DCB/DBC Mobile beta
+

Dans le cadre de l’accord de financement entre le Dictionnaire biographique du Canada et le Musée canadien de l’histoire, nous vous invitons à participer à un court sondage.

Je veux participer maintenant.

Je participerai plus tard.

Je ne veux pas participer.

J’ai déjà répondu au sondage

Nouvelles du DBC/DCB

Nouvelles biographies

Biographies modifiées

Biographie du jour

ROBINSON, ELIZA ARDEN – Volume XIII (1901-1910)

décédée le 19 mars 1906 à Victoria

La Confédération

Le gouvernement responsable

Sir John Alexander Macdonald

De la colonie de la Rivière-Rouge au Manitoba (1812–1870)

Sir Wilfrid Laurier

Sir George-Étienne Cartier

Sports et sportifs

Les fenians

Les femmes dans le DBC/DCB

Les conférences de Charlottetown et de Québec en 1864

Les textes introductifs du DBC/DCB

Les Acadiens

Module éducatif

La guerre de 1812

Les premiers ministres du Canada en temps de guerre

La Première Guerre mondiale

Titre original :  The Honourable William Warren Baldwin, 183-? | by Toronto Public Library Special Collections

Provenance : Lien

BALDWIN, WILLIAM WARREN, médecin, officier de milice, juge de paix, avocat, fonctionnaire, juge, homme d’affaires et homme politique, né le 25 avril 1775 au domaine familial de Knockmore, au sud de Cork (république d’Irlande), cinquième des 16 enfants de Robert Baldwin et de Barbara Spread ; le 26 juillet 1803, il épousa à York (Toronto) Margaret Phœbe Willcocks, fille de William Willcocks*, et ils eurent cinq fils, dont Robert* ; décédé le 8 janvier 1844 à Toronto.

Robert Baldwin était un gentleman-farmer protestant. Au moment de la naissance de William Warren, il avait du prestige et détenait des charges publiques. Pendant un temps, dans les années 1780, il publia avec son frère le Volunteer Journal ; or, Independent Gazetteer, dont Charles James Fox aurait « parlé favorablement », selon ce qu’affirma plus tard William Warren. Même pendant son engagement politique dans le mouvement des corps volontaires irlandais, Robert Baldwin s’occupa constamment de ses domaines ; en outre, il pouvait compter sur le soutien financier de son protecteur, sir Robert Warren. Pourtant, vers 1788, il fit faillite. Le jeune William Warren reçut malgré tout une solide instruction. Dans son testament, il allait léguer une petite somme à un héritier de son « bon et consciencieux instituteur », le révérend Thomas Cooke, « dont l’attention et la gentillesse [...] exige[aient] ce modeste témoignage de reconnaissance ». Vers 1794, il entra à l’école de médecine de l’University of Edinburgh, où il obtint son diplôme en 1797.

La même année, enthousiasmé par les descriptions reçues d’un ancien voisin, Robert Baldwin décidait, contre l’avis de son protecteur, d’émigrer dans le Haut-Canada. En 1798, il s’embarqua donc avec William Warren, un autre de ses fils et quatre de ses filles. Forcés de passer l’hiver en Angleterre, ils se remirent en route au printemps. Des documents familiaux donnent le 13 juillet 1799 comme date de leur arrivée à York, mais en fait la première requête foncière de Robert Baldwin est datée du 6 juillet. Il désirait obtenir une concession, disait-il, parce qu’il avait entendu parler « de la fertilité du sol, de la douceur [du climat] et du bon gouvernement » de la province. Cependant, comme le raconta la plus jeune de ses filles, d’autres motifs l’avaient poussé à émigrer : les rumeurs persistantes de débarquements français en Irlande l’avaient alarmé au point qu’il avait barricadé sa maison et armé ses domestiques. L’agitation qui avait précédé le soulèvement de la Society of United Irishmen en 1798 l’avait aussi influencé. En 1801, William Warren notait : « les horreurs de la guerre civile ont concouru à nous arracher à notre terre natale ».

Robert Baldwin avait bien préparé son entrée dans la société haut-canadienne. Le 20 août 1798, son ami Hugh Hovell Farmar, dans une lettre d’introduction au président Peter Russell*, Irlandais lui aussi, en parlait comme d’un « gentleman d’excellente famille, honorable, très industrieux et extrêmement compétent dans le domaine agricole ». Russell recommanda fortement au Conseil exécutif d’accepter la requête de Baldwin, qui reçut 1 200 acres. Cependant, il s’installa sur une terre achetée dans le canton de Clarke, près de chez l’une de ses connaissances. Grâce à ses excellentes relations, il ne tarda pas à acquérir de l’influence et à occuper des postes, dont la lieutenance du comté de Durham.

Vivre dans une région sauvage du Haut-Canada déplaisait à William Warren. En ces lieux, écrivit-il à son frère en 1801, il ne trouvait rien de « ce qui agrémente l’existence, nourrit l’espoir ou récompense l’effort ». Les fonctions que le lieutenant-gouverneur Peter Hunter* avait confiées à son père n’apportaient « que de l’honneur et nul profit » ; elles étaient néanmoins « agréables », car elles aidaient, « dans une certaine mesure, à tranquilliser l’esprit ». Lui-même fut nommé lieutenant-colonel de la milice de Durham – « ramassis de maudites canailles [...] sans loi », trouvait-il. Le ler février 1800, il devint aussi juge de paix. L’agitation qui régnait dans la province l’inquiétait ; selon lui, elle était le fait d’Américains « dépourvus de principes ». Ces individus, disait-il, « tenteraient dès demain de renverser l’ordre des choses au pays s’ils avaient la moindre chance de réussir ».

En 1802, tant par goût que par ambition, Baldwin quitta le canton perdu de Clarke pour s’installer dans la petite ville d’York, où il pénétra dans le cercle assez fermé des Russell et des Willcocks. Il fit leur connaissance dans le Haut-Canada, mais ces familles avaient aussi des attaches à Cork, et Farmar leur était « étroitement apparenté ». Pour Baldwin, l’« amitié » de Russell (cousin germain de son futur beau-père, Willcocks) fut particulièrement précieuse. Il était aussi très lié avec un lointain parent de ce dernier, Joseph Willcocks*. En juin 1802, Baldwin servit d’ailleurs d’intermédiaire à Russell auprès de lui : les deux hommes s’étaient brouillés quand Joseph Willcocks avait courtisé Elizabeth Russell*. Toutefois, même York n’offrait guère de possibilités à un jeune médecin ambitieux, et en décembre il annonça l’ouverture d’une école classique pour jeunes gentlemen. On ignore ce qu’il en advint. Sa carrière prit alors une nouvelle orientation. Le jeune homme, qui avait emprunté à Peter Russell les Commentaries on the laws of England, de sir William Blackstone, devint attorney le 22 janvier 1803 et la même année, au trimestre de Pâques, on l’admit au barreau.

Bien en vue dans le milieu mondain, Baldwin apparut pendant quelques mois comme l’un des meilleurs partis d’York. Finalement, en 1803, il épousa Phœbe Willcocks. Les jeunes époux vécurent quelque temps chez les Willcocks ; peu avant la naissance de leur premier enfant, Robert, en mai 1804, ils s’installèrent dans leur propre maison. Malgré la mort de leur deuxième fils en 1806 et la frêle santé du troisième, William Willcocks affirmait en 1807 que sa fille avait fait un « heureux mariage ». Les derniers enfants de la famille, des fils, naquirent en 1808 et 1810. Baldwin était un père affectueux ; dans les journaux personnels de l’époque, on mentionne souvent qu’il se promenait en ville, suivi d’un ou de plusieurs de ses fils.

La société yorkaise était formée de clans à l’exclusivisme d’autant plus âpre que les postes lucratifs étaient rares. La tradition attribue l’ascension de William Warren Baldwin à Peter Russell, mais en fait le pouvoir de celui-ci déclinait déjà à l’arrivée des Baldwin, et c’est de Hunter qu’ils obtinrent la plupart de leurs premières faveurs. En 1806, tandis que les fonctionnaires d’York attendaient, tels des vautours, la chute de James Clark*, greffier du Conseil législatif, Peter Russell pressa en vain le président Alexander Grant* de confier la succession à Baldwin. Pendant plusieurs semaines, au début de la même année, ce dernier occupa à titre intérimaire le poste de greffier de la couronne et des plaids communs mais, en dépit du fait que le juge Robert Thorpe avait affirmé qu’il était « la seule personne, dans la province, à avoir l’instruction et les qualités » nécessaires, la permanence alla plutôt à John Small*. Baldwin ne fut tout de même pas laissé pour compte. Le 5 février 1806, il succéda à David Burns comme maître de la Cour de la chancellerie ; le 19 novembre 1808, il devint greffier de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments ; enfin, le 22 juillet 1809, on le nomma juge d’un tribunal de district.

Pendant le premier mandat du lieutenant-gouverneur Francis Gore* (1806–1811), bien des amis de Baldwin – Joseph Willcocks, William Firth, Thorpe et Charles Burton Wyatt – furent soit suspendus, soit démis de leurs fonctions. Malgré ses liens avec eux, et même si Gore le soupçonnait d’être l’un de ces « Irlandais prêts à s’allier à n’importe quel groupe pour semer la confusion », il fut épargné. Son astuce, durant cet épisode, fut en effet remarquable : ses amitiés étaient connues, et il soutint Thorpe pendant son procès pour diffamation en 1807, mais il ne manifesta pas ouvertement ses sympathies politiques. En octobre 1809, dans une lettre à Wyatt, il put même dire que Gore était « disposé à [lui] venir en aide ». La chance lui souriait donc, comme le montrent ses nominations de 1808 et 1809, mais d’autres se débrouillaient encore mieux que lui. Baldwin n’était pas le seul avocat compétent et ambitieux de la ville, et il prenait en mauvaise part, tout en protestant du contraire, l’ascension fulgurante de John Macdonell* (Greenfield). Après que celui-ci eut prononcé en cour quelques remarques « gratuites et désobligeantes » sur son compte, Baldwin exigea des excuses puis finit par le provoquer en duel. Dans un billet à sa femme (laquelle, avait-il affirmé dans un testament rédigé en toute hâte, était « douée plus que quiconque de toutes les excellentes qualités de son sexe »), il écrivit : « [je t’enjoins] de ne pas te laisser aller à la précipitation ni au ressentiment, mais de me protéger des insultes qu’à titre de gentleman je ne puis tolérer ». Le 3 avril 1812, les deux hommes se rencontrèrent dans l’île Toronto. Macdonell ne leva pas son pistolet, ce que Baldwin interpréta « comme un aveu de son erreur » ; « nous nous sommes serré la main, ajoutait-il, ce qui a mis fin à l’incident ».

Baldwin était fier de sa maisonnée qui, à la fin de la guerre de 1812, comprenait sa femme, ses quatre fils, son père, trois sœurs, sa belle-sœur Elizabeth Russell et quelques domestiques. Pendant encore plusieurs générations, les Baldwin allaient vivre en famille élargie, d’ordinaire à proximité d’autres parents. Baldwin croyait que « la nature a donné au père le rôle de gouverneur absolu dans sa maison ». La figure centrale du foyer était Phœbe, que son fils Robert décrivit plus tard comme « l’esprit supérieur de [la] famille ». Une sœur de William Warren a exalté « l’intelligence admirable et les prouesses intellectuelles » de Phœbe, qui « furent de la plus grande importance et du plus grand secours pour lui ». Dans une lettre à Laurent Quetton* St George en 1815, Phœbe a elle-même résumé ce que le mariage signifiait pour les hommes de la famille Baldwin : « On ne saurait goûter de réel confort domestique sans une bonne épouse. » Elle émerge rarement de l’ombre (il subsiste peu de lettres de sa main), mais ce qu’on peut lire à son sujet révèle un personnage de haute stature. William Warren, de son côté, était un gentleman courtois, raffiné et réaliste, qui avait une haute opinion de lui-même. Il cachait cependant une vulnérabilité qui, bien que négligeable en comparaison de celle de son fils Robert, était plus réelle qu’on ne l’a souvent cru. Elizabeth Russell, dans son journal, parle de lui comme d’« une pauvre créature timorée qui crai[gnait] toujours le pire ». La maladie de Phœbe, à l’automne de 1809, le plongea dans « une humeur chagrine » ; comme il l’expliqua plus tard à St George : « Je suis irlandais et ma femme était malade. » Naturellement, dans une aussi nombreuse tribu, la maladie et la mort n’étaient pas rares. Peter Russell mourut en 1808, William Willcocks en 1813. Robert Baldwin, homme sujet à la « mélancolie », s’éteignit en novembre 1816. William Warren lui-même eut au printemps de 1817 « une attaque qui [...] faillit [l] porter » et dont il mit longtemps à se remettre. À peu près à la même époque, sa sœur Alice (Ally) sombra dans une « folie malheureuse » et parfois violente. En 1819, après deux tentatives de suicide, on l’envoya à l’Hôpital Général de Québec ; elle y resta jusqu’à sa mort, en 1832. Quoique prévu depuis longtemps, le décès d’Elizabeth Russell, en 1822, fut un autre coup dur. Plus éprouvante encore pour Baldwin fut la mort de ses enfants, « la plus grande bénédiction de la vie humaine ». La mort du « doux » Henry, en 1820, l’atteignit profondément, comme celle d’ailleurs de son benjamin en 1829. Dans son testament, il allait demander qu’on place sa « dépouille mortelle » aussi près que possible de celle du dernier de ses fils, son « enfant chéri ».

Par contraste, la vie professionnelle de Baldwin ne fut guère touchée par le malheur, sans être pour autant toujours facile. Attaché à une cour d’assises itinérante, il trouvait du travail là où il le pouvait et intentait des poursuites au nom de divers clients. En juin 1814, il passa quelques jours à Ancaster, où se déroulaient les procès pour trahison [V. Jacob Overholser*], mais « on n’eut recours à [lui] pour aucun d’entre eux ». Cette existence nomade était dure, voire dangereuse. On raconte qu’en 1815 il se perdit dans les bois et dut nager au matin dans les eaux gonflées de la rivière Credit. Toutefois, sa clientèle se multipliait. En 1819, il estima gagner un revenu net d’environ £600 par an. Cette somme, jointe à ses émoluments et à ses revenus immobiliers, lui avait permis de construire l’année précédente, à environ trois milles d’York, sur une terre reçue en cadeau de son beau-père, une maison de campagne qu’il appela Spadina (« mot indien qui signifie colline – ou mont »). Il ouvrit « une avenue à travers bois, si bien que l’on [pouvait] voir les navires monter et descendre la baie ». Tout compte fait, avec l’écurie et les jardins, la maison coûta environ £1 500. En 1819, Baldwin avait trois clercs dans son cabinet : James Edward Small*, son neveu Daniel Sullivan et Simon Ebenezer Washburn. L’année suivante, son fils Robert y entra comme étudiant en droit, et en 1823 son neveu Robert Baldwin Sullivan* y entreprit son stage. Washburn fut son associé à compter de 1820, année de son admission au barreau, et le demeura jusqu’en 1825 ; cette année-là, à son tour, Robert fut admis au barreau et devint son associé.

Dans le Haut-Canada, le commerce était l’assise de tout cabinet d’avocat, et celui de William ne faisait pas exception. Ainsi à partir de 1815 il fut le superviseur principal des entreprises haut-canadiennes de St George, qui était retourné en France. L’année suivante, il abandonna le poste de greffier de la Cour d’enregistrement et d’examen des testaments pour occuper, à la suite de son père, la position lucrative de juge à la Cour de surrogate. Les successions qui revinrent à sa famille (et qu’il gérait avec clairvoyance) accroissaient le volume des affaires de son cabinet ; de surcroît, elles formèrent la base de l’énorme fortune sur laquelle la génération suivante put compter. La femme et la belle-sœur de Baldwin avaient hérité les propriétés de William Willcocks, et quand Maria Willcocks mourut en 1834 sa succession alla à la famille Baldwin. Après la mort d’Elizabeth Russell, Maria et Phœbe avaient aussi pris possession des vastes terres des Russell. William Warren lui-même reçut en héritage la propriété de son père. L’acquisition de terres et la gestion domaniale étaient des facteurs primordiaux de sa prospérité, et il amassa des lots d’excellente qualité, soit cultivés soit en friche. Les années d’après-guerre furent, pour York, une période d’expansion [V. John Ewart*] ; la valeur des propriétés augmenta, au grand avantage de Baldwin. Il possédait en ville de très bons terrains ; il en avait acheté certains, et d’autres provenaient de la succession de son beau-père. Dès les années 1820, il était un gros propriétaire foncier et un homme riche. Chaque année, son cabinet lui rapportait £700, et ses terres en friche, £1 400 (on ignore combien il retirait de la location de ses fermes et immeubles, mais le montant était sans doute considérable). Certes, ses propriétés étaient éparpillées, mais il en tirait un revenu quasi équivalent à celui des propriétaires terriens d’Angleterre. En plus, il avait tout ce que ces gens possédaient : instruction, raffinement, maison de campagne, indépendance financière. Enfin, il était le doyen de sa profession, et il occupa le poste prestigieux de trésorier de la Law Society of Upper Canada pendant quatre mandats non consécutifs (1811–1815, 1820–1821, 1824–1828 et 1832–1836).

Pourtant, la place que Baldwin occupe dans l’histoire du Canada a peu à voir avec tous ces motifs. S’il est si célèbre, c’est qu’il contribua à l’élaboration du principe le mieux connu – mais aussi le plus mal compris – de la vie politique canadienne : le gouvernement responsable. Des générations d’historiens ont reconnu aux Baldwin, père et fils, le mérite d’avoir développé la grande théorie concernant la transformation de la colonie en nation et de l’Empire en Commonwealth.

Pour un homme dont on juge le rôle si essentiel, Baldwin s’engagea publiquement plutôt tard, et cela délibérément, semble-t-il, dans le processus de maturation politique auquel son nom est associé. Avant 1820, comme le prouvent ses liens avec l’opposition d’avant-guerre, il n’était pas sans opinions politiques, mais elles sont difficiles à cerner. On remarque par exemple qu’en 1812 il donna raison à Firth, selon qui « un changement de gouverneur ne [pouvait] modifier que légèrement les mesures ou l’attitude du gouvernement ». Il fut certes déçu, comme Wyatt, de la trahison de Joseph Willcocks, mais il applaudit lorsqu’il vit Wyatt répliquer à « ceux qui le persécutaient ». De plus, comme bien d’autres, il était mécontent du favoritisme du gouvernement. Un de ses correspondants fit observer, à propos du départ de Gore en 1817 : « Cela a bien peu d’importance puisque le parti écossais mène encore et que [ses membres] se partagent tout le gâteau. » Ce grief (l’opposition d’avant-guerre, déjà, avait maintenu que les Écossais monopolisaient les charges publiques et avaient une influence indue sur l’exécutif), Baldwin le trouvait justifié. En 1813, il avait raconté à Wyatt un incident à ce propos. Par suite d’une altercation avec un frère d’Alexander Wood, on avait accusé au criminel des officiers du Royal Newfoundland Regiment et ceux-ci avaient pris Baldwin comme avocat. Après qu’on les eut trouvés coupables de voies de fait, il avait réclamé une suspension de jugement, mais le juge en chef Thomas Scott* rejeta sa requête et leur imposa des « amendes tout à fait excessives ». « Voilà ce qu’il en coûte, concluait Baldwin, de lever la main sur un Écossais. »

Baldwin entra en politique à l’occasion des élections générales de 1820. Confiant de gagner (c’est du moins ce qu’affirmait son fils Robert), il remporta effectivement la victoire, avec Peter Robinson, dans la circonscription d’York and Simcoe. Ces élections suivaient de peu le bannissement de Robert Gourlay*, la poursuite de son partisan l’imprimeur Bartemas Ferguson*, la destitution de Richard Beasley, président du congrès convoqué par Gourlay, et la période où Robert Nichol* avait, avec une énergie remarquable, dirigé les députés de l’opposition en chambre. Baldwin considérait que ses électeurs avaient sollicité sa candidature parce qu’ils attendaient de lui une « rigoureuse fidélité envers la constitution ». Dans une envolée à l’emporte-pièce, il déclara son « tendre respect » pour la liberté britannique et pour la constitution britannique ; « pour garder cette dernière pure à jamais, dit-il, il faut que la première demeure intacte ». Il promettait d’éviter toute opposition factieuse aux « objectifs légitimes du gouvernement », tout en maintenant « que le gouvernement le plus pur exige une activité vigilante de la part de tous ceux que la constitution autorise à le contrôler ». Ainsi William Warren estimait que sa victoire avait donné « une grande satisfaction politique aux milieux indépendants de la collectivité et mortifié les autres ». Pourtant, un historien qui a analysé sa conduite durant cette campagne l’a dépeint comme l’éloquent défenseur du gouvernement, débordant de gratitude pour le poste qu’il lui devait. Cette interprétation est injuste. Baldwin était « reconnaissant » à l’administration de lui avoir donné ce poste, et au gouvernement de l’y avoir maintenu, rien de plus. Deux choses sont évidentes : d’abord, Baldwin était dans une situation assez prospère pour risquer une brouille avec le gouvernement ; ensuite, il n’était pas encore certain que cela était justifié.

Baldwin ne fut ni un administrateur, ni un organisateur, ni un leader des affaires courantes de la huitième législature (1821–1824). Nichol reprit la direction de l’opposition, quoique Barnabas Bidwell* en ait aussi été une figure dominante au cours de l’unique session à laquelle il prit part. Le procureur général John Beverley Robinson* et ses principaux aides, Christopher Alexander Hagerman et Jonas Jones, assumaient le leadership gouvernemental. Des députés comme John Willson* ou Charles Jones intervinrent plus souvent que Baldwin dans les débats et présentèrent plus de projets de loi que lui. Dans l’ensemble, il ne fit que débattre de questions qui reflétaient ses propres priorités.

Baldwin avouait en privé que la situation économique l’inquiétait. Ses préoccupations se concrétisèrent sous la forme d’une motion dans laquelle il proposa de former un comité pour étudier la dépression agricole et l’effondrement des marchés britanniques. Ce comité, qui porta le nom de comité sur les ressources intérieures (Baldwin en faisait partie et Nichol le présidait), déposa son rapport – première ébauche d’une stratégie globale de développement économique pour la province – le 31 mars 1821. Huit mois plus tard, Baldwin appuya la résolution de Hagerman en faveur du soutien à la production de chanvre, secteur que protégeait l’exécutif depuis le mandat de Hunter. Par la suite, dans le but conscient de promouvoir ses intérêts de grand propriétaire, il dénonça, en parlant de l’administration des concessions foncières, « ces restrictions, frais et règlements qui jouaient tant contre les pauvres que contre les capitalistes » et défendit le principe selon lequel la prospérité exigeait « la fusion du capital et du travail ». En 1824, puis en 1828, il fut l’un des critiques les plus perspicaces des lois par lesquelles le gouvernement de Robinson taxait les terres en friche qui appartenaient à des spéculateurs comme lui. À ces deux occasions, il s’allia à Thomas Clark* et à William Dickson, marchands de la région de Niagara qui s’opposèrent à ces mesures au Conseil législatif.

Partisan de la hiérarchie sociale, Baldwin prononça en décembre 1821 le plus limpide énoncé de ses convictions aristocratiques. Il s’opposait alors à un projet de loi parrainé par Bidwell et David McGregor Rogers*, qui aurait éliminé l’application de la règle de primogéniture dans les cas d’intestat. Ce « projet chimérique », qui aurait mieux convenu à une république, « vis[ait] une révolution complète du droit ». « L’aristocratie, fondement de la bienheureuse, bienheureuse constitution de Grande-Bretagne, serait détruite », disait-il. Or, il souhaitait que l’aristocratie soit « défendue dans la colonie afin de préserver la constitution [... et d’éviter] que l’on se précipite vers un régime démocratique en adoptant de nouvelles lois clinquantes ». Robinson, l’avatar de l’ancien régime, n’eut rien à ajouter sinon qu’il était « d’accord en tous points avec lui ».

Baldwin était un constitutionnel whig dont les idées en matière de droit et de politique ressemblaient à celles de l’opposition d’avant-guerre, que dirigeaient Thorpe et William Willcocks, comme à celles de l’opposition d’après-guerre, organisée par Nichol. En prônant une intervention restreinte du gouvernement, la compression des dépenses, l’indépendance des diverses composantes de la constitution et les libertés et droits civils des sujets, il s’inscrivait dans la tradition rurale de la politique anglaise. Son premier discours important, en 1821, exigeait l’abrogation du Sedition Act de 1804 qui, même si on ne l’avait invoqué que pour bannir Gourlay, avait fréquemment été la cible de Nichol depuis 1817. Tant que cette loi demeurait, disait Baldwin, les Haut-Canadiens n’avaient « pas de constitution ; du moins pas de constitution libre ». La loi sur la sédition « restait en vigueur, non seulement en dépit de la Grande Charte, mais en dépit de tous les textes de loi conçus pour garantir la liberté et la protection du sujet ». Il lut ensuite à l’Assemblée de longs passages de Blackstone sur la liberté des sujets de Sa Majesté. Invoquée contre des sujets britanniques, affirmait-il, la loi sur la sédition était « arbitraire et tyrannique ». Elle attaquait le droit au procès devant jury, « grand point de repère de [la] constitution [du pays] », et était plus cruelle que « l’Inquisition ou la Star Chamber ».

Ces propos étaient courants et ne servent qu’à situer Baldwin dans la tradition whig. Plus importantes étaient ses idées concernant la constitution du Haut-Canada. Il s’appuyait abondamment sur la prestigieuse autorité de Blackstone pour parler de liberté mais préférait des modèles irlandais quand il s’agissait de la souveraineté des Parlements coloniaux. Il parla de cette question après le dépôt, en décembre 1821, du rapport d’un comité conjoint de l’Assemblée et du conseil sur les relations commerciales avec le Bas-Canada. (Le rapport de ce comité présidé par Dickson et Robinson était l’œuvre de ce dernier.) Baldwin avait des objections précises contre ce document, mais dans son intervention il fit surtout valoir des questions de principe. « [Le rapport], disait-il, a admis en principe que [...] notre Parlement ne peut imposer des droits sur les importations » ; « il reconnaît que nous sommes incapables de [nous] gouverner [...] nous-mêmes – et en fait consent à abandonner notre constitution [l’Acte constitutionnel de 1791] au Parlement britannique » ; « il n’expose pas en termes clairs ce que nous souhaiterions – mais laisse à la discrétion du Parlement impérial le soin de faire de nous ce qui lui plaira ». Ces principes étaient « propres à ébranler tout ce qui fai[sait] la valeur de [la] constitution [de la province] ». « Le Parlement britannique, poursuivait-il, ne saurait abroger cette loi – le Parlement britannique peut adopter et abroger les lois d’Angleterre parce que les parties qui font les lois sont celles qui les abrogent, mais il n’en va pas de même ici – cette loi donne le pouvoir législatif aux habitants de la province – et on ne peut abroger une loi sans que ces habitants soient partie à son abrogation. » « Mais hélas ! ajoutait-il, voilà justement ce qu’il faut craindre. »

Ce danger devint plus évident, comme Baldwin l’avait prévu, au moment du débat sur un projet d’union entre le Haut et le Bas-Canada, en 1823. Selon lui, l’Acte constitutionnel de 1791 conférait aux habitants de la province « le droit de faire des lois pour [se garantir] la paix, le bien-être et un bon gouvernement, tout en réservant certains pouvoirs au roi et au Parlement [...] afin qu’ils légifèrent dans des cas particuliers ». Le Parlement impérial, soutenait-il, « ne pouvait, constitutionnellement, modifier cette loi sans [le] consentement [du Haut-Canada], sinon [celui-ci] n’aurait pas eu de constitution du tout ». La proposition d’union venait d’une « clique de marchands » bas-canadiens, prêts à troquer quelques « avantages imaginaires [...] en échange de [la] constitution ». Il qualifiait d’« innovations ruineuses » nombre des articles du projet de loi impérial d’union et ne trouvait, « chez les concepteurs de ce monstrueux projet de loi, aucune trace de sagesse, de bon sens ni de justice ». L’élément le plus mystérieux du débat fut l’affirmation de Baldwin selon laquelle les deux colonies canadiennes avaient reçu non pas, comme l’avait souvent prétendu le lieutenant-gouverneur John Graves Simcoe*, « l’image et la transcription » de la constitution britannique, mais plutôt son esprit. Pourquoi, se demandait-il, des esprits impatients voulaient-ils abandonner l’Acte constitutionnel justement au moment où il était sur le point « de transformer le Français en Anglais ; ou plutôt [...] le Français en Canadien » ? Et Baldwin d’ajouter par parenthèse : « car il pourrait exister, et il existe un tempérament canadien distinct du français et qui, sans être anglais, est déjà suffisamment conciliable et parfaitement compatible avec les sentiments anglais, le lien avec l’Angleterre et la constitution anglaise ».

Baldwin se porta de nouveau candidat dans York and Simcoe aux élections de 1824, mais il se classa de justesse troisième sur dix et perdit donc son siège. Hélas ! sa défaite l’excluait des débats de l’Assemblée, dont le compte rendu aide tant les historiens à étudier la pensée politique haut-canadienne à l’époque de la tumultueuse neuvième législature (1825–1828). Pendant cette période, Baldwin s’intéressa à la partialité qu’il commençait à percevoir dans l’administration provinciale de la justice et, ce faisant, devint un vigoureux adversaire du gouvernement de sir Peregrine Maitland* et de ses principaux conseillers.

En 1818, Baldwin avait écrit, à propos de son fils Robert : « J’entends, si telle est la volonté de Dieu, le faire accéder au barreau. » Aucune profession n’était plus digne. En quittant le poste de trésorier de la Law Society en 1836, il exposa en détail, dans sa lettre de démission, la relation particulière qui unissait la constitution, le Parlement et la loi. Telle qu’elle s’exprimait dans l’Acte de 1791, la constitution était résolument aristocratique ; Baldwin n’en était pas seulement l’un des plus grands admirateurs, mais aussi l’un des plus grands défenseurs. S’il était prêt à se battre en duel pour une question d’honneur et prônait ardemment le maintien de la règle de primogéniture, c’est que ces questions étaient liées à l’inégalité naturelle, politique et sociale qu’il souhaitait préserver. En 1821, il avait défendu un projet de loi qui autoriserait la Law Society à recueillir des fonds pour ouvrir des cabinets et une bibliothèque afin que les nouveaux avocats n’aient pas à exercer leurs fonctions en des lieux « indignes [...] de gentlemen ». « Il n’y a, expliquait-il, aucune société pour laquelle le pays devrait éprouver un si vif intérêt [...] Sans elle, qui aurait la sécurité de ses biens? » Comme il l’écrivait en 1836, la Law Society lui avait « toujours semblé de la plus haute importance pour la préservation et la juste application de [la] constitution ». Une province dépourvue d’aristocratie ne pouvait se passer de l’autorité des gentlemen ni de la présence des gens de robe. Les premiers se devaient d’être honnêtes, désintéressés, et de respecter les formes ; les seconds, de défendre la constitution et les droits qu’elle garantissait.

On trouve un exemple précis des convictions de Baldwin dans l’exposé qu’il fit au jury en 1827, à l’occasion du procès que George Rolph avait intenté au civil contre ceux qui l’avaient recouvert de goudron et de plumes (cet incident est demeuré célèbre). Il était troublé de voir, parmi les assaillants de Rolph (finalement acquittés grâce à la défense d’Allan Napier MacNab*), plusieurs éminents gentlemen du district de Gore : « [ce sont] des personnes qui occupent des postes de responsabilités, qui siègent même dans un tribunal – et dont l’une tient [...] l’épée de la Justice ». Par la suite, d’autres événements entretinrent l’attention qu’il portait à l’appareil judiciaire. L’affaire Rolph fut suivie, en janvier 1828, de la requête dans laquelle l’hôtelier William Forsyth se plaignait à l’Assemblée que Maitland avait eu recours à l’armée et non aux tribunaux pour « trancher la question du bon droit » dans une querelle connue, dans la tradition de l’opposition, sous le nom d’« outrage des chutes du Niagara ». L’enquête d’un comité spécial déboucha sur un grave affrontement constitutionnel entre l’Assemblée et Maitland, qui prorogea celle-ci le 31 mars 1828. Puis, en avril, durant les assises d’York tenues devant John Walpole Willis*, le journaliste d’opposition Francis Collins* reprocha au procureur général Robinson de se montrer partial dans l’administration de la justice.

Le 12 mai 1828, en réponse à cette accusation, Robinson envoya aux membres du barreau une lettre dans laquelle il soulevait la question de la partialité de son département. Le 31 du même mois Baldwin lui répondit longuement. Jusque-là, disait-il, il avait « gardé le silence en public », mais par sa circulaire Robinson l’obligeait à exposer « franchement » en quoi selon lui le procureur général avait « manqué à [son] devoir ». D’abord, il signalait que Robinson n’avait pas, « publiquement et sans équivoque, condamné ceux de [ses] clercs qui [avaient] participé » au désordre qui, en 1826, s’était terminé par la destruction de la presse de William Lyon Mackenzie*. Leur conduite était « tout à fait inconvenante pour des gentlemen et encore plus pour des étudiants en droit ». L’imprimeur lui-même avait « très mal » agi, mais on aurait dû le punir par « une réprimande ou une poursuite », non par un « attentat ». L’attaque dont Rolph avait été victime était un autre exemple de manquement au devoir, et ni Robinson ni le solliciteur général Henry John Boulton*, qui n’avaient pas « promptement et vigoureusement brandi la loi contre les coupables », ne pouvaient échapper à la réprobation publique. Toujours selon Baldwin, il était inadmissible que Boulton ait pu ensuite représenter la couronne à l’occasion d’un procès au criminel intenté contre les coupables, puisqu’il les avait déjà défendus. Toute cette affaire, disait-il, était « si pernicieuse pour la justice qu’[il] a[vait] entièrement partagé la désapprobation populaire ». Le dernier cas qu’il citait est celui de Singleton Gardiner [V. William Dummer Powell*] qui, en 1822–1823, avait affronté deux juges de paix au sujet de l’accomplissement des corvées. Abusé par eux, Gardiner, avec l’assistance de Baldwin, leur avait intenté une poursuite au civil. Robinson, leur avocat, allégua qu’il lui incombait de protéger les juges. Baldwin répliqua : « [Je suis d’accord] dans la mesure où ils ont raison ; mais je pense aussi que c’est votre devoir de les poursuivre quand ils ont manifestement tort. »

L’affrontement s’aggrava encore en juin 1828. Le 16, Willis déclara que, pour exercer sa compétence, la Cour du banc du roi avait besoin de la présence du juge en chef et des deux juges puînés. Comme le juge en chef William Campbell* était en congé, seuls Willis et Levius Peters Sherwood siégeaient. Puisque la constitutionnalité du tribunal était douteuse, les Baldwin et Washburn écrivirent à Willis, le lendemain, pour savoir s’il soumettrait la question à Sherwood et pour lui demander, advenant que celui-ci ne répondrait pas dans un bref délai, de « réserver son jugement », dans tous les litiges qui impliquaient leurs clients, « jusqu’à ce que, en tant que leurs avocats, [ils soient] mieux informés sur l’orientation à adopter ». Le 23 juin, les Baldwin, conjointement avec John Rolph*, protestèrent auprès de Sherwood contre la tenue de « tout procès [...] jusqu’à ce que la cour soit établie conformément aux dispositions des lois provinciales». Il ne s’agissait pas simplement d’un débat sur « les principes juridiques les plus stricts ». « Il n’existe pas de lois, disaient les signataires, exigeant une plus religieuse observance que celles qui limitent et définissent le pouvoir que les individus formant le gouvernement exercent sur leurs semblables. » À la fin de juin, le gouvernement décida de démettre Willis, ce qui déclencha une réaction politique sans précédent dans la province. L’atmosphère était d’autant plus survoltée que des élections générales auraient lieu dès juillet. Les Baldwin entrèrent dans la lutte – William Warren dans Norfolk et Robert dans la circonscription d’York. C’est John Rolph qui avait « obligé, et non invité », Baldwin père à se présenter, car il était à ses yeux « la seule personne [...] à réunir toutes les qualités désirables chez un représentant d’un peuple libre ». Robert perdit, mais William Warren remporta la victoire avec le député sortant Duncan McCall*. L’opposition fit élire une forte majorité dans le Haut-Canada.

À York, William Warren Baldwin se trouvait au centre d’un tourbillon d’activités. Pendant la campagne, il était devenu, selon le journaliste progouvernemental Robert Stanton*, « un harangueur politique itinérant ». Stanton le croyait « fou », mais l’adhésion de Baldwin à l’opposition était bien réfléchie et totale. L’agitation qui avait entouré l’affaire Willis durant l’été et l’automne de 1828 eut plusieurs conséquences : la création, à York, de groupes réformistes bien organisés qui allaient durer jusqu’à la rébellion de 1837, une collaboration soutenue entre les grands leaders réformistes, et la mise au point, par l’opposition, d’une tactique en vue de la session législative de 1829. À titre de doyen des hommes politiques réunis dans la coalition de l’opposition, Baldwin occupa le premier plan dans ces événements ; son fils Robert joua aussi un grand rôle. Ce n’est pas tant les Baldwin qui avaient besoin des autres réformistes, mais plutôt ceux-ci qui avaient besoin d’eux. Après tout, on était encore à l’ère des gentlemen, et qu’étaient les Baldwin, sinon des gentlemen – donc des symboles de légitimité pour l’alliance réformiste dans son ensemble ? Maitland exprima clairement cette réalité en disant, en septembre 1828, que Baldwin était « le seul gentleman de toute la province à s’être associé aux promoteurs des projets de M. Hume », c’est-à-dire du radical britannique Joseph Hume. Les chefs les plus perspicaces de l’opposition, John Rolph et Marshall Spring Bidwell*, conscients de toute l’utilité que les Baldwin pouvaient avoir à ce titre, usèrent de leurs talents d’organisateurs et de manipulateurs pour amener le père et le fils à jouer le rôle que leur indiquait leur devoir d’avocats, de chrétiens et de gentlemen.

Le 5 juillet 1828, William Warren Baldwin prononça un discours à l’occasion d’une assemblée constitutionnelle convoquée pour « déplorer la conduite arbitraire, oppressive et autoritaire » qu’avait eue l’exécutif colonial en démettant Willis. Le but de cette assemblée, dit-il, était d’examiner la possibilité de demander justice au roi. Les participants n’étaient pas là parce qu’ils éprouvaient des « craintes ridicules ou indignes d’un homme » ; au contraire, c’étaient « des hommes et des patriotes jaloux de leurs droits et pressés de préserver leurs libertés [...] contre le pouvoir arbitraire ». Accepter l’attitude de l’exécutif revenait à abandonner la constitution. Baldwin pria ses auditeurs d’être « circonspects lors des élections », car il leur appartenait de choisir des candidats indépendants de l’exécutif. Dans un langage qui rappelait un peu son attaque contre l’Union, il laissa entendre : « Les Parlements des provinces n’ont jamais été formés dans l’esprit de notre constitution. » Ainsi dans le Haut-Canada les conseillers législatifs étaient « des gens à place et des pensionnés dont la subsistance dépend[ait] de l’exécutif, et non des membres d’une gentry indépendante ». Il espérait qu’on remanie le conseil, qu’on abroge les lois « odieuses » et qu’on « administre impartialement » la justice. Parmi les sept propositions qu’il soumit pour résoudre les griefs de la colonie, la sixième est particulièrement intéressante. Il y réclamait une loi provinciale « pour faciliter l’application pratique possible de la présente responsabilité constitutionnelle des conseillers du gouvernement colonial, non seulement par la destitution de ces conseillers lorsqu’ils perdent la confiance du peuple, mais aussi par une mise en accusation relativement aux infractions plus lourdes qui leur sont imputables ».

Comme les participants avaient résolu d’en appeler au roi, Baldwin présida, le 15 août, la réunion où on devait rédiger la requête. On proposa et adopta diverses résolutions. La plus importante, qui portait le numéro 13 et que présenta Robert, résumait sans équivoque la position de William Warren sur la souveraineté du Parlement haut-canadien : « Notre loi constitutionnelle [...] est un traité entre la mère patrie et nous [...] qui expose et règle la manière dont nous exercerons les droits qui, indépendamment de cette loi, nous appartenaient en qualité de sujets britanniques, et [...] cette loi étant en fait un traité ne peut être abrogée ou modifiée qu’avec le consentement des deux parties. »

Selon nombre d’historiens, l’apport le plus marquant de Baldwin à l’histoire du Canada et de l’Empire britannique fut l’idée d’un gouvernement responsable. D’autres ont souligné son rôle dans la transition qui, de 1822 à 1828 présume-t-on, amena les réformistes canadiens à passer de l’idée de responsabilité ministérielle (responsabilité légale, sanctionnée par l’impeachment, des ministres du roi devant le Parlement) à l’idée de gouvernement responsable (responsabilité de chaque ministre du cabinet devant la chambre élue). Le premier concept était déjà courant en Angleterre dès les années 1760 ; Thorpe et Pierre-Stanislas Bédard* l’avaient utilisé avant la guerre de 1812 et Nichol l’avait développé en 1820. Dans la mesure où les comptes rendus journalistiques des débats de la huitième législature (1821–1824) sont fidèles, on peut affirmer que Baldwin n’en parla pas au cours de cette période et se contenta plutôt de poser que le Parlement colonial, en vertu de sa constitution, était souverain. Cependant, étant donné ses déclarations sur ces questions, on peut raisonnablement supposer que la notion de responsabilité ministérielle lui était familière. Il fit allusion aux deux notions dans son discours du 5 juillet 1828.

Dans son exemplaire de Responsible government for colonies (Londres, 1840), de Charles Buller, Baldwin a noté, à propos d’un gouvernement responsable pour le Haut-Canada : « [ce] sujet mérite bien d’être approfondi dans un exposé historique des maux qui, apparus tôt et devenus enracinés, ont mené à sa régénération [dans la province] ». Comme il croyait disparus la plupart des premiers documents publics de la province, il commence son historique par un projet de pétition que lui-même avait rédigé contre l’union en 1822. Il ne cite pas ce document parce qu’il touche la question du gouvernement responsable mais parce qu’il confirme l’existence des « droits constitutionnels qu’envisageait alors le peuple, contrairement à l’opinion du pouvoir exécutif [...] et de ses tributaires et partisans ». Il passe ensuite aux résolutions du 15 août 1828, jalon suivant dans l’élaboration du grand principe. Puis il parle de ses lettres aux autorités coloniales, qui « exposent la nature de la responsabilité requise et les moyens de l’atteindre, suivant l’exemple de la constitution britannique ». « Telle qu’elle apparaît, précise-t-il, la proposition m’a été faite par Robert Baldwin [...] dans des conversations privées [...] lors de la rédaction de ces lettres. »

William Warren Baldwin avait compris dès 1812 que remplacer un gouverneur ne changeait pas nécessairement le gouvernement. Pour ce whig d’esprit aristocratique, c’était le Conseil législatif qui préservait la liberté et assurait l’équilibre entre les diverses parties de la constitution ; en juillet 1828, semble-t-il, il envisageait encore la constitution dans cette perspective. La nouvelle position qu’il adopta, sous l’influence de son fils ou non, exigeait d’admettre la responsabilité politique de l’exécutif devant l’Assemblée, et celle de l’Assemblée devant l’électorat. Toutefois, l’électorat haut-canadien, au contraire du britannique, n’était pas limité au monde des gentlemen, mais englobait presque tous les citoyens de sexe masculin. Pourquoi les Baldwin pensaient-ils qu’un tel principe préserverait la hiérarchie sociale ? C’est la grande question, et la réponse, s’il y en a une, n’est pas claire.

Dans les coulisses, John Rolph et Bidwell exerçaient leur influence sur le doyen des députés réformistes. Le 8 septembre 1828, Bidwell lui proposa de tenir, avec Rolph, une conférence « sur les mesures à prendre pour guérir la province des maux qu’un family compact y a[vait] fait naître ». « Il faut en finir, disait-il, avec le régime actuel et sa mentalité. » Baldwin transmit le message à Rolph qui, « en tant que membre de la loyale opposition de Sa Majesté », fit valoir qu’il fallait se concerter pour choisir le président de l’Assemblée à la session suivante et que ce geste devrait constituer « une part importante de [la] stratégie » de l’opposition. En outre, il espérait que la chambre, guidée par « les conseils éclairés » de Baldwin, « pourra[it] adopter les mesures les plus vigoureuses et les améliorations les plus vitales ».

Durant l’automne et le début de l’hiver de 1828, les réformistes firent largement circuler la pétition du mois d’août pour la faire signer. Le 3 janvier 1829, Baldwin en envoya tous les exemplaires au premier ministre de Grande-Bretagne, le duc de Wellington, en l’invitant à « réfléchir sur ce principe de la Constitution britannique dont l’application réelle [était], pour les colons, le seul espoir d’avoir la paix, le bon gouvernement et la prospérité » prévus par l’Acte constitutionnel de 1791. Le principe en question était la « présence d’un cabinet provincial (si je peux employer ce terme, précisait-il) responsable devant le Parlement provincial et révocable au gré du représentant de Sa Majesté, particulièrement dans le cas où il perdrait la confiance du peuple telle qu’elle s’exprime par la voix de ses représentants à l’Assemblée ». « Tout acte du représentant du roi, ajoutait-il, aura valeur d’acte du gouvernement provincial de par la signature d’un membre de ce cabinet. » Une fois qu’il eut adopté ce langage et ce principe, la rhétorique de Baldwin se durcit. Dans une lettre écrite à ce dernier le 28 mai 1828, Bidwell avait affirmé qu’« on ne peut jamais confier le pouvoir en toute sécurité à un homme, sans responsabilité réelle ou pratique ». L’influence de Rolph et de Bidwell, dont le ton était depuis longtemps plus incisif, avait vraisemblablement fait son œuvre : ils avaient montré à Baldwin comment on pouvait rendre le pouvoir exécutif responsable dans la pratique.

Les commentaires que Baldwin fit à la chambre au début de janvier 1829, en réponse au discours du trône, reflétaient bien sa nouvelle pensée. En oubliant commodément certaines des remarques favorables qu’il avait lui-même faites, soit en privé ou en public, sur le gouvernement de Maitland, il stigmatisa tous les gouvernements qui s’étaient succédé à partir de Simcoe et les blâma d’avoir appliqué « la même politique pernicieuse ». Il qualifia aussi de « mauvais » les conseillers qui avaient tenté d’imposer l’union à la province. L’Assemblée, estimait-il, devait être « considérée comme le grand conseil du pays ». Dans une lettre personnelle à Robert, le 25 janvier, il dressa la liste des mauvais conseillers, dont certains siégeaient au Conseil exécutif : Robinson et son frère Peter, John Strachan*, Henry John Boulton et James Buchanan Macaulay*. On devait les « démettre de leurs fonctions et les renvoyer du conseil du cabinet – terme qu’il pourrait être avantageux d’adopter ». Les expressions de ce genre venaient de Rolph et de Bidwell. À l’occasion du débat sur le discours du trône, Baldwin avait préconisé la nomination immédiate de Rolph « à la première place du banc de la Trésorerie, comme on l’avait appelé ». Or, c’est Rolph lui-même qui, quelques minutes auparavant, avait employé cette appellation. Au niveau abstrait, Baldwin notait en chambre que l’Assemblée devait « être placée sur le même pied que la chambre des Communes [...] sans quoi ceux qui y siégeaient ne pouvaient proprement être appelés représentants du peuple ». Sous un gouvernement responsable, l’exécutif devrait rendre compte de ses actes à l’Assemblée – ce qui supposait l’existence de partis, même embryonnaires – et à l’électorat. En 1836, il allait écrire à Robert : « Peu importait quel serait le nom des partis, whig ou tory – il y aura des partis, et il doit y en avoir [...] il devient donc important [pour l’exécutif] d’avoir l’accord de l’Assemblée. » Un an après le débat sur le discours du trône, Baldwin proposa à Hume quatre remèdes aux maux du Haut-Canada : contrôle des revenus par l’Assemblée, interdiction aux membres de l’appareil judiciaire de siéger aux conseils, réorganisation du Conseil législatif (mais non selon le principe de l’électivité) et « formation d’un nouvel exécutif ou conseil de cabinet, responsable et révocable selon les exigences de l’intérêt public ». Baldwin attendait beaucoup de cette mesure : « en soi [elle] mènerait indirectement à l’élimination de tous nos griefs présents et empêcherait l’apparition de tout autre dans l’avenir ».

Tous deux candidats aux élections d’octobre 1830, William et Robert Baldwin connurent la défaite. Amer, William Warren quitta la vie politique. En 1831, semble-t-il, il se retira de son cabinet d’avocats ou, du moins, laissa Robert et son nouvel associé, Robert Baldwin Sullivan, faire la plus grande partie du travail. La même année, avec Phœbe, il s’installa de nouveau à York pour vivre chez Robert et sa famille. Comme il n’avait pas oublié l’« extrême volatilité de l’opinion populaire » en temps d’élections, il refusa, en 1834, de participer à une assemblée politique. Cependant, il n’était pas tombé dans l’oubli. Les administrateurs conciliants auraient préféré avoir, dans l’opposition, des hommes distingués comme les Baldwin. Il fut question de les nommer au Conseil législatif en 1835, mais on n’en fit rien. La même année, un incendie rasa Spadina. Une plus petite résidence fut construite sur le même emplacement ; en outre, William Warren allait ériger en ville, selon ses propres plans, une vaste maison de style géorgien.

L’arrivée d’un nouveau lieutenant-gouverneur à Toronto, le 23 janvier 1836, redonna espoir aux réformistes. Sir Francis Bond Head* tendit la main à l’opposition en remodelant le Conseil exécutif. Après d’intenses négociations, Head y fit entrer Robert Baldwin, John Rolph et John Henry Dunn*. William Warren, dont on avait prononcé le nom, n’était pas intéressé. Il était persuadé que la réponse aux problèmes de la colonie était « un gouvernement responsable par l’entremise du Conseil exécutif [...] remplissant ses obligations d’une manière analogue à celle du conseil de cabinet en Angleterre ». La démission du conseil, en mars, jeta la province dans la pire crise politico-constitutionnelle qu’elle eût connue depuis l’affaire Willis. Robert, dont la femme était morte le 11 janvier, se réfugia en Angleterre et en Irlande pour la pleurer dans la solitude. William Warren, de son côté, s’occupa des affaires familiales et fut témoin, en mars, de la désertion politique de son frère Augustus Warren* et de son neveu Robert Baldwin Sullivan qui, en entrant au conseil de Head, se jetèrent dans la « junte tory », comme il l’appelait.

Entre-temps, sans doute sous la pression de son voisin Francis Hincks*, Baldwin entra au comité exécutif de la Constitutional Reform Society of Upper Canada, où militaient notamment Rolph et William John O’Grady. On lui donna les postes les plus prestigieux : il devint président de cette société et de la Toronto Political Union. En juillet, Head lui retira les sièges de juge à la cour de district et à la Cour de surrogate parce qu’il avait signé, à titre de président d’une société vouée à la réforme, un document qui préconisait les grands principes réformistes. Pour Baldwin, les élections de 1836 avaient été un « odieux triomphe [de Head] sur le peuple ». Head était convaincu qu’on avait mis Baldwin au courant des préparatifs de la rébellion de 1837, mais celui-ci le niait, et Mackenzie corrobora ses déclarations par la suite. Le 1er janvier 1838, Baldwin exposa sa position dans une lettre publique. Il fallait encore une « grande réforme », mais elle devait être « conforme à la loi et à la constitution ». Ses activités politiques, après les élections de 1836, avaient été « uniquement axées sur les moyens de mettre au jour les cas d’ingérence inconstitutionnelle dans l’exercice du pouvoir ». Quand les discussions des groupes réformistes s’étaient avérées « improductives », il avait cessé d’aller aux réunions et, depuis que Robert était revenu d’Angleterre en février 1837, il ne se souvenait pas d’avoir assisté à une seule. Il déplora la « téméraire insurrection », qui eut pour effet de « bâillonner pour des années la voix même la plus raisonnable et tempérée de la réforme ». Quant aux incursions des patriotes, il les considérait comme des invasions étrangères et était prêt à prendre les armes pour les arrêter.

Dans les années 1830, les réformistes proposèrent bien des remèdes à la triste domination de ce que la plupart considéraient comme une oligarchie corrompue. Le gouvernement responsable, solution que privilégiaient les Baldwin, n’en était qu’un – bien que, selon eux, le moins menaçant pour la constitution, l’ordre social et le lien impérial. William Warren voyait l’oligarchie à la manière des penseurs politiques classiques : elle était la forme dégénérée, ou inconstitutionnelle, de l’aristocratie. Même au milieu des années 1830, il estimait que l’agitation politique, dans le Haut-Canada, était reliée à « la simple administration des affaires » ; dans le Bas-Canada, c’était la « forme de gouvernement » qui était en cause. L’échec de la rébellion élimina les propositions plus radicales et donna du crédit au principe modéré des Baldwin. Comme on l’a vu, un geste dans leur direction fut envisagé en 1835 et fait en 1836. Ils eurent un bref entretien avec lord Durham [Lambton] pendant sa tournée du Haut-Canada en juillet 1838. À ce moment, le gouvernement responsable et le principe de la séparation de l’Église et de l’État figuraient en première place dans le programme des réformistes [V. Francis Hincks]. Leur plus grand désir, comme l’expliqua Hincks dans l’Examiner du 18 juillet, était que le lieutenant-gouverneur « administre les affaires intérieures de la province en consultant un cabinet provincial responsable, et non sous l’influence d’un family compact, comme c’[était alors] le cas ». Le 1er août, William Warren Baldwin, tout comme Robert, envoya à Durham une longue lettre « sur le mécontentement populaire ». Il lui attribuait 20 causes, dont les réserves de la couronne et du clergé, le Bureau des Terres, le monopole de la Canada Company [V. Thomas Mercer Jones*], l’ingérence de l’exécutif dans les élections, les revenus que touchait l’exécutif indépendamment de l’Assemblée, l’obstruction du processus parlementaire par le Conseil législatif, l’encouragement dont bénéficiaient les sociétés orangistes et l’« extravagant gaspillage » qui se faisait sur des chantiers comme celui du canal Welland [V. John Macaulay*]. Il recommandait surtout d’appliquer « les principes anglais de responsabilité [... au] Conseil exécutif [de la province] ». La mise en pratique de ces principes s’effectuerait petit à petit.

Trop âgé pour la politique active, Baldwin se contentait désormais de conseiller le principal porte-étendard du gouvernement responsable, Robert. La conception qu’il avait de ce principe était fixée depuis un certain temps et n’allait pas changer. Selon lui, le secrétaire d’État aux Colonies, lord John Russell, avait « concédé » le gouvernement responsable dans sa dépêche du 10 octobre 1839 [V. Robert Baldwin]. À la veille de l’union des deux provinces, les projets du gouverneur Charles Edward Poulett Thomson de reconstituer le Conseil exécutif suscitèrent chez lui de grands espoirs. Néanmoins, à la fin des années 1830, comme ce fut le cas en 1828, son ton se fit plus sévère. L’ingérence de Head dans les élections de 1836 était sans équivalent : « Le gouvernement le plus despotique ne pourrait concevoir [...] un plan plus inique pour nous opprimer. » En juin 1841, il considérait la politique comme une « grande lutte entre bon gouvernement et mauvais gouvernement ». Plusieurs mois plus tard, il parlait en termes manichéens : « Je crois vraiment que le combat se livre contre les puissances des ténèbres. » Et il était sincère. L’« horrible violence des tories », qui l’avait tant consterné lors de l’émeute de la rue Yonge en novembre 1839, semblait s’être enracinée au point que, même en 1843, le « vieux et vil régime tory » tenait toujours.

Anglican convaincu, Baldwin s’opposait farouchement à l’ordre d’Orange (il avait tenté en 1823 de faire une loi pour le supprimer) et aux réserves du clergé, mais il était tolérant envers les non-conformistes et les catholiques. Il partageait avec la plupart de ses contemporains une foi en la Providence qui, à compter de la fin des années 1830, s’investit de plus en plus dans le rôle que Robert était appelé à jouer dans le plan divin. « Dieu te guidera, lui écrivait-il en 1841 ; par conséquent tu ne peux errer. » Pour Robert, qui le croyait, la moindre décision était d’autant plus douloureuse. Dans son testament de 1842, William Warren, qui croyait encore fermement en la primogéniture, lui légua presque tous ses biens, geste qu’il expliqua ainsi à Phœbe : « Un seul enfant peut naître le premier – et cela, à toutes les époques et dans toutes les sociétés [...] a été perçu comme une disposition de la Providence [...] Cela tend à préserver la vénération pour les institutions de nos ancêtres qui, quoiqu’elles tendent toujours à changer, comme par nature toutes les choses humaines, résistent néanmoins aux innovations qui ne sont pas graduelles et modérées. » Peut-être la profonde impression qu’il fit sur son fils aîné fut-elle son plus grand legs. Après la mort de son père en 1844, Robert écrivit : « Seuls ceux qui l’ont connu intimement peuvent comprendre quelle perte a été pour nous la mort d’un tel parent – Désormais, il ne nous reste plus qu’à honorer sa mémoire en tentant de suivre son exemple. » Et à cet engagement Robert fut fidèle.

William Warren Baldwin avait participé de multiples façons à la vie sociale et culturelle. Riche, il contribua à la plupart des groupes philanthropiques. Il fut membre du conseil d’administration de la Bank of Upper Canada, directeur de la Home District Savings Bank et membre du Medical Board of Upper Canada et du bureau de santé d’York. Il fut aussi l’un des premiers présidents du Toronto Mechanics’ Institute, membre de la congrégation anglicane St James et partisan du missionnariat auprès des Indiens. Charles Morrison Durand, avocat de Hamilton, disait que c’était un « gentleman irlando-protestant hautain, bourré de préjugés [...] très dur et aristocratique dans ses manières ». Quoique chaleureux avec sa famille, il avait ailleurs une attitude distante qui révélait un fond de rudesse. Ce trait de sa personnalité ne lui échappait pas. « Il me semble que je suis plutôt dur – quand je vois la détresse de ceux qui m’entourent – quel étrange comportement est le mien – vraiment je ne sais rien de moi-même – j’aimerais qu’un ami puisse me dire – et pourtant je m’abriterais contre sa sincérité. »

Robert Lochiel Fraser

Nous avons grandement apprécié la coopération de J. P. B. Ross et de Simon Scott, qui nous ont donné accès à leur documentation. Nous tenons également à remercier notre associé dans cette recherche, Michael S. Cross.

On trouve des références à William Warren Baldwin dans la plupart des collections privées et gouvernementales de son époque. Les papiers Baldwin et Laurent Quetton de St George déposés à la MTRL et les papiers Baldwin aux AO, MS 88, constituent les sources essentielles. Les papiers Baldwin-Ross aux APC, MG 24, B11, 9–10, et la collection Ross-Baldwin, qui appartient à Simon Scott, sont aussi utiles. Pour cette étude, les journaux contemporains ont été particulièrement importants, notamment : Canadian Freeman, 1825–1833 ; Colonial Advocate, 1824–1834 ; Constitution, 1836–1837 ; Examiner (Toronto), 1838–1844 ; Kingston Chronicle, 1820–1833, et son successeur Chronicle & Gazette, 1833–1836 ; Upper Canada Gazette, 1819–1824 ; et Weekly Register, 1823–1824.

Parmi les études les plus approfondies sur le gouvernement responsable dans le Haut-Canada, citons trois articles de Graeme H. Patterson : « Whiggery, nationality, and the Upper Canadian reform tradition », CHR, 56 (1975) : 25–44 ; « An enduring Canadian myth : responsible government and the family compact », Journal of Canadian Studies (Peterborough, Ontario), 12 (1977), n° 2 : 3–16 ; et « Early compact groups in the politics of York » (inédit) ; et deux articles de Paul Romney : « A conservative reformer in Upper Canada : Charles Fothergill, responsible government and the « British Party », 1824–1840 », SHC Communications hist., 1984 : 42–62 ; et « From the types riot to the rebellion : elite ideology, anti-legal sentiment, political violence, and the rule of law in Upper Canada », OH, 79 (1987) : 113–144. À part ces exceptions remarquables, les études sur le gouvernement responsable ont grandement négligé l’apport de l’Angleterre à l’arrière-plan de la politique en Amérique du Nord britannique. Sur ce sujet, la documentation est abondante. L’ouvrage de J. C. D. Clark, Revolution and rebellion : state and society in England in the seventeenth and eighteenth centuries (Cambridge, Angl., 1986), donne un bon point de départ. Les études de John Brewer, Party ideology and popular politics at the accession of George III (Cambridge, 1976), H. T. Dickinson, Liberty and property : political ideology in eighteenth-century Britain (Londres, 1977), et la stimulante collection d’essais de J. G. A. Pocock, Virtue, commerce and history ; essays on political thought and history, chiefly in the eighteenth century (Cambridge, 1985), s’avèrent particulièrement valables. Une des rares tentatives d’étudier le développement de la culture politique canadienne est l’ouvrage de Gordon T. Stewart, The origins of Canadian politics : a comparative approach (Vancouver, 1986), qui provoque certaines réflexions. Le meilleur ouvrage sur le ministère des Colonies, la politique impériale et les politiques anglaises ainsi que leur impact sur les colonies est celui de Buckner, Transition to responsible government.

Il n’y a pas d’étude exhaustive sur la vie de Baldwin, mais on en trouve quelques aspects dans G. E. Wilson, The life of Robert Baldwin ; a study in the struggle for responsible government (Toronto, 1933) ; R. M. et Joyce Baldwin, The Baldwins and the great experiment (Don Mills [Toronto], 1969) ; et J. M. S. Careless’s, « Robert Baldwin », The pre-confederation premiers : Ontario government leaders, 1841–1867, J. M. S. Careless, édit. (Toronto, 1980), 89–147. L’article de M. S. Cross et R. L. Fraser, « The waste that lies before me » : the public and the private worlds of Robert Baldwin », SHC Communications hist., 1983 : 164–183, est aussi utile.

On trouve au Royal Ont. Museum, Sigmund Samuel Canadiana Building (Toronto), un portrait bien réussi de Baldwin ; il est reproduit en regard de la page 48 dans l’ouvrage de R. M. et Joyce Baldwin.  [r. l. f.]

Bibliographie générale

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Robert Lochiel Fraser, « BALDWIN, WILLIAM WARREN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 19 mars 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/baldwin_william_warren_7F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique


Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/baldwin_william_warren_7F.html
Auteur de l'article:    Robert Lochiel Fraser
Titre de l'article:    BALDWIN, WILLIAM WARREN
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    19 mars 2024