaluations. Les Blancs, que l’on estime à 3 600, travaillent dans les postes de traite ou sont fixés dans la colonie. Les Métis, au nombre d’environ 12 000, vivent principalement de la chasse au bison et de l’exploitation de petites fermes. Les Amérindiens, environ 60 000, se répartissent en 5 groupes culturels rattachés à 3 familles linguistiques. La famille algique comprend les Sauteux, les Cris et les Pieds-Noirs. Les Assiniboines, de la famille des Sioux, parcourent un territoire divisé par la frontière canado-américaine. Une tribu d’Athapascans, les Chipewyans, occupe les bassins de la rivière aux Anglais (fleuve Churchill), de l’Athabasca et du Mackenzie.
La Rivière-Rouge est la seule colonie de peuplement. Au recensement de 1847, elle compte 4 871 habitants, dont 50 % sont catholiques. Elle est administrée par un gouverneur nommé par la Hudson’s Bay Company et le Conseil d’Assiniboia, qui lui aussi est désigné par cette compagnie après consultation de la population. La paroisse de Saint-Boniface, qui regroupe 2 000 habitants, dont la moitié est catholique, est un centre administratif, commercial et religieux. S’y trouve l’évêché catholique où cohabitent Provencher et quatre prêtres séculiers. Les sœurs grises y tiennent une école de filles [V. Marie-Louise Valade*]. À l’ouest, Saint-François-Xavier possède une église mais pas de prêtre résidant. Jusque-là, les missionnaires catholiques ont travaillé auprès des Métis francophones, qui se sont convertis massivement, et des Sauteux qu’on essaie en vain de sédentariser à Wabassimong (Whitedog, Ontario). Au delà de Saint-François-Xavier, Jean-Baptiste Thibault* œuvre à travers les Prairies jusqu’aux Rocheuses depuis 1842.
C’est ce territoire qui s’ouvre à l’activité missionnaire de Taché à l’automne de 1845. Il passe une partie de l’hiver à Saint-Boniface et l’autre à Baie-Saint-Paul (Saint-Eustache) où George-Antoine Bellecourt* lui enseigne, ainsi qu’à Louis-François Laflèche, les rudiments de la langue sauteuse. Sur les conseils de Thibault, Mgr Provencher envoie Taché et Laflèche ouvrir la mission d’Île-à-la-Crosse (Saskatchewan), située à 300 lieues de Saint-Boniface et rendez-vous des convois en provenance d’Upper Fort Garry (Winnipeg) et du fleuve Mackenzie. La Hudson’s Bay Company y a depuis longtemps établi un poste de traite palissadé. Les missionnaires partent de Saint-Boniface le 8 juillet 1846. Ils se rendent à Lower Fort Garry rencontrer sir George Simpson*, gouverneur de la Hudson’s Bay Company, qui appuie leur entreprise et les recommande auprès de Roderick McKenzie* qui est chargé du poste d’Île-à-la-Crosse. Ce dernier voyage avec les missionnaires à partir de Norway House, puis les loge dans le poste. Taché et Laflèche passent l’hiver à étudier le cri et l’athapascan. Au printemps, McKenzie leur fait construire une maison de 36 pieds sur 24 qui sert à la fois de presbytère et de chapelle ; baptisée « maison-omnibus », elle servira d’ailleurs de modèle à d’autres constructions des missions oblates.
Perclus de rhumatismes, Laflèche assure le ministère auprès des Indiens proches du poste de traite. Taché se charge des courses apostoliques. Au printemps de 1847, il va fonder une mission au lac du Caribou (lac Reindeer). Il revient passer l’été avec son ami Laflèche puis, le 20 août, un second voyage le conduit au lac Athabasca, à quelque 400 milles au nord. Il est le premier missionnaire catholique à évangéliser la centaine de Cris et le millier de Chipewyans rassemblés autour de ce poste de traite. De retour en octobre, il passe l’hiver auprès de Laflèche aux prises avec une douloureuse crise rhumatismale. L’arrivée du missionnaire oblat Henri Faraud* à Île-à-la-Crosse en juillet 1848 lui permet de retourner au lac Athabasca dès l’automne. En juin 1849, Laflèche se rend à Saint-Boniface tandis que l’on nomme Faraud responsable des missions du district du lac Athabasca.
Le 4 juin 1847, Rome a érigé le vicariat apostolique en diocèse du Nord-Ouest. Mgr Provencher, qui vieillit, est en quête d’un successeur. Laflèche ne veut accepter soi-disant pour cause d’infirmité. Provencher se rabat sur Taché qui, bien qu’âgé de 27 ans seulement, a « l’activité de la jeunesse, la prudence de plus d’un vieillard » et « est propre à mener le spirituel et le temporel ». À son insu, Taché est nommé par Rome évêque d’Arath et coadjuteur avec droit de succession, le 14 juin 1850. Il apprend la nouvelle en janvier 1851. Sa vanité en est flattée, son désir de bien servir est comblé, mais la raison lui laisse entrevoir le fardeau énorme qu’on vient de lui mettre sur les épaules. Il est à Saint-Boniface le 4 juillet 1851, puis se met en route pour Marseille sur l’ordre de Mgr de Mazenod qui, le 23 novembre, le sacre évêque. De là, il se rend à Rome où il a deux audiences avec Pie IX. Il obtient de la Propagande que son futur diocèse porte le nom du siège épiscopal, en l’occurrence Saint-Boniface, comme le veut la tradition catholique.
À son retour le 27 juin 1852, Mgr Taché trouve Saint-Boniface ravagé par une crue de la rivière Rouge, qui a emporté granges et maisons, retardé les semailles et provoqué la consternation. Il ne s’y attarde pas. Provencher s’occupe de la colonie, lui des missions. Le 8 juillet, il part pour Île-à-la-Crosse. Les missionnaires ont agrandi le jardin et construit une étable. On y cultive des légumes et de l’orge. Le frère cuisinier fait du beurre et du fromage. Les pères tiennent une école. Le champ apostolique s’élargit : Faraud établit une mission au Grand lac des Esclaves (Territoires du Nord-Ouest) en octobre 1852. La concurrence se fait plus vive entre catholiques et protestants. Le 7 juin 1853, Provencher meurt. Supérieur des oblats du Nord-Ouest depuis 1851, Taché devient alors évêque de Saint-Boniface, mais il ne gagne pas tout de suite l’évêché. Il confie plutôt les affaires diocésaines aux vicaires généraux Thibault et Laflèche qui sont à Saint-Boniface. Il demeure à Île-à-la-Crosse pour consolider la mission. À l’été de 1853, il fait une visite épiscopale au lac Athabasca et, au printemps de 1854, il entreprend une randonnée sur la Saskatchewan qui le conduit au fort Pitt (Fort Pitt), au fort Augustus, à la mission Sainte-Anne (Lac-Sainte-Anne, Alberta), où travaille Albert Lacombe*. De là il se rend au lac la Biche.
En septembre 1854, Taché gagne Saint-Boniface et prend officiellement possession de son siège épiscopal le 5 novembre. Les progrès accomplis depuis 1845 sont considérables. Son diocèse compte quatre séculiers et dix oblats dont deux frères. Les sœurs grises ont ouvert une école à Saint-François-Xavier et les missionnaires ont bâti des résidences à Sainte-Anne, à Île-à-la-Crosse, au lac Athabasca et au lac la Biche. À Saint-Boniface, les Frères des écoles chrétiennes, qui sont arrivés durant l’été de 1854, dispensent l’enseignement primaire. Les sœurs grises s’occupent d’un hospice pour les orphelins et les vieillards. Mais Saint-Boniface n’est encore qu’un gros bourg, où Taché vit frugalement au milieu de ses ouailles. Sa visite paroissiale lui fait connaître ses quelque 1 000 fidèles. Il rencontre les malades et assiste les pauvres qu’il accueille souvent dans son évêché. Il veille à la construction d’une maison-école pour les Frères des écoles chrétiennes et à celle de l’église et du presbytère de Saint-Norbert. Il se soucie de raffermir la foi de ses fidèles par des homélies bien préparées et de mettre sur pied des cadres de chrétienté pour soutenir les pratiques religieuses. Il voit avec regret son ami Laflèche et l’abbé Joseph Bourassa retourner au Bas-Canada. Il supporte silencieusement les critiques de ses collègues oblats qui lui reprochent de les négliger, notamment de ne pas leur faire construire une maison de repos. Il réclame du renfort et mûrit sa stratégie missionnaire. Les missions se heurtent à de grandes difficultés : la dispersion des populations, le déplacement périodique des autochtones, la multiplicité des langues et des cultures, la division des Églises chrétiennes et les intérêts de la Hudson’s Bay Company. Celle-ci apprécie l’action civilisatrice des missionnaires, mais s’inquiète des rivalités entre catholiques et protestants et des efforts des missionnaires pour sédentariser les Amérindiens. Taché sait qu’on ne saurait former des paroisses chrétiennes avec des nomades irréductibles ni procurer un missionnaire à chaque bande d’Amérindiens. Il pressent que la Hudson’s Bay Company, aux prises avec les trafiquants indépendants, en viendra à refuser de transporter les missionnaires et leurs provisions. Il redoute la concurrence du clergé protestant qui s’accentue, tout spécialement dans les missions du Nord. Son objectif est de pénétrer le plus rapidement possible dans l’ensemble du territoire pour s’assurer de l’attachement des populations locales. Sa stratégie sera donc d’établir dans un endroit névralgique une base d’opérations pour ravitailler les missions du Nord, puis de créer non loin des postes de traite un réseau de missions permanentes et bien organisées, où des prêtres appuyés par des frères et des sœurs exerceront une action en profondeur par l’exemple d’une vie sédentaire, par le biais des écoles et par les services réguliers d’un ministère d’entretien. À partir de ces missions, les prêtres pourront effectuer périodiquement des randonnées apostoliques parmi les bandes dispersées. Il entend confier ce champ apostolique à un coadjuteur qui s’y établira en permanence, quitte à ce que le moment venu il soit subdivisé et détaché administrativement de son diocèse. Il complètera cette stratégie en 1865 par la mise sur pied d’une activité pastorale spéciale pour les Cris et les Pieds-Noirs qui fréquentent peu les postes de traite. Il chargera alors le père Lacombe de les suivre dans leur migration. De fait, si Taché entend imprégner les Métis de la culture canadienne-française, il semble se contenter de christianiser et éventuellement de sédentariser les Amérindiens.
Dès le 5 juin 1855, Taché part pour Île-à-la-Crosse dans le but d’appliquer son projet missionnaire. Il confie aux pères Jean Tissot et Charles-Augustin Maisonneuve l’organisation de la mission Notre-Dame-des-Victoires, au lac la Biche. Celle-ci, dotée d’une ferme, d’entrepôts, d’une route carrossable vers les Prairies et d’un service de transport régulier, en vient rapidement à ravitailler les missions du Nord. Taché fait également établir la mission Saint-Joseph au Grand lac des Esclaves. Au printemps de 1856, il entreprend la visite de toutes les missions oblates, puis il retourne à Saint-Boniface. Il ne lui reste plus alors qu’à obtenir la nomination d’un coadjuteur responsable de ces missions.
Dans ce but, Taché part pour Rome en septembre, mais il s’arrête à Marseille pour consulter Mgr de Mazenod. Tous deux s’entendent pour suggérer la nomination de Vital-Justin Grandin* au poste de coadjuteur, suggestion que le pape entérinera le 11 décembre 1857. Une fois de plus, ce voyage est déterminant pour le développement du catholicisme dans l’Ouest. Taché fait une tournée en France pour sensibiliser les catholiques à l’œuvre de la Propagation de la foi qui finance en partie ses missions. Mgr de Mazenod lui octroie des ressources financières et lui promet huit missionnaires. D’avril à octobre 1857, Taché séjourne au Bas-Canada, où les aumônes affluent. Les sœurs grises acceptent d’envoyer trois religieuses à Sainte-Anne en 1858 et d’autres à Île-à-la-Crosse. Un imprimeur s’occupe de publier des ouvrages en langues autochtones. Mais les débats politiques en cours assombrissent cet heureux voyage. Les rumeurs d’une annexion prochaine du Nord-Ouest par le Canada avaient d’abord réjoui Taché, mais les vues des grits et des « rouges », les promoteurs de ce projet [V. George Brown*], sur les relations de l’Eglise et de l’État, sur les questions scolaires également, lui font alors entrevoir de graves dangers pour son « oasis dans le désert ». Taché laisse Montréal le 3 octobre 1857. Il se rend à Kingston en train, à Detroit en vapeur, de nouveau en train à St Paul (Minnesota) – et en moins de quatre jours ! Mais de là il lui en faut 24 pour atteindre Saint-Boniface le 6 novembre.
Dans son diocèse, Taché est le général qui quémande des ressources à l’Église canadienne et à la communauté oblate, puis les distribue sur deux fronts. Sur le front missionnaire, il appuie ses collègues partis à la conquête de l’Ouest et du Nord. À l’automne de 1858, le père Pierre-Henri Grollier* amorce son offensive nordique qui le conduit en quelques années jusqu’aux confins de l’Arctique. Pendant ce temps, d’autres consolident leur position au fort Edmonton (Edmonton), et le père Faraud, à partir du lac Athabasca, remonte la rivière de la Paix jusqu’aux fort Vermilion (près de Fort Vermilion, Alberta) et au fort Dunvegan. Sur l’autre front, celui de la Rivière-Rouge, Taché encourage le regroupement des Métis à Pointe-des-Chênes. Il incite aussi les colons et les Métis à se grouper, afin d’être en mesure d’établir de nouvelles paroisses. De 1853 à 1865, il en érige une quinzaine. Nombre de Métis suivent ses conseils, de sorte qu’en 1870 Sainte-Anne, Saint-Albert, Saint-Joachim et Notre-Dame-des-Victoires seront des paroisses à majorité métisse. Taché encourage aussi l’instruction des enfants, tant métis que blancs. Il assure du secours aux indigents que la grande invasion de sauterelles en 1857 a multipliés. Toutes ces œuvres coûtent cher et Taché ne dispose que de maigres ressources. En 1859, il estime son budget à £2 050, dont £1 350 proviennent de la Propagation de la foi, £400 du casuel et de dons, £100 de la Hudson’s Bay Company et £200 d’une rente constituée de divers dons.
Pendant ce temps, des changements économiques et technologiques affectent la colonie de la Rivière-Rouge. Un bateau à vapeur arrive à Saint-Boniface le 10 juin 1859. L’année suivante, on établit une liaison de diligences entre Georgetown et Saint Cloud (Minnesota), localité déjà reliée à St Paul. Saint-Boniface n’est plus qu’à huit ou neuf jours de St Paul. Le courrier, biannuel auparavant, devient mensuel. Cette année-là aussi, paraît à Winnipeg, le Nor-Wester, journal anglophone et protestant, de même que le rapport de Simon James Dawson* sur les possibilités de peupler l’Ouest. Cette pénétration d’une nouvelle société fortement anglophone, protestante et agricole amène les francophones, tant blancs que métis, à resserrer leurs rangs autour des clochers. Sous le leadership de Taché, que l’avance d’un front pionnier rend de plus en plus inquiet, voire pessimiste, les uns et les autres font la découverte des droits des minorités. Afin de retarder le plus possible la venue d’un courant migratoire susceptible de briser l’équilibre des forces entre catholiques et protestants, Taché, qui depuis le 23 juin 1858 siège au Conseil d’Assiniboia, appuie la Hudson’s Bay Company dans sa résistance au commerce libre et aux menées du « parti canadien » [V. sir John Christian Schultz]. Il espère prolonger le gouvernement paternaliste de la Hudson’s Bay Company et de l’Église catholique pour donner aux Métis le temps de se sédentariser, d’occuper des terres et de se multiplier.
Taché croit le moment venu de procéder à l’érection du vicariat apostolique d’Athabasca-Mackenzie. Mais avant d’entreprendre les pourparlers sur cette question, il juge préférable d’effectuer une visite pastorale des missions d’octobre 1860 à février 1861. Cette longue randonnée l’amène à coucher 44 nuits à la belle étoile et parfois par des températures de -40° F. De retour à Saint-Boniface le 23 février 1861, il trouve sa cathédrale et son palais incendiés. Puis le 30 mai les dépendances de l’évêché – quatre grands bâtiments – brûlent à leur tour. Sur les instances des évêques du Bas-Canada, Taché décide de se faire mendiant. En juin, il quitte son diocèse et fait le tour des églises du Bas-Canada. Il profite de ce voyage pour faire endosser par l’épiscopat le projet de subdivision de son diocèse, puis il se rend à Marseille participer à l’élection du successeur de Mazenod et de là à Rome. La Propagande se rend à ses désirs : le 13 mai 1863, elle érige le vicariat apostolique d’Athabasca-Mackenzie et nomme Faraud vicaire apostolique.
De retour à Saint-Boniface le 26 mai 1862, Taché entreprend la reconstruction de son évêché et de son palais épiscopal. Il s’en remet à Grandin pour préparer l’érection du nouveau vicariat. En août 1864, il fait sa dernière visite apostolique des missions oblates du Nord-Ouest. À l’automne de 1865, Faraud prend en charge son vicariat et, en 1868, Grandin s’installera à Saint-Albert pour paver la voie à l’érection du diocèse du même nom.
Taché peut désormais concentrer ses énergies sur la colonie de la Rivière-Rouge, toujours aux prises avec les sauterelles, les sécheresses et les épidémies. C’est autant pour régler des questions administratives que pour obtenir les moyens de soulager la misère de ses fidèles qu’il se rend au Bas-Canada à l’été de 1866 et en Europe en 1867. Les indices se multiplient que pointe dans l’Ouest l’aube d’une ère nouvelle. Le Canada se prépare à annexer le Nord-Ouest. Le chemin de fer qui relie St Paul à l’est de l’Amérique du Nord est terminé en 1868. Taché sent donc le besoin de faire connaître l’œuvre française et catholique dans l’Ouest. Coup sur coup, il écrit Vingt Années de missions dans le Nord-Ouest de l’Amérique (1866) et Esquisse sur le Nord-Ouest de l’Amérique (1869). Le premier texte, rédigé à la demande du supérieur des oblats et dans un style épistolaire, raconte les principales étapes de l’œuvre missionnaire oblate. Le second, écrit à l’intention des « hommes sérieux qui pensent à ce pays », est la somme des connaissances acquises par Taché sur le Nord-Ouest, dont il décrit les conditions géographiques, démographiques, commerciales, administratives et politiques.
Les inquiétudes de Taché à propos de l’annexion du Nord-Ouest au Canada s’avèrent fondées. S’il accepte l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui sauvegarde les intérêts des catholiques, il se demande à qui va profiter l’intégration économique et politique de la colonie au Canada. En 1869, le gouvernement canadien négocie avec le gouvernement britannique et la Hudson’s Bay Company l’annexion de l’Ouest sans tenir compte des populations en cause [V. sir George-Étienne Cartier*]. Les équipes d’arpenteurs employées la même année à la construction de la route Dawson [V. John Allan Snow*], qui relie Upper Fort Garry au lac des Bois, et au lotissement des terres [V. John Stoughton Dennis*] exploitent la main-d’œuvre locale, méprisent les Métis et s’offensent de la coexistence des deux cultures. Le mécontentement gronde parmi les populations locales. Le gouverneur d’Assiniboia et de Rupert’s Land, William Mactavish*, et l’évêque anglican de Rupert’s Land, Robert Machray*, en informent le gouvernement canadien. En route pour Rome où il doit assister au premier concile du Vatican, Taché, inquiet du sort qu’on réserve aux Métis, s’arrête à Ottawa. Cartier reçoit cavalièrement celui dont on dit qu’il a été acheté par la Hudson’s Bay Company. Il reste sourd à sa suggestion de nommer deux commissaires, l’un francophone et l’autre anglophone qui enquêteraient sur les besoins de la colonie, et de laisser la population élire quelques membres du Conseil d’Assiniboia. Taché fait part de ses inquiétudes aux chefs du parti conservateur – Hector-Louis Langevin*, Pierre-Joseph-Olivier Chauveau* et Gédéon Ouimet* – puis il expédie une lettre à Cartier avant de s’embarquer pour l’Europe, dans laquelle il réclame « dans l’administration du Nord-Ouest plus d’un Canadien français catholique et [...] des hommes d’expérience ». Il écrit à Grandin d’encourager les Métis à « prendre possession d’autant de terre » qu’ils pourront.
Le 8 décembre 1869, Pie IX ouvre le concile et, à Upper Fort Garry, Louis Riel* installe un gouvernement provisoire. Inquiet de la tournure des événements, le gouvernement prie Taché de quitter le concile. Ce dernier est à Ottawa le 10 février 1870. Il rencontre le cabinet, puis s’entretient dans l’intimité avec, entre autres, le gouverneur général, sir John Young*, le premier ministre, sir John Alexander Macdonald, et Cartier. L’atmosphère est à la conciliation. Les ministres manifestent leur intention de veiller à ce que justice soit rendue. On remet à Taché une copie de la proclamation de Young en date du 6 décembre 1869 qui promettait l’amnistie à tous les habitants de la Rivière-Rouge qui déposeraient les armes. Aux yeux de Taché, l’amnistie de tous les chefs métis est une question capitale dont dépend la pacification de la région. Il obtient de Cartier la promesse d’une amnistie totale et globale.
Le 17 février 1870, Mgr Taché laisse Ottawa pour la Rivière-Rouge avec le statut de délégué du gouvernement chargé de rassurer les populations et de pacifier les esprits, de faire accepter par les Métis l’annexion du Nord-Ouest par le Canada et d’afficher la proclamation d’amnistie. Il ignore cependant les arrière-pensées de Macdonald qui estime, comme il le confie à sir John Rose* le 23 février, que les Métis « doivent être tenus d’une main forte jusqu’à ce qu’ils soient submergés par l’afflux de colons ». Selon Taché, même l’exécution de Thomas Scott*, survenue le 4 mars, est couverte par les promesses qu’on lui a faites à Ottawa. Le prélat est de retour dans la colonie le 8 mars. Le gouvernement provisoire, présidé par Riel, est méfiant. Taché s’entretient avec l’abbé Jean-Baptiste Thibault et Charles-René-Léonidas d’Irumberry* de Salaberry, deux délégués du gouvernement canadien. Devinant que la crainte de représailles alimente la méfiance des Métis, Taché promet le 11 mars à Riel et aux chefs métis une amnistie sur tous les actes commis jusqu’à ce jour-là. Le 14, Riel se réconcilie avec Taché qui, le lendemain, rencontre le nouveau conseil élu du gouvernement provisoire et le convainc que le gouvernement canadien recherche la justice, l’équité et la paix et qu’il vaut mieux reconduire le mandat de Joseph-Noël Ritchot*, John Black* et Alfred Henry Scott* élus en février pour négocier à Ottawa la liste des droits. Celle-ci est remaniée par l’exécutif du gouvernement provisoire une troisième fois, sans doute sous l’influence de Taché qui tient à ce qu’on crée sans délai une province régulière avec un gouvernement permanent et responsable. Mais Ritchot possède une quatrième liste dont la clause 7, à la demande de Taché, spécifie un réseau d’écoles publiques dont les unes seraient catholiques et les autres protestantes.
Pendant que les délégués négocient à Ottawa, Taché poursuit sa mission pacificatrice et contrecarre les agissements des Américains auprès des Métis. Le 9 juin, désireux d’éviter une guerre civile, et avec le consentement de Thibault, de Salaberry et de Mactavish, il promet solennellement l’amnistie aux Métis. Après avoir entendu le rapport de Ritchot, le gouvernement provisoire ratifie le 24 juin 1870 l’Acte du Manitoba qui crée une province bilingue et dotée d’un réseau d’écoles publiques catholiques et protestantes. Désireux de porter lui-même cette nouvelle, Taché quitte Saint-Boniface le 27 juin pour atteindre Ottawa le 12 juillet. Il veut obtenir une promesse d’amnistie écrite et presser Adams George Archibald, nommé lieutenant-gouverneur du Manitoba, d’installer un gouvernement civil. Il doit encore se contenter de promesses verbales. De retour à Saint-Boniface le 23 août, il s’empresse d’aller rassurer Riel à Upper Fort Garry où, le lendemain, pénètrent les troupes du colonel Garnet Joseph Wolseley* que le gouvernement fédéral avait envoyées en « mission de paix ». Riel, après s’être rendu à l’évêché dire à Taché qu’il s’était fait avoir par les hommes politiques, s’enfuit aux États-Unis. Dans les semaines qui suivent, il y a incendie, assauts, insultes et morts d’hommes [V. Elzéar Goulet*]. Taché n’en cesse pas moins de calmer les Métis. Avec Archibald qui arrive le 2 septembre, il s’efforce de maintenir la confiance de la population envers le gouvernement canadien. À la mi-octobre, le gros de la crise est surmonté. L’évêque a fortement contribué à éviter la guerre civile, mais désormais il a une croix à porter : la question de l’amnistie.
En cet automne de 1870, Taché ressent déjà une certaine usure physique, mais la vie conventuelle qu’il s’impose lui permet encore d’abattre une besogne considérable. Il suit avec angoisse la situation européenne : les troupes italiennes sont entrées dans Rome et les Prussiens assiègent Paris. Les appuis extérieurs à son action apostolique sont menacés. Il se révèle un évêque ultramontain typique de l’époque, très attaché à la papauté, farouchement opposé aux idées modernistes, qui se méfie des hommes politiques libéraux et des laïques qu’il cantonne dans son Église dans des rôles d’exécution. Il partage les souffrances et les misères des peuples autochtones dont il reconnaît les droits de propriété sur leurs terres ancestrales. Il est soucieux des droits scolaires et religieux de toutes les confessions chrétiennes, mais en bon chrétien conquérant il ne tient pas compte en ces matières des droits des autochtones qu’il a mission de catholiciser et d’occidentaliser. Son Église et sa province, il entend les bâtir sur le modèle québécois : institutions bilingues, écoles catholiques et protestantes, coexistence pacifique des cultes.
Taché travaille en étroite collaboration avec le lieutenant-gouverneur et avec quelques membres des professions libérales francophones qu’il a, de concert avec Cartier, incités à s’installer au Manitoba – les avocats Joseph Dubuc* et Joseph Royal*, le notaire Marc-Amable Girard et Alphonse-Alfred-Clément La Rivière*. Archibald a l’intelligence de faire appel à sa connaissance du pays et à son expérience des hommes. Taché participe donc à la délimitation des 24 circonscriptions électorales qui enverront à l’Assemblée 12 francophones et 12 anglophones, 12 catholiques et 12 protestants. Il sera jusque vers 1887 un conseiller écouté des dirigeants politiques. Il dicte presque le projet de loi, adopté à l’unanimité en 1871, qui aménage un réseau d’écoles publiques catholiques et protestantes. En 1877, année de la fondation de l’université de Manitoba [V. Alexander Morris*], il fait accepter ses vues. Par Dubuc, son porte-parole, Taché a ses antennes au Conseil des Territoires du Nord-Ouest qui conseille le lieutenant-gouverneur du Manitoba dans l’administration des districts de la Saskatchewan, de l’Alberta et de l’Athabasca. Avec Grandin, il sert d’intermédiaire entre les Métis et les Amérindiens d’une part et le gouvernement du Manitoba, le Conseil des Territoires du Nord-Ouest et le gouvernement canadien d’autre part. À l’automne de 1871, il encourage Riel, qui est revenu au Manitoba, et les Métis à s’opposer aux féniens. En février de l’année suivante, il remet à Riel et à Ambroise-Dydime Lépine* de la part du premier ministre Macdonald et de son commissaire spécial Donald Alexander Smith*, de l’argent pour les inciter à s’exiler aux États-Unis. Il manœuvre pour que Cartier soit élu dans la circonscription de Provencher en septembre 1872, mais échoue par la suite à convaincre Riel de rester en dehors de la politique. Il parvient à maintenir les Métis en paix et, par des voies pacifiques, à régler certains de leurs problèmes mais, dans la question de l’amnistie, il essuie un échec cuisant. À l’occasion d’un voyage à Ottawa en 1871, Macdonald l’avait informé qu’un « gouvernement qui s’efforcerait d’accorder l’amnistie ne saurait demeurer au pouvoir ». L’arrestation de Lépine en septembre 1873, que l’on accuse du meurtre de Thomas Scott, le convainc qu’il est de son devoir de parler. Il est conscient que, « depuis quatre ans, on se sert de [lui], soi-disant pour procurer le bonheur du peuple [qu’il] aime, en réalité pour tromper ce même peuple ». En mars 1874, il porte la question devant l’opinion publique dans une brochure intitulée Amnistie, plaidoyer qui fait de cette cause une question d’honneur national. Du 10 avril au 20 mai, il comparaît trois fois devant un comté spécial de la chambre des Communes chargé de s’enquérir des causes des troubles dans les Territoires du Nord-Ouest en 1869–1870. Son témoignage que reprend et commente la presse est accablant pour les hommes politiques. Ce comité n’a pas encore remis son rapport qu’André Nault* et Elzéar Lagimodière sont arrêtés en septembre, et Lépine condamné par la Cour du banc de la reine du Manitoba. De nouveau Taché intervient en mars 1875 par une nouvelle brochure, Encore l’amnistie. À la fin d’avril, l’amnistie générale sans condition est accordée, sauf à Lépine, à William Bernard O’Donoghue* et à Riel. Ce dernier tiendra longtemps rigueur à Taché d’avoir toujours conseillé aux Métis de céder aux desiderata des hommes politiques.
Cette activité à caractère plutôt politique ne détourne pas Taché de ses devoirs plus impérieux : la construction de son diocèse. Le 22 septembre 1871, Rome, cédant aux pressions de Grandin, a érigé Saint-Boniface en archidiocèse, avec comme suffragants le diocèse de Saint-Albert, le vicariat apostolique de Colombie-Britannique et celui d’Athabasca-Mackenzie. Mgr Taché s’empresse d’obtenir la reconnaissance civile de certaines institutions. La loi de 1874 paraît révéler une certaine méfiance à l’égard des laïques : elle ne prévoit pas de conseils de fabrique. C’est l’archevêque, le curé et le vicaire général qui constituent la corporation paroissiale. Archevêque de Saint Boniface et supérieur des missions oblates dans l’ensemble de sa province ecclésiastique, Taché a une activité multiforme. Il veille personnellement au ravitaillement des missions du Nord-Ouest et de l’Athabasca-Mackenzie. Saint-Boniface est la plaque tournante d’où partent les caravanes annuelles. Il ne cesse par des lettres et par des voyages de quémander de l’aide en France, à Rome et au Canada pour soutenir ses missions et ses œuvres sociales. Il multiplie les paroisses qui de 15 en 1870 passeront à 40 à sa mort. Il promeut l’éducation catholique et l’instruction dans les sciences profanes, et veut que les catholiques soient aussi bien préparés que les protestants à accéder au marché du travail et qu’ils aient une élite pour les défendre dans les sphères politiques. En 1888, on dénombrera 74 écoles dans son diocèse.
Aux yeux de Taché, le devenir de l’Église et du Manitoba impose une priorité : le renforcement de l’élément francophone et catholique. « Le nombre va nous faire défaut, constate-t-il en juillet 1872, et comme sous notre système constitutionnel les nombres sont la force, nous allons nous trouver à la merci de ceux qui ne nous aiment pas. » D’où son souci de susciter un courant migratoire catholique et francophone pour maintenir l’équilibre culturel. Sa stratégie consiste à créer, à l’intérieur du bloc de terres réservées aux Métis, des paroisses francophones et catholiques, puis de là un réseau de blocs francophones jusqu’aux Rocheuses. Mais cette stratégie demeurera une vue de l’esprit qui ne débouchera pas sur une action concertée. Lui-même acceptera que des groupes de colons francophones s’installent là où ils le désirent et Mgr Grandin encouragera une concentration des colons francophones dans la région d’Edmonton. Sur les instances de Mgr Taché, les évêques de la province de Québec réunis à Québec, du 17 au 24 octobre 1871, appuient timidement son projet. Ils signent une circulaire, rédigée par son ami Laflèche, devenu évêque de Trois-Rivières, qui invite les francophones de la province de Québec désireux d’émigrer de se diriger vers l’Ouest plutôt que vers la Nouvelle-Angleterre. Ils votent aussi une proposition qui prie le gouvernement fédéral de nommer dans la province de Québec des agents d’émigration et d’assister financièrement les émigrants québécois comme il le fait pour ceux de l’Ontario.
En 1874, Taché appuie fortement la mise sur pied de la Société de colonisation de Manitoba, vouée au recrutement de colons au Canada et aux États-Unis et destinée à les assister au moment de leur établissement dans l’Ouest. Il dépêche les pères Lacombe et Doucet au Québec et aux États-Unis pour promouvoir la cause de la colonisation. La Société de colonisation de Manitoba obtient du gouvernement canadien la nomination d’un agent de rapatriement des Franco-Américains. Les résultats sont décevants. Dans les années 1880, Taché va ainsi multiplier les agents recruteurs au Québec et, avec l’aide du gouvernement canadien qui paie leur salaire, les missionnaires colonisateurs dans les diocèses de la Nouvelle-Angleterre et du Middle West américain. Il encourage les clercs d’origine française à parcourir la France, la Belgique et la Suisse. Les succès sont mitigés et compensent à peine le reflux des Métis vers les Prairies. L’éloignement relatif des Québécois naturellement attirés par le Sud, les réticences des élites québécoises à encourager le « dépeuplement du Québec », l’image négative d’un pays lointain, inhospitalier et désertique que projette l’Ouest freinent l’action de Taché. Les articles que ce dernier publie dans le Standard de Winnipeg, réunis plus tard en brochure sous le titre de Denominational or Free Christian Schools in Manitoba, ne font que retarder la crise qu’il pressent. Comme tous ses compatriotes de l’Ouest, il se sent abandonné, sinon trahi, par le Québec, la mère patrie, d’autant plus que durant le boom économique des années 1880–1882 le déséquilibre démographique s’accroît davantage. Dans le seul mois de mars 1882, 9 655 immigrants anglophones seraient arrivés à Saint-Boniface.
Taché a encore moins de succès avec son projet d’établissement des Métis dans les Territoires du Nord-Ouest, élaboré en 1878 afin d’éclairer le gouvernement canadien en quête d’une politique en la matière. Il propose alors la création de 12 réserves, de 144 milles carrés chacune, dans lesquelles une centaine de familles métisses recevraient chacune deux lots de 80 acres, taillés en longues bandes rectangulaires suivant l’ancienne coutume. Les Métis ne pourraient pas vendre ces lots avant la troisième génération. Ce projet, tout comme d’ailleurs celui de John Stoughton Dennis, alors sous-ministre au département de l’Intérieur, vise à éviter les erreurs commises au Manitoba où les Métis se sont départis à vil prix de leurs terres [V. Gilbert McMicken]. Indécis quant à la politique à suivre, le gouvernement canadien s’en tient alors à des vœux pieux.
En mars 1882, le marché foncier s’effondre et les sauterelles envahissent les champs durant l’été. La population du Manitoba est aux abois, surtout les Métis refoulés sur les rives de la Saskatchewan et les Amérindiens qu’une série de traités signés de 1871 à 1877 ont parqués dans des réserves. Taché et le journal le Métis (Saint-Boniface) préviennent le gouvernement que le mécontentement resurgit. En juillet 1884, Riel arrive à Batoche (Saskatchewan) où colons et Métis s’agitent. En septembre, le mécontentement prend de l’ampleur. Riel prépare une pétition dans laquelle les droits de propriété tant des Blancs que des Métis constituent le principal grief. Le problème a plusieurs facettes. D’une part, le gouvernement canadien n’a pas encore appliqué le Dominion Lands Act de 1872, modifié à plusieurs reprises, qui l’autorise à allouer des terres aux Métis. D’autre part, nombre de colons et de Métis, à défaut d’un arpentage des terrains et de documents qui attestent l’extinction des droits de propriété des Amérindiens, ne disposent pas de titres incontestables sur leur propriété. Mobilisés par Riel et conduits par Gabriel Dumont*, les Métis se soulèvent au printemps de 1885. Le 26 mars, ils affrontent une troupe de la Police à cheval du Nord-Ouest sous les ordres de Lief Newry Fitzroy Crozier*. Taché est atterré. À ses yeux, c’est bien d’une rébellion qu’il s’agit cette fois. Il ne peut approuver ce soulèvement ni le messianisme religieux de Riel qui le sous-tend. Il s’emploie donc à rassurer les populations et s’empresse de mettre en garde les élites et les évêques québécois portés tout naturellement à soutenir la cause de Riel. Mais bien au fait du sort réservé aux Métis et aux Amérindiens, outré de l’incurie du gouvernement canadien et du fanatisme de certains immigrants, il plaide justice et clémence. Dès juin, il est à Ottawa pour intercéder en faveur des uns et des autres. Il ne réussit pas, cependant, à obtenir la grâce de Riel, qui est pendu le 16 novembre 1885. Le 7 décembre, il publie la Situation, brochure inspirée « par la justice et l’humanité », dans l’intention de substituer la modération et la raison au fanatisme racial et religieux. Taché attribue le soulèvement des Métis à l’incapacité et au mauvais vouloir des fonctionnaires fédéraux dans l’Ouest, à l’imbroglio des droits de propriété et de la non-allocation de terres aux Métis, et au cerveau dérangé de Riel. Tardivement, le gouvernement suit la voie tracée par Taché. Cependant, quand en 1886 on discute aux Communes la motion présentée par Philippe Landry* et qui exprime le regret qu’on n’ait pas grâcié Riel, Taché n’encourage pas ses amis à l’appuyer, de crainte d’aviver les passions ; il insiste plutôt pour qu’on mette la cause des Métis au-dessus des intérêts partisans. Avec Mgr Grandin et Mgr Laflèche, il estime qu’il est plus efficace de mobiliser « l’action de députés honnêtes, fermes et consciencieux », qui forceront le gouvernement à respecter les droits des Métis, plutôt que « de renverser les ministres ». Ce plaidoyer vaudra dans les années qui suivent une aide gouvernementale accrue aux Métis et sera peut-être à l’origine de la nomination de Joseph Royal au poste de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest.
Au lendemain du soulèvement des Métis, la situation est radicalement changée. Les trains de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique sillonnent les Prairies. Taché peut faire en 62 heures – au lieu de 62 jours en 1845 – le trajet de Saint-Boniface à Montréal. Désormais, les protestants anglophones ont la haute main sur le développement de l’Ouest. Taché, qui s’accroche à son rêve d’une dualité linguistique dans l’Ouest canadien, est un homme respecté par l’ensemble de la population manitobaine – ses relations avec le lieutenant-gouverneur Schultz sont même cordiales. Le vice-président de la compagnie de chemin de fer, William Cornelius Van Horne*, met à sa disposition ses propres wagons. Mais Taché demeure un homme démuni. Avec Grandin, il a amassé un volumineux dossier sur les vexations des fonctionnaires du ministère des Affaires indiennes : nomination d’instituteurs protestants dans des réserves à majorité catholique, refus de subvenir aux besoins de certains parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école protestante, construction des écoles loin des églises catholiques, interdiction de certaines réserves aux missionnaires catholiques et autres faits de même nature. Ses remontrances auprès du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en 1886 restent lettre morte. Taché est aussi de plus en plus malade. Il connaît de longues périodes de débilité générale qui le tiennent rivé à sa chambre ou l’obligent à des séjours prolongés à l’Hôpital Général de Montréal. En 1887, il démissionne de son poste de supérieur des oblats. Il a cependant assez d’énergie pour organiser un concile provincial qui se tient à Saint-Boniface du 16 au 24 juillet 1889, afin de faire le point sur le développement de l’Église catholique dans l’Ouest. Les sept pères conciliaires adoptent d’importantes propositions : érection en diocèse du vicariat apostolique de Colombie-Britannique [V. Paul Durieu], division du diocèse de Saint-Albert, désignation d’un délégué oblat permanent pour les Amérindiens, décrets sur la foi, le zèle des âmes, le culte divin, l’éducation chrétienne, qui tous tendent à unifier les croyances, uniformiser les pratiques et aviver l’ardeur pastorale.
À l’évidence, les pères conciliaires ont aussi voulu consolider les positions catholiques dans l’Ouest au moment où se pose la question des écoles catholiques. En mars 1890, le gouvernement de Thomas Greenway*, en dépit des promesses données par son procureur général Joseph Martin* et par Greenway lui-même, fait adopter deux projets de loi qui restructurent le département de l’Éducation et abolissent le système d’enseignement public catholique et protestant au Manitoba.
Ces mesures soulèvent l’ire des catholiques, tant anglophones que francophones. N’ayant pas réussi à persuader le lieutenant-gouverneur Schultz de ne pas sanctionner cette législation scolaire dont la constitutionnalité est douteuse – de fait, Schultz lui-même ne l’a d’ailleurs sanctionnée que contraint par Macdonald – Mgr Taché, dont la santé ne cesse de se détériorer, prend la tête du mouvement de résistance et demeurera jusqu’à sa mort celui qui, dans le camp catholique, décide de la stratégie à suivre. Tout de suite, il essaie d’obtenir du gouvernement fédéral la non-reconnaissance du nouveau régime scolaire. Il signe le 7 avril 1890 une pétition au gouverneur général qu’il fait suivre, le 12, d’une lettre personnelle dans laquelle il réclame un remède juste et équitable. Il dépêche à Ottawa un délégué personnel, James-Émile-Pierre Prendergast*, pour faire des pressions en faveur de la non-reconnaissance. En mai, déçu des tergiversations du parti conservateur, mécontent du compromis élaboré par le ministre de la Justice, sir John Sparrow David Thompson, sur la question de la langue, ulcéré du peu d’appuis qu’il trouve auprès des hommes politiques de la province de Québec, il presse Mgr Laflèche de remuer ciel et terre pour amener le gouvernement à refuser de reconnaître la loi. Mais les hommes politiques, tant libéraux que conservateurs, convaincus que cette question peut faire éclater les partis politiques, préfèrent temporiser. Prétextant la grande difficulté de circonscrire les droits existants au moment de l’annexion du Manitoba, le ministre de la Justice, puis Langevin, Joseph-Adolphe Chapleau et sir Adolphe-Philippe Caron* convainquent Laflèche qu’il vaut mieux pour le moment s’en remettre aux instances judiciaires, quitte à intervenir par la suite s’il y a lieu. Taché, la mort dans l’âme, se rend peu à peu aux arguments des hommes politiques. Il n’en décide pas moins de maintenir le mouvement de résistance sur un pied de guerre et de tenir la question ouverte devant l’opinion publique. Il fait convoquer en juin 1890 un congrès national à Saint-Boniface, et veille cependant à ce que les laïques en prennent la tête. Il publie le 15 août une lettre pastorale, et en septembre, fait remettre au gouverneur général une pétition signée par 4 266 catholiques du Manitoba. Ces documents ne demandent pas la non-reconnaissance de la loi mais pressent le gouvernement d’agir. Celui-ci remet l’affaire aux tribunaux. De son côté, Taché en accord avec Laflèche reporte après le scrutin de mars 1891 son projet d’une lettre collective des évêques canadiens qui aurait incité – sinon obligé – les électeurs catholiques à voter pour des candidats favorables à un redressement de la situation scolaire manitobaine. C’est sans doute la crainte de ne pas obtenir une majorité décisive et de faire le jeu des libéraux qui motive Taché et Laflèche. En mars, 28 des 29 évêques catholiques canadiens signent une requête collective au gouverneur réclamant justice pour les catholiques du Manitoba qui, elle non plus, ne demande pas la non-reconnaissance. Le cabinet conservateur en est tout à la fois étonné et heureux, et le journaliste Joseph-Israël Tarte* se demande par quelle voie on pourra rapidement et efficacement redresser la situation scolaire manitobaine. C’est ainsi que Tarte en viendra en 1893 à conclure que durant son séjour à l’Hôpital Général de Montréal à l’hiver de 1890–1891 Mgr Taché avait fait une entente avec Chapleau pour ne pas embarrasser le gouvernement conservateur et que, de ce fait, en cessant de réclamer la non-reconnaissance de la loi avant les élections, l’évêque avait miné les chances de succès de la cause manitobaine.
Taché redoutait que la politique scolaire du Manitoba fasse tache d’huile, et les événements lui donnent raison. En Ontario, la Protestant Protective Association réclame la suppression des écoles séparées et le Mail, stimulé par le nationalisme ostentatoire d’Honoré Mercier, continue d’afficher un anticatholicisme agressif [V. Christopher William Bunting]. La croisade anticanadienne-française qu’a menée D’Alton McCarthy dans l’Ouest trouve un écho favorable dans les Territoires du Nord-Ouest. À ce dernier endroit, le gouvernement adopte en 1892 une autre ordonnance qui réduit encore les droits des écoles catholiques. Taché proteste en vain. Thompson, devenu premier ministre, refuse de condamner cette politique. De déboire en déboire, Taché en vient à ne plus croire en la justice des tribunaux et à reprocher à Thompson de mal conduire le dossier scolaire. Le Manitoba’s School Amendment Act de 1894, qui assure l’application stricte de la loi scolaire manitobaine dans les districts ruraux, porte son exaspération à son comble. Pourtant, depuis la remise en question du système d’enseignement au Manitoba, Taché a vaillamment combattu par sa parole, par ses gestes et par ses écrits. Il a publié nombre de documents dans lesquels il pose la genèse du problème scolaire et légitime ses positions. Il a évoqué six arguments fondamentaux en faveur d’un réseau d’écoles publiques catholiques et protestantes : le droit des parents de communiquer leurs croyances et leurs mœurs à leurs enfants ; le droit d’enseigner de l’Église catholique ; les droits historiques acquis ; les droits juridiques reconnus par l’Acte du Manitoba et par les ordonnances des Territoires du Nord-Ouest ; la compatibilité d’un réseau d’écoles publiques catholiques et protestantes avec la tradition britannique ; l’hypocrisie de la législation. Mgr Taché accorde beaucoup d’importance à ce dernier argument. Dans son opinion, Joseph Martin, qui trouvait inique d’obliger les catholiques à fréquenter les écoles protestantes, voulait séculariser le système d’enseignement. Un tollé du clergé protestant l’aurait obligé à reculer et les législateurs se seraient contentés d’appeler neutres des écoles qui, de fait, étaient protestantes. Les nouvelles écoles non confessionnelles sont simplement la continuation des anciennes écoles protestantes, et Taché en fait la démonstration : les administrateurs et les inspecteurs sont tous protestants ; les professeurs sont protestants ; les programmes d’enseignement religieux et moral des nouvelles écoles sont exactement les mêmes que ceux des écoles protestantes ; on y trouve les mêmes prières, les mêmes passages de l’Écriture et la même latitude accordée au libre examen. De ce fait, selon Taché, ce nouveau système d’enseignement va à l’encontre des principes démocratiques et, aux yeux des catholiques, il est et sera toujours hypocrite et persécuteur.
Les articles de Taché ébranlent l’opinion publique, mais il n’en verra pas les conséquences. Le 2 mai 1894, sa santé se détériore davantage. Il prononce le 3 juin une dernière homélie dans sa cathédrale et meurt le 22 juin. Catholiques et protestants défilent devant son cercueil. Mgr Laflèche prononce son oraison funèbre. On dépose son corps dans un caveau réservé aux évêques, près de celui de Mgr Provencher.
Taché fut l’une des personnalités les plus éminentes du Nord-Ouest, mais sans doute aussi l’une des plus difficiles à situer dans l’histoire canadienne. Plusieurs interprétations sont possibles, car le jugement historique dépend pour beaucoup des présupposés idéologiques, conscients ou inconscients, de l’historien. Sur le plan individuel, Taché a pleinement vécu son désir de travailler à son salut personnel par le service auprès des plus démunis. La charité, la paix et la joie qu’il rayonnait l’ont fait considérer comme un saint par son entourage. Wilfrid Laurier*, qui le jugeait comme tel, précisait : un saint homme mais un homme naïf, autrement dit, un être dépourvu du sens politique. Ce jugement est un peu superficiel. Taché était issu d’un milieu où l’harmonie était sans cesse à refaire entre catholiques et protestants, francophones et anglophones, vainqueurs et vaincus. Il avait été éduqué dans la fierté nostalgique d’une tradition familiale aristocratique, dans l’intransigeance triomphaliste d’une spiritualité ultramontaine, dans le culte de la supériorité de l’Occident. C’était donc un conquérant parti transplanter dans le Nord-Ouest la civilisation occidentale, la religion catholique et la culture canadienne-française. Ses origines et ses objectifs éclairent sa vision du devenir du Nord-Ouest et déterminent son action tant apostolique que politique.
Taché a respecté et aimé les Métis et les Amérindiens ; il leur a communiqué les lumières et les vérités de l’Occident ; il leur a fait prendre conscience de leurs droits sur leurs terres ancestrales et sur la gestion de leur vie quotidienne. Cependant, en bon Occidental pour qui la civilisation s’arrête aux frontières de la chrétienté et du rationalisme grec, il n’a jamais pris pleine conscience des droits culturels de ceux qu’il appelait ses enfants, si ce n’est les droits de la langue, de la religion et du mode de vie qu’il leur avait inculqués. De ce fait, il a, à son insu, miné la culture des autochtones et sapé leur capacité de résistance au front pionnier.
Taché a calqué son diocèse sur le modèle de l’Église catholique québécoise : dogmatisme intransigeant, morale rigoriste, hiérarchisation rigoureuse des clercs et des fidèles, religiosité démonstrative et sentimentale – tout cela vécu sur le mode paternaliste. Comme tout évêque canadien-français dans un front pionnier, il a été un agent de développement socio-économique et culturel. Mais il a toujours envisagé les problèmes dans une perspective catholique et non ethnique. Son argumentation dans la question scolaire en témoigne, de même que sa stratégie de mettre de l’avant des Irlandais catholiques pour contester la validité de la législation devant les tribunaux [V. John Kelly Barrett*].
Alexandre-Antonin Taché a vécu au moment où l’émergence de l’Ouest a forcé le gouvernement fédéral à montrer son vrai visage d’alors : un appareil politique au service de la bourgeoisie et de la culture anglo-saxonne protestante, sous la gouverne de timoniers dont l’agir épouse les nécessités du pouvoir. Il a vainement défendu l’idée d’une synthèse politique harmonieuse des deux grandes traditions à l’origine du Canada actuel. Il a été vaincu, mais pas par manque de sens politique. Les péripéties de son action ne sont que le processus contingent d’un affrontement de forces inégales. Promettre ou ne pas promettre l’amnistie, s’appuyer sur les libéraux ou sur les conservateurs dans la question scolaire et tant d’autres prises de position ne pouvaient à long terme changer le cours des choses enclenché au moment de la Confédération. Taché a fort bien vu que le Manitoba, cette entité politique officiellement confessionnelle et bilingue, allait succomber sous le poids du nombre et des coups de butoir d’une majorité politique intransigeante, bien décidée à créer l’Ouest à son image et à sa ressemblance. À long terme, sa défaite est révélatrice de l’incapacité de l’impérialisme ontarien naissant à définir une identité canadienne qui tienne compte de tous les individus et toutes les collectivités qui cohabitent dans l’aire politique qu’elle englobe. Le Je ontarien, construit contre et non parmi les autres, n’a jamais pu devenir un Nous national même s’il en a pris les allures. Canada First a toujours signifié pour les autres Ontario First. C’est cet échec qui a rendu d’actualité dans les années 1970 certains éléments fondamentaux de la pensée de Mgr Taché et nourrit, année après année, les régionalismes séparatistes.
Mgr Alexandre-Antonin Taché a laissé une correspondance volumineuse et variée que l’on retrouve principalement aux AAQ, aux AN, aux Arch. de l’archevêché de Saint-Boniface (Saint-Boniface, Manitoba), aux Arch. des oblats de Marie-Immaculée (Montréal), aux Arch. du séminaire de Trois-Rivières (Trois-Rivières, Québec), aux Arch. générales des oblats de Marie-Immaculée (Rome), aux Arch. hist. oblates (Ottawa), aux PAM et PAM, HBCA.
Les lettres de Taché qui ont été publiées, tout comme ses ouvrages, ont été recensés dans : J. M. Greene, « The writings of Archbishop Taché » (thèse de m.a., Univ. of Western Ontario, London, 1953) ; et L.-M. [Parent], « Monseigneur Taché, écrivain » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1952).
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Jean Hamelin, « TACHÉ, ALEXANDRE-ANTONIN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/tache_alexandre_antonin_12F.html.
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Auteur de l'article: | Jean Hamelin |
Titre de l'article: | TACHÉ, ALEXANDRE-ANTONIN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 11 nov. 2024 |