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KIRKE (souvent appelé en français Kertk, Quer(que) ou Guer), sir DAVID, aventurier, négociant, colonisateur, chef de l’expédition qui s’empara de Québec en 1629, et plus tard gouverneur de Terre-Neuve, né vers 1597 à Dieppe, décédé en 1654 près de Londres.
David était le plus âgé des cinq fils de Gervase (Jarvis) Kirke, du Derbyshire, marchand à Londres et à Dieppe et d’Elizabeth Gowding (Goudon), laquelle était peut-être la fille d’un marchand anglais établi à Dieppe (BM, Add. MS 5 533, 215). Par sa situation d’importateur de Dieppe, Gervase devait être bien renseigné sur les entreprises françaises en Amérique du Nord. Quelques marchands de Londres, dont était Gervase, constituèrent en 1627 une compagnie dont l’objet était le commerce et la colonisation sur les bords du Saint-Laurent. La même année, la guerre se déclara entre la France et l’Angleterre. La compagnie commandita alors une expédition commandée par David Kirke, qui fut chargé par le roi, Charles Ier, d’évincer les Français du « Canida ». Accompagné de ses frères, Lewis, Thomas, John et James (ce dernier appelé parfois Jarvis), David Kirke partit avec trois vaisseaux, probablement escortés d’une flottille amenant des colons à la colonie projetée par Sir William Alexander à Port-Royal. Il se peut que Kirke se soit arrêté à l’établissement de Lord Baltimore [V. Calvert] à Ferryland, Terre-Neuve, avant de remonter le Saint-Laurent et de s’emparer de Tadoussac. Il prit un vaisseau porteur de provisions pour Québec et il envoya des pêcheurs basques demander à Champlain la capitulation du fort. Champlain, qui attendait du secours de France, rejeta la demande et Kirke renonça à attaquer Québec. Les vaisseaux anglais reprirent la route de l’Angleterre, mais ils rencontrèrent peu après la flotte française de quatre vaisseaux que commandait l’amiral Roquemont de Brison. Ils s’en emparèrent, sans subir de pertes, après un bref combat. Quand Paris apprit ces événements, on brûla les frères Kirke en effigie parce que, nés à Dieppe, on les tenait pour des sujets français, et leurs derniers actes passaient pour de la trahison envers le roi Louis.
Les commanditaires des Kirke, frappés par l’importance de leur exploit, demandèrent des lettres patentes leur accordant le droit exclusif de la traite et de la colonisation au Canada. Sir William Alexander se plaignit que de telles lettres empiéteraient sur ses droits aux territoires à lui concédés, le 7 février 1627/1628, sous le grand sceau d’Écosse. Les deux groupes firent un compromis et formèrent la Company of Adventurers to Canada dans le but d’établir une colonie anglo-écossaise à Tadoussac. Alexander y avait droit à tout le territoire de Tadoussac à dix lieues à la ronde, des deux côtés du fleuve, et la compagnie conservait la liberté de la traite et l’accès aux havres.
Une deuxième flotte, de six vaisseaux et de trois pinasses, quitta Gravesend en mars 1629 sous le commandement des frères Kirke, avec Jacques Michel, un déserteur de la colonie de Champlain, qui, de nouveau, leur servit de pilote sur le fleuve. De Québec, où la petite garnison était alors au bord de la famine, Champlain envoya un détachement à la rencontre des vaisseaux de secours, commandés par Émery de Caën, qui apportait la nouvelle de la paix, signée en avril, par le traité de Suse. Bien qu’il atteignit de Caën dans le golfe, le détachement fut fait prisonnier par les Anglais pendant son voyage de retour à Québec. David Kirke, mis au courant de l’état désespéré de la situation à Québec, envoya Lewis et Thomas, du poste de Tadoussac. N’ayant d’autre solution, Champlain se rendit le 19 juillet 1629.
En dépit du traité de Suse, Charles Ier refusa de restituer les territoires conquis en Amérique du Nord tant que la dot de sa femme ne serait pas acquittée par son beau-frère, le roi de France, Louis XIII. Les négociations prolongées à propos de la dot et de la propriété des fourrures confisquées à Québec par les Kirke se terminèrent en 1632 au traité, de Saint-Germain-en-Laye, et les Marchands aventuriers reçurent l’ordre de rendre Québec et Port-Royal aux Français. Dans l’intervalle, les Anglais avaient occupé Québec, cependant que la Company of Adventurers to Canada poursuivait la traite des fourrures et s’opposait à ce que des intrus, tant français qu’anglais, y participassent ; ils entretinrent 200 hommes au Canada et explorèrent « 400 lieues » à l’intérieur. En reconnaissance de leurs services, David Kirke fut créé chevalier en 1633, et Lewis (qui fut créé chevalier en 1643) reçut les lettres patentes – dont la validité était contestable – lui concédant la traite dans le Saint-Laurent.
Sir David écrivit en 1635 une description de Terre-Neuve inspirée d’une exploration, de date incertaine, et, le 13 novembre 1637, il reçut la copropriété de cette île avec le marquis (plus tard duc) de Hamilton et les comtes de Pembroke et de Holland. On annula les droits antérieurs de Lord Baltimore à Avalon en l’accusant d’avoir quitté son établissement à Ferryland [autre version dans Hill]. Les lettres patentes émises à la Company of Adventurers to Newfoundland leur interdisaient de s’établir à moins de six milles des côtes et de gêner en quoi que ce soit les pêcheurs de passage. On rendait les pêcheries complètement libres, mais Kirke reçut l’autorisation de percevoir un droit de 5 p. 100 sur l’huile et sur tout le poisson pris par les pêcheurs étrangers. Les armoiries accordées aux Adventurers sont celles de la province de Terre-Neuve aujourd’hui. À titre de premier gouverneur de Terre-Neuve, Sir David prit possession, en 1639, de l’hôtel particulier de Lord Baltimore et des autres propriétés sises à Ferryland. La même année, les quatre frères Kirke étaient naturalisés britanniques.
Peu après, Sir David, en sa qualité de gouverneur de Terre-Neuve, entra en lutte avec les entreprises de pêche de l’Ouest de l’Angleterre, appelées les Western Adventurers, qui étaient résolus à maintenir leur autorité sur les pêcheries des grands bancs en empêchant la colonisation dans l’île. Sir David amena plus de 100 colons, construisit des forts à Ferryland, à Saint-Jean et à la baie de Verde, et imposa des droits à tous les vaisseaux de pêche. Les Western Adventurers l’accusèrent d’avoir loué les pêcheries privilégiées à des étrangers, d’avoir détruit leurs magasins de salaison et d’avoir aidé à désorganiser l’industrie en ouvrant des tavernes le long de la côte. Dans sa réponse, Kirke montra les préjugés de ses accusateurs et les méfaits, de ceux qui ne venaient à Terre-Neuve qu’à la belle saison.
À cause de ses relations de famille et de ce qu’il devait à la faveur royale, Sir David prit le parti de Charles Ier pendant la guerre civile. Le prince Rupert ayant réussi à convaincre une partie de la marine de se ranger, en 1648, du côté du roi, le gouvernement des puritains craignit que Terre-Neuve, où commandait Kirke, ne servît aux royalistes de base d’opérations navales contre-révolutionnaires. Sir David, qui correspondit parfois avec l’archevêque Laud, engagea, en 1649, 400 marins, censément : comme pêcheurs. Aussi l’île fut-elle mise sous la surveillance de la marine, et son accès soumis à une réglementation sévère, dont Sir Lewis Kirke subit les effets.
Sir David fut rappelé en Angleterre en 1651 pour répondre à l’accusation d’avoir retenu des droits perçus au nom du gouvernement. Sa propriété fut administrée par des commissaires, dont Treworgie, qui furent également chargés de la perception des droits sur les pêcheurs étrangers. L’année suivante, on. nomma d’autres commissaires pour diriger « les affaires et les intérêts du Commonwealth à Terre-Neuve », lesquels incluaient la défense de l’île contre le prince Rupert. Il semble que Treworgie ait eu la direction des affaires sur les lieux jusqu’en 1659. Les biens de Kirke furent mis temporairement sous séquestre, et lui-même fut convoqué plusieurs fois en Angleterre pour comparaître devant le Conseil d’État. Seul survivant des concessionnaires aux lettres patentes originales, Sir David transféra les cinq sixièmes des droits de concession au beau-fils de Cromwell. Peut-être le fit-il pour des raisons politiques. Les accusations portées contre Sir David ne furent jamais établies, et sa femme reçut l’autorisation de retourner à Terre-Neuve pour y diriger ses affaires. Sir David fut cependant incarcéré à la demande des héritiers de lord Baltimore pour la confiscation de Ferryland en 1639. C’est pendant sa détention, probablement à la geôle de Southwark, qu’il mourut, vers la fin de 1654. Des commissaires envoyés à Terre-Neuve en 1651 furent, à leur tour, arrêtés sur une plainte portée par James Kirke à propos d’une dette de £1 100 qu’ils devaient à la succession de Sir David.
Il semble que Lady Kirke et ses fils, George, David et Philip, continuèrent à habiter Terre-Neuve. Mais, à la Restauration, Cecil Calvert, le deuxième Lord Baltimore, parvint à ravoir la concession de son père à Avalon. Cependant, il ne fit jamais valoir ses droits. Au nom de l’aîné de ses neveux, George, Sir Lewis demanda une indemnité pour les améliorations faites à Ferryland par les Kirke. Lady Kirke s’adressa au roi pour solliciter la nomination de George comme gouverneur de Terre-Neuve, ce que souhaitaient les Terre-Neuviens eux-mêmes, mais on ne nomma pas de gouverneur résident. Lady Kirke et ses enfants se trouvaient encore à Ferryland en 1673 quand une flotte hollandaise saccagea et incendia l’établissement. Dix ans plus tard, en 1683, Sir John Kirke, dont la fille avait épousé Radisson*, et qui était lui-même membre de la Hudson’s Bay Company du prince Rupert, sollicita une indemnité du roi pour lui-même et pour les familles de Sir David et de Sir Lewis, en réparation des pertes subies pendant la conquête du Canada en 1629, et dont les Français ne les avaient jamais dédommagés. La dernière référence à George Kirke semble être de 1680, date à laquelle on le proposa comme percepteur des droits imposés à tous les vaisseaux de pêche des eaux territoriales de Terre-Neuve.
Le caractère de David Kirke reste obscur et discuté : héros aux yeux des écrivains anglais, pirate pour quelques Français. On à condamné ses agissements à Québec comme ceux d’une un bigot colère et avide ; cependant, ses rapports avec Champlain semblent avoir été courtois et même cordiaux. À une époque de violence, Kirke se conduisit à Terre-Neuve comme une sorte de souverain de l’île des pêcheries, ne dépendant que de lui-même, évinçant l’agent de Lord Calvert et imposant ses propres conditions aux vaisseaux de pêche de passage. Et pourtant les enquêtes des parlementaires puritains sur les actes de ce royaliste avéré ne purent prouver aucune malversation de sa part.
Les sources manuscrites pour la biographie de Kirke sont comparativement peu nombreuses et dispersées ; la plus grande partie s’en trouve dans PRO, Acts of P.C, col. ser., 1613–1680 ; C.O. 1/5, 6,10,12,14–17, 21,22, 24,25,34,44, 66 ; S.P. 25/16,18,25 ; 78/85–91 (correspondance diplomatique se rapportant à la restitution de Québec et à l’usage fait des fourrures confisquées).— Somerset House, Surrey and Sussex wills, Alchin, f.379 (preuve documentaire quant à la date et au lieu du décès de David Kirke).— Champlain, Œuvres (Biggar), VI.— Du Creux, History (Conacher).— Lescarbot, Histoire (Grant), III : relation sommaire de la prise de Québec.— Mémoires des commissaires, I : 42s., 71, 160 ; II : 275–277,484–488 ; IV : 279s., 301 ; Memorials of the English and French commissaries, I : 115, 145, 214, 401, 421, 569, 571.— Sagard, Histoire du Canada (Tross), IV et passim.— Léon Pouliot, Que penser des Frères Kirke ?, BRH, XLIV (1938) : 321–335, traite de la question de la nationalité des frères Kirke.— L. D. Scisco, Kirke’s memorial on Newfoundland, CHR, VII (1926) :46–51.— La seule monographie sur les Kirke est celle de Henry Kirke, The first English conquest of Canada, dont la deuxième édition (London, 1908) corrige plusieurs inexactitudes de la première (1871), mais ne donne pas toutes les sources documentaires.— Biggar, Early trading companies, fait le mieux ressortir le rôle que jouèrent les Kirke dans l’histoire du Canada et de l’Acadie.— Martin Parker, England’s honour revived by the valiant exploytes of Captaine Kirke : News from Canada, 1628, ed. J. Stevens Cox (Beaminster, Dorset, 1964).
John S. Moir, « KIRKE (Kertk, Quer(que) ou Guer), sir DAVID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 oct. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/kirke_david_1F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/kirke_david_1F.html |
Auteur de l'article: | John S. Moir |
Titre de l'article: | KIRKE (Kertk, Quer(que) ou Guer), sir DAVID |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 2 oct. 2024 |