Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3218558
McCARTHY, D’ALTON, avocat, fermier, homme politique et homme d’affaires, né le 10 octobre 1836 à Oakley Park, Blackrock (république d’Irlande), fils de D’Alton McCarthy et de Charlesina Hope Manners ; le 23 octobre 1867, il épousa à Barrie, Ontario, Emma Catherine Lally (décédée en 1870), et ils eurent un fils et une fille, puis le 15 juillet 1873 Agnes Elizabeth Lally, veuve de Richard Barrett Bernard, et de ce second mariage ne naquirent pas d’enfants ; décédé le 11 mai 1898 à Toronto.
D’Alton McCarthy fréquenta d’abord des écoles dirigées par des ecclésiastiques à Blackrock et près de Dublin. Sa famille immigra dans le Haut-Canada en 1847 et s’établit près de Barrie, où il termina ses études à la grammar school. Son père, avocat et membre d’une famille de juristes réputée en Irlande, s’essaya à l’agriculture mais reprit l’exercice de sa profession en 1855 à Barrie en s’associant à D’Arcy Boulton*. Bien qu’il ait été orangiste convaincu et grand maître de l’ordre, il allait déplorer en 1870, après que Thomas Scott* eut trouvé la mort pendant le soulèvement de la Rivière-Rouge, que certains orangistes tentent d’attiser les passions de leurs confrères, et il plaidait pour que l’ordre d’Orange resserre les rangs derrière le parti conservateur.
Entré au cabinet de son père en 1858, le jeune D’Alton McCarthy fut reçu au barreau l’année suivante. Il savait captiver les jurés et acquit la réputation de placer les affaires de ses clients au-dessus de toute autre considération. En 1869, les McCarthy, père et fils, mirent fin à leur association avec Boulton et ouvrirent leur propre cabinet. Élu membre du conseil de la Law Society of Upper Canada deux ans plus tard, McCarthy fils fut nommé conseiller juridique du comté de Simcoe en 1873.
Comme sa carrière d’avocat était bien lancée, McCarthy pouvait vaquer à d’autres occupations. De constitution athlétique, il adorait monter à cheval et participait avec enthousiasme aux sports à la mode. Il était décidé à devenir gentleman-farmer. En qualité d’homme de loi et de membre de l’aristocratie locale, il s’intéressait tout naturellement à la politique. Aux élections fédérales de 1872, l’entrepreneur forestier et millionnaire Hermon Henry Cook, qui avait, dit-on, dépensé 15 000 $ au cours de sa campagne, le défit dans Simcoe North. Suivant l’avis de sir John Alexander Macdonald, il se fit un devoir de contester l’élection, mais ne parvint pas à étayer ses accusations. Le premier ministre veilla cependant à ce qu’il reçoive, en guise de dédommagement, le titre de conseiller de la reine. Puis, en 1873, McCarthy devint président de l’association conservatrice de Simcoe, ce qui scella leurs liens. La même année, il épousa Agnes Elizabeth Lally, sœur de sa première femme et veuve du beau-frère de Macdonald, et devint ainsi un parent et non seulement un allié politique du chef conservateur.
Ces liens étroits survécurent à la débâcle que causèrent le scandale du Pacifique et la défaite conservatrice aux élections de janvier 1874, où McCarthy perdit de nouveau au profit de Cook. Cette fois, il contesta le scrutin avec succès mais ne remporta pas l’élection partielle de décembre. Refusant de se laisser abattre, il se lança dans l’arène provinciale l’année suivante en assumant la présidence de l’association locale et eut la satisfaction de voir les conservateurs remporter haut la main tous les sièges de Simcoe. Il avait beau avoir été défait à trois reprises, ses talents d’organisateur étaient confirmés, et John Hillyard Cameron*, député de Cardwell, prédit qu’« avant longtemps la bannière conservatrice flotterait au-dessus de sa tête [, car il serait] député de la circonscription de [Simcoe] North ».
McCarthy encouragea Macdonald à réaffirmer son leadership en 1875 et contribua à la renaissance du parti conservateur. De son côté, Macdonald le pressa de conquérir sa circonscription et de venir lui prêter main forte à Ottawa : « Nous de l’opposition, lui dit-il, avons besoin d’un juriste habile dans les débats, et vous auriez une occasion de vous assurer sans délai, au Parlement, un statut qui ne vous sera peut-être plus jamais offert. » En 1876, après la mort de Cameron et le déclenchement d’une élection partielle, Macdonald prit les choses en main et offrit à McCarthy le siège, tout à fait sûr, de Cardwell. Après quelques hésitations, McCarthy se rendit à l’avis de son chef. Macdonald dépêcha alors sur place son meilleur tribun, Charles Tupper*, et McCarthy parcourut la circonscription en tout sens. En décembre, il remportait la victoire et pouvait enfin aller rejoindre Macdonald aux Communes.
Les deux années que McCarthy passa dans l’opposition furent essentiellement des sessions de campagne où, comme le dit en avril 1877 le gouverneur général lord Dufferin [Blackwood*], « les deux partis se [couvrirent] mutuellement de boue ». McCarthy se distingua par son infatigable critique des déclarations d’honnêteté et d’économie du gouvernement libéral. Ses interventions, préparées avec soin et agrémentées de traits d’esprit et de sarcasmes, amenèrent Tupper à le qualifier de « terreur » pour ses adversaires. Comme il avait l’intention de jouer son avenir politique en se présentant dans Simcoe North aux élections suivantes, il eut, au Parlement, une série d’affrontements avec Cook qui, disait-il, l’avait battu « en deux ou trois occasions – par les moyens que la chambre savait ». À l’extérieur des Communes, il bénéficiait du fait que Macdonald était convaincu que le parti avait avantage à confier toutes les affaires électorales d’une province à un seul conseiller juridique, et il parvint à accaparer la plupart des faveurs judiciaires dispensées par les conservateurs en Ontario. Les contestations d’élections permettaient aux partis de continuer à se battre au moyen de pétitions, de contre-pétitions, d’appels, d’annulations et d’élections partielles. McCarthy manifesta une aptitude remarquable pour ce genre de guerre. Il offrait parfois ses services « pour le plaisir de la chose » et devint bientôt le principal conseiller juridique du parti en matière électorale.
À l’instar de Macdonald, McCarthy estimait que l’indécision avec laquelle Alexander Mackenzie dirigeait le parti libéral et son entêtement à prôner des théories libre-échangistes inapplicables en période de récession économique s’avéreraient son talon d’Achille. La Politique nationale, protectionniste, permettrait au parti conservateur de se relancer, et il l’adopta tout comme son chef. En protégeant ses industries, proclama-t-il pendant la campagne électorale de 1878, le Canada placerait ses relations commerciales avec les États-Unis sur une « base juste et équitable », ce qui était essentiel à sa grandeur en tant que nation.
Les conservateurs remportèrent une victoire glorieuse, et McCarthy triompha enfin dans Simcoe North. À titre de protégé de Macdonald, il était considéré comme l’étoile montante du parti, le successeur éventuel du vieux chef. Sa vie privée aussi était une réussite. En 1876, il avait ouvert une succursale de son cabinet à Toronto ; l’année suivante, il fonda un cabinet d’avocats appelé McCarthy, Hoskin, Plumb, and Creelman, qui devint l’un des plus prestigieux du Canada. En 1879, il s’installa définitivement à Toronto, sans pour autant rompre ses liens avec sa circonscription. Il était toujours conseiller juridique du comté, avait un cabinet à Barrie et plaidait des causes dont on parlait beaucoup. Il possédait une maison à Barrie, une résidence d’été dans la baie Kempenfelt et une grande ferme appelée Oakley Park où, « tel Cincinnatus », écrivit plus tard le Montreal Herald, il élevait « du bétail de race, des steppeurs et des porcs prodigieusement dodus ».
Comme McCarthy n’avait remporté la victoire en 1878 que par une faible majorité, il s’employait à consolider ses appuis. Attentif aux intérêts de ses électeurs, il obtint des fonds fédéraux pour l’aménagement portuaire, l’aide à la navigation et l’ouverture de nouveaux bureaux de poste. À titre de conseiller juridique du comté, il fut l’un de ceux qui décidèrent que le comté accorderait des primes au Hamilton and North Western Railway pour qu’il concurrence le Northern Railway. Cependant, une fois que ces deux compagnies eurent conclu une entente d’exploitation commune, en 1879, il se plaignit que la baisse de la concurrence nuisait à l’économie de Simcoe. C’est notamment pour cette raison qu’à compter de 1882 il prôna, aux Communes, la formation d’un tribunal fédéral de commissaires des chemins de fer qui réglementerait le tarif, les fusions et les pratiques des sociétés ferroviaires. Au Parlement au début des années 1880 et en qualité de président de la Northern and Pacific Junction Railway Company à compter de 1884 jusqu’à la prise en main de cette compagnie par Joseph Hickson en 1887–1888, il défendit les intérêts de l’arrière-pays situé au nord de Toronto contre les visées régionales de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique (dont le siège social était à Montréal), même s’il l’appuyait en tant que projet national. Le redécoupage de la carte électorale, en 1882, retrancha de sa circonscription plusieurs cantons où il était devenu impopulaire. Jusqu’à la fin de la carrière politique de McCarthy, Simcoe North continua d’appuyer vigoureusement le « gars de Simcoe » et ce, « d’où que vînt le vent ».
Une fois le gouvernement conservateur formé en 1878, McCarthy en devint le porte-parole sur la loi électorale, le système juridique et les relations fédérales-provinciales. Alter ego de Macdonald, il prônait la prédominance du gouvernement fédéral dans la Confédération. Selon lui, le parti conservateur avait pour tâche de créer un État-nation fortement centralisé, ce qui se ferait plus vite si toutes les provinces adoptaient les mêmes lois. Cette homogénéité pouvait se réaliser par le truchement de la Cour suprême du Canada [V. Télesphore Fournier ; sir William Johnston Ritchie] et des pouvoirs fédéraux de réserve et d’annulation. En appliquant le droit français et le Code civil, la province de Québec nuisait aux tentatives fédérales d’uniformisation législative, mais c’est plutôt l’Ontario qui se révéla faire obstacle à l’application du concept de fédération centralisée de Macdonald. Le premier ministre libéral de l’Ontario, Oliver Mowat*, refusait le rôle subalterne que Macdonald entendait faire jouer aux provinces, défendait les droits provinciaux et luttait pour un régime vraiment fédéral. Dans les années 1880, McCarthy l’affronta dans trois batailles constitutionnelles : la définition des limites de l’Ontario, qui avait fait de cette province un véritable empire doté d’un immense arrière-pays ; l’affaire des cours d’eau, dont l’élément central était le droit, pour la province, de légiférer sans ingérence dans sa sphère constitutionnelle ; et l’affaire des permis d’alcool, qui donna lieu à un appel contre la loi par laquelle McCarthy tentait d’étendre la procuration générale du fédéral à un domaine de compétence provinciale. On porta ces trois causes devant le comité judiciaire du Conseil privé, à Londres, qui donna chaque fois raison à la province. Macdonald accepta le verdict des tribunaux et l’opinion publique telle qu’elle fut représentée à une conférence interprovinciale en 1887 : il battit en retraite.
Macdonald continuait de valoriser la compétence de McCarthy en matière de droit. En 1884, il lui offrit deux fois le portefeuille de la Justice, mais McCarthy le refusa, alléguant que ses dettes l’obligeaient à conserver une clientèle privée. Cependant, malgré l’estime que lui portait son chef, ses idées sur la Confédération divergeaient de celles de bon nombre de conservateurs dans les années 1880. Les députés fédéraux canadiens-français, qui continuaient d’exiger un statut particulier pour la province de Québec et ses lois, s’opposaient à la création d’un État-nation très centralisé, à l’uniformisation du droit de toutes les provinces et à l’adoption de « lois progressistes » (pour la formation d’un tribunal de commissaires des chemins de fer par exemple).
Après le procès et l’exécution de Louis Riel*, en 1885, l’idéal d’un Canada uni, que caressait McCarthy, se trouva plus menacé que jamais auparavant. Lui-même se trouvait en Angleterre pendant le procès, mais Britton Bath Osler*, membre de son cabinet d’avocats depuis 1882, était l’un des procureurs de la couronne. En qualité d’avocat, McCarthy estimait que « les plaidoyers de folie [étaient] dénués de fondements ». « Laissez la justice suivre son cours », disait-il à Macdonald. Pour lui, la sympathie que Riel inspirait et l’agitation qu’elle suscitait chez les Canadiens français étaient non pas un problème religieux mais une manifestation de nationalisme, un signe de « leur désir de voir créer une autre province dans le dominion ». Un Québec, c’était « plus qu’assez ». En 1870, Riel avait réussi à jeter, au Manitoba, les bases d’une autre province française, et McCarthy était bien résolu à l’empêcher de faire de même dans les Territoires du Nord-Ouest, terre d’avenir pour le Canada. Les protestations déclenchées par la mort de Riel culminèrent en une assemblée de masse en novembre 1885 à Montréal [V. Edmond Lareau*]. On présenta Riel comme la victime du fanatisme anglo-protestant, et on invoqua la race et la religion pour venger son exécution. Honoré Mercier, chef charismatique du parti libéral provincial, était prêt à prendre la tête d’un mouvement, et il pressait les libéraux et les conservateurs de s’unir en un seul parti – un parti national – afin de, punir le gouvernement fédéral et de protéger les droits des Canadiens français.
À Creemore, en décembre, réagissant pour la première fois (mais non la dernière) à ce que l’on considérait comme des provocations de la part de Mercier, McCarthy servit l’avertissement suivant à ses électeurs : « si le renversement du cabinet actuel doit être suivi par l’instauration de la prédominance française – et tel est, en fait, le programme de M. Mercier – alors, en tant que Britanniques, nous croyons qu’il faudra refaire la bataille de la Conquête ». Le parti national ne vit pas le jour sur la scène fédérale, mais Mercier parvint à battre le gouvernement conservateur à Québec à la fin de 1886 et à transformer la session législative de 1887 en un référendum sur l’exécution de Riel. Cette fièvre nationaliste provoqua une vive réaction en Ontario, où le Toronto Daily Mail lança une croisade afin de créer un parti anglo-protestant [V. Christopher William Bunting]. Toutefois, on perçut la campagne du journal comme une attaque contre l’ensemble des catholiques ; elle menaçait de faire perdre au parti conservateur l’appui des électeurs catholiques des deux provinces.
À titre de président de la Liberal-Conservative Union of Ontario, qu’il avait aidé à fonder en 1884, McCarthy prit vigoureusement position sur l’affaire Riel pendant les campagnes électorales de 1886 et 1887. Il lança le « coup d’envoi » en septembre 1886 dans Haldimand, au cours d’une élection partielle où l’on voyait une occasion de mesurer la popularité des forces anti-Riel en Ontario : « Notre pays est jeune et prospère, et a besoin des efforts concertés de tous. Si, au lieu de cela, [...] les Anglais se liguaient contre les Français, toute législation progressiste serait bloquée. » Son appel ne fut pas entendu. La circonscription de Haldimand demeura libérale, le parti national de Mercier continua d’agiter la menace d’une guerre raciale, le Mail maintint son cap et les libéraux courtisèrent l’électorat francophone. Selon McCarthy, si l’on ne donnait pas un coup de barre, ce serait le désastre. Quand Macdonald rentra de l’Ouest, où il était allé pendant l’été, McCarthy exigea l’adoption d’une « politique précise » dont le but serait de « tâcher de garder les c[atholiques] et de forcer des anti-catholiques à quitter les rangs des grits ». Malheureusement, le nombre de réformistes protestants qui passèrent au parti conservateur ne suffit pas à modifier le sort de ce dernier aux élections provinciales de décembre 1886. D’un air sombre, William Ralph Meredith*, chef conservateur de l’Ontario, laissa entendre que, si la campagne avait porté essentiellement sur Riel plutôt que sur les positions anti-catholiques du Mail, ses adversaires auraient été sur la défensive.
En prévision des élections fédérales de mars 1887, Macdonald redoubla d’intérêt pour l’Ontario. Constatant que le Mail ne reviendrait pas sur ses positions, il renonça à entretenir tout lien avec lui et fit pression sur les évêques catholiques. De son côté, McCarthy veilla à ce que le Daily Standard, dont le rédacteur en chef était Louis P. Kribs, diffuse entre-temps le programme du parti conservateur, et il joua un rôle majeur dans la fondation de l’Empire. Il s’efforça de ramener l’affaire Riel à l’avant-scène et demanda aux réformistes anglophones de l’Ontario de se joindre au gouvernement conservateur sur la scène fédérale pour contenir l’agression des nationalistes canadiens-français. Cette stratégie semblait raisonnable. Bien des réformistes n’aimaient pas voir les libéraux « courtiser les [Canadiens] Français » et d’autres ne pouvaient pas se résoudre à condamner le gouvernement d’avoir pendu Riel, puisqu’ils estimaient que le geste était justifié. À Barrie, au début de février, soit au plus fort de la campagne fédérale, McCarthy pressa l’Ontario de soutenir le gouvernement. Encore une fois, il affirma : « ce n’est pas la religion qui est au fond de cette affaire mais [...] un sentiment de race [...] Ne voyons-nous pas qu’aujourd’hui les [Canadiens] Français sont plus français qu’au moment où Wolfe [James Wolfe*] les a conquis sur les plaines d’Abraham ? Se mêlent-ils à nous, s’assimilent-ils [...] Non, ils font tout selon le modèle français ; [...] je dis que ce sont eux qui menacent le plus la Confédération. » Les conservateurs remportèrent la victoire dans la province de Québec et en Ontario, quoique avec des majorités réduites. Macdonald se détendit. McCarthy, frustré par la défaite de Meredith l’année précédente et inquiet de l’avenir, rappela aux Ontariens qu’une vigilance constante était le prix de la liberté.
En adoptant, en 1888, l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites, qui portait un accord pécuniaire arbitré en partie par Léon XIII [V. Antoine-Nicolas Braun*], le gouvernement Mercier déclencha en Ontario un mouvement anticatholique qui menaça un moment de balayer la province. Pour McCarthy, cette loi était le « point culminant d’une série d’actes qui le persuadèrent qu’il fallait freiner le nationalisme français ». Les protestations qu’elle soulevait exprimaient, selon lui, « un sentiment profond qui n’[était] pas sans rappeler celui qui a[vait] provoqué l’incendie des édifices du Parlement à Montréal » en 1849. Ceux qui s’y opposaient réclamèrent que le gouvernement fédéral refuse de reconnaître la loi. Quand le gouvernement annonça en janvier 1889 qu’il n’interviendrait pas, McCarthy, convaincu du bien-fondé de sa position nationaliste anglaise et fédéraliste, fut l’un de ceux qui décidèrent de soumettre la question à la chambre. Malgré les appels de Macdonald et les blâmes du parti, lui-même et William Edward O’Brien, député de Muskoka, annoncèrent qu’à la session suivante ils proposeraient l’exercice du droit d’intervention.
Le projet de loi qu’O’Brien déposa en mars 1889 avait été rédigé en étroite collaboration avec McCarthy. Après avoir présenté ce qui était peut-être l’argumentation la plus éloquente et la plus serrée qu’un membre du Parlement eut jamais opposée à la crainte du recours au droit d’intervention, McCarthy admit que l’on pût honnêtement diverger d’opinion quant à la constitutionnalité de la loi, mais affirma qu’il ne pouvait y avoir divergence sur le principe, « que l’on croyait défini une fois pour toutes au moment de la sécularisation des réserves du clergé ». À ceux qui parlaient de droits provinciaux, il répondait en se plaçant sur le plan, plus élevé, des droits nationaux : « Le seul moyen de créer un Canada uni, et d’édifier une vie nationale et un sentiment national [...] est de veiller à ce que les lois d’une province ne soient pas injurieuses pour les lois et institutions [...] d’une autre. » Cependant, il trouva peu d’appuis.
Tôt dans la matinée du 29 mars, seuls 13 députés (8 conservateurs et 5 libéraux) accordèrent leur suffrage à la motion d’O’Brien. Ce faible soutien au refus de reconnaissance, au lieu de mettre fin à l’agitation, envenima le débat. McCarthy démissionna de la présidence de la Liberal-Conservative Union of Ontario, comme il avait menacé de le faire, et se montra discret une fois la session terminée. Cependant, il se sentait tenu d’assister à une réception qui devait avoir lieu à Toronto le 22 avril en l’honneur des « nobles treize », pour reprendre l’expression de Macdonald. En tentant de le raisonner, le premier ministre découvrit qu’ils partageaient de moins en moins la même vision de l’avenir de leur parti. Le 17, McCarthy avait écrit à son vieux chef : « Le devoir du parti conservateur est de rester attaché aux provinces anglaises et de s’appuyer sur elles, alors que, si j’ai bien compris, le vôtre est plutôt de compter sur Québec. » Les conséquences probables de sa présence à la réception le préoccupaient de manière plus immédiate : « Comme j’ai semé le vent, je dois, en toute honnêteté, être prêt à résister à l’éventuelle tempête. » Son but était « d’empêcher l’agitation [...] d’être menée par les grits – et de [l’]orienter vers la cause conservatrice ou de [la] lui réserver ». Peut-être McCarthy voyait-il dans le mécontentement suscité par la loi sur les biens des jésuites une solution au dilemme qu’il avait posé pour la première fois en 1886 : comment attirer des réformistes protestants pour combler la perte des votes catholiques ? Pourtant, comme David Creighton*, rédacteur en chef de l’Empire, le fit remarquer à Macdonald, il était dangereux d’exciter les esprits et d’espérer quand même amener l’Ontario dans le camp des conservateurs.
Le 22 avril, McCarthy parla durant plus de deux heures devant une foule de 5 000 personnes. Son discours porta principalement sur l’offensive des nationalistes canadiens-français et la nécessité de l’unilinguisme. Sans trop de subtilité, il tenta de détourner de la religion la colère antijésuite et de la diriger contre l’agression canadienne-française, et de la détourner aussi de Macdonald et des conservateurs pour la diriger contre les libéraux, qui défendaient les principes des droits provinciaux.
McCarthy n’assista pas, les 11 et 12 juin 1889, au congrès d’organisation de l’Equal Rights Association, mais il fut élu au bureau et reconnu par la suite comme l’un des principaux porte-parole de ce groupe. La fondation de l’association, dont le but était, en théorie, de promouvoir l’égalité absolue de toutes les confessions religieuses devant la loi, provoqua une vive réaction au Canada français. Plus tard dans le mois, au cours des célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, Mercier appela ses compatriotes à s’unir sous le drapeau de la France, symbole de la défense de la nation. Il jura que la province de Québec resterait française et catholique, et l’un de ses collègues nationaux-conservateurs, le député fédéral Guillaume Amyot, prévint la milice de se tenir prête à défendre les institutions et les droits des Canadiens français contre l’agression anglo-saxonne.
Le défi lancé par Mercier poussa McCarthy à rompre le silence qu’il gardait depuis la réception de Toronto. Le révérend William Caven* du Knox College, président de l’Equal Rights Association, eut beau l’avertir qu’il était dangereux de transformer l’agitation en une croisade antifrançaise, McCarthy était plus convaincu que jamais que le véritable danger qui menaçait le Canada était non pas la religion mais les aspirations nationalistes du Canada français. Prenant la parole le 12 juillet (jour anniversaire de la bataille de la Boyne) à un pique-nique orangiste à Stayner, dans sa circonscription, il livra le fond de sa pensée. Comme il estimait qu’il ne fallait pas perpétuer, au Canada, les querelles du Vieux Monde, il n’était pas orangiste, mais son père l’avait été, et lui-même n’avait pas honte d’affirmer les principes de l’ordre d’Orange : égalité des droits pour tous et loyauté à la couronne. Même s’il demeurait conservateur, il n’était pas d’accord avec Macdonald sur la question des biens des jésuites et n’abandonnerait pas la lutte pour les « droits égaux », quelles qu’en soient les conséquences pour le parti. Aux questions qu’il avait déjà définies comme fondamentales, il ajouta celle de la langue. « Tant que les Français apprendront leurs lois et leur histoire en français, déclara-t-il, ils resteront Français de cœur. » En Ontario, les écoles des districts francophones devaient devenir publiques et anglophones ; dans le Nord-Ouest, il fallait abolir le bilinguisme. « Le temps est venu, lança-t-il dans un style à la fois incendiaire et flamboyant, où le peuple tranchera cette grande question en votant et, si cela n’apporte pas le remède au cours de la génération actuelle, les baïonnettes le feront à la prochaine. »
Cet emportement provoqua de sévères condamnations de la part de nombreux conservateurs ontariens, qui pressèrent Macdonald de laisser tomber McCarthy, mais le premier ministre garda son calme. Il était convaincu que l’agitation s’éteindrait après le 8 août, car au delà de cette date le gouvernement ne pourrait plus refuser de reconnaître la loi. Et puis, comme il le dit à John Fisher Wood le 29 juillet : « McCarthy a derrière lui un fort groupe du parti conservateur, dont les orangistes et les protestants extrémistes, et si je le dénonçais, il emmènerait un grand nombre de scissionnistes que nous pourrions avoir bien du mal à récupérer. » Macdonald aurait peut-être été moins confiant s’il avait su que McCarthy s’apprêtait à poursuivre sa campagne pour les « droits égaux » dans l’Ouest, puis aux Communes.
Au cours d’un voyage d’agrément dans l’Ouest, McCarthy prononça deux allocutions, l’une à Portage-la-Prairie, au Manitoba, l’autre à Calgary. Il attaqua le nationalisme canadien-français mais parla peu des écoles catholiques. Pourtant, on a souvent dit que la législation scolaire et linguistique adoptée par la suite au Manitoba devait quelque chose à ces discours. On ne peut guère considérer McCarthy comme l’instigateur de ces lois – la situation, les chefs et la population de la province en expliquent suffisamment l’adoption –, mais il est vrai que lui-même et l’Equal Rights Association leur apportèrent une espèce de légitimation. Une fois revenu de l’Ouest, il prononça plusieurs allocutions sur les « droits égaux », dont la plus importante à la fin de l’année, à Ottawa, où il proclama avec audace que, grâce à l’appui populaire, l’Equal Rights Association pourrait décider du résultat des élections dans toutes les circonscriptions.
Déterminé à défendre les « droits égaux » aux Communes, McCarthy présenta en janvier 1890 un projet de loi réclamant l’abolition des garanties sur le français que contenait l’Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875. Le préambule du projet – « dans l’intérêt de l’unité nationale au sein du Dominion [...] il doit y avoir communauté de langue entre les habitants du Canada » – était aussi provocateur pour les francophones que le préambule de Mercier à la loi sur les biens des jésuites pouvait l’être pour les protestants anglophones. Dans le débat qui suivit, et que l’historien Peter Busby Waite a rangé parmi les « grands débats de l’histoire du Parlement canadien », les députés discutèrent de « ce qu’était le Canada et de ce qu’il devrait être ». McCarthy prônait l’unilinguisme parce qu’il tenait pour acquis que l’unité nationale exigeait l’uniformité culturelle. Ce présupposé, il le justifiait en citant à la fois une source passée, lord Durham [Lambton*], qui avait une expérience « pratique », et des sources contemporaines, à savoir des penseurs nationalistes, tels Edward Augustus Freeman et Max Müller, professeurs à Oxford, qui s’appuyaient sur la nouvelle « science de la langue ». Sir John Stephen Willison* rappela plus tard qu’il parla « trois ou quatre heures, avec une superbe maîtrise de soi, une remarquable précision de l’énoncé et une concentration totale sur les faits et principes fondamentaux ». « L’homme était dans sa cause », ajoutait-il. Si, après la Conquête, on avait incité les francophones à parler anglais, affirmait McCarthy, le Canada serait uni, anglais dans les faits et anglais de cœur, et personne n’aurait tenté de créer une nation française et catholique séparée de la nation canadienne. Il essuya des attaques féroces et se retrouva presque seul contre tous (le ministre de la Justice sir John Sparrow David Thompson, qui était catholique, fut son adversaire le plus efficace), mais il ne dévia pas de la logique par laquelle il entendait démontrer comment réaliser l’unité nationale.
Les Communes paraissaient condamnées à la division raciale jusqu’à ce qu’un compromis trouvé par Thompson désamorce le débat. Le Parlement continuerait de garantir l’usage du français dans les tribunaux et les affaires instruites dans les Territoires du Nord-Ouest ; cependant, l’Assemblée législative pourrait choisir la langue des débats et de leurs comptes rendus. La modification proposée par Thompson recueillit une majorité écrasante, mais McCarthy jura de continuer la lutte jusqu’à ce que le moindre vestige de dualisme ait disparu de l’Ouest. Son succès mitigé aux Communes fut plus que compensé par les gains que fit ailleurs le mouvement pour les « droits égaux ». Au Manitoba, Joseph Martin*, procureur général du gouvernement libéral de Thomas Greenway*, fit adopter par l’Assemblée, pendant la session de 1890, un projet de loi qui abolissait l’usage officiel du français et les écoles séparées. En Ontario, William Ralph Meredith, s’inspirant de l’Equal Rights Association, réclama des restrictions à l’usage du français et aux écoles séparées, ce qui força le gouvernement libéral d’Oliver Mowat à modifier le système d’enseignement.
L’Equal Rights Association s’était présentée comme un regroupement non partisan et, même si l’esprit de parti n’en fut jamais tout à fait absent, William Caven et d’autres chefs avaient réussi à masquer ses conflits internes. Cependant, sous la pression occasionnée par la campagne électorale provinciale d’Ontario, au printemps de 1890, la politique partisane refit surface. John Charlton*, libéral fédéral et fervent partisan de l’Equal Rights Association, appuya Mowat. McCarthy se montra plus circonspect mais, croyant que Meredith pouvait gagner, il tenta de pousser l’Equal Rights Association du côté des conservateurs. En mai, les membres de l’exécutif de l’association ne parvinrent pas à s’entendre sur la question de savoir si les libéraux avaient fait assez de changements. Selon Charlton, McCarthy essayait de faire de l’association une « machine auxiliaire du torysme ». Furieux, McCarthy répliqua que c’étaient Charlton et les réformistes qui sacrifiaient les principes de l’association à des fins partisanes. Charlton fit alors ouvertement campagne pour les libéraux. McCarthy, de plus en plus critique à l’endroit de Mowat, appuya une revendication extrémiste de l’Equal Rights Association : modifier la constitution pour abolir les garanties relatives aux écoles séparées en Ontario.
En juin, Mowat remporta une victoire retentissante et, quoique plusieurs candidats conservateurs et libéraux victorieux aient été acquis aux principes des « droits égaux », un seul candidat de l’Equal Rights Association fut élu (George Campbell dans Durham East). Heureux de ce piètre résultat, Macdonald s’attela à la tâche de regagner avant les élections fédérales de 1891 l’allégeance des catholiques désenchantés et des protestants militants. McCarthy, sans abandonner la cause des « droits égaux », retourna alors dans le giron du parti et remporta une autre victoire sous la bannière conservatrice. L’Equal Rights Association n’exerça aucune influence sur le résultat des élections, mais elle avait déjà fait suffisamment de mal en favorisant les controverses scolaires et linguistiques. Le 10 juillet 1890, Macdonald avait d’ailleurs fait part de son inquiétude à James Robert Gowan* de Barrie : « Le démon de l’animosité religieuse, qui, je l’espérais, avait été enterré dans la tombe de George Brown [*], est ressuscité [...] McCarthy a semé les dents du Dragon – Je crains qu’elles ne sortent de terre sous forme d’hommes armés. »
Macdonald mourut en 1891, après les élections. À ce moment, McCarthy semblait réconcilié avec le parti. Il fit valoir ses prétentions à la succession en affirmant que Macdonald avait laissé en héritage la mission de construire une grande nation au sein de l’Empire britannique, mais peu de conservateurs l’appuyèrent. Même s’il conservait sa place sur les premières banquettes, il refusa de faire partie des cabinets de John Joseph Caldwell Abbott et de son successeur Thompson parce que le gouvernement ne voulait pas appuyer les « droits égaux ». Cependant, ce n’est ni la langue ni la question scolaire, mais ses idées sur la fédération impériale et la réforme tarifaire qui l’amèneraient à rompre définitivement avec son parti.
McCarthy était devenu président de la section canadienne de l’Imperial Federation League en 1885, mais il n’avait pas cherché à convaincre Macdonald d’en adopter les visées. Il comptait sur le développement naturel du lien impérial et savait que l’aile canadienne-française du parti conservateur se méfiait de tout resserrement des liens avec la Grande-Bretagne. Quand une section du parti libéral plaida en faveur d’une union commerciale avec les États-Unis en 1887–1888, il répliqua en proposant des tarifs préférentiels au sein de l’Empire. Il prit bien soin de présenter sa proposition comme un objectif qui n’entrait pas en contradiction avec la Politique nationale. Puis la controverse sur les biens des jésuites retint son attention et, comme il y jouait un rôle prépondérant, il quitta la présidence de la ligue et ne parla guère de réforme tarifaire jusqu’à ce que la conjoncture du début des années 1890 l’amène à s’y intéresser de nouveau.
Les conservateurs remportèrent les élections de 1891, mais en Ontario les libéraux accrurent leur pourcentage du vote populaire. McCarthy accusa alors l’Empire de ne pas avoir su contrer la propagande annexionniste de sir Richard John Cartwright*, tout en reconnaissant que les gains des libéraux avaient un motif plus profond : les fermiers ontariens étaient de plus en plus nombreux à souhaiter une réforme tarifaire. Sentant que son parti devait tenir compte de ce sentiment réformiste, il reprit position en faveur d’une fédération impériale et alla même jusqu’à critiquer la Politique nationale. Désormais, affirma-t-il, les industries canadiennes devaient être prêtes à se débrouiller seules ou à ne compter que sur une protection raisonnable. La réciprocité absolue que prônaient les libéraux n’était pas une solution : les Canadiens n’avaient pas à aller mendier à Washington des faveurs tarifaires qui leur seraient refusées s’ils n’étaient pas disposés à accepter l’annexion. Convaincu que le gouvernement conservateur avait l’intention de s’en tenir à la Politique nationale pour défendre les intérêts des manufacturiers, il retourna dans Simcoe North à la fin de décembre 1892 afin d’obtenir le mandat de le défier sur la réforme tarifaire. Le 30 décembre, ayant découvert ses intentions, David Creighton de l’Empire lança contre lui une offensive éditoriale qui amena McCarthy à rompre ouvertement avec son parti en janvier 1893.
Creighton rejetait McCarthy du parti en raison de ses « tergiversations » sur la politique tarifaire, mais en fait, c’est depuis la controverse sur les biens des jésuites qu’il réclamait son expulsion. McCarthy, que l’on avait empêché d’influer de manière notable sur la ligne de pensée de l’Empire, avait d’ailleurs critiqué la direction de Creighton. En 1891, celui-ci s’était attaché à Thompson et l’avait pressé de faire fi de l’opposition de McCarthy et de prendre la tête du parti conservateur. L’année suivante, l’accession de Thompson au poste de premier ministre du Canada exacerba sa rivalité avec McCarthy. Ce dernier se méfiait des prises de position de Thompson sur les relations entre l’Église et l’État et il le tenait responsable du « faux compromis » que la chambre avait été contrainte d’adopter dans l’Acte des Territoires du Nord-Ouest. De plus, en 1893, il allait reprocher à Thompson et à son gouvernement de contester la loi des écoles du Manitoba devant la Cour suprême. Quant à Thompson, il estimait avoir eu bien assez d’égards pour cet homme qui lui apportait un « appui insuffisant » et, une fois devenu premier ministre, il refusa de faire le moindre geste pour le rapprocher du parti.
Une fois qu’il eut compris que le parti ne réfuterait pas les accusations lancées contre lui par l’Empire, McCarthy décida d’expliquer sa position à ses commettants en les convoquant à une assemblée le 25 janvier 1893 à Stayner. Il affirma être un aussi bon conservateur que tous les membres du gouvernement et laissa entendre qu’il était le véritable héritier de Macdonald. Le même homme, la même politique et le même drapeau avaient constitué les atouts du parti dans le passé. À présent, dit-il, le « même homme » était mort, mais le parti pouvait garder la « même politique » ; dans un geste qui frôlait la démagogie, il agita le Union Jack au-dessus de sa tête en proclamant : « je prendrai le même drapeau ».
McCarthy jura de tenir une position indépendante, et pendant la session de 1893 ses interventions sur les deux principales questions qu’étudiait la chambre, à savoir les écoles et la réforme tarifaire, allèrent à l’encontre des positions du gouvernement. Encouragé par les appuis nombreux qu’il recevait, il fondait dès la fin de la session, au printemps, un tiers parti qui défendait ses thèmes habituels, l’Equal Rights League. Elle appuyait la réforme tarifaire et s’opposait à l’exercice de toute coercition sur les provinces en matière de langue ou d’éducation. C’étaient ses moyens à lui d’empêcher les Canadiens français de freiner l’avènement d’une véritable nation canadienne, et le programme de la ligue niait expressément que la Confédération promettait l’égalité aux francophones et aux anglophones dans le nouveau domaine de l’Ouest.
À la fin de 1893, ce tiers parti avait un seul allié au Parlement, William Edward O’Brien. Certains partisans de McCarthy étaient optimistes, mais la ligue devait encore démontrer qu’elle était viable en tant que parti politique. Elle avait recueilli peu de fonds et n’avait mené aucune lutte électorale ; de plus, le congrès prévu pour novembre avait été retardé. Cependant, après avoir parcouru l’ouest de l’Ontario au début de 1894, l’organisateur de la ligue, William G. Fee, signala que le programme avait été diffusé dans plusieurs circonscriptions et que l’avenir s’annonçait fort bien. McCarthy s’engagea alors à prononcer autant d’allocutions que le lui permettait son horaire chargé d’avocat, préférant des endroits où il pouvait se rendre par train et prendre la parole le soir afin d’être de retour à Toronto le lendemain matin avant l’ouverture des tribunaux.
La ligue semblait pouvoir nouer une alliance avec deux mouvements américains qui avaient fondé des sections au Canada au début des années 1890, soit la Protestant Protective Association [V. Oscar Ernest Fleming*] et les Patrons of Industry [V. George Wesley Wrigley*]. Si McCarthy, qui avait cependant tendance à surestimer la force des sentiments et mouvements populaires, pouvait établir une relation étroite avec l’un de ces groupes ou les deux, peut-être pourrait-il commander l’équilibre des partis dans le prochain Parlement du dominion.
La Protestant Protective Association, organisation secrète dont les membres étaient liés par serment, était considérée par le Mail comme une alliée naturelle de McCarthy, car elle s’appuyait largement sur les orangistes elle aussi. McCarthy mit fin à ces rumeurs d’alliance dans une série de discours prononcés d’octobre 1893 à janvier 1894. Il refusa d’assister à un congrès de l’association et nia avoir jamais prétendu être le champion des protestants. Il ne pouvait accepter un programme qui visait à transformer les catholiques en citoyens de seconde zone et n’avait jamais rien dit contre la religion de qui que ce soit. Toutefois, comme l’association piétinait, elle chercha à s’approprier la prééminence et la respectabilité de McCarthy en prétendant avoir conclu une alliance avec lui. Il écarta toute idée de fusion avec elle, car elle symbolisait le fanatisme, mais il invita ses membres à voter pour l’Equal Rights League à condition que cela ne le lie en aucune manière.
De toute évidence, les Patrons of Industry comptaient davantage pour McCarthy, qui était venu en contact avec ce mouvement de fermiers en 1893, lorsqu’il avait parlé en chambre de la réforme tarifaire et du mécontentement des agriculteurs à l’endroit de la Politique nationale. Après les élections ontariennes de juin 1894, où les Patrons of Industry firent très bonne figure, il les invita ouvertement à sauter dans l’arène fédérale. Populaire auprès des simples membres de l’organisme, il avait cependant du mal à s’entendre avec le grand président, Caleb Alvord Mallory*, et avec le conseil. Populistes, les Patrons of Industry se méfiaient des gens des professions libérales, donc des avocats, en qui ils voyaient des exploiteurs de la société. De son côté, McCarthy ne pouvait pas accepter les réformes radicales que contenait leur programme, mais il les flattait en disant qu’ils pourraient former la majorité dans la prochaine Assemblée ontarienne. Les élections fédérales suivantes allaient porter surtout sur le commerce, question sur laquelle les partisans de McCarthy et les Patrons of Industry, bien qu’indépendants les uns des autres, partageaient une position commune : les fermiers voulaient des marchandises moins chères, et McCarthy travaillait infatigablement dans ce sens. Même si le conseil des Patrons répugnait à conclure une alliance, les membres étaient de plus en plus nombreux à soutenir McCarthy.
Dès l’automne de 1894, des signes montraient que McCarthy approchait à grands pas de son but, soit réunir un grand parti d’hommes indépendants et patriotes qui commanderait l’équilibre des partis. La Protestant Protective Association, affaiblie et découragée certes, se rapprochait de lui par principe. Dans bien des secteurs, les Patrons of Industry, défiant leur conseil, promettaient de le soutenir et lui laissaient entrevoir la possibilité d’une alliance étroite. En outre, il réalisait encore des gains dans l’ordre d’Orange, où la base en avait assez du leadership de Nathaniel Clarke Wallace*. Membre des « nobles treize » devenu contrôleur des douanes, celui-ci avait tenté aux Communes, en 1893, de discréditer l’opposition de McCarthy aux écoles séparées parce que sa belle-fille, Mary Agnes Fitzgibbon [Bernard*], dont il assurait la subsistance, était catholique. Enfin, McCarthy avait des relations beaucoup plus amicales qu’auparavant avec les libéraux, car ses idées sur la réforme tarifaire avaient gagné un large appui dans leur parti et sa rupture avec les conservateurs en faisait un allié probable.
La mort de Thompson, en décembre 1894, porta un coup terrible au parti conservateur. Le cabinet comptait peu d’hommes remarquables, mais toute possibilité pour McCarthy de réintégrer les rangs du gouvernement pour diriger le parti s’évanouit quand, le même mois, un sénateur et membre du cabinet, sir Frank Smith*, déclara à la presse : « Il y a un gentleman qui a raté sa chance, et c’est Dalton McCarthy. Il aurait peut-être succédé à sir John Thompson si les choses s’étaient passées autrement. » Les conservateurs s’entendirent pour choisir Mackenzie Bowell*. On se mit à se demander si McCarthy ne servirait pas sous les ordres de ce vieil orangiste, ce qu’il nia en faisant l’une des sèches mises au point dont il avait le secret. Les mêmes différends l’opposeraient au nouveau gouvernement, expliqua-t-il, car Bowell était résolu à poursuivre la politique de coercition et de protection tarifaire. Bowell souffrait d’ailleurs de la faiblesse commune aux chefs orangistes – il ne votait jamais pour le protestantisme sauf si ce geste convenait à son parti. Il est vrai qu’à Ottawa personne n’avait le courage de se mettre à dos le vote francophone. McCarthy était l’unique exemple de ce qui attendait celui qui s’y risquait : « J’ose dire que j’aurais été premier ministre du Canada si j’étais demeuré au parti conservateur – mais je suppose que je ne le serai jamais [...] et n’aurai peut-être jamais de poste », déclara-t-il en décembre 1894 au cours d’une allocution à Picton, en Ontario.
À compter de 1895, ce furent les décisions judiciaires sur la loi scolaire du Manitoba qui déterminèrent la trajectoire politique de McCarthy. En février 1894, la Cour suprême avait rejeté un appel de la minorité catholique contre cette loi. Puis le rejet avait été porté devant le Conseil privé ; c’était l’affaire Brophy, dont l’audition avait commencé la veille de la mort de Thompson. En février 1895, le Conseil privé déclarait que le gouvernement du Canada avait le droit d’entendre un appel et d’adopter une loi correctrice. Le cabinet convoqua donc des représentants de la minorité catholique et du gouvernement du Manitoba. En mars, McCarthy comparut au nom du Manitoba ; de son côté, John Skirving Ewart* présenta l’appel de la minorité. Convaincu que le cabinet avait déjà tranché en faveur de l’appel, McCarthy mit en doute l’impartialité de cette procédure quasi judiciaire. Puis, pendant que le cabinet délibérait, il présenta ses arguments à la population. Au cours d’une « assemblée monstre » qu’il avait organisée avec d’autres à Toronto, il protesta contre la coercition exercée sur le Manitoba. Une semaine plus tard, à Orangeville, il mit les leaders orangistes au défi de s’opposer à cette coercition. Tout en admettant le droit d’appel, il soutenait qu’il s’agissait là d’« un pouvoir si contraire au principe directeur qui régissait la répartition de l’autorité législative entre le dominion et les provinces [...] que c’[était] une juridiction qui ne [devait] jamais être exercée sauf dans les cas d’abus le plus flagrant du pouvoir provincial ». La question, disait-il, était de savoir si le Manitoba serait gouverné par sa propre Assemblée ou par l’élite francophone de Québec. Il reprocha vertement à Bowell de sacrifier ses principes orangistes pour conserver le pouvoir et prévint Wallace, qui avait l’occasion de diriger la résistance des orangistes aux volontés de la province de Québec, que ceux-ci ne lui pardonneraient jamais s’il était encore au cabinet cinq minutes après l’adoption d’un décret visant à corriger la loi.
Le 21 mars, le cabinet rendit un décret dans lequel il demandait au Manitoba de restaurer les droits et privilèges de la minorité dans le domaine de l’éducation. McCarthy ne s’attendait pas à autre chose de la part du gouvernement, et il savait aussi ce que ferait le Manitoba. Le procureur général Clifford Sifton* lui avait écrit le 11 mars que son gouvernement, après avoir étudié le décret pendant un « temps raisonnable », refuserait de le mettre à exécution, ce qui renverrait le problème au gouvernement fédéral.
Cette querelle fut au centre de nombreux débats au cours de deux élections partielles fédérales auxquelles le tiers parti de McCarthy participa en Ontario en 1895. On considérait celle de Haldimand, la première à laquelle le parti prenait part depuis sa formation, comme une épreuve déterminante de sa viabilité. Dans l’espoir de gagner des appuis parmi les libéraux, McCarthy invita Sifton à se joindre à lui en avril, et tous deux exposèrent clairement à l’électorat deux droits chers aux Ontariens, l’autonomie et l’autodétermination provinciales. Le décret, affirmaient-ils, n’était pas une demande rationnelle de réparation, mais plutôt une intervention vengeresse qui visait la restauration de tout un système d’écoles séparées à la fois coûteuses et inefficaces. Cependant, la « horde des travailleurs d’élection » était trop puissante, et les coffres de guerre du gouvernement trop bien garnis, si bien que le député conservateur Walter Humphries Montague remporta la victoire sur Jeffery A. McCarthy, membre du cabinet d’avocats de D’Alton McCarthy à Barrie.
La seconde élection partielle, qui se tint la veille de Noël dans Cardwell, montra combien les forces de l’opposition pouvaient être puissantes quand elles s’unissaient. Au cours d’une réunion secrète tenue plus tôt dans le mois, McCarthy, le grand secrétaire-trésorier des Patrons of Industry, L. A. Welch, et le libéral Edward Farrer* du Globe s’étaient partagé les circonscriptions ontariennes en fonction de la force présumée de chacun de leurs groupes et avaient promis d’appuyer le candidat qui avait le plus de chances de gagner. Dans Cardwell, le candidat du tiers parti, William Stubbs, remporta une victoire écrasante grâce à un fort soutien de la part des Patrons of Industry et des libéraux, et malgré l’énergie que le gouvernement avait déployée pendant la campagne. McCarthy gagna donc, en la personne de l’orangiste Stubbs, un deuxième allié au Parlement.
Afin de combattre le gouvernement, alors dirigé par Tupper, et le projet de loi correctrice rédigé en réponse au refus du Manitoba d’obtempérer au décret de 1895, McCarthy s’employa, en chambre, à réunir autour de lui les forces anticoercitives. Quand Tupper, pour empêcher le projet de loi de s’enliser, ordonna que le Parlement siège le jour et la nuit, McCarthy organisa l’opposition et ses alliés en « petites bandes » de 15 à 20 hommes qui se relayaient toutes les 8 heures – sa stratégie était de « prolonger les débats » afin que le projet de loi ne puisse être adopté avant la clôture des travaux. Exaspéré, Tupper laissa tomber son projet le 16 avril 1896 et déclencha des élections. McCarthy avait atteint son but – obliger le gouvernement à faire appel au peuple – et il était certain du verdict. Même si, depuis le début de l’année, il avait encore prononcé des discours où il niait être libéral, il était ouvertement l’allié des libéraux au moment des élections.
McCarthy se présenta dans Simcoe North et dans Brandon, au Manitoba, où il tenta d’obtenir l’appui des Patrons of Industry et de contrer la forte poussée de Tupper dans l’Ouest. Le scrutin eut lieu le 12 juin et, grâce à une majorité écrasante au Québec, Wilfrid Laurier* et le parti libéral furent élus. En Ontario, le tiers parti obtint des résultats décevants, que compensa cependant le succès personnel de McCarthy (dans Simcoe North et Brandon) et de Stubbs (dans Cardwell). Comme McCarthy n’avait pu se réconcilier avec Wallace, les orangistes n’avaient pas voté en bloc. Cependant, le fait que Tupper ait accepté des candidats conservateurs opposés à la coercition avait peut-être joué davantage. Bien qu’elle n’eût pas remporté le succès souhaité, l’alliance des partisans de McCarthy, des Patrons of Industry et des libéraux allait contribuer à la défaite de la solution coercitive. Si le but de McCarthy était la chute du parti conservateur, il avait réussi. Certes, il n’était pas parvenu à convaincre les électeurs conservateurs de l’appuyer, mais un grand nombre de conservateurs opposés à la coercition avaient été élus, et le fait de se trouver dans l’opposition ne fit que renforcer leur détermination.
Malgré l’échec de son tiers parti, McCarthy voyait ses principes triompher. Le parti libéral abandonnait le continentalisme économique de Cartwright pour une libéralisation des échanges avec la Grande-Bretagne et les États-Unis. Le premier tarif libéral, adopté en 1897, prévoyait un régime de faveur pour les pays de l’Empire et était, sous bien des aspects, conforme à ses désirs. Le règlement que Laurier apporta à la question des écoles du Manitoba correspondait essentiellement à ce que la province avait offert au gouvernement conservateur en 1896 (sécularisation du réseau scolaire public et période d’instruction religieuse à la fin de chaque journée d’école), et la proposition manitobaine portait la marque de l’influence de McCarthy.
McCarthy pouvait donc éprouver quelque satisfaction en songeant à sa vie politique. Certes, il aurait pu être premier ministre du pays, mais il avait le sentiment de s’être taillé une place plus honorable en adoptant une position indépendante. Il était convaincu qu’en combattant l’idée d’un Canada bilingue et biculturel il avait empêché la croissance d’une « nationalité bâtarde » qui aurait freiné le développement d’une véritable identité canadienne. Le Canada serait une nation britannique, il en avait l’assurance. Laurier, qu’il avait félicité publiquement d’avoir eu, sur la question scolaire, une « attitude audacieuse, digne d’un véritable homme d’État », pouvait manifester assez d’autorité pour résister aux interventions de la hiérarchie catholique et même pour risquer « l’anathème des classes fanatiques parmi ses propres partisans ». L’Ouest aussi était entre bonnes mains. Son ami Clifford Sifton, ministre fédéral de l’Intérieur, favoriserait l’immigration qui assurerait l’avenir d’une nation britannique distincte en Amérique du Nord.
Après 1896, McCarthy se consacra de plus en plus à son travail d’avocat et participa rarement aux débats parlementaires. Pourtant, il se rapprochait toujours davantage des libéraux. Après avoir été éprouvés par la stratégie d’obstruction menée en 1896 contre la coercition, ses liens avec John Charlton, grit et membre des « nobles treize » en 1889, se raffermissaient. Par ailleurs, McCarthy fréquentait déjà le gouverneur général, lord Aberdeen [Hamilton-Gordon*], quand il eut l’honneur en 1897 d’accueillir le couple vice-royal au Toronto Hunt Club où, en qualité de président, « vêtu de son manteau rose, montant une adorable jument », il impressionna jusqu’à lady Aberdeen [Majoribanks*], qui le trouva « charmant et capable ». Même si leurs opinions politiques divergeaient, McCarthy avait souvent été invité par le gouverneur à dîner à sa résidence. Peut-être même lady Aberdeen contribua-t-elle à rapprocher Laurier et McCarthy ? Elle conçut un attachement particulier pour ce dernier après qu’il eut accepté de défendre son mari au Parlement contre les accusations d’ingérence inconstitutionnelle portées par Tupper à la suite de la défaite conservatrice de 1896.
En 1898, au terme de longues négociations, McCarthy consentit à entrer au cabinet de Laurier, fort probablement à titre de ministre de la Justice. Le 8 mai, comme il s’apprêtait à retourner à Ottawa pour régler les derniers détails de sa nomination, il fut blessé dans un accident de voiture. Il mourut le 11 sans avoir repris conscience. Selon le Globe, ses obsèques furent « parmi les plus imposantes jamais vues à Toronto ». La liste des porteurs du drap mortuaire révèle combien l’éventail de ses relations était large : sir Frank Smith, sénateur irlando-catholique ; Goldwin Smith*, continentaliste et anti-impérialiste ; George Robert Parkin*, partisan d’une fédération impériale ; enfin Britton Bath Osler, Christopher Robinson*, John Hoskin et Adam Rutherford Creelman, tous membres de son cabinet d’avocats.
Le service funèbre de McCarthy se tint chez lui, rue Beverley, en face de l’endroit où avait eu lieu celui de George Brown. Or on l’avait accusé – pas tout à fait à tort – de reprendre la politique protestante prônée par Brown en 1857. Il sentait que la province de Québec était perdue pour le parti conservateur et que celui-ci devait renforcer sa base en Ontario en gagnant l’adhésion de réformistes loyaux à la couronne et autres éléments anglophones. « Aucun homme n’a aussi bien exprimé le sentiment de la population torontoise », notait le Globe, qui soulignait aussi ses qualités personnelles. Les Canadiens se souviendraient de lui comme d’un « homme courageux, un fonctionnaire incorruptible et, dans la sphère plus douce de la vie mondaine, un compagnon exceptionnel et intéressant ».
Au fil des ans, l’histoire n’a pas toujours été tendre envers D’Alton McCarthy. En fait, l’analyse critique de sa carrière a commencé de son vivant. Presque sans exception, les observateurs de son temps le tenaient pour le grand instigateur de l’agitation qui avait entouré l’adoption du projet de loi sur les biens des jésuites, comme des débats sur la question linguistique du Nord-Ouest et sur les écoles du Manitoba. Accusé par certains de fanatisme racial et religieux, il vit ses adversaires et ses anciens alliés mettre ses motivations en doute et attaquer ses positions. Les journaux de l’époque, qu’ils aient été ou non sympathiques à ses vues, convenaient que sa carrière ne pourrait être évaluée correctement que dans l’avenir. Lui-même estimait qu’on le comprendrait peut-être mieux un jour. « Si jamais j’acquiers la renommée, dit-il dans un discours prononcé à Owen Sound en 1896, ce sera à titre posthume. »
McCarthy a tout de même eu ses défenseurs, quoiqu’ils aient tenté de comprendre ses idées et ses actes plutôt que de les légitimer. Un jugement nuancé est apparu dans les années 1930 sous la plume de Fred Landon qui, dans un ouvrage spécialisé, servait l’avertissement suivant : « le considérer uniquement comme un agitateur [...] c’est négliger complètement les éléments de grandeur intellectuelle et morale qui furent manifestes dans sa carrière ».
Dans les années 1960, d’autres opinions se sont fait jour. La bonne entente qui entourait le centenaire de la Confédération et l’optimisme engendré par le Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme laissaient présager que la dualité culturelle de l’État-nation canadien pourrait enfin s’exprimer pleinement. C’est dans cette atmosphère que des chercheurs comme Lovell Crosby Clark et Ramsay Cook ont repris les jugements négatifs sur McCarthy. « La controverse des écoles du Manitoba en 1889 ne naquit d’aucune nécessité inhérente à la situation locale, écrivait Clark, mais des interventions d’un démagogue et d’un fanatique qui réussit à attiser les préjugés des protestants anglo-saxons du Manitoba. » Pour sa part, Cook concluait que le nationalisme de McCarthy s’inspirait de la soif du pouvoir et du désir de couler la nation dans un moule tout fait d’avance, et qu’il était condamné à l’échec parce qu’il divisait au lieu d’unifier. Les événements des années 1970 allaient amener certains Canadiens anglais à éprouver, devant le nationalisme canadien-français, des craintes qui n’étaient pas sans rappeler celles que McCarthy ressentait dans les années 1880 et 1890, et conduire Donald Grant Creighton* à répéter, avec amertume, que le progrès et l’unité du Canada étaient menacés.
À présent, l’héritage de McCarthy se trouve entre les mains de Peter Busby Waite et de James Rodger Miller, qui le gèrent fort bien. Tout en rejetant ses présupposés, Waite voit en lui un personnage tragique, animé de convictions sincères, « une des figures les plus nobles du Canada anglais ». « Il était impossible, dit-il, de ne pas respecter et même peut-être de ne pas admirer McCarthy. Il était tout aussi impossible d’être d’accord avec lui. Sa cause [...] ne menait qu’à l’éclatement. » Quant à Miller, personne n’a fait plus que lui pour situer McCarthy dans le contexte de son époque. Dans son étude sur l’agitation pour les « droits égaux », il constate que les attaques contre l’enseignement catholique et la langue française étaient nées d’un malaise en Ontario, où la loi sur les biens des jésuites avait semblé une provocation à ceux qui croyaient en une nation britannico-canadienne et qui s’inquiétaient de plus en plus du catholicisme ultramontain, du nationalisme canadien-français et des conséquences néfastes de l’industrialisation et de l’urbanisation. Loin d’être l’« œuvre d’un groupuscule d’excentriques », et abstraction faite de son échec, le mouvement en faveur des « droits égaux » était un authentique mais déplorable « rejeton du grand courant de la vie intellectuelle et politique du Canada ».
Dans l’étude qu’il a consacrée à la pensée anticatholique du Canada victorien, Miller note que la tradition de défense du protestantisme, héritée de la Grande-Bretagne, était devenue synonyme de lutte pour la « survivance nationale » aux yeux de bien des Canadiens anglais. À compter des années 1870, ils s’inquiétèrent de plus en plus de ce que l’Église catholique faisait dans la province de Québec et de « son rôle dans la préservation, voire dans l’expansion, de la présence canadienne-française dans la Confédération. Selon certains critiques, poursuit Miller, cette inquiétude [...] était déclenchée par la conviction croissante que c’était le manque d’unité ou d’uniformité qui expliquait l’incapacité de réaliser rapidement les rêves des Pères de la Confédération. »
Miller conclut son portrait de l’énigmatique D’Alton McCarthy en retournant aux méditations de Landon. On n’a pas affaire à un fanatique isolé ni à un homme politique égoïste, mais à un nationaliste canadien-anglais habité par une vision particulière de l’avenir du pays. En outre, suggère Miller, on ne saurait le réduire à ses célèbres idées nationalistes et fédéralistes. Il s’intéressait vivement aux questions sociales et économiques, comme en témoigne sa position sur la réforme tarifaire et le tribunal des commissaires des chemins de fer. Réformiste tory, il devança son époque en prônant des lois progressistes et en se préoccupant des conséquences sociales des tensions créées par l’industrialisation et l’urbanisation. Pour Miller, McCarthy reflète les craintes et les aspirations de son temps mieux que tout autre homme politique canadien-anglais.
AN, MG 26, A ; D ; G ; MG 27, I, E7 ; E17 ; II, D15.— AO, MU 3088–3100.— UTFL, ms coll. 110.— Canada, chambre des Communes, Débats, 1877–1898 ; Parl., Doc. de la session, 1877–1898, particulièrement 1895.— Sentinel (Toronto), 1875–1898.— Empire (Toronto), 1887–1895.— Globe, 1877–1898.— Northern Advance and County of Simcoe General Advertiser (Barrie, Ontario), 1877–1898.— Toronto Daily Mail, 1877–1895.— L. C. Clark, The Manitoba school question : majority rule or minority rights ? (Toronto, 1968).— Ramsay Cook, Canada and the French-Canadian question (Toronto, 1966) ; The maple leaf forever ; essays on nationalism and politics in Canada (Toronto, 1971).— Creighton, Macdonald, old chieftain.— D. A. Guthrie, « The imperial federation movement in Canada » (thèse de
Larry L. Kulisek, « McCARTHY, D’ALTON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 11 nov. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/mccarthy_d_alton_12F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/mccarthy_d_alton_12F.html |
Auteur de l'article: | Larry L. Kulisek |
Titre de l'article: | McCARTHY, D’ALTON |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 11 nov. 2024 |