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TALBOT, THOMAS, officier dans l’armée et dans la milice, colonisateur, fonctionnaire et homme politique, né le 19 juillet 1771 à Malahide (république d’Irlande), fils de Richard Talbot et de Margaret O’Reilly ; décédé le 5 février 1853 à London, Haut-Canada.

Aristocrate de naissance, Thomas Talbot était issu d’une famille de la noblesse anglo-irlandaise qui possédait des terres en Irlande depuis le xiie siècle. Quatrième fils d’une famille de 12 enfants, il vécut une enfance tranquille au château de Malahide, principale résidence familiale, où il reçut sa première éducation. Le 24 mai 1783, à l’âge de 11 ans, il obtint une commission d’enseigne dans le 66e d’infanterie. La Révolution américaine tirant à sa fin, il fut mis à la demi-solde peu après avoir été promu lieutenant, le 27 septembre. Reprenant ensuite le chemin de l’école, il fréquenta pendant plusieurs années la Manchester Free Public School en Angleterre, où de nombreux élèves issus de familles aisées payaient leurs études. En 1787, en grande partie grâce à l’influence de sa famille, il fut choisi comme aide de camp d’un parent éloigné, le marquis de Buckingham, lord-lieutenant d’Irlande. Talbot fit alors partie du 24e d’infanterie à titre de lieutenant. Pendant ses deux ans et demi de service auprès de Buckingham, il se lia d’amitié avec un autre aide de camp, Arthur Wellesley, le futur duc de Wellington. À Dublin, Talbot vécut l’intense vie mondaine des aides de camp et acquit ainsi tout l’éventail des bonnes manières et toute l’assurance qui seyaient à un aristocrate anglo-irlandais.

En 1790, c’est-à-dire dans l’année qui suivit la démission de Buckingham, Talbot rejoignit son régiment en garnison à Québec, puis le suivit à Montréal au printemps suivant. En partie grâce à la recommandation de Buckingham, John Graves Simcoe*, premier lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, fit de Talbot son secrétaire particulier en février 1792. Ainsi le jeune lieutenant eut toutes les occasions voulues de sillonner la nouvelle province et d’impressionner Simcoe par ses talents. Les liens noués par les deux hommes au cours des quatre années suivantes peuvent expliquer largement les actes ultérieurs de Talbot.

En juin et juillet 1792, Talbot accompagna Simcoe et son épouse, Elizabeth Posthuma Gwillim*, à Newark (Niagara-on-the-Lake), première capitale du Haut-Canada. Songeant à resituer la capitale au point limite de navigabilité de la rivière Thames, futur emplacement de London, Simcoe entreprit au début de 1793 une expédition par voie de terre dans cette région et à Detroit en compagnie de Talbot et d’autres. Par la suite, Talbot fut envoyé plusieurs fois en mission à l’extrémité ouest du lac Érié pour parlementer avec les Indiens au nom de Simcoe et pour rencontrer l’agent des Affaires indiennes, Alexander McKee*. Il se rendit aussi à Philadelphie, à titre de courrier de Simcoe auprès du plénipotentiaire britannique George Hammond. La liberté considérable qu’il avait de voyager par terre et par eau lui donna sans aucun doute l’occasion d’observer la région située au nord du lac Érié, où il allait vivre plus tard, et de se renseigner à son sujet.

Au début de l’été de 1794, Talbot, alors âgé de 22 ans, quitta les rangs du personnel de Simcoe. Il avait été promu capitaine dans le 85e d’infanterie l’automne précédent et avait obtenu le grade de major dès le 6 mars 1794. De retour en Angleterre en septembre, il fit encore deux ans de service actif : il combattit les Français en Hollande, alla en garnison à Gibraltar et servit en Angleterre. Le 12 janvier 1796, il acheta le grade de lieutenant-colonel dans le 5e d’infanterie. Il resta en Angleterre jusqu’à ce que la guerre contre la France le ramène en Hollande, en septembre 1799. Après le retrait des Britanniques, plus tard dans l’année, il retourna vivre en Angleterre, mais sans prévenir, le jour de Noël 1800, il vendit son grade. Presque immédiatement, à l’âge de 29 ans, il vint s’établir comme colon dans le Haut-Canada. Ce changement soudain d’orientation surprit la plupart des gens de son entourage. On ignore le motif exact de sa décision, quoique plusieurs explications aient été avancées : chagrin d’amour, ambitions politiques contrariées, incapacité d’obtenir de l’avancement dans la carrière militaire et (comme Talbot le prétendit lui-même) désir de contribuer au progrès et au développement du Haut-Canada.

Talbot fit ses débuts en agriculture en 1801 à « Skitteewaabaa », situé, croit-on, près de l’embouchure du ruisseau Kettle, sur la rive nord du lac Érié. Apparemment, il espérait pouvoir trouver place dans le système que Simcoe avait tenté d’instituer dans les années 1790 et en vertu duquel des cantons entiers devaient être accordés à des personnes importantes qui, à titre de gentry locale, choisiraient les colons et répartiraient les terres. Déçu que Simcoe ne lui ait pas réservé de terres, il communiqua bientôt avec d’éminents personnages d’Angleterre, dont le duc de Cumberland (cinquième fils de George III) et Simcoe lui-même. En faisant valoir son intention de faire venir des colons britanniques plutôt qu’américains (contrant ainsi, conformément aux vœux de Simcoe, « la tendance croissante à l’insubordination et à la révolte » dans le Haut-Canada), Talbot réussit à obtenir, à titre d’officier supérieur, une concession de 5 000 acres en mai 1803. Il choisit sa concession dans les cantons de Dunwich et d’Aldborough, situés dans le comté de Middlesex, et, le même mois, il s’établit à l’embouchure du ruisseau Talbot, dans le canton de Dunwich (à l’emplacement de Port Talbot), qu’il allait habiter pendant les 50 années suivantes. Afin d’attirer des colons dans ces cantons, il acheta en 1804 de l’équipement de minoterie et, deux ans plus tard, il construisit un moulin hydraulique qui fut très utile au nouvel établissement, jusqu’à ce que les troupes américaines le détruisent en 1814.

Au début, le plan de Talbot différait peu de ceux que suivaient les autres promoteurs en ces premières années du développement du Haut-Canada. Il devait donner 50 de ses 5 000 acres au chef de chacune des familles qu’il réussissait à attirer et, en retour, il pouvait réclamer pour lui-même 200 acres des terres que le gouvernement réservait à cette fin et qui avoisinaient les cantons de Dunwich et d’Aldborough. Talbot allait ainsi finir par posséder personnellement 20 000 acres, ce qui pouvait se comparer avantageusement aux domaines des grands propriétaires terriens d’Irlande et de Grande-Bretagne. En termes de topographie, ce plan créerait une zone à forte densité démographique qui serait enclavée dans les nouvelles propriétés de Talbot. On pouvait s’attendre qu’un établissement de ce genre prospérerait à mesure que la population augmenterait et que la distance moins grande entre les fermes allégerait le fardeau de l’isolement, en ce lieu que Talbot qualifierait plus tard d’« impénétrable contrée sauvage ».

Toutefois, en 1807, Talbot commença à s’éloigner des conditions initiales du projet en établissant des colons à l’extérieur de ses 5 000 acres. Apparemment, dans le style de la noblesse anglo-irlandaise, il souhaitait créer autour de sa résidence un domaine qui l’isolerait des colons ordinaires. Même si, en 1802, il avait exprimé à Simcoe le désir de « parvenir à établir autour de [lui] des fermiers respectables et à l’aise », il estimait nécessaire de maintenir une distance raisonnable entre Port Talbot et ses colons. Comme il l’expliquerait en 1842 à John Davidson, commissaire des Terres de la couronne : « à l’intérieur de mon domaine, [...] je n’aime pas avoir de colons, car les voisins trop proches me dérangent beaucoup ». Le gouvernement du Haut-Canada accepta le changement opéré par Talbot et, en 1808, il consentit à lui accorder 200 acres par famille de colons à titre de rémunération, que cette dernière s’établisse ou non dans sa concession originale. Il multiplia ainsi les acres qu’il pourrait obtenir. À peu près à la même époque, le gouvernement accepta qu’il revendique et alloue privément des terres sans enregistrer les transferts au bureau de l’arpenteur général situé à York (Toronto) et, par conséquent, qu’il tienne l’unique registre de ces transactions. Pendant ces premières années, l’établissement crût à un rythme extrêmement lent (de 1803 à 1808, seulement 20 familles s’y étaient établies), et les colons n’optaient pas pour des terres de 50 acres quand ils pouvaient en obtenir de 200 acres ailleurs dans la province.

Talbot semblait parfaitement conscient qu’il fallait aménager des routes entre ses propriétés isolées et d’autres établissements. Il connaissait bien les efforts tentés plus tôt en vue de résoudre des problèmes de ce genre, par Simcoe notamment, dans le cas de la rue Yonge. En 1804, il se fit nommer commissaire de la voirie dans le district de London et joua un rôle prépondérant dans l’élaboration des plans d’une route qui irait vers le sud et serait meilleure, sur le plan topographique, que la rue Dundas et la route Commissioners, qui reliaient les cantons du centre du district à la tête du lac Ontario. Le 15 février 1809, Talbot et Robert Nichol* furent nommés commissaires provinciaux par le lieutenant-gouverneur Francis Gore et reçurent le mandat de déterminer le tracé exact de cette route, qui relierait Port Talbot au district de Niagara. Le tracé de ce qui allait devenir la section est de la route Talbot fut approuvé ce mois-là par le bureau de l’arpenteur général et arpenté par Mahlon Burwell*. En tant que commissaire provincial, Talbot devait aussi superviser la distribution des terres situées en bordure de la route. Il réussit à en faire éliminer tous les lots réservés à la province, comme cela avait été fait pour la rue Yonge, et, à la fin de 1810, nombre de colons occupaient ces lots. La province exigeait d’eux que, dans un délai de deux ans, ils défrichent leur terre et y construisent une maison, et Talbot devait rapporter à quel rythme ils s’acquittaient de ces obligations. Grâce à ces activités, son aire d’influence s’étendit bien au delà des cantons de Dunwich et d’Aldborough.

L’étroite amitié qui liait Talbot à Gore l’aida à accroître la supervision qu’il exerçait en matière de colonisation. En 1811, au lieu de procéder par la voie officielle d’un arrêté en conseil, Gore autorisa verbalement la construction de deux autres routes : la section nord de la route Talbot, qui relierait Port Talbot à l’établissement du canton de Westminster, dans le haut de la vallée de la rivière Thames, et la section ouest de la même route, qui mènerait à Amherstburg, sur la rivière de Detroit. Au même moment, Talbot obtint du lieutenant-gouverneur la permission de superviser l’attribution et la colonisation des terres inoccupées de la couronne qui étaient situées dans des concessions à l’écart du tronçon est de la route Talbot, dans les cantons de Yarmouth, Malahide et Bayham. L’autorisation de Gore encouragea Talbot à agir sans délai et, ayant informé l’arpenteur général Thomas Ridout* de son plan, il s’occupa rapidement de faire arpenter les nouvelles routes par Burwell et d’installer des colons sur des lots qui les longeaient et dans des concessions situées dans l’arrière-pays. Ces mesures eurent des conséquences profondes et durables. Des fonctionnaires provinciaux qui n’avaient pas été mis au courant des engagements de Gore et avaient déjà distribué des terres dans les cantons de Malahide et de Bayham soulevèrent une tempête de protestations qui embarrassa Gore et mit Talbot en colère. L’affaire ne se régla pas facilement, en partie à cause du déclenchement de la guerre de 1812. Pendant les hostilités, Talbot exerça des fonctions de routine à titre de commandant du 1er régiment de milice de Middlesex et d’inspecteur de tous les régiments de milice du district de London.

Le gouvernement continua de s’intéresser de près aux progrès de la colonisation des terres supervisées par Talbot. En 1815 et 1817, à la demande de Gore, Talbot remit à Ridout des rapports sur les colons qu’il avait établis, révélant pour la première fois les dimensions et le rythme de croissance de son établissement. Le rapport de 1815 énumérait 350 familles et celui de 1817, 804 familles. Comme une grande proportion d’entre elles n’avaient pas reçu l’autorisation d’occuper ces terres, elles n’étaient pas connues des autorités provinciales. En outre, Talbot retenait arbitrairement les frais de concession, d’arpentage et de lettres patentes que de nombreux colons devaient au gouvernement – soit des arrérages de plus de £4 000 en 1818 –, car il souhaitait conserver sur eux une autorité complète jusqu’à ce qu’ils se soient acquittés de leurs obligations relatives à leur installation.

Après 1817, le gouvernement du Haut-Canada se préoccupa de plus en plus de recueillir les revenus internes et redoubla d’efforts pour récolter les arrérages des colons. Les nouveaux règlements insistaient plus sur le paiement des droits que sur l’occupation réelle des terres, ce qui n’eut pas l’heur de plaire à Talbot. Comme il faisait face à une opposition considérable à York, il se rendit en Angleterre au début de 1818, en partie sur l’avis du révérend John Strachan*, selon qui il devait « retourner tout de suite dans la métropole et faire régler l’affaire s’il s’estimait lésé ». Il obtint l’appui de lord Bathurst, secrétaire d’État aux Colonies, qui reconnut la valeur de son travail, accepta qu’il continue de choisir personnellement les colons et de retenir le montant de leurs droits, et lui permit même de faire valoir ses droits sur les vastes terres (plus de 65 000 acres) des cantons de Dunwich et d’Aldborough qui avaient été réservées en 1803. Ainsi les méthodes extraordinaires qu’il employait depuis plus d’une décennie recevaient une sanction officielle, ce qui déçut vivement les fonctionnaires provinciaux. Par la suite, il devait même obtenir le droit de superviser la colonisation des concessions de terre de la couronne et de vendre des réserves de la couronne et des réserves scolaires.

La décision de Bathurst eut plusieurs effets. Pour le gouvernement, elle signifiait une baisse de revenus causée par la retenue des droits. Quant aux concessions des terres confiées à Talbot, elles n’étaient consignées que sur des cartes à grande échelle des cantons où il inscrivait au crayon le nom de chaque colon qui avait eu la chance d’obtenir un lot. En principe, cette méthode permettait non seulement l’attribution mais aussi la confiscation des terres, et cela sans que la province intervienne, puisque Talbot pouvait facilement effacer des noms. On ignore combien de fois il le fit. Le bureau de l’arpenteur général n’examina pas ses plans avant le milieu des années 1830, et Talbot les conserva jusqu’à sa révocation. Les titres de propriété de nombre d’individus pouvaient donc ne pas être enregistrés, et aucun registre provincial ne rendait compte de l’aliénation de vastes terres appartenant à la couronne. Pourtant, la plupart des colons semblent avoir été satisfaits de la méthode de transfert de Talbot. Ils s’acquittèrent de leurs obligations, établirent des fermes et n’insistèrent pas pour obtenir des preuves tangibles de leurs droits de propriété, en partie peut-être à cause de leur confiance en Talbot. Dans certains cas, il s’écoula une vingtaine ou une trentaine d’années entre la colonisation initiale des lots et la délivrance des lettres patentes.

En 1828, Talbot cessa de recevoir personnellement des terres, malgré ses appels énergiques aux autorités impériales. Son établissement s’étendait sur 130 milles d’est en ouest et englobait des parties de 29 cantons du sud-ouest du Haut-Canada. Il ne décida jamais de la distribution et de la colonisation des terres de tout un canton, mais il eut sous sa surveillance de grandes sections des cantons de Dunwich, d’Aldborough, de Bayham, de Malahide et de London. En 1831 et 1836, on évalua officiellement l’ampleur de ses réalisations. L’auteur d’un rapport rédigé en 1831 pour le gouvernement de la Grande-Bretagne sur la colonisation des provinces de l’Amérique du Nord britannique fit des commentaires favorables sur le développement de l’établissement de Talbot, mais nota qu’il retenait des arrérages de plus de £35 000 et proposa qu’un compte rendu de ses « intérêts fonciers » soit établi. Ce document, préparé en 1836 pour l’Assemblée de la province, révéla que les colons occupaient 519 805 acres (à l’exclusion des propriétés personnelles de Talbot dans le canton de Dunwich), soit 3 008 lots répartis dans les 28 autres cantons. Il n’y était pas question des terres réservées vendues par Talbot. Fait plus important, il indiquait que 63 p. cent de ces lots n’avaient pas été rapportés à l’arpenteur général comme étant colonisés et que des lettres patentes avaient été délivrées seulement pour un quart des lots, même si, dans bien des cas, ils étaient occupés depuis longtemps.

Talbot perdit son pouvoir de supervision en 1838 : le lieutenant-gouverneur Francis Bond Head*, contre l’avis de son conseil, mais avec l’appui du secrétaire d’État aux Colonies, lord Glenelg, lui demanda de liquider ses affaires et de remettre l’établissement à la province. Il était devenu trop étendu pour être administré par un homme vieillissant dont les registres étaient inaccessibles. Head avait aussi été poussé à prendre cette décision par la controverse que Talbot avait suscitée en dépossédant, en 1832, quatre colons à qui il avait accordé des lots. Ceux-ci en appelèrent de sa décision, et les gouvernements provinciaux successifs délibérèrent afin de déterminer s’il y avait eu abus de pouvoir. De toute évidence, Talbot s’était montré injuste envers John Nixon, à qui il avait retiré sa terre parce qu’il n’approuvait pas ses opinions réformistes, et l’antipathie politique avait peut-être joué un rôle important dans deux des autres cas. La révocation de Talbot semble avoir encouragé de nombreux colons à s’acquitter complètement de leurs obligations (ou à déclarer qu’ils l’avaient fait) afin d’obtenir leurs titres de propriété, mais l’ampleur de ses réalisations et la réputation hors de l’ordinaire qu’il s’était taillée ne s’en trouvèrent pas minimisées.

Talbot représente le type du propriétaire terrien aristocrate et britannique du xviiie siècle établi au Nouveau Monde. Les 65 000 acres et plus qu’il avait accumulées dès 1821 dans les cantons de Dunwich et d’Aldborough furent décrites comme son « palatinat » par William Dummer Powell* et comme son « domaine princier » par John Strachan. Même si la présence des propriétés de Talbot retarda sans aucun doute le développement agricole dans ces cantons, il semble qu’il ait permis à ceux qui s’étaient établis tôt à l’extérieur de son domaine de choisir librement l’emplacement de leur lot. Ils optèrent pour de bonnes terres, situées près de celles de leur parenté et près d’endroits où l’on pouvait construire des moulins. Même s’il avait d’abord eu l’intention de n’accepter que des sujets britanniques, Talbot accueillit très tôt un grand nombre d’Américains, dont il avait vite reconnu les talents remarquables de colons. En outre, le gouvernement impérial consentit en pratique à ce qu’il n’observe pas les règlements adoptés dans la province après la guerre et qui interdisaient à la plupart des Américains de prêter le serment d’allégeance et d’acquérir des terres dans le Haut-Canada. Néanmoins, même si les colons américains, dont beaucoup venaient de milieux loyalistes, étaient majoritaires dans son établissement en 1820, les immigrants britanniques s’y étaient fait de plus en plus nombreux à compter de 1815 et ils en modifièrent le caractère. Certains secteurs devinrent distinctement écossais, anglais ou américains, à mesure que l’entourage et l’expérience en matière agricole influaient sur le choix des terres. Ainsi les Écossais des Highlands acceptèrent en 1818 de petits lots (50 acres) de terre médiocre dans les cantons de Dunwich et d’Aldborough, mais, plus tard, ils s’indignèrent des dimensions de leurs concessions, de l’isolement dont ils souffraient à l’intérieur des propriétés de Talbot qui n’étaient pas mise en valeur et du retard dans l’obtention de leurs lettres patentes. Pendant plusieurs générations, ils allaient continuer de nourrir une antipathie profonde envers Talbot.

Dès la fin de la guerre de 1812, Talbot avait acquis un pouvoir politique considérable, surtout dans la région du comté de Middlesex, et, pendant la décennie suivante, il raffermit avec soin son emprise sur la « clique de courtisans » formée par l’oligarchie tory qui s’était constituée autour de lui dans la région située au nord du lac Érié. Après 1825, son pouvoir déclina : le foyer de décision politique était maintenant à London, le mouvement réformiste gagnait du terrain et son autorité au sein de son propre établissement commençait à s’effriter. Au début, il avait eu, entre autres droits, celui de combler des postes locaux, tels ceux d’arpenteur et de receveur des douanes. Pendant ses six premières années de résidence à Port Talbot, il avait lui-même occupé plusieurs charges publiques, dont celles de conseiller législatif, de lieutenant de comté, de magistrat de district, de constable de canton, de commissaire d’écoles et de commissaire de la voirie. Pourtant, il négligeait énormément les devoirs que ces fonctions supposaient. Il choisit plutôt, en tant que père de l’établissement, d’exercer une influence indirecte, surtout en faisant élire à la chambre d’Assemblée – et en les manipulant – des candidats tories comme John Bostwick* et Mahlon Burwell, un de ses voisins, propriétaire terrien et receveur de l’enregistrement du comté de 1809 à 1843. Il n’intervint directement en politique qu’à deux reprises, quand sa position sembla menacée. À l’occasion des élections provinciales de 1812, selon Asahel Bradley Lewis*, il se manifesta bruyamment pour aider Burwell à triompher de Benajah Mallory. Puis, en 1832, le jour de la Saint-Georges, en réaction à une agitation politique violente provoquée par des colons américains dans les cantons de Yarmouth et de Malahide, Talbot, alors âgé de 61 ans, prit la parole en présence de plusieurs centaines de ses colons au cours d’une grande assemblée tenue à St Thomas. Il attaqua avec arrogance les réformistes, qu’il accusa d’être responsables de l’agitation, mais cela n’eut pas d’effet durable. Ces deux interventions lui valurent des commentaires défavorables, et l’accueil qu’on lui fit le convainquit encore davantage de ne pas participer ouvertement à la politique locale. Peu de gens saisirent la complexité de sa pensée politique. Profondément enracinée dans ses propres intérêts, elle pouvait à l’occasion différer de celle de ses alliés. Son premier biographe, Lawrence Cunningham Kearney, dont Talbot avait soutenu le journal réformiste Canada Inquirer, comprit en 1857 que « le colonel n’était pas violent en politique, même s’il avait des opinions arrêtées ».

À cause de l’âge et de la réduction de son rôle dans l’établissement, Talbot devint abattu. En février 1836, il avait exprimé à son ami intime et agent bancaire à Toronto, William Allan, le souhait « d’avoir assez de fortune pour pouvoir [s]’installer dans la Lune ou dans quelque lieu de résidence plus salubre », et, en 1837, Anna Brownell Jameson [Murphy] nota qu’une grande partie de sa ferme était « négligée ». Deux ans plus tard, après le bref mandat de gouverneur de lord Durham [Lambton*], Talbot dit, encore à Allan, qu’il ne s’attendait pas « à entendre tellement parler des plans arrêtés pour ce misérable pays », et que « lord Durham [était] un triste imposteur ».

Talbot se préoccupa toujours de biens et de richesses ainsi que des moyens d’en acquérir. En 1804, il avait exprimé à Simcoe le désir d’être recommandé pour siéger au Conseil exécutif plutôt qu’au Conseil législatif, car il n’aimait pas « travailler pour rien et [...] £100 val[aient] mieux que rien ». En 1822, estimant sa situation financière précaire, il fit directement appel à lord Bathurst pour obtenir une pension, l’assistance d’un secrétaire et le remboursement des frais qu’il avait acquittés pour ses propres terres. Quatre ans plus tard, il n’obtint qu’une pension, qui s’élevait à £400 par an. En 1832, avec l’argent comptant tiré de la vente de bétail, il put se construire une nouvelle maison. Il ne se maria jamais, mais dans l’espoir que sa ferme demeure propriété de sa famille il amena en 1833 un neveu, Julius Airey, à Port Talbot. Le jeune homme y demeura presque huit ans, mais ne put s’habituer à l’isolement. Son frère aîné, le capitaine Richard Airey, cantonné dans le Haut-Canada, vint souvent à Port Talbot dans les années 1830. En 1843, Talbot l’invita à y demeurer et, quatre ans plus tard, il promit de lui léguer le domaine. Airey et sa nombreuse famille arrivèrent à la fin de 1847, ce qui obligea Talbot à quitter sa maison. En mai 1848, en compagnie de George Macbeth* (son domestique, son compagnon et l’administrateur de son domaine), Talbot s’embarqua pour un long voyage en Angleterre, le premier en 19 ans. Ils revinrent au bout de dix mois et, en octobre 1849, Talbot assista comme invité d’honneur à la première pelletée de terre du Great Western Rail-Road, à London.

Au début de 1850, Talbot se querella avec Airey, peut-être à cause de ce qui les opposait dans leur mode de vie, et, le 16 mars, il lui donna seulement la moitié de son domaine (environ 29 000 acres). Le reste, évalué à £50 000 environ, fut légué en entier à Macbeth, à l’exception du montant d’une pension annuelle destinée à la veuve d’un ancien domestique, Jeffrey Hunter. Après une période de maladie, Talbot retourna en Angleterre avec Macbeth en juillet 1850. La famille Airey quitta Port Talbot en avril 1851 et, cet été-là, Talbot regagna sa retraite bien-aimée du lac Érié. Même si une partie du district de London avait été constituée en district en 1837 et baptisée en son honneur, il fut déçu que le nouveau comté créé à partir du comté de Middlesex en 1851 soit nommé Elgin, en l’honneur du gouverneur du Canada, et non Talbot. Macbeth et sa femme allèrent s’installer à London en 1852 et accueillirent Talbot sous leur toit. Il mourut chez eux à l’âge de 81 ans et fut inhumé dans le cimetière anglican de Tyrconnell, à quelques milles à l’ouest de Port Talbot.

Talbot fut et demeure un personnage énigmatique dont les actes sont beaucoup mieux connus que la personnalité. Il ne laissa ni autobiographie ni souvenirs personnels, et son célibat n’encouragea pas la transmission de souvenirs familiaux. Diverses biographies ont relevé certaines de ses excentricités – alcoolisme, snobisme, misanthropie et, semble-t-il, misogynie – qui ont pu ternir son image. Cependant, on peut se demander, sans peut-être jamais obtenir de réponse satisfaisante, si ces traits étaient aussi révélateurs de sa personnalité qu’on l’a prétendu. Talbot était évidemment issu d’un milieu privilégié et aristocratique qui avait fort bien pu lui insuffler le solide sentiment de supériorité qu’il manifesta toute sa vie. Il est possible que ce sentiment ait été particulièrement évident dans la société pionnière du Haut-Canada, où ses pairs étaient peu nombreux à s’aventurer et moins nombreux encore à habiter. Ses antécédents impeccables l’aidèrent probablement pendant toute son existence. Malgré son isolement géographique, il fut jusqu’à sa mort reconnu, visité et traité comme un aristocrate par des femmes et des hommes éminents, tant au Canada qu’en Grande-Bretagne.

À la manière d’un lord britannique, Talbot habita à l’écart de ses voisins et ne les fréquenta guère. Il se montra arrogant, impatient et brutal avec nombre de visiteurs, sans égard à leur nationalité ni à leur rang social, tandis qu’avec d’autres, il agit en gentleman parfaitement au fait des conventions mondaines. Apparemment, il avait été attiré par plusieurs dames avant d’émigrer et, par la suite, il se montra tout à fait courtois envers certaines autres, comme le nota Anna Jameson après sa visite à Port Talbot en 1837. En outre, il semble avoir noué des liens extrêmement étroits avec son entourage le plus immédiat, ses domestiques et leurs familles. Quoi qu’il en soit, une grande énigme nous empêche de le connaître tout à fait : son exil volontaire dans le Haut-Canada. Cette énigme persista, car il était de toute évidence attaché à ses antécédents britanniques et rechercha la compagnie de ses compatriotes tant au Canada qu’en Grande-Bretagne où il se rendit à six reprises après 1803.

Les réalisations de Thomas Talbot sont comprises dans l’établissement qui porta son nom. Dans la vaste région dont il assumait la responsabilité, et surtout les abords des diverses sections de la route Talbot, l’agriculture et le commerce étaient mieux développés que dans la plupart des autres parties de la province. Les meilleures caractéristiques de son système de supervision des terres, comme les routes, ne furent jamais réalisées dans d’autres établissements du Haut-Canada. Il travailla seul et se plaça au-dessus de tous, s’aliénant la plupart des fonctionnaires du Haut-Canada à cause de son évidente avidité pour les terres et de son recours direct au gouvernement impérial. Néanmoins, pendant plusieurs décennies, la province retira des bénéfices beaucoup plus importants de son travail solitaire et honnête de supervision qu’il n’en récolta lui-même.

Alan G. Brunger

Depuis les années 1850 jusqu’à nos jours, la remarquable carrière de Thomas Talbot a suscité l’intérêt de plusieurs biographes. La première biographie parue, Lawrence Cunningham Kearney, The life of Colonel, the late Honorable Thomas Talbot, embracing the rise and progress of the counties of Norfolk, Elgin, Middlesex, Kent and Essex [...] (Chatham, Ontario, 1857), est un court hommage anecdotique. En dépit de leurs divergences politiques, les auteurs réformistes ont accordé beaucoup de valeur à Talbot. De tous les biographes, Kearney a été peut-être le plus perspicace ; il a correctement saisi l’unique position politique occupée par Talbot : ni tory, ni réformiste.

Il existe un autre portrait : Life of Colonel Talbot, and the Talbot settlement [...] (St Thomas, Ontario, 1859 ; réimpr., Belleville, Ontario, 1972), écrit par Edward Ermatinger*, une connaissance et un associé de Talbot. Cette biographie, un peu longue et largement anecdotique, est une description de l’établissement de Talbot. Ermatinger partageait plusieurs des idées traditionalistes de Talbot, mais il attribuait les défauts de son associé à un manque de direction spirituelle.

Charles Oakes Zaccheus Ermatinger, un des fils d’Edward, a publié une biographie substantielle, développant davantage celle qu’avait écrite son père. The Talbot regime ; or the first half century of the Talbot settlement (St Thomas, 1904) est un ouvrage plus érudit, mais manquant d’esprit critique. Il contient une collection de la correspondance de Talbot qui avait déjà été publiée.

De courtes biographies ont été publiées dans Cyclopædia of Canadian biography (Rose et Charlesworth), 2, en 1888, et dans le DNB en 1898.

Un portrait un peu plus critique de Talbot apparaît en complément de la collection de documents édités par James Henry Coyne* et publiés sous le titre de The Talbot papers (2 vol., Ottawa, 1908–1909). Coyne était le petit-fils de l’ennemi par excellence de Talbot dans le canton de Dunwich, où ils demeuraient tous les deux. Il atteint une certaine objectivité et sa principale critique concerne le traitement injuste qu’ont subi les colons écossais des cantons de Dunwich et d’Aldborough en ne recevant que 50 acres en concession et en étant effectivement isolés en arrière des grandes propriétés foncières non exploitées de Talbot.

Un autre descendant de Coyne, Fred Coyne Hamil, a écrit une biographie plus érudite intitulée Lake Erie baron : the story of Colonel Thomas Talbot (Toronto, 1955), pour laquelle il a utilisé une grande quantité de documents d’archives. Il en résulte que l’éditeur a rédigé un récit détaillé et chronologique de la carrière de Talbot, et un riche aperçu de l’évolution de l’établissement de Talbot.

G. H. Patterson dans sa thèse, « Studies in elections in U.C. », déposée en 1969, donne de Talbot une interprétation des plus révélatrices. La structure politique du Haut-Canada est fondée en partie sur les groupes d’élite de chacune des régions. Ces groupes, que Patterson nomme compacts, dirigent les affaires de chaque région ; leurs membres occupent les positions clés, telles que députés de la chambre d’Assemblée, et obtiennent les sinécures des gouvernements de district. Talbot eut durant plusieurs années la haute main sur le favoritisme dans le district de London et plus particulièrement dans le comté de Middlesex. Son pouvoir ne diminuera de façon significative qu’après 1820, au moment où l’opposition réformiste s’organisait de plus en plus dans ce district.  [a. g. b.]

Le mémoire de Talbot, « Remarks on the province of Upper Canada ; by the founder of the « Talbot settlement », a été publié dans G.-B., Parl., House of Commons paper, 1823, 6, no 561 : 1–203, Report from the select committee on the employment of the poor in Ireland, 175–178.

APC, RG 1, E3, 87 ; RG 68, General index, 1651–1841 : 418, 542.— PRO, CO 42/330 : 203.— [E. P. Gwillim] e J. G. Simcoe, The diary of Mrs. John Graves Simcoe [...], J. R. Robertson, édit. (Toronto, 1911 ; réimpr., [1973]), 62.— Murphy, Winter studies and summer rambles.— John Strachan, John Strachan : documents and opinions ; a selection, J. L. H. Henderson, édit. (Toronto et Montréal, 1969), 66.— Weekly Dispatch, St. Thomas, Port Stanley, and County of Elgin Advertiser (St Thomas), 15 févr. 1853, 26 avril 1855.— Burke’s peerage (1970), 2607.— « Calendar of state papers », APC Report, 1936 : 525–526, 552.— G.-B., WO, Army list, 1784–1801.— « State papers – U.C. », APC Report, 1891 : 32–33 ; 1892 : 288, 298–299 ; 1893 : 10–12 ; 1896 : 21–24, 36 ; 1898 : 211, 213 ; 1943 : 106–107 ; 1944 : 10.— A. G. Brunger, « A spatial analysis of individual settlements in southern London District, Upper Canada, 1800–1836 » (thèse de ph.d., Univ. of Western Ontario, London, 1974).— Cowdell, Land policies of U.C.— Craig, Upper Canada.— E. N. Lewis, Sidelights on the Talbot settlement (St. Thomas, 1938).— W. H. Murch, Talbot settlement centennial celebration, May 21st to 25th, 1903, Saint Thomas, Ontario (St Thomas, [1903]).— Wayne Paddon, The story of the Talbot settlement, 1803–1840 : a frontier history of south western Ontario (éd. rév., [St Thomas], 1976).— Read, Rising in western U.C.— W. R. Riddell, The life of John Graves Simcoe, first lieutenant-governor of the province of Upper Canada, 1792–96 (Toronto, [1926]), 143.— Paul Baldwin, « The political power of Colonel Thomas Talbot », OH, 61 (1969) : 9–18.— J. H. Coyne, « An address at the unveiling of the Port Talbot memorial cairn », OH, 24 (1927) : 5–9 ; « Colonel Talbot’s relation to the early history of London », OH, 24 : 10–16.— F. C. Hamil, « Colonel Talbot and the early history of London », OH, 43 (1951) : 159–175 ; « Colonel Talbot’s principality », OH, 44 (1952) : 183–193.— Archibald McKellar, « Recollections of Col. Talbot and his times ; sacrifice of the public domain », Wentworth Hist. Soc., Papers and Records (Hamilton, Ontario), 1 (1892) : 115–119.— Colin Read, « The London District oligarchy in the rebellion era », OH, 72 (1980) : 195–209.— F. T. Rosser, « Colonel Thomas Talbot vs John Nixon », OH, 38 (1946) : 23–29.

Bibliographie générale

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Alan G. Brunger, « TALBOT, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 18 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/talbot_thomas_8F.html.

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Auteur de l'article:    Alan G. Brunger
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    18 mars 2024