RATHBUN, EDWARD WILKES, homme d’affaires et homme politique, né le 5 octobre 1842 à Auburn, New York, deuxième fils de Hugo Burghardt Rathbun et de Louisa Storm ; le 18 novembre 1863, il épousa Elizabeth How Burt (décédée en 1871), et ils eurent un fils et une fille, puis le 11 juin 1873, Bunella McMurrich, fille de John McMurrich*, et de ce second mariage naquirent trois fils et trois filles ; décédé le 24 novembre 1903 à Deseronto, Ontario.

Edward Wilkes Rathbun reçut sa première éducation à New York et y acquit l’expérience des affaires dans les bureaux d’une maison de commerce avec les Indes orientales, la Storm, Smith and Company. En 1848, son père vint dans le Haut-Canada en compagnie de deux associés aussi originaires d’Auburn, et l’année suivante, ils ouvrirent une scierie dans la baie de Quinte, à Mill Point (Deseronto à compter de 1881). Les trois hommes ayant mis fin à leur association, le jeune Edward rejoignit son père à Mill Point en 1862 et prit, deux ans plus tard, la direction de l’entreprise. En 1872, un incendie détruisit l’installation. Les Rathbun construisirent alors la scierie appelée Big Stone Mill : elle s’approvisionnait à des concessions forestières qui s’étendaient jusque dans la région de Parry Sound, et sa capacité de production annuelle atteignait 50 millions de pieds-planches. En 1881, selon le Napanee Beaver, l’entreprise exploitait 575 milles carrés de concessions, des cours de vente au détail dans tout l’Ontario et de vastes installations de carénage à Oswego, dans l’État de New York. Deux ans plus tard, elle fut constituée juridiquement sous le nom de H. B. Rathbun and Sons ; Edward en était président et directeur général. En 1886, son père mourut, et il se retrouva seul à la tête de la compagnie.

Depuis le début des années 1880, Rathbun n’était plus un simple entrepreneur forestier. Suivant un plan d’ensemble soigneusement conçu, il était en train de créer, comme il le disait, une « chaîne d’industries pour prolonger l’exploitation forestière et utiliser les sous-produits de la forêt et des scieries ». Cette chaîne comprenait un chantier naval, une fabrique de bardeaux de cèdre et une fabrique de châssis, volets et portes (la plus grande au Canada, disait-on) où l’on faisait de tout, des manches à balai aussi bien que des tiges d’allumette. Construite en 1879, la Deseronto Flour Mill, première minoterie à rouleaux commerciale du pays, vendit de la farine dès le début de 1880. La Napanee Cement Works, dont Rathbun était le principal investisseur et le président, fut aussi fondée en 1879 ; d’abord située à Napanee même, elle s’installa à Napanee Mills (Strathcona) peu de temps après. Dans le courant de l’année 1880, les Rathbun constituèrent juridiquement la Deseronto Navigation Company, qui transportait des passagers et des marchandises entre divers points du lac Ontario et sur le Saint-Laurent jusqu’à Ogdensburg. Les vapeurs étaient alimentés par des déchets de bois acheminés par convoyeur à partir de la Big Stone Mill. En 1883, la Deseronto Gas Works produisait, uniquement à partir de sciure, du gaz d’éclairage pour les commerces et la municipalité. Voyant tout cela, quelqu’un qui visitait Deseronto s’exclama : « Des déchets ! Il n’y a pas de déchets ici – on tire quelque chose de tout. »

Les entreprises des Rathbun connurent une expansion ininterrompue jusqu’à la fin des années 1890. En prenant possession, en 1883, du chemin de fer de Napanee, Tamworth et Québec, et en y ajoutant par la suite des embranchements qui le rattachaient à Tweed, à Kingston, au Grand Tronc et au chemin de fer canadien du Pacifique, Rathbun put relier ses établissements industriels à des sources d’approvisionnement. Par exemple, du grain de l’Ouest arrivait directement à sa minoterie par train. En 1887, Rathbun exploitait une usine de wagons, et il lança la production dans deux autres usines : une fabrique de terre cuite (la première du genre au Canada) qui produisait des matériaux réfractaires avec de l’argile locale et de la sciure, et une usine qui tirait alcool et charbon de déchets de bois apportés directement aux fours par chemin de fer. Quelques années plus tard, à Strathcona, sur la ligne du Napanee, Tamworth et Québec, l’ingénieur de Rathbun, Matthew Joseph Butler*, procédait à des essais en vue de produire du ciment de Portland (utilisé aujourd’hui dans la fabrication du béton). Une autre cimenterie fut construite à Marlbank ; les deux établissements puisaient dans des dépôts locaux de marne et d’argile deux des ingrédients nécessaires à leurs opérations. Selon le rapport que déposa en 1905 le Bureau des mines de l’Ontario, la compagnie de Rathbun fut la première à produire du ciment de Portland au Canada, soit en 1891, « après cinq ans de fabrication expérimentale ». De ces entreprises naquit la Canada Portland Cement Company, constituée juridiquement en 1900 et dont Rathbun fut le premier président. À l’époque, il était millionnaire, membre du conseil d’administration du Queen’s College de Kingston ainsi que de celui de son école des mines. Presbytérien convaincu, il fut 42 ans surintendant de la Union Sunday School de Deseronto.

Sous le régime des Rathbun, Deseronto était tout à fait une ville patronale. Rathbun en devint maire en 1889 (année où la ville fut érigée en municipalité) et le resta jusqu’à sa mort ; son frère Frederic Sherwood assuma les fonctions de trésorier et de maître de poste. L’entreprise de Rathbun acquittait près de la moitié des taxes municipales. Le cimetière, la salle de concert, le parc et les terrains de l’église étaient tous des dons de la famille Rathbun ; de même, l’éclairage des rues, le service des incendies, la fanfare, le journal et le réseau téléphonique venaient de l’entreprise. Pendant de nombreuses années, les employés furent payés en bons échangeables au magasin de la compagnie. Les maisons des travailleurs et l’allure de la ville témoignaient du souci tout paternel que Rathbun avait du bien-être de ses employés.

Bien que Rathbun se soit abstenu de briguer les suffrages au provincial et au fédéral, il joua un rôle en politique durant toute sa carrière en tant que militant de parti et mandataire de groupes de pression. En 1902, il déclara à sir Wilfrid Laurier* qu’il était un ministériel – qu’il appuyait « plus les décisions que les hommes ». Pendant les années où le libéral Alexander Mackenzie* fut premier ministre du pays, c’est-à-dire de 1873 à 1878, il soutint Richard John Cartwright*, député de Lennox avec qui il avait d’étroits liens d’affaires. Pendant les périodes de domination conservatrice, il appuya fermement le gouvernement, en échange de quoi celui-ci lui donna des primes pour ses chemins de fer et l’autorisa à les prolonger. Ces faveurs lui vinrent surtout par l’entremise de sir Alexander Campbell*, son « bon ami » et « allié » du cabinet de sir John Alexander Macdonald*. Sur la scène provinciale, Rathbun appuya les gouvernements libéraux d’Oliver Mowat et d’Arthur Sturgis Hardy. Mowat, expliquait-il, « a [toujours] traité honorablement avec moi – et je l’ai apprécié. »

Après la victoire des libéraux aux élections fédérales de 1896, Rathbun devint un partisan de Laurier, en partie parce qu’il avait un besoin constant de faveurs. Ce virage réflétait aussi l’expansion du rôle de mandataire de l’Ontario Lumbermen’s Association qu’il exerça à compter de 1897, année où le tarif de Dingley imposa de nouveau un droit sur le bois d’œuvre canadien qui entrait aux États-Unis mais non sur les billes. Avec John Bertram, il préconisa une condition pour les fabricants : une politique protectionniste visant à décourager l’exportation de matières premières et à stimuler le développement, au Canada, de la transformation des produits forestiers. Toujours en 1897, avec Bertram, Alexander Kirkwood et d’autres, Rathbun siégea à une commission provinciale chargée d’étudier des plans visant à préserver la ressource forestière par la coupe sélective et la protection contre les incendies. Convaincu de la nécessité de la conservation et de la « foresterie pratique », Rathbun participa à la fondation de la Canadian Forestry Association et en fut administrateur.

La dernière entreprise de Rathbun, un haut fourneau qui utilisait le charbon de bois de son usine, vit le jour à Deseronto en 1898 et entra en production un an plus tard. Le budget fédéral de 1897 encourageait, par des primes, la fabrication de fer et d’acier canadiens. Cependant, l’usine n’était pas rentable et dut fermer peu après 1903. D’autres problèmes assombrirent les dernières années de Rathbun : par exemple, en 1896 et en 1898, de graves incendies détruisirent une partie de ses quais et de son bois ainsi que sa minoterie et sa fabrique de terre cuite. En 1891, il n’avait pu faire l’acquisition de la Gilmour and Company de Trenton [V. Allan Gilmour*] ni de ses concessions forestières, ce qui mit fin à sa recherche de nouvelles réserves de bois. Moins d’une décennie après sa mort, qui survint en 1903, des difficultés financières entraînèrent la vente ou la fermeture de son usine de ciment de Portland, de sa fonderie et de son réseau ferroviaire.

Selon la notice nécrologique du Canadian Engineer, Edward Wilkes Rathbun était un « capitaine d’industrie [...] qui exploitait avec audace des idées et des méthodes nouvelles ». Même si son empire industriel finit par s’effondrer, il mérite de figurer parmi les entrepreneurs canadiens du xixe siècle pour avoir tenté d’assurer la permanence de son exploitation forestière en recourant à des méthodes progressistes de foresterie, en utilisant les sous-produits du bois et en usant d’imagination afin d’établir des industries de transformation reliées à la forêt.

James Albert Eadie

L’auteur remercie Mme Nora H. Rathbun, de Deseronto, Ontario, pour les détails concernant la famille tirés de sa collection de coupures de journaux et d’autres documents.  [j. a. e.]

Edward Wilkes Rathbun a publié deux brochures sur la question du bois et de la pâte à papier, Shall we place an export duty on sawlogs and pulpwood ? ([Deseronto, 1897]) et The conference and the lumber question from a Canadian viewpoint (Deseronto, 1898), dont les textes figurent dans deux lettres dactylographiées qui se trouvent dans les papiers Laurier aux AN, MG 26, G : 15183–15194 et 26734–26746, respectivement. Deux autres brochures traitant de questions de politique publiées par Rathbun sont énumérées dans Canadiana, 1867–1900 et dans le Répertoire de l’ICMH.

AN, MG 26, A ; G.— AO, F 23. —J. E. Morrison, « The Rathbun story », Napanee Beaver (Napanee, Ontario), 23 janv.–8 mai 1963.— Napanee Beaver, 9 juill. 1881.— Standard (Napanee), 1873–1886.— Tribune (Deseronto), 1883–1903, particulièrement 4 févr., 15 avril 1898, 25 janv. 1899, 27 nov. 1903, aussi coupure en la possession de Mme Rathbun, « Iron works destroyed », du numéro du 4 sept. 1908, qui n’existe plus.— Canada, Statuts, 1883, c.89.— Canada Lumberman (Peterborough, Ontario ; Toronto), 2 (1881)–24 (1903).— Canadian Engineer (Toronto), 11 (1903) : 349.— J. A. Eadie, « Edward Wilkes Rathbun and the Napanee, Tamworth and Quebec Railway », OH, 63 (1971) : 112–130.— P[eter] Gillespie, « Cement industry of Ontario », Ontario, Bureau of Mines, Report (Toronto), 1905 : 118–183.— D. F. Hewitt, « The Portland cement industry in Ontario », Ontario, Depart. of Mines, Industrial Mineral Report (Toronto), n° 25 (1968).— Politics of development.— Northwestern Lumberman (Chicago), 5 sept. 1891.— Rathbone genealogy ; a complete history of the Rathbone family, dating from 1574 to date, J. C. Cooley, compil. (Syracuse, N.Y., 1898).— A. C. Tagge, The cement industry in Ontario (Montréal, 1924).— Larry Turner, « Background paper on the Rathbun Company » (document de recherche préparé pour le ministère des Richesses naturelles de l’Ontario, district de Napanee, 1977 ; un exemplaire est déposé aux Lennox and Addington Museum Library and Arch., Napanee).

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James Albert Eadie, « RATHBUN, EDWARD WILKES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/rathbun_edward_wilkes_13F.html.

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Auteur de l'article:    James Albert Eadie
Titre de l'article:    RATHBUN, EDWARD WILKES
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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