Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 2979083
MACDONALD, sir JOHN ALEXANDER, avocat, homme d’affaires et homme politique, né le 10 janvier 1815 (date du registre) ou le 11 janvier (date que lui-même et sa famille célébraient) à Glasgow, Écosse, fils de Hugh Macdonald et de Helen Shaw ; le 1er septembre 1843, il épousa à Kingston, Haut-Canada, Isabella Clark (décédée en 1857), et ils eurent deux fils, puis le 16 février 1867, à Londres, Susan Agnes Bernard*, et de ce mariage naquit une fille ; décédé le 6 juin 1891 à Ottawa.
John Alexander Macdonald arriva à Kingston à l’âge de cinq ans avec son père et sa mère, qui avaient dans les environs de cette ville un parent par alliance, Donald Macpherson*, officier à la retraite. Hugh Macdonald, qui avait exercé sans succès le métier de marchand à Glasgow, exploita une série d’entreprises dans le Haut-Canada : des magasins à Kingston et dans le canton d’Adolphustown, et durant dix ans les imposants moulins de pierre de Glenora dans le comté de Prince Edward. Sans jamais faire fortune, il acquit suffisamment de notoriété dans la région pour être nommé juge de paix du district de Midland en 1829. Avec sa femme, il veilla à ce que son fils fasse les meilleures études possibles à l’époque. John fréquenta la Midland District Grammar School en 1827–1828 et une école mixte privée à Kingston, où il reçut une formation « classique et générale » : latin et grec, arithmétique, géographie, lecture et grammaire anglaises, rhétorique. Ses études le préparèrent adéquatement à la profession qu’il choisit, le droit. En 1830, à l’âge de 15 ans, il entra à titre de stagiaire au cabinet d’un avocat de Kingston, George Mackenzie*, où il ne tarda pas à se distinguer. Deux ans plus tard, celui-ci lui confiait l’administration d’une succursale à Napanee, puis, entre 1833 et 1835, Macdonald remplaça son cousin Lowther Pennington Macpherson à la tête du bureau qui appartenait à ce dernier à Hallowell (Picton). En août 1835, il ouvrit son propre cabinet à Kingston et six mois plus tard, le 6 février 1836, fut officiellement reçu au barreau. À compter de 1843, il travailla généralement avec un ou plusieurs associés : d’abord avec Alexander Campbell, puis, dès les années 1850, avec Archibald John Macdonell et Robert Mortimer Wilkinson.
Macdonald attira rapidement l’attention du public comme avocat, surtout parce qu’il acceptait des affaires difficiles, à sensation même. Ainsi il défendit William Brass*, qui appartenait à une éminente famille de la ville et fut condamné pour viol en 1837. L’année suivante, il plaida dans une série de procès qui impliquaient, entre autres, Nils von Schoultz*, accusé d’avoir participé à la rébellion de 1837–1838 et aux raids frontaliers qui suivirent. (En décembre 1837, Macdonald lui-même avait servi dans la milice en tant que simple soldat.) Même s’il en perdit autant qu’il en gagna, ces procès lui permirent de se faire une réputation de défenseur habile et vif d’esprit. D’ailleurs, les causes désespérées ne constituèrent pas longtemps le gros de ses dossiers. En 1839, nommé solicitor, il fut élu membre du conseil d’administration de la Commercial Bank of the Midland District. Dès lors, il se consacra essentiellement au droit des sociétés, surtout après avoir décroché la clientèle de l’autre grand établissement financier de Kingston, la Compagnie de dépôt et de prêt du Haut-Canada, fondée en 1843. Même s’il lui arrivait de représenter des entreprises et des hommes d’affaires très divers (dont la compagnie de Casimir Stanislaus Gzowski), la Compagnie de dépôt et de prêt du Haut-Canada constitua la principale source de ses honoraires pendant de nombreuses années.
Macdonald était lui-même un homme d’affaires dynamique, dont la spéculation foncière et la mise en valeur des terres constituaient les domaines privilégiés. De 1840 à 1870, il acheta et mit en valeur des propriétés urbaines, d’abord à Kingston puis à Guelph et à Toronto ; de même il acheta et vendit, souvent grâce à des intermédiaires, des terres agricoles ou en friche situées dans de nombreux secteurs de la province, en parcelles aussi vastes que 9 700 acres à la fois. En outre, il représentait des Britanniques qui investissaient dans l’immobilier au Canada. C’est d’ailleurs à ses relations avec les hommes d’affaires britanniques qui faisaient partie du conseil d’administration de la Compagnie de dépôt et de prêt du Haut-Canada qu’il dut sa nomination, en 1864, au poste de président d’une société sise à Québec et financée par des Britanniques, la Compagnie d’entrepôt, de bassins et de quais du Saint-Laurent. Il appartint au conseil d’administration d’au moins dix sociétés canadiennes, outre la Commercial Bank of the Midland District et la Compagnie de dépôt et de prêt du Haut-Canada, ainsi qu’à celui de deux sociétés britanniques. De plus, il investit dans des actions bancaires, des sociétés routières et des compagnies de transport maritime des Grands Lacs. Cependant, sa carrière d’homme d’affaires ne fut pas toujours couronnée de succès. La dépression de 1857 le surprit au moment où il possédait beaucoup de terres qu’il n’arrivait pas à vendre et qu’il devait quand même continuer de payer. Dans les années 1860, l’effondrement de la Commercial Bank of the Midland District, qui lui avait consenti des prêts, ainsi que l’imprudence puis la mort subite de son associé Archibald John Macdonell allaient lui porter de durs coups. Néanmoins, les revenus qu’il retirait de son cabinet d’avocats et de la vente ou de la location de propriétés immobilières lui permirent d’éviter la faillite.
Macdonald ne connaissait pas des difficultés qu’en affaires ; il avait aussi beaucoup de problèmes personnels. En 1843, il avait épousé sa cousine Isabella Clark qui, moins de deux ans après leur mariage, devint une malade chronique. Elle avait des accès de faiblesse et de douleur dont on ne connaissait pas l’origine. Un examen moderne de ses symptômes conclut qu’« elle souffrait d’un problème de somatisation, peut-être à composante migraineuse, de dépendance secondaire à l’opium et de tuberculose pulmonaire ». Isabella mit au monde deux enfants ; dans les deux cas, la grossesse et l’accouchement furent extrêmement pénibles. L’aîné, John Alexander, mourut à l’âge de 13 mois. Le cadet, Hugh John*, allait survivre. Isabella mourut en 1857.
Dès son jeune âge, Macdonald avait manifesté un vif intérêt pour les affaires publiques. Ambitieux, il cherchait la moindre occasion d’y participer. En 1834, à l’âge de 19 ans, il devint secrétaire du bureau d’Éducation du district de Prince Edward et de la Young Men’s Society de Hallowell. À Kingston, il fut secrétaire-archiviste de la Celtic Society en 1836, président de la Young Men’s Society de Kingston en 1837 et vice-président de la St Andrew’s Society en 1839. C’était un membre en vue de la communauté presbytérienne. En mars 1843, comme sa réputation d’avocat, d’homme d’affaires et de citoyen au sens civique aigu était alors bien établie, il fut élu sans difficulté échevin au conseil municipal de Kingston.
Macdonald allait s’occuper d’administration municipale durant trois ans, mais son entrée en politique provinciale, aux élections générales d’octobre 1844, éclipsa vite ses fonctions d’échevin. Il se présenta dans Kingston sous la bannière conservatrice en faisant valoir sa foi dans le lien britannique, son souci de la mise en valeur de la province du Canada et son attachement aux intérêts de Kingston et de la région. Comme aux élections municipales, il obtint une confortable majorité ; à l’échelle de la province, les conservateurs remportèrent plus du double des sièges des réformistes.
On a dit que la pensée politique de Macdonald avait été influencée par son maître en droit, George Mackenzie. À l’époque où Macdonald était stagiaire dans son cabinet, celui-ci prônait un conservatisme modéré, dont l’expansion du commerce était un élément clé, mais il adhérait aussi à certains des principes traditionnels des tories, comme le soutien des institutions religieuses par l’État et le gouvernement par une élite. Quoi qu’il en soit, dans ses premières années à l’Assemblée législative, Macdonald se révéla un authentique conservateur en s’opposant à la responsabilité ministérielle, à la sécularisation des réserves du clergé, à l’abolition de la règle de primogéniture et à l’extension du droit de vote. Il estimait que toutes ces mesures étaient contraires à la mentalité britannique et risquaient d’affaiblir le lien impérial ou l’autorité du gouverneur, ainsi que la classe possédante, indispensable au sein du gouvernement et de la société. Jamais, cependant, il ne fut totalement ultraconservateur. Du début à la fin de sa carrière, il envisagea la politique de façon essentiellement pragmatique. En fait, certaines positions étaient devenues trop désuètes pour que lui-même ou quelque autre conservateur ne s’entête à les défendre. Le transfert du pouvoir des mains d’un gouverneur et de conseillers désignés à celles d’hommes politiques coloniaux élus et l’acceptation progressive de la politique des partis rendaient impossible, du moins en public, le maintien d’opinions exclusivistes. Macdonald privilégiait les options conservatrices mais, comme il le déclara en 1844, il ne souhaitait pas « faire perdre du temps au Parlement ni de l’argent à la population en vaines discussions de questions de gouvernement abstraites et théoriques ».
Pendant six des dix premières années de sa carrière politique, soit de 1848 à 1854, son parti n’était pas au pouvoir. Le plus souvent, il mit donc son esprit pratique au service de sa circonscription. Il présenta régulièrement des requêtes et des projets de loi sur des questions telles que l’érection de Kingston en municipalité, la dette de la ville, le financement de ses organismes de bienfaisance et de ses associations religieuses ou éducatives, et surtout la promotion de diverses entreprises de la région : sociétés routières ou ferroviaires, compagnies d’assurances, établissements financiers, compagnies de gaz, d’éclairage ou d’eau. (Lui-même avait des intérêts financiers dans toutes ces entreprises.) Député consciencieux et adroit, il remporta la victoire dix fois dans Kingston – soit de 1844 à 1867, à sept élections provinciales consécutives, et de 1867 à 1874, à trois élections fédérales.
Macdonald siégea pour la première fois au cabinet en 1847–1848, au sein des gouvernements de William Henry Draper* et de Henry Sherwood* : durant sept mois, il fut receveur général puis, durant trois autres, commissaire des Terres de la couronne. Il se révéla un administrateur éclairé, voire animé d’un souci de réforme, mais se distingua surtout en concevant et en défendant le University Endowment Bill du Haut-Canada en 1847. Ce projet de loi, qui ne fut pas adopté, reflète aussi bien son conservatisme que son pragmatisme. Désireux de trouver un compromis entre la position des réformistes, à savoir la constitution d’une seule université non confessionnelle et financée par l’État, et celle des tories, soit la relance et le renforcement du King’s College, établissement anglican de Toronto, Macdonald proposait de répartir la dotation universitaire entre les collèges confessionnels existants, mais d’en verser la part du lion au King’s College. En 1848, il démissionna avec le gouvernement pour faire place au cabinet réformiste de Robert Baldwin* et de Louis-Hippolyte La Fontaine*.
Macdonald ne réintégra le cabinet qu’en septembre 1854, à titre de procureur général du Haut-Canada au sein du nouveau gouvernement de coalition de sir Allan Napier MacNab* et d’Augustin-Norbert Morin*. On ne sait pas exactement quel rôle il joua dans la formation de cette coalition où certains historiens ont vu l’émergence du parti conservateur moderne. Selon la version traditionnelle, dont l’origine semble remonter au récit de John Charles Dent* dans The last forty years [...], paru en 1881, « ce fut sa main qui traça la voie » des négociations. Plus récemment, Donald Robert Beer a affirmé dans un exposé bien documenté qu’« aucune preuve directe » ne démontre « une contribution spéciale [de Macdonald] à ces événements ». On ne connaîtra sans doute jamais la portée exacte de son rôle, mais il est certain que le parti élargi créé en 1854 correspondait tout à fait au plan qu’il exprimait dans une lettre à James McGill Strachan* en février de cette année-là. Il s’agissait, selon lui, d’« étendre les limites [du] parti », et d’aller dans le sens des « relations amicales avec les [Canadiens] Français » qu’il avait déjà établies. En 1861, Macdonald estimait qu’une solide coalition libérale-conservatrice était née « au moment où, en 1854 », il avait « pris [le parti conservateur] en main ».
En qualité de procureur général, poste qu’il occupa jusqu’en 1867, sauf pendant quelque temps en 1858 et entre 1862 et 1864, Macdonald portait un lourd fardeau administratif. Non seulement son bureau supervisait-il les systèmes judiciaire et pénal du Haut-Canada, mais il recevait, des autres départements, un flot ininterrompu de renvois sur des questions de droit. Là encore, Macdonald se montra compétent, quoique assez irrégulier, et il choisit des adjoints de première force : Robert Alexander Harrison*, qui exerça cette fonction de 1854 à 1859, et Hewitt Bernard, de 1858 à 1867. À l’Assemblée, il assumait une part de plus en plus grande des travaux législatifs. Sa première mission d’importance fut de faire adopter la loi de sécularisation des réserves du clergé, mesure qui témoignait de son conservatisme et de son esprit pratique puisqu’elle réservait une part des revenus aux titulaires de bénéfices ecclésiastiques (surtout anglicans) tout en réglant un vieux litige. Comme Macdonald le disait en novembre 1854 : « Il faut vivre avec son temps. » Pendant la même session, soit au début de 1855, il assura, à la Chambre basse, la défense d’un projet de loi controversé sur les écoles séparées du Haut-Canada pour lequel l’Église catholique, en la personne de Mgr Armand-François-Marie de Charbonnel, avait fait pression auprès du gouvernement. Ce projet de loi fut présenté d’abord au Conseil législatif par Étienne-Paschal Taché*, puis à l’Assemblée seulement en mai, presque à la fin de la session, soit au moment où bon nombre de députés haut-canadiens avaient déjà quitté Québec (la capitale). Même si dès 1841 l’on avait pris des dispositions au sujet des écoles séparées du Haut-Canada [V. Egerton Ryerson*], la loi de 1855 jeta les véritables bases du système qui allait persister dans le Haut-Canada puis en Ontario. Macdonald la défendit à l’aide d’un argument religieux : le droit des catholiques, selon le compte rendu paru dans le Globe en juin, de « donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs principes ». Le projet de loi lui-même ainsi que son mode de présentation avaient suscité des critiques sévères, notamment de la part de Joseph Hartman*. Finalement, la majorité des députés haut-canadiens s’y opposèrent, mais on l’avait adopté grâce à l’appui des députés canadiens-français catholiques. On accusa Macdonald, probablement avec raison, d’avoir manipulé le Parlement ; en outre, il exposait le gouvernement à se voir reprocher de subir « la domination des [Canadiens] Français ». L’affaire donna aussi des arguments aux Haut-Canadiens qui depuis 1853, sous la direction de George Brown* du Globe, préconisaient l’instauration au Parlement provincial d’une représentation basée sur la population, système qui aurait donné au Haut-Canada plus de sièges qu’au Bas-Canada.
En 1856, Macdonald devint pour la première fois chef de la section haut-canadienne du gouvernement, à la place de MacNab. La façon dont il prit les commandes a également suscité des débats. Au sein de la coalition, on reprochait de plus en plus à MacNab sa réputation tenace d’ancien tory du family compact et son inefficacité croissante attribuable à une mauvaise santé. À l’encontre de toute raison, il refusait de démissionner, si bien qu’il fallut l’évincer pour reformer un cabinet. Macdonald ne semble pas avoir agi par pure ambition personnelle ; lui aussi avait acquis la conviction que MacNab devait partir. Sa participation à l’éviction se fit en deux temps : d’abord, il envoya un ultimatum à MacNab, qui le rejeta, puis le 21 mai il démissionna du cabinet avec les réformistes Joseph Curran Morrison* et Robert Spence* (l’autre conservateur du Haut-Canada, William Cayley*, fit de même peu après) en invoquant le fait que seule une minorité de députés haut-canadiens avait soutenu le gouvernement à l’occasion d’un vote de confiance. MacNab n’eut alors pas d’autre choix que de remettre son portefeuille au gouverneur général, sir Edmund Walker Head*. On réorganisa le cabinet le 24 : Taché devenait premier ministre et Macdonald, copremier ministre. Il allait conserver ce rôle de leader jusqu’à la fin de sa vie.
Comme le montrent les faits, Macdonald avait une façon bien personnelle de concevoir le pouvoir et les responsabilités politiques. Avant la Confédération, et surtout à partir du moment où l’énergique George-Étienne Cartier* remplaça Taché, c’est-à-dire en novembre 1857, Macdonald partagea toujours la direction du gouvernement et du parti avec un Canadien français. Toutefois, dans sa section de la province du Canada, il tenait les affaires du parti bien en main. Il en était le stratège, le collecteur de fonds et, en période électorale, l’organisateur principal. Il intervenait personnellement dans les circonscriptions afin que l’on choisisse de bons candidats, ce qui l’obligeait souvent à trancher entre les prétentions rivales de plusieurs aspirants libéraux-conservateurs, parfois six, et, si nécessaire, à « acheter » (d’ordinaire en promettant un poste de fonctionnaire) ceux qui risquaient de provoquer une « scission » au sein du parti. Il conseillait les candidats en matière de politique et de tactique, et il veillait au financement des campagnes. Pour obtenir l’appui de groupes nombreux, dont l’ordre d’Orange, les méthodistes et les catholiques, il demanda aux chefs de ces groupes, parmi lesquels Ogle Robert Gowan*, Egerton Ryerson et les évêques Rémi Gaulin* et Edward John Horan*, d’user de leur influence auprès des membres. Malgré ses efforts, le Haut-Canada ne lui apporta pas un soutien notable aux différentes élections qui précédèrent la Confédération. En 1861, après sa première grande tournée de conférences et une campagne au cours de laquelle il avait prôné une fédération des colonies d’Amérique du Nord britannique et lancé le traditionnel cri de loyauté : « Pas question de compter sur Washington ! », ses candidats ne remportèrent qu’une faible majorité des sièges dans le Haut-Canada. Aux autres élections menées sous sa conduite, en 1857–1858 et en 1863, les conservateurs haut-canadiens furent défaits.
Macdonald était néanmoins un fin politique et un candidat populaire en temps de campagne électorale. Il arrivait à combiner l’astuce, la sociabilité et la bonne humeur pour convaincre ses collègues de suivre son exemple. Sur les tribunes, il était direct et savait ridiculiser les travers de ses opposants. Manifestement, dès 1855, certains de ses collègues reconnaissaient que sa force tenait en bonne partie à son endurance à l’alcool et à son talent pour la flatterie. D’autres sous-estimaient ses qualités pour ces mêmes raisons. D’ailleurs, à l’occasion, il buvait trop. Il semble que son comportement posa un problème public grave pour la première fois au printemps de 1862 : le gouvernement était alors instable, et le Parlement débattait un projet de loi sur l’expansion de la milice, présenté et défendu par Macdonald. Le Globe rapporta qu’il traversait « une de ses crises ». Comme Macdonald assumait une très grande partie du leadership, son parti ne savait plus vers qui se tourner lorsqu’il faisait la bombe. Le 21 mai 1862, après la défaite du projet de loi, le gouvernement démissionna.
En fait, si les conservateurs haut-canadiens avaient gardé le pouvoir jusque-là, c’était en général grâce à leur alliance avec Cartier et le bloc des « bleus », qui détenait la majorité au Bas-Canada. Cette association, qui reflétait la foi de Macdonald en la coopération entre francophones et anglophones et en la nécessité économique de l’union du Haut et du Bas-Canada, présentait des avantages évidents sur le plan politique. Cependant, elle réduisait progressivement la popularité de son type de conservatisme dans sa section de la province et exposait le cabinet à des accusations de plus en plus fréquentes d’être « dominé par les [Canadiens] Français ». Par conviction ou par nécessité, Macdonald avait dû défendre le système des écoles séparées contre l’hostilité de la majorité protestante du Haut-Canada. Il s’opposait personnellement à ce que l’on instaure à l’Assemblée la représentation basée sur la population, même si la plupart des habitants du Haut-Canada approuvaient ouvertement cette idée, à laquelle finirent par se rallier un grand nombre de ses partisans conservateurs haut-canadiens, dont John Hillyard Cameron*. À compter de 1851, la population de la partie ouest de la province dépassa celle de l’est ; adopter ce mode de représentation aurait réduit le poids politique des Canadiens français. En outre, tout comme Cartier, Macdonald montrait peu d’enthousiasme pour un autre mouvement populaire dans le Haut-Canada, soit l’annexion du vaste territoire situé à l’ouest du Canada. Même si en 1857 le gouvernement Taché-Macdonald invoqua quelque droit sur ce territoire, alors gouverné par la Hudson’s Bay Company, Macdonald ne s’en inquiétait pas et était « assez disposé quant à lui à laisser tout ce pays en friche pendant les cinquante prochaines années ». C’est ce qu’il déclarait en 1865 dans une lettre adressée à Edward William Watkin, l’ancien président du Grand Tronc, qui avait étudié la question pour le ministère des Colonies. De 1854 à 1864, il se trouvait donc, par sa propre faute, dans une sorte de piège politique. Pour rester au pouvoir, il avait besoin du soutien des Canadiens français, mais pour l’obtenir il devait appuyer des mesures susceptibles de lui nuire dans sa section de la province.
Cette faiblesse du conservatisme dans le Haut-Canada, Macdonald tenta de la racheter de plusieurs façons. Il insista pour que le parti demeure officiellement une coalition de réformistes et de conservateurs modérés et, dans l’espoir de plaire à une variété plus grande d’électeurs, il s’entoura toujours, au cabinet, de réformistes de la tendance de Francis Hincks* (tels Morrison, Spence et John Ross*) ou qui avaient fait défection (par exemple Michael Hamilton Foley* ou Thomas D’Arcy McGee*). En outre, il centralisa la distribution des faveurs gouvernementales. Macdonald était loin d’être le premier homme politique à faire preuve de favoritisme mais, contrairement à ses prédécesseurs conservateurs, il maintenait une forte emprise personnelle sur la distribution des places quand il était au pouvoir, et il utilisait délibérément des postes, ou des promesses de poste, pour tenter de renforcer le parti au niveau local – son principe était de ne récompenser que des services réels. En veillant à ce que les recommandations de faveurs « ressortissent au bureau du procureur général », comme il le souligna en janvier 1855, et en travaillant dur pour ceux envers qui il s’était engagé, il put accroître, dans toute la province, la loyauté à l’égard du parti et de sa personne.
Pendant la période où il exerça le plus d’influence à titre de procureur général, de chef du parti ou de copremier ministre, c’est-à-dire de 1854 à 1862, Macdonald ne fut associé à aucune loi qui ait entraîné une réforme radicale. Cependant, en ces temps d’expansion et de bouleversements rapides, et surtout à la fin des années 1850, il supervisa l’application de mesures et de réaménagements administratifs qui rendirent la gestion des affaires de la province plus efficace qu’auparavant. Dans les années 1850, au Canada, l’État commençait à peine à s’occuper d’assistance et de protection sociales ; les seuls établissements provinciaux du Haut-Canada étaient le pénitencier de Kingston et l’asile psychiatrique de Toronto [V. Joseph Workman]. De 1856 à 1861, l’asile eut des succursales à Toronto, Amherstburg et Orillia. Un établissement pour des criminels atteints de maladie mentale ouvrit ses portes à Kingston en 1858. La première maison de correction pour jeunes délinquants s’installa dans des locaux temporaires à Penetanguishene l’année suivante. La loi de 1857 qui créait l’asile pour criminels et la maison de correction instaurait un bureau d’inspection permanent dont le mandat était de superviser tous les établissements gouvernementaux d’assistance et de correction, y compris 52 prisons locales, et de leur fixer des normes. C’est donc sous le leadership de Macdonald que l’on instaura, puis élargit peu à peu, le régime public d’assistance et de protection sociales. En 1866, l’Acte concernant les institutions municipales du Haut-Canada (abrogé après la Confédération) exigea que tout comté populeux se dote dans un délai de deux ans d’une maison d’industrie ou d’un refuge pour les pauvres.
À la même époque, la bureaucratie prit beaucoup d’expansion et connut une réorganisation importante. Afin de résoudre la question du siège permanent du gouvernement, qui exacerbait depuis des années les rivalités urbaines, Macdonald et d’autres eurent l’ingéniosité d’en référer à la reine en 1857 [V. Edmund Walker Head]. En juillet 1858, l’annonce de son choix, Ottawa, provoqua la défaite du gouvernement Cartier-Macdonald, mais celui-ci retourna au pouvoir moins de 48 heures plus tard, grâce à la manœuvre controversée du double shuffle [V. sir George-Étienne Cartier ; William Henry Draper], parce que les réformistes de George Brown n’étaient pas parvenus à réunir une majorité au Parlement. Finalement, en 1859, avec une majorité de cinq voix, le Parlement se prononça pour Ottawa.
L’Acte pour améliorer l’organisation du Service civil en Canada et le rendre plus effectif, adopté en 1857, établit la règle selon laquelle chacun des grands organismes gouvernementaux aurait à sa tête un chef permanent et apolitique, appelé sous-ministre. L’Acte pour assurer l’audition plus efficace des comptes publics, adopté en 1855, et la nomination de John Langton, ami et ancien collègue conservateur de Macdonald, au poste de vérificateur des comptes publics constituèrent une première tentative en vue d’introduire la responsabilité financière au gouvernement. Un autre changement se produisit dans le secteur financier en 1859 : le bureau de l’inspecteur général devint un département à part entière, celui des Finances. Ainsi s’achevait un long processus à la suite duquel le receveur général, qui était au départ le principal fonctionnaire financier de la province, n’occupait plus qu’un poste mineur. On créa aussi deux nouveaux départements. Le bureau d’Agriculture et de Statistiques, établi en 1857, devint un département en 1862 [V. Joseph-Charles Taché]. L’année précédente, Macdonald avait imposé un supérieur politique, le ministre de la Milice, à l’adjudant général de la milice, qui appartenait à la bureaucratie. De décembre 1861 à mai 1862, soit pendant la première année de la guerre de Sécession, Macdonald fut le premier à exercer cette fonction ; il la reprit de 1865 à 1867, à l’époque des raids féniens. De plus, en 1857, on créa au sein du département des Terres de la couronne une direction des pêches, dont le mandat était d’assurer la conservation et la protection des pêcheries d’eau douce [V. Richard Nettle*], puis en 1860, fait plus important, les Affaires indiennes, qui jusque-là étaient du ressort de l’Empire, passèrent à la province [V. Richard Theodore Pennefather*].
Par ailleurs, pour compenser la diminution rapide des terres agricoles faciles d’accès, le gouvernement tenta d’aménager d’autres parties de la province. En 1858, il resserra sa mainmise sur les régions nordiques, peu peuplées, en y créant temporairement deux districts judiciaires (Algoma et Nipissing). Puis le département des Terres de la couronne planifia un réseau de routes de colonisation pour encourager les colons à s’établir dans la section sud du Bouclier canadien, au delà des aires déjà cultivées. Ces routes ne remplirent jamais la fonction prévue (même si elles servirent à l’industrie forestière), mais le fait que plusieurs d’entre elles furent construites pendant que Macdonald était au pouvoir montre bien qu’il croyait, comme il se plaisait à le répéter, en l’existence d’un « arrière-pays fertile » dont l’exploitation n’exigeait que l’aménagement d’un meilleur réseau de transport.
À la fin des années 1850, et particulièrement en 1857, année record de la période de l’Union sous le rapport du nombre de projets de loi adoptés, le gouvernement Cartier-Macdonald prit de nombreuses initiatives en matière législative, dont la loi de l’indépendance du Parlement en 1857, des modifications à la loi sur les corps municipaux en 1857 et 1858, et toujours en 1858 une loi sur l’enregistrement des électeurs ainsi que des modifications qui touchaient la procédure des cours de surrogate, la loi sur le prêt usuraire, la composition des jurys et l’emprisonnement pour dettes (aboli dans la plupart des cas). À titre de procureur général, Macdonald lança plusieurs réformes importantes du système judiciaire lui-même, notamment par l’Acte de procédure du droit commun en 1856, l’Acte pour la nomination d’avocats de comté, et pour d’autres fins, relativement à l’administration locale de la justice dans le Haut-Canada en 1857 et, la même année, une loi qui autorisait l’appel dans les causes criminelles. En outre, le gouvernement Cartier-Macdonald manifesta son souci des affaires en adoptant tout un éventail de mesures destinées à stimuler la croissance économique. Parmi celles-ci, il faut signaler non seulement son appui constant au chemin de fer du Grand Tronc, mais aussi, dans le budget présenté par l’inspecteur général William Cayley en 1857 et qu’Alexander Tilloch Galt fit adopter l’année suivante, le premier régime tarifaire qui autorisait la « protection accessoire » pour l’industrie canadienne. En 1861, Macdonald déclara que ce régime (qui préfigurait la Politique nationale des années 1870) était à l’origine « des nombreuses manufactures de toutes sortes qui [avaient] surgi dans les deux sections de la province ». En 1859, le maître général des Postes, Sidney Smith*, l’un des amis politiques les plus proches de Macdonald, conclut avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et la Prusse des ententes sur l’envoi du courrier au Canada et aux États-Unis. En outre, un grand nombre de projets de loi qui constituaient en sociétés de nouvelles entreprises ou élargissaient l’éventail des activités d’entreprises existantes, notamment dans le secteur des routes et des chemins de fer, des assurances, des banques, des mines, du pétrole et des forêts, furent présentés et adoptés avec l’appui de Macdonald et de ses collègues parlementaires ; ceux-ci, comme Macdonald, avaient des intérêts dans certaines d’entre elles.
À titre de procureur général, Macdonald présenta une autre mesure : un projet de loi qui aurait longtemps des conséquences négatives pour les Premières Nations. Celui-ci avait pour objet l’émancipation : selon la politique à l’égard des membres des Premières Nations, cela signifiait que ces derniers renonçaient à leur statut d’Indien et devenaient des citoyens. En 1850–1851, le Parlement canadien avait établi une forme de statut d’Indien dans une nouvelle loi visant à protéger les terres des réserves contre les empiétements des non-Autochtones. Au même moment, la colonie adopta des politiques, notamment l’éducation dans des pensionnats, pour inciter les membres des Premières Nations à abandonner ce statut quand ils seraient prêts à le faire. Le gouvernement croyait que l’influence transformatrice de l’éducation eurocanadienne et l’adoption d’une vie sédentaire axée sur l’agriculture entraîneraient l’acculturation des Premières Nations. En 1854, le gouverneur lord Elgin [Bruce*] déclara : « Si le processus de civilisation auquel les Indiens ont été soumis pendant tant d’années s’était accompagné de succès, ils auraient certainement déjà atteint une condition suffisamment éclairée pour s’affranchir de l’état de tutelle dans lequel ils ont été maintenus. »
Le gouvernement Macdonald-Cartier fit un pas de plus avec la présentation du projet de loi, par Macdonald, puis la promulgation de l’Acte pour encourager la civilisation graduelle de 1857. Le document stipulait qu’« il [était] désirable d’encourager le progrès de la civilisation parmi les tribus sauvages en cette province, et de faire disparaître graduellement toutes distinctions légales qui existent entre [elles] et les autres sujets canadiens de Sa Majesté, et de donner aux membres individuels de ces tribus qui désireraient rencontrer un pareil encouragement et qui l’auraient mérité, plus de facilité pour acquérir des propriétés et les droits qui s’y rattachent ». La loi préconisait l’émancipation des hommes de bon caractère moral, capables de parler, d’écrire et de lire en français ou en anglais, non endettés et considérés comme adéquatement instruits. Ceux ne sachant ni lire ni écrire dans l’une de ces deux langues ou n’ayant pas reçu une éducation suffisante pourraient subir un examen et, à la suite de résultats jugés satisfaisants, pourraient commencer une période de probation de trois ans qui, si couronnée de succès, les mènerait à l’émancipation. Les hommes affranchis perdraient leur statut d’Indien, comme leurs femmes, leurs enfants et tous leurs descendants. En contrepartie, ils recevraient un lot de terre en tenure franche n’excédant pas 50 acres à même leurs anciennes réserves, ce qui leur permettrait de satisfaire aux qualifications de propriétaires aptes à voter et de recevoir une part des annuités payées à leur nation. Après la Confédération, ces dispositions, incorporées dans la loi sur les Indiens de 1876 et, à ce moment-là, restreintes au territoire à l’est du Manitoba, resteraient en vigueur jusqu’en 1985 (à l’exception des 13 années qui suivirent l’adoption du projet de loi sur le cens électoral en 1885). Seul un petit nombre d’Autochtones, notamment Solomon White*, en Ontario, profitèrent de ces mesures, néanmoins intimidantes pour beaucoup d’autres.
Passé dans l’opposition en 1862, à la défaite du projet de loi sur la milice, Macdonald revint au pouvoir deux ans plus tard, dans un tout autre contexte politique. Les élections de 1863 avaient donné presque deux fois plus de sièges aux réformistes qu’aux conservateurs dans le Haut-Canada mais, à cause de la force des bleus de Cartier et des conservateurs anglophones du Bas-Canada, les deux partis étaient à peu près à égalité dans l’ensemble de la province. Ni le gouvernement des réformistes John Sandfield Macdonald* et Louis-Victor Sicotte* ni le gouvernement formé par Étienne-Paschal Taché et Macdonald en mars 1864 ne réussirent à conserver l’appui d’une majorité. Sous la présidence de Brown, un comité parlementaire sur la constitution, auquel participait Macdonald, se prononça le 14 juin pour la fédération des deux sections du Canada ou de toutes les provinces de l’Amérique du Nord britannique. Cette idée suscita une forte adhésion dans la province du Canada. L’union fédérale offrait une solution à l’impasse créée par la polarisation qui existait sur la scène politique. De plus, comme le Haut et le Bas-Canada auraient chacun leur gouvernement, ils auraient plus de marge de manœuvre, et les tensions entre régions et entre francophones et anglophones diminueraient. Cependant, tout comme 2 autres membres du comité de Brown, qui en comptait 20, Macdonald refusa de sanctionner le rapport, qui obtint l’appui de presque tous les grands personnages politiques du Canada. Même s’il avait fait partie d’un gouvernement qui avait préconisé une fédération dès 1858, cette idée ne l’avait jamais beaucoup enthousiasmé car, comme il l’avait déclaré dans un discours en 1861, il craignait qu’une union fédérale n’ait « les défauts de la Constitution des États-Unis » : un gouvernement central faible. Macdonald avait toujours privilégié une direction très centralisée, de préférence unitaire, car il craignait les conflits de compétences que, selon lui, la guerre de Sécession avait « rendus si douloureusement manifestes ».
Malgré la forte appréhension qu’il éprouvait au sujet de la fédération, Macdonald changea son fusil d’épaule quand Brown proposa une action conjointe pour amener un changement constitutionnel. Ce revirement survint après moins de deux jours d’hésitations, soit le 16 juin 1864. Il en résulta la formation, le 30 juin, de la Grande Coalition, par laquelle la majorité des réformistes haut-canadiens s’associèrent aux conservateurs de Macdonald et aux bleus de Cartier dans le but de créer une fédération des colonies de l’Amérique du Nord britannique. Macdonald avait fait volte-face par prévoyance et pour des raisons tout à fait pratiques. L’union fédérale « préviendra[it] l’anarchie [...], réglera[it] la grande question constitutionnelle de la réforme parlementaire du Canada [et] redorera[it] le blason de la province à l’étranger ». Autrement dit, les provinces, une fois unies, formeraient une collectivité plus nombreuse, plus forte et plus harmonieuse qui pourrait peut-être rivaliser avec les États-Unis. En outre, dans l’immédiat, la coalition permettait à Macdonald d’échapper à de graves difficultés politiques dans sa section du Canada, où le parti réformiste semblait prendre une avance insurmontable. « J’étais alors devant l’alternative [suivante], confia-t-il en 1866, soit de former un gouvernement de coalition, soit de céder l’administration des affaires [publiques] au parti des grits pour les dix prochaines années. »
De 1864 à 1867, Macdonald eut deux grands sujets de préoccupation : la guerre de Sécession – ses suites et ses conséquences pour le Canada – et, ce qui n’était pas très éloigné, la Confédération de l’Amérique du Nord britannique. Un raid lancé en octobre 1864 contre St Albans, dans le Vermont, par des soldats confédérés partis du Canada, puis leur libération par le juge de paix montréalais Charles-Joseph Coursol*, à cause d’une formalité, causèrent une forte réaction anticanadienne aux États-Unis. En décembre, le gouvernement américain exigea que toutes les personnes qui entraient aux États-Unis par l’Amérique du Nord britannique soient titulaires d’un passeport, et le Congrès commença à prendre des mesures pour l’abrogation du traité de réciprocité, en vigueur depuis 1854. Le gouvernement du Canada réagit en appelant 2 000 volontaires de la milice pour tenter de prévenir d’autres incidents frontaliers. En qualité de procureur général, Macdonald autorisa la création d’une petite « force de détection et de prévention » qui recueillerait des renseignements par l’intermédiaire d’agents canadiens et d’informateurs américains en poste dans plusieurs villes des États-Unis. À la tête de cette première unité canadienne de services secrets (qui devint la Police du dominion après la Confédération), Macdonald plaça en décembre un « homme perspicace, calme et résolu », immigrant écossais et ancien député à l’Assemblée législative, Gilbert McMicken. Celui-ci faisait rapport directement et secrètement à Macdonald, qui en août 1865 reprit les fonctions de ministre de la Milice tout en restant procureur général.
En 1865, les féniens, groupe paramilitaire irlando-américain voué à la libération de l’Irlande, donnèrent aussi des inquiétudes à Macdonald et à McMicken. On craignait que le fénianisme ne se répande au Canada ; des rumeurs circulèrent, et des incidents laissèrent supposer que la Hibernian Benevolent Society of Canada était armée [V. Michael Murphy*]. Mais il s’avéra que la menace venait de l’extérieur. En 1866, les féniens lancèrent des raids sur l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick, et, avec plus de succès, contre Fort Erie, de l’autre côté du Niagara [V. John O’Neill*]. Par la suite, le fénianisme cessa peu à peu de représenter un danger pour la sécurité de l’Amérique du Nord britannique. Toutefois, les événements de 1864–1866 avaient sans aucun doute contribué à créer un « climat de crise » qui fut pour beaucoup dans la réalisation rapide de l’union fédérale et la forme qu’elle prit. Taché était le chef en titre du gouvernement de coalition formé en 1864, mais Macdonald devint vite la cheville ouvrière des négociations subséquentes sur la Confédération. Brown avait voulu que la coalition réalise d’abord l’union fédérale du Haut et du Bas-Canada. Macdonald insista pour que l’on donne priorité à l’union de toutes les provinces, et il gagna. L’occasion de se rapprocher davantage de cet objectif s’offrait puisque les Maritimes avaient déjà commencé à préparer une conférence régionale afin de discuter de la possibilité d’une union législative de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard [V. Arthur Hamilton Gordon* ; sir Charles Tupper*]. Charles Stanley Monck, gouverneur général de l’Amérique du Nord britannique, convint avec les lieutenants-gouverneurs de ces provinces qu’une délégation canadienne assisterait à la conférence qui devait se tenir à Charlottetown, afin de présenter officieusement un projet de fédération. Le cabinet du Canada prépara ses propositions pendant l’été de 1864. Dès son arrivée à la conférence, en septembre, soit avant toute discussion sur l’union des Maritimes, la délégation canadienne fut invitée à présenter son projet. Macdonald prit la parole le premier, enclenchant ainsi le processus qui allait déboucher trois ans plus tard sur l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. La conférence de Charlottetown fut suivie en octobre 1864 par la conférence de Québec, qui regroupa des représentants du Canada, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard et de Terre-Neuve, puis par les pourparlers finals, qui réunirent à Londres, de décembre 1866 à février 1867, des délégués du Canada, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de la Grande-Bretagne.
L’ampleur de la contribution personnelle de Macdonald à la forme et au fond de l’entente sur la Confédération a suscité des débats, mais il ne fait aucun doute que de 1864 à 1867 c’est lui qui domina la scène. À la conférence de Québec, il fut le principal porte-parole pour le plan du Canada, qui était assez bien défini. En 1866–1867, il présida les réunions à Londres (où il se maria en février 1867). Le British North America Bill, en vue de l’union fédérale du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, reçut la sanction royale le 29 mars 1867 ; sa proclamation devait avoir lieu le 1er juillet. Le rôle de Macdonald fut largement reconnu en Grande-Bretagne. Il fut le seul dirigeant colonial à recevoir un diplôme honorifique, décerné par la University of Oxford en 1865, ou un titre de chevalier (conféré le 29 juin 1867, annoncé le 1er juillet), et c’est lui, bien sûr, que l’on choisit comme premier des premiers ministres du dominion du Canada. (Monck lui avait demandé, en mai, de former le premier gouvernement.)
Assurément, une bonne partie de l’appareil constitutionnel du dominion était son œuvre. Il ne pouvait pas le crier sur les toits mais, en privé, il affirmait l’avoir conçu presque en entier : il faisait valoir que lui seul avait reçu la formation nécessaire en théorie et en droit constitutionnels. En novembre 1864, en parlant de la « préparation de [la] constitution », il avait confié à son bon ami James Robert Gowan*, juge d’un tribunal de comté : « Je dois le faire seul parce qu’il n’y en a pas un au gouvernement qui ait la moindre idée de la nature du travail. » Son collègue Thomas D’Arcy McGee déclara en 1866 que Macdonald avait rédigé 50 des 72 résolutions adoptées à Québec.
Même à l’époque, certains minimisèrent le rôle de Macdonald. George Brown contesta la déclaration de McGee dans le Globe et attribua le projet de confédération aux efforts collectifs du cabinet canadien. Il y avait sûrement des aspects qui ne venaient pas de Macdonald et d’autres qu’il n’approuvait pas particulièrement. Les arrangements financiers, il l’admettait, étaient l’œuvre d’Alexander Tilloch Galt. La représentation basée sur la population, qui régissait la formation de la Chambre basse, était prônée depuis longtemps par Brown, et c’est sur son insistance qu’elle devint un aspect fondamental de la Confédération. De toute évidence, les dispositions qui assuraient à la langue française un statut officiel au Parlement et dans les tribunaux fédéraux ainsi que dans les tribunaux et à la législature de la province de Québec, de même que les mesures sur le maintien du Code civil dans cette province, venaient de Cartier. Celles qui préservaient les écoles séparées déjà existantes et qui garantissaient la création d’écoles du même genre dans les nouvelles provinces furent largement inspirées par Galt. Contrairement à Brown, Macdonald n’avait jamais tellement tenu, avant la Confédération, à ce que le Nord-Ouest devienne territoire canadien. Il n’avait pas été non plus un chaud partisan du chemin de fer Intercolonial, dont la construction fut garantie par un article inhabituel dans une constitution, adopté à Londres sur l’insistance des délégués des Maritimes, parmi lesquels se trouvaient Jonathan McCully*, William Alexander Henry* et Samuel Leonard Tilley. Devant toutes ces affirmations, dans quelle mesure peut-on dire que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique était « la constitution de Macdonald » ?
Sans être exactement tel que Macdonald l’aurait rédigé s’il avait eu toute latitude, le document correspondait néanmoins à ses objectifs principaux. Il avait toujours voulu, avant tout, un régime qui, bien que fédéral (condition essentielle pour avoir l’assentiment de la province de Québec et des Maritimes), serait aussi centralisé que possible, c’est-à-dire un régime doté d’un gouvernement central dirigé par un exécutif puissant. Or, la répartition des pouvoirs entre les gouvernements central et provinciaux correspondait à ses visées. Le fédéral avait des pouvoirs plus nombreux, notamment celui d’agir en vue de garantir « la paix et l’ordre […] ainsi que » le « bon gouvernement ». Cette expression était la concession de pouvoir la plus vaste que connaissaient les rédacteurs du ministère des Colonies, favorables à la position centralisatrice de Macdonald, et elle satisfaisait ce dernier, qui entendait bien avoir les coudées franches. Les domaines qui, selon lui, donnaient le pouvoir réel – la défense nationale, les finances, le commerce, l’imposition, la monnaie et les banques – ressortissaient au gouvernement central. De surcroît, ce dernier avait le pouvoir (exercé par le gouvernement impérial avant 1848) de refuser la reconnaissance d’une loi provinciale. (En juin 1868, un mémorandum du département de la Justice, approuvé par le cabinet pour transmission aux provinces, allait présenter un usage nouveau et plus astreignant du pouvoir d’annulation, si bien que l’on soumettrait au contrôle du gouvernement central même le plus fort des droits des provinces.) Le cabinet fédéral nommait ses chiens de garde dans les provinces, les lieutenants-gouverneurs, de même que les membres du Sénat, organisme qu’avait conçu Macdonald pour représenter l’élément des nantis et des propriétaires, même si la propriété demeurait une condition d’éligibilité à la chambre des Communes. Macdonald croyait ainsi avoir évité les principaux écueils de la fédération américaine : le suffrage universel et la faiblesse de l’exécutif. Le Canada serait gouverné à partir du centre, par des personnes qui avaient des intérêts réels dans la collectivité. Si Macdonald n’intégra pas à l’Acte de l’Amérique du Nord britannique une formule d’amendement des structures et pouvoirs du gouvernement central, ce n’est probablement pas, comme on le dit souvent, parce qu’il oublia de le faire. Ayant veillé à ce que les Parlements provinciaux puissent amender, dans le cadre étroit de l’article 92, les dispositions constitutionnelles qui les concernaient, il n’aurait pas négligé d’inscrire, s’il l’avait jugé nécessaire, quelque chose de semblable dans l’article 91, qui définit les pouvoirs du Parlement fédéral.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique était loin de rendre entièrement compte des intentions personnelles de Macdonald sur l’avenir de la nouvelle fédération. Dire que les gouvernements provinciaux étaient des « législature[s] subordonnée[s] » est un euphémisme. On les avait voulus faibles, soutenait-il, et ils devaient cesser un jour d’exister. Il entrevoyait un Canada doté d’un seul gouvernement, habité par une population aussi homogène que possible et qui partageait des institutions et des traits communs. En décembre 1864, il dit à Matthew Crooks Cameron* : « si la Confédération dure, vous verrez, si vous vivez aussi vieux que la moyenne, le pouvoir général absorber les Parlements et gouvernements locaux. Pour moi, c’est aussi évident que si je le voyais accompli mais, bien sûr, on ne peut pas adopter ce point de vue en discutant du sujet dans le Bas-Canada. » Il fut certainement sage de ne pas révéler ce genre de sentiments en public, car parmi les Canadiens français, pour qui les gouvernements provinciaux étaient déjà les dépositaires de ce qu’on appellerait les « droits des provinces », certains soupçonnaient ses intentions dès 1864. Le Canada d’Ottawa, dont le rédacteur en chef était Elzéar Gérin*, déclara en 1866 : « Plus on simplifiera la législature locale plus on amoindrira son importance et plus on courra risque de la voir absorber par la législature fédérale. » Macdonald pensait avoir mis en branle un processus constitutionnel qui modifierait peu à peu l’importance relative des deux paliers de gouvernement. Son collègue Hewitt Bernard, à titre de secrétaire de toutes les conférences de la Confédération, avait acquis une expérience de première main sur la façon de mettre en pratique les idées constitutionnelles de Macdonald. Lorsque le gouverneur général lord Dufferin [Blackwood*] lui demanderait, en 1874, de faire le bilan des sept années d’application de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, Bernard préconiserait d’expliciter et de restreindre davantage les pouvoirs provinciaux énoncés à l’article 92.
Par bien des aspects concrets, la structure administrative du gouvernement du nouveau dominion était celle de la province du Canada, mais adaptée à une nouvelle réalité. Bien sûr, Ottawa demeurait la capitale, et nombre de sous-ministres et hauts fonctionnaires de l’ancienne province occupaient des postes clés dans la fonction publique fédérale – par exemple Bernard, Joseph-Charles Taché, William Henry Griffin, Toussaint Trudeau, Edmund Allen Meredith et John Langton. Plus que ses collègues, Macdonald avait l’ambition de donner au pouvoir central non seulement de la latitude constitutionnelle, mais de l’espace physique. Il voulait occuper, dans le centre d’Ottawa, plus de terrains que ne le lui permettraient ses collègues. Ainsi il souhaitait faire construire la résidence du gouverneur général sur la pointe Nepean – ce dont ils ne voulaient pas entendre parler. Des années plus tard, il révéla à Joseph Pope* que la réfection de Rideau Hall avait coûté plus cher que la construction d’une nouvelle résidence sur la pointe Nepean. De plus, il voulait acquérir, pour de futurs bureaux ministériels, tout le pâté de maisons situé entre les rues Wellington et Sparks, à l’est de Metcalfe. Ses collègues le lui refusèrent aussi.
Le département de la Justice était le portefeuille que Macdonald avait choisi en 1867, et il le conserva jusqu’à la démission de son gouvernement en novembre 1873. Il supervisa la division des fonctions en 1867 et transféra celles de son ancien poste, celui de procureur général du Haut-Canada, au gouvernement provincial de Toronto. Le personnel supérieur de son ancien bureau demeura au nouveau département ; il n’y eut même pas de coupure dans ses registres ministériels de correspondance.
De même, les fonctions de Macdonald ressemblaient assez à celles qu’il avait exercées à titre de procureur général. Le droit de grâce, qui appartenait au gouverneur général, obligeait Macdonald à réexaminer les condamnations à mort, et le système pénitentiaire était de compétence fédérale. Le ministère des Colonies avait insisté pour que les deux relèvent du fédéral ; on peut se demander si Macdonald en voulait. Il laissa le système pénitentiaire à Bernard, et dans ses mesures continua de se montrer ferme plutôt que charitable. Le but essentiel des pénitenciers, disait-il en 1871 à John Creighton*, directeur de celui de Kingston, est « le châtiment, [le but] accessoire, la réforme ». On pouvait rendre les prisons trop confortables, les prisonniers trop heureux. (Lisez David Copperfield, disait-il, et surtout ce passage où Uriah Heep, interné dans une prison modèle, est tellement mieux que les pauvres gens qui vivent à l’extérieur.) Le pouvoir de libérer devait être utilisé parcimonieusement. La certitude du châtiment avait plus d’importance que la sévérité de la sentence. Selon Macdonald, le fort taux de criminalité des États-Unis était dû à la facilité avec laquelle on pouvait obtenir une grâce par des pressions politiques sur les gouverneurs des États.
À la mort de Thomas D’Arcy McGee, tué par balle le 7 avril 1868, le gouvernement du dominion mit tout son pouvoir à la disposition du procureur général de l’Ontario, à qui incombait l’accusation. Le dominion assuma une partie des frais du procès contre Patrick James Whelan*, et Hewitt Bernard, alors sous-ministre de la Justice, joua un rôle prépondérant dans la constitution de la preuve à Ottawa. Même si John Sandfield Macdonald était à la fois premier ministre et procureur général de l’Ontario, sir John prit en main toute l’affaire, ou presque. Il fut implacable. Il y eut des pressions pour obtenir un sursis ; même l’avocat de l’accusation, James O’Reilly*, semblait mal à l’aise. John Hillyard Cameron, l’avocat de la défense, estima qu’un nouveau procès s’imposait, ou à tout le moins un appel au Conseil privé. Pourtant, Macdonald était d’ordinaire plus clément, surtout dans les cas où la preuve était ambiguë. Ainsi la sentence de mort de Baptiste Renard, condamné pour viol en 1864, avait été, comme d’habitude, commuée en emprisonnement à vie. Trois ans plus tard, après que l’évêque de Kingston, Edward John Horan, eut porté à l’attention de Macdonald de nouveaux éléments de l’affaire, on libéra Renard.
Les fortes visées centralisatrices de Macdonald à l’égard de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du territoire de la Hudson’s Bay Company apparurent dès les premières sessions du Parlement du Canada. De son propre aveu, les Territoires du Nord-Ouest, que l’on allait soustraire de Rupert’s Land, deviendraient des colonies canadiennes de la couronne et seraient gouvernés comme telles. Il lui en restait beaucoup à apprendre, et la première année (ou à peu près) de la Confédération montra à quel point sa perspective était celle d’un Canadien du centre et révéla son optimisme quant au règlement de questions et difficultés qui ne lui étaient pas familières. Étant donné la persistance de sentiments anticonfédéraux en Nouvelle-Écosse, le ministre des Douanes, Samuel Leonard Tilley, éprouva en juillet 1868 la nécessité de lui écrire de Windsor, dans cette province, pour lui adresser cet avertissement : « Rien ne sert de crier paix quand il n’y a aucune paix. En ce moment, nous devons agir avec sagesse et prudence. » Macdonald était un réaliste mais, chez lui, le réalisme prenait la forme de perceptions imposées à son tempérament optimiste. Cette étrange combinaison, ajoutée à sa ruse, lui donnait l’élan nécessaire pour s’adapter, changer d’avis, recourir à des expédients. Refusant de s’avouer vaincu, il s’acharnait à trouver moyen de sortir des difficultés. Dans le cas de la Nouvelle-Écosse, il se trouvait dans une situation délicate à cause de la témérité avec laquelle le premier ministre de cette province, Charles Tupper, avait poussé ses concitoyens à adhérer à la Confédération, et en raison de ses propres visées de Canadien du centre du pays. Il réagit tardivement, mais avec compétence, courage et débrouillardise. En août 1868, il se rendit à Halifax afin de trouver, avec Joseph Howe*, des moyens d’apaiser le conflit entre la province et le dominion.
Imposer la « rigueur impériale », comme on l’avait fait à la Nouvelle-Écosse [V. sir William Fenwick Williams*], n’était pas une expérience que Macdonald allait répéter de bon gré. Dès 1869, il était conscient des effets pernicieux de ce mode d’union politique. À la fin de cette année-là, le gouverneur de Terre-Neuve, Stephen John Hill, proposa l’intégration de la colonie au Canada par décret impérial. Macdonald refusa carrément. Même si une délégation dirigée par le premier ministre de l’île, Frederic Bowker Terrington Carter, avait négocié avec le Canada les conditions de l’union, les Terre-Neuviens, aux élections générales de l’automne, s’étaient prononcés sans équivoque contre la Confédération. Pour Macdonald, le débat était clos. Il n’imposerait pas le régime canadien à une autre colonie sans avoir sondé l’opinion de la population et l’avoir jugée favorable. Cette attitude explique sa promptitude à négocier dès les premiers signes des troubles de la Rivière-Rouge (Manitoba) en 1869 [V. Louis Riel*]. Pour la même raison, il allait insister pour que des élections aient lieu en Colombie-Britannique avant l’entrée de cette province dans la Confédération en 1871. Il montrerait une patience remarquable devant les exigences (et les élections) des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard. « Je vois que votre chemin de fer cause pas mal d’agitation politique », écrivait-il en octobre 1871 à son médecin à Charlottetown, William Hamilton Hobkirk. « J’espère que l’accroissement de votre fardeau financier vous amènera à vous joindre au dominion ; mais cette union [...] ne saurait être hâtée par aucune action de notre part, votre population doit la réclamer. »
L’acquisition de Rupert’s Land occupa une part importante de son temps en 1869. C’était Cartier, en grande partie, qui avait négocié les conditions à Londres, au nom du Canada. Arrivé là-bas en octobre 1868, en compagnie du ministre des Travaux publics, William McDougall*, qui était tombé gravement malade presque tout de suite, Cartier avait dû négocier avec deux cabinets, celui de Disraeli puis celui de Gladstone. McDougall était convaincu que le gouvernement de Gladstone serait plus favorable à la cause du Canada, mais Cartier estimait le contraire, et il avait raison. Il s’embarqua pour le Canada seulement le 1er avril 1869, après six mois de négociations ininterrompues. En vertu de la loi sur le gouvernement temporaire, sanctionnée en juin, un lieutenant-gouverneur et un conseil allaient administrer les territoires, qui seraient officiellement transférés au Canada le 1er décembre.
Une fois que McDougall eut accepté la charge de lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, Macdonald, qui en privé qualifiait cette charge de « morne souveraineté », lui écrivit, à la suite d’un long entretien, des lettres remplies de bon sens. « Il faut que vous n’oubliiez jamais, lui dit-il sévèrement le 20 novembre, que vous vous rendez dans une contrée étrangère, gouvernée par la Hudson’s Bay Company [...] Vous ne pouvez pas y entrer de force. » Il l’encouragea à garder Riel (un « type intelligent ») pour sa « police future », et à donner ainsi « une preuve des plus convaincantes qu[’il] n[’allait] pas laisser les Métis en dehors de la loi ».
La venue des arpenteurs du gouvernement fédéral et le transfert du Nord-Ouest avaient déjà causé des désordres à la Rivière-Rouge, et Macdonald, dans la mesure où il savait de quoi il retournait, attribuait une part de la responsabilité aux prêtres de la région. En privé, il blâmait aussi Cartier d’avoir « quelque peu rabroué » l’évêque de Saint-Boniface, Alexandre-Antonin Taché, qui était passé par Ottawa cet été-là en se rendant à Rome. On pensait que le secrétaire d’État Hector-Louis Langevin* avait arrangé les choses mais, à la fin de novembre, Macdonald était convaincu que l’irritation de Taché avait eu des échos à la Rivière-Rouge. Cependant, les plus grands coupables, selon lui, étaient les fonctionnaires de la Hudson’s Bay Company. Les membres du conseil local étaient parfaitement au courant du mécontentement des Métis. Le transfert était décidé et connu depuis des mois. Un fonctionnaire de la compagnie, John H. McTavish, venu à Ottawa en avril, avait rencontré Macdonald et d’autres ; on l’avait alors informé du transfert du Nord-Ouest au Canada et du fait que les habitants auraient les mêmes droits qu’auparavant. Pourtant, les fonctionnaires de la compagnie ne donnèrent aucune explication aux habitants de la Rivière-Rouge sur ce qui allait se passer. « Tout ce que ces pauvres gens savent, dit Macdonald à Cartier le 27 novembre, c’est que le Canada a acheté le pays [...] et qu’on nous les refile comme un troupeau de moutons ; et on leur dit qu’ils perdent leurs terres [...] Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient insatisfaits et qu’ils montrent leur mécontentement. »
Le conseil que Macdonald donna à McDougall ce même jour, à la lumière de ce que l’on connaissait alors de la situation, prouve son bon sens et sa connaissance du droit. Il lui écrivit de ne pas franchir le 49e parallèle et de ne pas prêter le serment de lieutenant-gouverneur. Toute la responsabilité de l’agitation devait retomber sur la Hudson’s Bay Company et le gouvernement impérial. Une proclamation dans laquelle McDougall en appellerait à la loyauté des habitants de la Rivière-Rouge serait appropriée si l’on était assuré de leur obéissance. Dans le cas contraire, calculait Macdonald, la faiblesse de McDougall serait « douloureusement mise en évidence » aux yeux de la population et des Américains. Si McDougall n’était pas admis sur le territoire, une proclamation déclencherait l’anarchie ; les habitants de la Rivière-Rouge auraient alors beau jeu de « former un gouvernement pour des raisons de nécessité, afin de protéger la vie et la propriété, et un tel gouvernement [aurait] certains droits souverains en vertu du droit international ». Les Américains pourraient même être tentés de le reconnaître. Ce conseil, McDougall le reçut trop tard pour ne pas commettre un impair : le 1er décembre, il proclama précipitamment que le Nord-Ouest faisait partie du Canada. Une semaine après, Riel établissait un gouvernement provisoire. De son côté, Macdonald dépêcha deux émissaires, Charles-René-Léonidas d’Irumberry* de Salaberry et l’abbé Jean-Baptiste Thibault*, lorsqu’il estima qu’il fallait donner de nouvelles garanties, et un commissaire, Donald Alexander Smith*, dès qu’il vit qu’une médiation réelle serait nécessaire. Il tenait à éviter que le gouvernement britannique n’envoie un commissaire impérial. Comme tout le cabinet canadien, il estimait que « ce serait une erreur d’envoyer là-bas un Anglais trop savonné, tout à fait ignorant du pays et plein de lubies, comme le sont tous les Anglais ».
Lorsque Mgr Taché repassa par Ottawa en février 1870, Cartier présenta autant d’excuses que cela semblait nécessaire. Mais l’exécution de Thomas Scott*, en mars, rendit la question du Nord-Ouest si délicate que deux des délégués envoyés dans l’Est en mars par Riel, Alfred Henry Scott* et l’abbé Noël-Joseph Ritchot*, furent arrêtés pour complicité de meurtre. Macdonald engagea John Hillyard Cameron pour les faire libérer et versa lui-même les 500 $ nécessaires afin que rien n’apparaisse dans les comptes publics.
Le 2 mai, on présenta à la chambre des Communes un projet de loi pour créer la nouvelle province du Manitoba. Quatre jours plus tard, pendant les débats sur la question, Macdonald souffrit d’une crise causée par un calcul biliaire. Comme il était trop faible pour qu’on le ramène chez lui, on transforma son bureau, à l’angle de l’édifice de l’Est, en chambre de malade. Au début de juillet, en compagnie de sa femme, de sa fillette, de sa belle-mère, de Hewitt Bernard, du docteur James Alexander Grant, d’une infirmière et d’un secrétaire, il se rendit à Charlottetown sur un vapeur du gouvernement parti de Québec. Le groupe arriva le 8 juillet et s’installa en banlieue, dans une vaste maison pleine de coins et recoins. Macdonald avait encore les jambes si faibles qu’il ne pouvait marcher. On a prétendu que c’est là, tout en suivant la guerre franco-prussienne, qu’il élabora le projet d’acheter l’adhésion de l’Île-du-Prince-Édouard à la Confédération en convainquant le gouvernement provincial de construire un chemin de fer. Des soupçons ne constituent cependant pas des preuves. Par contre, ce qui est certain, c’est que Macdonald n’allait pas faire entrer l’île dans le dominion sans y avoir des appuis manifestes. À son retour à Ottawa, le 22 septembre, il impressionna tout le monde par son air de santé.
Peu après, c’est le cas de la Colombie-Britannique qu’il prit en main. Cartier avait dirigé des négociations en juin 1870. Le 29 septembre, Macdonald dit au gouverneur de la colonie, Anthony Musgrave*, que même si les conditions négociées par Cartier, y compris la construction d’un chemin de fer transcontinental, étaient justifiables quant au fond, on pouvait s’attendre à une « opposition considérable » au sein du Parlement, car elles seraient probablement jugées trop lourdes pour le Canada et trop généreuses pour la Colombie-Britannique. Il conseilla donc à Musgrave de procéder comme au moment où le Parlement étudiait les résolutions de Terre-Neuve en 1869 : veiller à ce que des membres du gouvernement colonial viennent à Ottawa discuter des points litigieux avec les députés, et surtout avec le caucus conservateur. En avril et mai 1871, Joseph William Trutch* vint à Ottawa dans ce but et aida Cartier à convaincre le Parlement d’accepter les conditions d’adhésion de la Colombie-Britannique.
Cette fois encore, Macdonald était absent de la chambre des Communes. Il avait dû jouer le double rôle, ingrat, de Canadien et d’Anglais, car il comptait parmi les commissaires de Grande-Bretagne aux négociations qui se tenaient à Washington en vue de régler les litiges anglo-américains, dont un bon nombre touchaient le Canada. On avait aussi proposé, comme représentant du Canada, sir John Rose*, ancien ministre des Finances, qui s’était déjà entretenu sur le même sujet avec le secrétaire d’État des États-Unis, Hamilton Fish. Cependant, l’intérêt de Rose se trouvait alors du côté de Londres et de New York et, malgré la grande confiance que lui portait Macdonald, sa nomination était politiquement inacceptable. Personne, sauf lui, ne semblait pouvoir assumer cette tâche ardue. Il partit donc pour Washington le 27 février afin d’accomplir ce qu’il décrirait plus tard comme le « travail le plus difficile et le plus désagréable qu[’il eût] jamais entrepris depuis [son] entrée dans la vie publique ».
Macdonald avait peu vu les États-Unis depuis 20 ans, et c’était la première fois qu’il avait des relations suivies avec des hommes d’État de ce pays. Leur urbanité le surprit, mais ils demeuraient des diplomates redoutables. Bien que les réclamations au sujet de l’Alabama aient été la plus grave de toutes les questions urgentes à l’ordre du jour, les commissaires, pour l’heure, ne purent que constater leur incapacité de s’entendre sur ce sujet. Les négociations portèrent ensuite sur les pêches côtières du Canada. Le libre accès à ces pêcheries avait pris fin à la suspension du traité de réciprocité, en 1866, et le règlement relatif à l’obtention d’un permis par les navires américains était rigoureusement appliqué [V. Peter Mitchell]. Résoudre cette question prenait une importance vitale pour la Grande-Bretagne, qui espérait faire face aux conséquences militaires et politiques de la guerre franco-prussienne sans devoir s’inquiéter de la colère et de l’hostilité des États-Unis. Ceux-ci, dit Macdonald à Tupper, voulaient tout avoir sans rien donner ; ses collègues britanniques, et surtout le commissaire principal, lord de Grey, étaient prêts à faire porter l’odieux d’un échec à Macdonald et au Canada. Ils voulaient un traité, « quel qu’en [fût] le prix pour le Canada ». Macdonald envisagea sérieusement de quitter la commission. De Grey le pressa de n’en rien faire, car la démission d’un plénipotentiaire, et surtout de celui du Canada, risquait de mettre en danger la signature du traité par le Sénat américain. De son propre aveu, Macdonald était pris entre deux feux : son rôle de commissaire de Grande-Bretagne et sa fonction de premier ministre du Canada. La Grande-Bretagne tenait tant à un traité que, pour amener le Canada à le ratifier, elle accepta, comme le proposait Macdonald, de dédommager le pays pour les raids féniens puisque les Américains avaient refusé d’envisager même la possibilité d’intégrer une réparation au traité.
Les Américains avaient accepté la ratification du traité par le Canada uniquement parce qu’ils n’y voyaient qu’une formalité. Si le Parlement britannique ratifiait le traité, l’affaire serait réglée. Macdonald confia d’ailleurs à Tupper en avril : « Quand lord de Grey leur dit que l’Angleterre n’est pas une puissance despotique et ne peut régenter le Parlement du Canada lorsque celui-ci exerce ses compétences légitimes, ils s’en moquent complètement. » Le 8 mai, non sans appréhension, Macdonald signa le traité de Washington.
Au Canada, il allait devoir affronter une forte opposition de la part des deux partis politiques. Quelques jours après la signature, il écrivit à Rose : « Je pense que j’aurais été indigne de [ma] fonction et infidèle à moi-même si, par timidité égoïste, j’avais refusé de faire face à la tempête. Notre Parlement ne se réunira pas avant février prochain ; d’ici là, je dois essayer d’orienter l’opinion canadienne dans la bonne direction. Vous avez de la chance de ne pas être dans ce pétrin. » Il fut plus tranchant avec de Grey : en juin et juillet, l’indignation était à son comble dans toutes les classes de la société canadienne – assurément, le Parlement allait rejeter le traité. Le cas échéant, laissa-t-il entendre en juillet au gouverneur général, le baron Lisgar [Young*], il quitterait le gouvernement. Ses collègues pourraient continuer ou non sans lui. S’ils démissionnaient, un gouvernement libéral s’opposerait catégoriquement au traité.
La chute du gouvernement ontarien de Sandfield Macdonald, en décembre 1871, était de mauvais augure pour le traité et pour la victoire des conservateurs de l’Ontario aux élections fédérales suivantes. Le nouveau premier ministre de la province, Edward Blake*, et son lieutenant, Alexander Mackenzie, s’opposaient tous deux au traité. Le document n’offrait rien à l’Ontario ni à la province de Québec : aucune compensation des États-Unis pour les raids lancés par les féniens sur les frontières ontarienne et québécoise ; la navigation libre sur le Saint-Laurent pour les Américains, en échange du privilège douteux pour les Canadiens de naviguer sur trois cours d’eau de l’Alaska. L’entente sur la pêche allait à l’encontre des intérêts de la plupart des régions : le poisson du Canada serait admis sur le marché américain sans barrière tarifaire, mais le droit d’accès aux pêches côtières serait vendu aux Américains pour dix ans, à un prix fixé par des arbitres. Macdonald avait dû se battre pour que cette période ne soit pas de 25 ans. Les érudits pourraient bien dire que le traité avait admirablement bien réglé le contentieux entre la Grande-Bretagne et les États-Unis ; c’était une tout autre affaire pour le premier ministre d’un pays qui devait en avaler des articles cruciaux. Finalement, en attendant jusqu’en mai 1872, soit le moment où l’opinion canadienne fut calmée et où les Britanniques eurent offert une garantie sur les chemins de fer canadiens à titre de dédommagement pour les raids féniens, Macdonald put faire adopter le traité aux Communes par 121 voix contre 55. Toutefois, les orateurs politiques n’avaient pas pour autant oublié ce document.
Les ennuis de Macdonald ne s’arrêtèrent pas là. Riel n’allait pas se volatiliser : il n’était plus au Canada, mais on sentait qu’il reviendrait. En octobre 1871, un groupe d’assaillants pénétra du côté canadien de la frontière manitobaine, et l’on parla d’un raid fénien. Macdonald soupçonna alors Riel de jouer un double jeu : il aurait d’abord encouragé le leader, William Bernard O’Donoghue*, puis aurait tourné casaque en voyant que les Américains réprimeraient le raid. C’est pourquoi, entre autres, Macdonald ne put pardonner au lieutenant-gouverneur Adams George Archibald d’avoir, dans une apparente réconciliation, serré la main à Riel. Il aurait souhaité que la réaction des Ontariens à la mort de Thomas Scott ait affiné la sensibilité politique d’Archibald.
Pour Macdonald, cette combinaison d’éléments rendit les élections générales de l’été de 1872 difficiles, voire dangereuses. Tenir les rênes du pouvoir jusqu’à la fin d’un mandat ne lui plaisait pas, mais ç’aurait été une folie de tenir des élections en 1871, après les négociations de Washington. La conjoncture n’était pas tellement plus favorable, même plus d’une année plus tard. Les fermiers ontariens, confia-t-il au secrétaire d’État aux Colonies lord Carnarvon en septembre 1872, ne pouvaient comprendre pourquoi les Maritimes se voyaient accorder le droit de vendre librement leur poisson aux États-Unis alors que l’Ontario n’obtenait rien. Or, d’un point de vue politique, l’Ontario avait encore plus de poids qu’auparavant ; après le recensement de 1871, la refonte de la carte électorale lui donna 88 sièges, soit 6 de plus qu’en 1867. Macdonald y mena une campagne intensive et n’alla nulle part ailleurs (c’était encore la coutume, pour les ministres, de s’occuper de leur province), laissant le Québec à Cartier et Langevin, le Nouveau-Brunswick à Tilley, la Nouvelle-Écosse à Tupper et le Manitoba à Adams George Archibald et Gilbert McMicken, alors agent des terres du dominion dans cette province. En outre, Macdonald y dépensa sans compter. Des amis conservateurs lui donnèrent 6 500 $, et il reçut environ 35 000 $ de sir Hugh Allan*, plus une traite d’urgence de 10 000 $ le 26 août. Le lendemain, à Toronto, il emprunta de son propre chef 10 000 $ à Charles James Campbell et à John Shedden* ; cet emprunt, fait pour six mois à un taux de 6 %, alarma le directeur de la campagne conservatrice, Alexander Campbell.
Le moral de Macdonald était alors très bas, même s’il continuait de se battre le mieux possible, en mobilisant ses réserves d’optimisme, comme il le faisait toujours quand les choses allaient mal. Ses rapports avec le député sortant de Prince Edward, James Simeon McCuaig, donnent une idée de la manière dont il procédait en Ontario : « Laissez-moi vous dire que si [Walter] Ross se lance avec de l’argent, il aura bien des chances de vous battre. Vous devez employer la même arme contre lui. Nos amis d’ici ont été généreux dans leurs contributions, et je peux vous envoyer 1 000 $ sans problème. Vous faites mieux de les dépenser entre l’investiture et le scrutin. » McCuaig perdit, et Macdonald récolta tout au plus 42 des 88 sièges de l’Ontario. En septembre, il estimait sa majorité globale à 56. C’était beaucoup, mais en réalité cette majorité allait fluctuer selon les débats. Lorsque Lucius Seth Huntington* leva le voile sur le scandale du Pacifique [V. sir Hugh Allan] en avril 1873, elle serait de 31.
En 1872, au moins trois groupes canadiens, peut-être quatre, s’intéressaient au chemin de fer du Pacifique, sans parler des Américains. Les principaux étaient ceux de sir Hugh Allan à Montréal et de David Lewis Macpherson à Toronto. En 1871, sous les pressions de l’opposition et pendant la maladie de Macdonald, Cartier avait accepté que le maître d’œuvre du chemin de fer soit une compagnie privée et non le gouvernement. Avant, pendant et après les élections, Macdonald tenta d’amener les principaux groupes à se réunir ; la rivalité entre Toronto et Montréal et la méfiance réciproque des leaders rendirent la chose impossible. À la fin de l’automne de 1872, on chargea Allan de former une société pour construire le chemin de fer. Macdonald ne lui avait fait qu’une promesse : la présidence de la compagnie fusionnée du chemin de fer du Pacifique, dès qu’elle serait constituée. Mais il existait d’autres engagements dont Macdonald ne savait encore rien. À l’été de 1872, Cartier avait promis à Allan que son groupe aurait la charte et la majorité des actions moyennant le versement de contributions supplémentaires, au total plus de 350 000 $, à la caisse électorale. Quand Allan se décida à révéler la somme à Macdonald, celui-ci ne le crut pas tant elle lui paraissait fantastique. À l’automne, il écrivit à Cartier pour en avoir confirmation. Ce dernier confirma, plus ou moins ; il était alors à Londres, aux prises avec le mal de Bright qui allait l’emporter en mai 1873. De plus, Allan avait pris des engagements envers des bailleurs de fonds américains, ce que Macpherson soupçonnait depuis le début.
Ce qu’on a appelé le scandale du Pacifique n’en était un que partiellement. Tous les partis utilisaient de l’argent en période électorale. En septembre 1873, Macdonald allait expliquer au gouverneur général, lord Dufferin, comment se déroulaient les élections canadiennes. Il y avait d’abord des dépenses légitimes ; étant donné le nombre de circonscriptions rurales où la population était clairsemée, ces dépenses étaient élevées. D’autres dépenses, jugées nécessaires depuis longtemps, se faisaient plus ou moins au grand jour : sanctionnées par la tradition, elles étaient interdites par la loi, et louer des voitures pour emmener les électeurs au bureau de scrutin entrait dans cette catégorie. Jamais, au cours de son expérience parlementaire, Macdonald n’avait vu dénoncer des dépenses de ce genre devant un comité des élections. Nul doute que le millier de dollars que McCuaig devait dépenser entre l’investiture et le scrutin était censé servir à louer des voitures. Il devait aussi l’utiliser à des fins dont Macdonald ne parla pas : on pouvait arroser les électeurs autrement qu’en leur offrant des voitures ou un coup de whisky.
Le scandale du Pacifique éclata aux Communes le 2 avril 1873. Huntington présenta une motion qui réclamait la création d’un comité d’enquête et affirmait que des capitaux américains avaient financé l’entreprise initiale d’Allan, la Compagnie du chemin de fer du Pacifique, et que ce dernier avait avancé de fortes sommes à des personnages importants du gouvernement pendant la campagne électorale. Macdonald afficha de l’indifférence devant ces accusations. Il convoqua les députés, repoussa la motion et réclama lui-même la formation d’un comité d’enquête. Cependant, les conservateurs étaient déjà inquiets. Dès lors, avec obstination, parfois avec désespoir mais souvent avec habileté, Macdonald mena un combat d’arrière-garde dans l’espoir de rallier ses partisans et d’apaiser le gouverneur général, qui était embarrassé et parfois désapprobateur. Mais les télégrammes qui parurent dans les journaux libéraux du 18 juillet étaient accablants : Macdonald et, surtout, Cartier et Langevin avaient accepté de grosses sommes. Ces gestes tombaient bien mal à propos puisque les fonds venaient d’un financier avec lequel le gouvernement était alors en train de négocier un important contrat ferroviaire.
Quand le Parlement se réunit vers la fin d’octobre, les collègues de Macdonald étaient certains de pouvoir traverser la crise. Pourtant, il y eut des défections presque tout de suite, dont celle de Donald Alexander Smith. On pressa Macdonald de rencontrer l’opposition afin de faire cesser l’hémorragie pendant qu’il en était encore temps. Selon Dufferin et d’autres, si le premier ministre avait eu l’audace de demander un vote de confiance assez tôt, sa majorité aurait pu atteindre un nombre de deux chiffres. Au lieu de cela, il sombra dans le gin et le désespoir, en attendant, l’œil vitreux, que l’opposition sorte de sa manche une carte qu’elle y aurait cachée. Finalement, il prononça un grand discours de ralliement le soir du 3 novembre. Trop tard : la peur avait déjà accompli son œuvre. Macdonald et son gouvernement démissionnèrent 36 heures plus tard, soit le 5.
En un sens, Macdonald était content d’être sorti du guêpier. Le lendemain de sa démission, il se présenta au caucus et offrit de quitter la direction, espérant que les membres accepteraient tout en craignant un retour abrupt à la vie privée. Le caucus refusa carrément. Peut-être n’était-il pas dans le tempérament de Macdonald de se retirer. Lorsqu’il avait été malade, en 1870, Joseph Howe lui avait proposé de prendre le poste de juge en chef de la Cour suprême du Canada, alors sur le point d’être formée [V. sir William Johnston Ritchie]. Mécontent, Macdonald s’était exclamé, comme le sous-secrétaire d’État Edmund Allen Meredith l’a noté dans son journal : « J’aimerais autant aller au diable ! »
Peu après le jour de l’An 1874, le nouveau gouvernement d’Alexander Mackenzie annonça des élections et se mit en frais d’évincer les tories de la chambre. Les libéraux remportèrent 138 des 206 sièges. Macdonald gagna dans la circonscription de Kingston par une majorité de 38 voix seulement. Accusé de corruption et d’autres malversations électorales, il perdit son siège en novembre. Pourtant, même à ce scrutin désastreux, les conservateurs avaient obtenu 45,4 % de la faveur populaire. Une fois dans l’opposition (on le réélut à une élection partielle dans Kingston), il eut besoin d’un revenu. Les sommes acquises en 1872 n’étaient pas restées longtemps dans ses goussets ; il avait dépensé son propre argent sans compter, tout comme les fonds d’Allan, de Charles James Campbell, de sir Francis Hincks et d’autres. À peine cinq ans auparavant, il était sans le sou.
Dans les années 1850 et la décennie qui suivit, il avait dû mobiliser toutes ses réserves de patience, d’optimisme, d’espoir et de résistance pour faire face à ses problèmes personnels. Le printemps et l’été de 1869 avaient été particulièrement éprouvants. Le 8 février 1869, Agnes avait donné naissance à une fille, Margaret Mary Theodora, une enfant hydrocéphale, ce qui avait sans doute contribué à rendre le travail long et difficile. Une photographie prise en juin, triste à voir, montre Agnes et Mary. Une autre photo d’elles, prise en 1893 – Mary avait alors 24 ans –, est plus triste encore. On ne saura jamais quelle angoisse connurent sir John et lady Macdonald, mais on ne saurait les juger sans tenir compte de Mary. Au milieu de l’été de 1869, Macdonald commençait à se dire – ce qu’il n’admettait qu’avec une réticence infinie – que son enfant ne serait peut-être jamais normale. Par la suite, il ne cessa d’espérer quelque nouveau traitement médical qui permettrait à Mary de vivre comme tout le monde. Ses espoirs furent toujours déçus.
De plus, en 1869, Macdonald connut la période financière la plus pénible de sa vie. Il essayait d’éviter ce dénouement depuis cinq ans. Le contrat de mariage très complexe qu’il avait conclu en 1867 visait notamment à protéger Agnes contre ses créanciers. Les difficultés avaient commencé en mars 1864, à la mort d’Archibald John Macdonell, associé dans son cabinet d’avocats. Selon une estimation faite en mai 1867, Macdonald et la succession de Macdonell étaient endettés de 64 000 $ (à peu près 1 800 000 $ en dollars de 2024), surtout envers la Commercial Bank of Canada. Tant que la banque lui ferait crédit, à des taux d’intérêt qui pouvaient aller jusqu’à 7 %, Macdonald pourrait se tenir à flot. Mais en septembre elle fit faillite ; c’est la Banque des marchands du Canada qui reprit l’actif et le passif. Dans l’actif figurait la dette de Macdonald, qui atteignait presque 80 000 $ en avril 1869. Hugh Allan, président de la Banque des marchands, n’exerça pas de pressions mais, lorsque Macdonald souleva la question, il lui signala qu’un règlement de la dette serait le bienvenu. Les arrangements que Macdonald dut prendre en 1869 sont loin d’être clairs. Il emprunta 3 000 $ à David Lewis Macpherson pour tenir le coup et, avec Agnes, prit une hypothèque de 12 000 $, remboursable à la banque, sur une propriété de Kingston. Une bonne partie de ce que la succession de Macdonell lui devait était impossible à recouvrer. (À la mort de la veuve de Macdonell, en 1881, Macdonald apprit de son factotum à Kingston, James Shannon, que la succession lui devait encore 42 000 $.) En 1869, des poursuites étaient en cours contre Macdonald et Macdonell à Toronto. L’affaire aurait pu être réglée à l’amiable pour 1 000 $ en 1865, mais Macdonald n’aimait pas l’avocat des plaignants, Richard Snelling, qu’il considérait comme un requin. Finalement, Hewitt Bernard vint encore une fois à son secours et dut négocier en 1872 un règlement de 6 100 $.
Au moment de la Confédération, Macdonald avait peu de revenus. À titre de premier ministre et de ministre de la Justice, il gagnait 5 000 $ par année. Le cabinet d’avocats qu’il avait ouvert en 1864 avec James Patton père, de Toronto, lui rapporta 2 700 $ entre le 1er mai 1867 et le 30 avril 1868, puis 1 760 $ l’année suivante. S’il se tira d’affaire, c’est grâce à sa fierté et à ses amis. Macpherson prit conscience de la situation précaire de Macdonald après que ce dernier eut souffert d’un calcul biliaire en mai 1870 ; il entreprit alors d’organiser une souscription privée. Selon lui, il était injuste qu’un premier ministre ne puisse subvenir aux besoins de sa famille et faire instruire ses enfants à même sa rémunération. Macdonald s’était appauvri au service de son pays. Au printemps de 1872, la somme recueillie par Macpherson s’élevait à environ 67 000 $ ; Macdonald pourrait utiliser le produit de cette somme, investie sous le nom de Testimonial Fund, pour régler ses dépenses courantes. Peu à peu, il allait aussi, présumait-on, acquitter sa dette à la Banque des marchands. Toujours optimiste, il disait en 1876 à Thomas Charles Patteson, du Mail de Toronto, de ne pas se tourmenter pour des dettes. Il recommandait de les traiter comme Fakredeen, dans le Tancred de Disraeli, traitait les siennes : il « les caressait, jouait avec elles. Que serais-je sans ces chères dettes ? »
Après la session parlementaire de 1874, Macdonald commença à sentir que ses années de combat tiraient peut-être à leur fin. Il vendit sa maison d’Ottawa pour 10 000 $ en septembre et commença à préparer son départ pour Toronto, où se trouvaient alors son cabinet d’avocats et son principal client, la Compagnie de dépôt et de prêt. Il tenait à ce que la contestation de l’élection de Kingston soit réglée avant son départ ; il ne voulait pas qu’on sache qu’il ne retournerait pas vivre dans cette ville. À la fin de décembre, il remporta l’élection partielle par 17 voix. Ensuite, il emménagea rue Sherbourne, à Toronto, dans une maison qu’il louait de Patteson ; un an plus tard, il s’installa dans une maison plus cossue, en brique, rue St George.
En 1875, Macdonald résolut de prendre les choses moins à cœur, d’éviter les querelles et de lâcher la bride à son parti. Mais il se laissa trop aller. Un vendredi de février, pendant qu’Agnes était à Niagara, il s’enivra dès trois heures de l’après-midi en buvant du brandy au bar du Sénat. George Airey Kirkpatrick le conduisit à la chambre des Communes, où il devait prononcer un discours. Il parla avec suffisamment de clarté, mais toutes les personnes présentes savaient qu’il était « gris ». Alexander Mackenzie prit ensuite la parole. Macdonald, devenu querelleur, l’interrompait constamment ; les conservateurs tentèrent en vain de le faire sortir. Quand il avait bu, il était sujet à des sautes d’humeur. Agnes aurait su le maîtriser mais, laissé à lui-même, comme le notait Charles Belford* du Mail, « il [était] aussi démuni qu’un bébé ». Le même soir, Agnes fut brusquement rappelée chez elle par la mort de sa mère. Macdonald avait sans doute de bonnes raisons d’essayer de tourner la page : il le fit le 2 mars, en se joignant à l’Église d’Angleterre.
Macdonald était-il un alcoolique chronique, comme le dit la légende ? Non. Il buvait plutôt par à-coups, quand les contradictions de la vie et de la politique se tournaient trop sauvagement contre lui et que les campagnes électorales se faisaient trop dures ou quand une compulsion intérieure, maintenant impossible à analyser, se faisait sentir. Les nombreuses histoires qui circulent à ce sujet sont peut-être exagérées, mais on ne peut les nier à coup sûr. Quelques exemples suffiront à faire ressortir le problème. Pendant cette période de travail intensif et de festivités que fut la conférence de Québec, en 1864, un ami trouva Macdonald debout dans sa chambre, devant un miroir, en chemise de nuit, une couverture de voyage sur l’épaule : ivre, il répétait des vers de Hamlet. Les incidents de ce genre n’avaient pas toujours des conséquences aussi bénignes. En avril 1870, durant les dernières étapes des négociations avec les délégués du Manitoba, Macdonald, au régime sec depuis plusieurs mois, se mit hors de combat un vendredi et ne put reprendre le travail que le lundi. Il était surmené, inquiet et, en plus, démoralisé par la mort soudaine d’un ami. C’est ce genre de combinaison qui le portait généralement à s’enivrer, sans oublier qu’il souffrait d’un calcul biliaire. C’est peut-être en 1872–1873, à l’époque des élections et du scandale du Pacifique, qu’il but le plus. Faisant un bilan des causes de la chute du gouvernement, Alexander Campbell dit au lieutenant-gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest, Alexander Morris* : « à compter du moment où il a quitté Kingston, après sa propre élection, [... Macdonald] s’est tenu plus ou moins sous l’effet du vin, et [...] vraiment n’a aucun souvenir précis de ce qu’il a fait en bien des occasions à Toronto ou ailleurs après cette période ».
À l’époque où Macdonald avait dit à Hewitt Bernard qu’il songeait à épouser sa sœur Agnes, il avait déjà un problème d’alcool assez grave pour que celui-ci lui réponde qu’il n’avait qu’une seule objection à ce mariage. Macdonald avait alors promis de s’amender. Selon une autre source, Bernard aurait invoqué ce problème pour tenter de dissuader sa sœur de se marier. De toute façon, lorsqu’elle épousa Macdonald en 1867, Agnes avait sûrement une idée de ce qui l’attendait. C’était plus facile pour Macdonald de faire des promesses que de les tenir. Ses périodes de sobriété aussi venaient par à-coups. Ainsi son adhésion à l’Église d’Angleterre, en mars 1875, n’empêcha pas un incident désagréable de se produire quelques mois plus tard, au cours d’un dîner chez Patteson à Toronto. Macdonald se soûla, insulta Tupper et monta finalement à sa chambre en titubant. Agnes sortit par la porte d’entrée principale ; quand Patteson regarda dehors le lendemain matin à six heures, elle était encore assise sur la barrière. Les collègues politiques de Macdonald prenaient la chose avec philosophie ; ils tentaient simplement de l’emmener dans un endroit où il pourrait cuver son vin. D’ordinaire, Agnes savait s’y prendre, mais pas toujours, comme cet incident le montre. Bien sûr, les gens faisaient la part des choses. Son goût pour la bouteille ne lui nuisait peut-être pas tant dans un monde qui tolérait qu’on boive sec, et souvent. Peut-être même était-ce avantageux en une époque où seuls les hommes votaient. Le véritable tort que la boisson lui causait moralement et physiquement est en fait difficile à déterminer. Quant au mal fait à Agnes, on ne peut que l’imaginer à la lecture de son journal.
La vie privée de Macdonald et de sa deuxième femme demeure aussi mystérieuse que celle de la plupart des ménages. Le principal problème réside dans l’absence de la correspondance qu’ils ont pu échanger. On soupçonne qu’Agnes elle-même l’a fait disparaître, car elle a vécu jusqu’en 1920 et a amplement eu le temps de détruire les lettres qu’elle avait reçues de Macdonald tout comme celles qu’elle lui avait envoyées. Elle n’était pas très populaire à Ottawa. Très consciente de manquer des qualités nécessaires à la vie mondaine, de n’avoir ni doigté ni souplesse, elle se réfugia, semble-t-il, dans des allures de mégère au sein de la bonne société outaouaise. Mais on ne doit jamais oublier que sa fille était handicapée.
En 1875, les affaires du cabinet d’avocats de Macdonald étaient passablement enchevêtrées. L’entente conclue en 1864 avec Patton devait durer huit ans. À l’été de 1871, ils rédigèrent une nouvelle entente de 20 ans. Le fils de Macdonald, Hugh John, alors âgé de 21 ans et étudiant en droit, se joindrait à eux le 1er novembre 1873. Macdonald retirerait un tiers du bénéfice des contrats de la Compagnie de dépôt et de prêt, Patton, deux tiers ; du produit des autres affaires, Macdonald et son fils recevraient un tiers, Patton, un tiers, et un nouvel associé (Robert M. Fleming), un tiers. L’entente définissait ainsi la participation de Macdonald : « protéger et promouvoir les intérêts de l’association en usant de son influence pour le compte [de celle-ci] et en [la] conseillant sur des questions importantes ». À la fin de 1875, Hugh John quitta le cabinet pour en ouvrir un à Kingston, en partie parce qu’il s’était disputé avec son père au sujet de ses fiançailles avec une jeune veuve torontoise. Dans sa correspondance avec lui, Macdonald n’apparaît pas sous son meilleur jour. Plus doux et moins énergique que son père, Hugh John était, du moins dans ses lettres, raisonnable et gentil ; Macdonald, lui, parle plutôt en père autoritaire, revêche et rancunier. Peu à peu, cependant, il changea d’attitude. À la fin de 1877, Patton manifesta son intention de quitter le cabinet. On ne sait pas trop dans quelle mesure les deux hommes s’en voulaient mais, le 18 janvier 1878, Macdonald annonça à Thomas Clark Patteson qu’ils se séparaient, et non à l’amiable. Le lendemain, il dit à Hugh John qu’ils avaient passé l’éponge. Néanmoins, la rupture fut consommée le 15 avril. Un contrat daté du 15 octobre 1880 rendit officielle une situation qui existait depuis deux ans.
En janvier 1877, Macdonald avait informé Langevin qu’il abandonnerait la direction du parti conservateur lorsque le caucus se réunirait à Ottawa pour la session suivante. Sa santé semblait précaire et il n’aimait pas être un chef inefficace. Toutefois, le caucus ne voulut pas entendre parler de sa démission ; Macdonald serra les dents et continua. Déjà, il avait commencé à soupçonner que le gouvernement Mackenzie pourrait être défait. Pendant la session de février à avril 1877, il opta clairement pour une politique protectionniste, ce vers quoi il s’orientait depuis quelques années. Il avait déjà été libre-échangiste ; plusieurs de ses collègues conservateurs, dont Macpherson, l’étaient encore. Mais les libéraux avaient fait du libre-échange leur cheval de bataille. Dès 1872, il dut admettre, comme l’écrivait Patteson du Mail, que le parti conservateur n’avait pas d’autre choix que de « faire des avances aux protectionnistes ». Évidemment, il ne fallait pas employer le vilain mot « protection », confia Macdonald à Macpherson en février 1872, mais « nous pouvons, disait-il, varier sur le thème d’une Politique nationale en rendant aux États-Unis la monnaie de leur pièce ». Pendant les étés de 1876 à 1878, il fit donc des pique-niques politiques ; « ces choses infernales » l’occupaient bien trop à son goût, mais c’était un moyen efficace de populariser le protectionnisme et de redonner vigueur à son parti.
En septembre 1878, les conservateurs remportèrent une victoire si éclatante qu’eux-mêmes en furent ébahis. La défaite de Macdonald dans Kingston ne parvint pas à altérer leur joie. En Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Ontario et dans la province de Québec, les électeurs avaient fait un choix contraire à celui de 1874. Le changement le plus remarquable s’était produit en Ontario, où Mackenzie avait remporté 66 des 88 sièges en 1874 et où Macdonald venait d’en gagner 63. Il est vrai que la dépression du milieu des années 1870 avait joué contre les libéraux de cette province, mais, selon Macdonald, la question de la tempérance leur avait aussi beaucoup nui. Au fédéral, Mackenzie avait fait adopter en avril 1878 l’Acte de tempérance du Canada ; au niveau provincial, le gouvernement libéral d’Oliver Mowat* avait fait approuver en 1876 le Crooks Act, qui enlevait aux municipalités le droit de délivrer les permis de vente d’alcool et le confiait à un conseil provincial. Ces lois avaient aliéné aux libéraux les 6 000 hôteliers et taverniers de l’Ontario.
Élu par la suite dans Marquette, au Manitoba, et dans Victoria, en Colombie-Britannique, Macdonald fit un choix judicieux et décida de représenter la seconde de ces deux circonscriptions. À l’automne, il choisit ses ministres, selon les règles habituelles : son cabinet reflétait la composition ethnique et religieuse du Canada et comprenait des représentants de six provinces. Macdonald n’arrivait à faire travailler ensemble des gens d’horizons si différents que grâce à son propre tempérament. D’abord, il croyait en la courtoisie. En demandant à Langevin, en 1879, de commenter une lettre jointe à la sienne, il notait : « Que vais-je répondre ? Que ce soit aimable. » Rien ne servait de se mettre quelqu’un à dos seulement pour obéir à un principe qui, d’ordinaire, ne s’appliquait même pas à la situation. Il y avait cependant des moments où il fallait se montrer dur et exigeant, mais ils étaient beaucoup moins fréquents qu’on ne le pensait. Si Macdonald fut rarement intraitable, il ne fit pas souvent non plus de promesses formelles. Agnes eut un échange franc avec Patteson à ce sujet. Celui-ci s’intéressait à un poste quelconque, peut-être pour un ami. Agnes lui déclara alors que Macdonald n’était pas plus généreux avec elle qu’avec les autres. Il était peu vraisemblable, selon elle, que le poste ait déjà été promis. Macdonald n’agissait pas ainsi. Elle n’avait aucune influence directe. « Je ne sais rien des projets et desseins de sir John, même si le monde [...] persiste à croire que je les connais [...] Mon seigneur et maître qui, dans la vie privée, ne cherche qu’à m’être agréable [...] est absolument tyrannique avec moi [quand il s’agit de] sa vie publique. Si j’interviens de quelque façon, il sera ennuyé [...] Sir John connaît parfaitement mon opinion et mes souhaits sur le sujet [...] L’autre jour [...] je lui en ai reparlé avec plus de détermination – et sir John, comme d’habitude [...], a pris un air très doux, très aimable, très charmant [...] mais n’a rien répondu ! » En 1890, Joseph Pope dit à peu près la même chose : Macdonald détestait être acculé par des promesses, explicites ou non.
Sous la direction de Macdonald, la distribution des faveurs prit un tour particulier. Tout le monde pouvait proposer des candidatures, mais les ministres étudiaient celles qui venaient de membres en vue du parti, et surtout de députés conservateurs ou de candidats conservateurs défaits aux élections. Jamais Macdonald n’aurait concédé (et il tentait d’empêcher ses collègues de le faire) qu’un député avait le droit d’être consulté à propos d’une nomination. Fondamentalement, c’était au ministre de décider, et Macdonald intervenait rarement. Dans son propre département, à titre de ministre de la Justice de 1867 à 1873, de ministre de l’Intérieur de 1878 à 1883, puis de surintendant général des Affaires indiennes de 1878 à 1887 ou de ministre des Chemins de fer et Canaux de 1889 à 1891, il était prudent dans ses nominations, et il n’acceptait pas que les membres du cabinet ou les députés fassent pression sur son sous-ministre afin d’obtenir des faveurs pour leurs électeurs.
Durant son mandat de ministre de la Justice, Macdonald accorda une attention spéciale à la nomination des juges ; dans une certaine mesure, il allait toujours s’y intéresser. On a dit, à tort, qu’il ne nomma jamais quelqu’un qui n’avait pas des états de service solides dans le parti. Joseph Pope avait raison : Macdonald recherchait des hommes de qualité – intelligents, versés en droit, intègres, en bonne santé, habiles même. En 1882, il poussa Alexander Campbell, alors ministre de la Justice, à confier le poste de juge en chef du Manitoba à Lewis Wallbridge*, de Belleville. C’était l’un de ses vieux amis, bien connu des avocats manitobains, mais sa famille avait des liens avec les grits. Le raisonnement de Macdonald était le suivant : « Il fera un bon juge [...] C’est si rare que l’on puisse obéir à ses sentiments personnels tout en pesant l’intérêt public à sa juste valeur. » Ce qui le préoccupait surtout, c’étaient les dents de Wallbridge. Il ne pouvait envisager qu’un digne juge en chef rende ses jugements en ouvrant une bouche remplie de chicots noirs. Il demanda donc à Mackenzie Bowell*, ministre originaire de Belleville, de convaincre Wallbridge de se faire faire de nouvelles dents. L’issue était douteuse mais, comme Bowell le dit irrévérencieusement, l’affaire était d’une « importance grinçante ».
Plus le siège de juge était important, moins Macdonald était prêt à laisser prévaloir les critères ordinaires du favoritisme. Ce qu’il affirmait en 1870, à un Néo-Écossais : « J’ai pour règle de considérer l’aptitude comme l’exigence première en matière de nominations judiciaires, et [...] les considérations politiques doivent peu, ou pas du tout, entrer en ligne de compte. » La nomination de Samuel Hume Blake* au poste de vice-chancelier de l’Ontario illustre sans doute mieux combien il tenait à cette règle. En 1869, il trouvait que les juges de la Cour de la chancellerie de l’Ontario, John Godfrey Spragge* et Oliver Mowat, n’avaient pas assez d’autorité ; comme il le dit à J. H. Cameron, la justice ontarienne avait besoin de métaux mieux trempés. Son choix s’était d’abord porté sur Edward Blake ; pressenti en privé, Blake refusa, surtout parce que son cabinet d’avocats était trop lucratif. Macdonald fit la même offre à d’autres libéraux et finalement, en 1872, il convainquit le frère de Blake d’accepter. « Absolument aucun conservateur apte pour ce poste n’était libre », expliqua-t-il à Patteson. Cette règle de compétence, il l’appliquait généralement aux nominations judiciaires. Bliss Botsford* fut nommé juge d’un tribunal de comté au Nouveau-Brunswick en 1870 même s’il s’était opposé à la Confédération en 1865–1866. Timothy Warren Anglin, un libéral néo-brunswickois, prit bonne note de cette nomination et demanda s’il pouvait espérer semblable chance. Macdonald lui répondit, sans délai, qu’il avait choisi Botsford sur « recommandation spéciale » et lui expliqua comment il voyait les choses : « Je crois que dans la distribution des faveurs gouvernementales nous respectons le vrai principe constitutionnel. Chaque fois qu’un poste est vacant, il revient au parti qui appuie le gouvernement si, à l’intérieur de ce parti, il se trouve une personne apte à effectuer la tâche. La responsabilité ministérielle ne saurait fonctionner à partir d’un autre principe. Toutefois, je ne me soucie pas des antécédents politiques d’un homme si je suis convaincu qu’au moment de sa nomination, il est vraiment et sincèrement ami du gouvernement. Mon principe est : récompense tes amis et n’achète pas tes ennemis. »
En 1878, comme l’Ouest était la région du pays qui se développait le plus, Macdonald dirigea le département de l’Intérieur. Cependant, dès 1881, il consacrait tellement de temps et d’énergie au chemin de fer canadien du Pacifique que David Mills*, un membre de l’opposition libérale avec qui il eut toujours des relations amicales, lui reprocha d’avoir presque abandonné le département « à lui-même ». Comme il allait l’admettre en 1883, Macdonald arrivait mal préparé aux débats et devait « compter sur sa mémoire et sur l’inspiration du moment ». Pareille attitude ne pouvait convenir devant une opposition vigilante. Macdonald avait 66 ans en 1881, et il commençait à les paraître. Il avait été malade en 1880, puis pendant l’hiver de 1880–1881, soit au moment où le Parlement étudiait le contrat de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. Il parvint à défendre brillamment ce contrat en chambre le 17 janvier, mais après la prorogation du Parlement, le 21 mars, il fut pris de douleurs hépatiques et abdominales ; son pouls était à 49, et il s’effondra. Sa sœur Louisa le vit dans les premiers jours de mai : « Avant ce moment, dit-elle, John ne m’a jamais paru vieux. » Néanmoins, il n’envisageait pas d’abandonner son poste. Pour garantir le succès du chemin de fer canadien du Pacifique et de la Politique nationale, il fallait le renfort d’une autre victoire électorale. Il se reposa du mieux qu’il put chez lui. Charles John Brydges*, commissaire des terres à la Hudson’s Bay Company, lui rendit visite le 3 mai. Il le trouva « vraiment très malade » mais déterminé à résoudre la vilaine confusion qu’avait engendrée un contrat conclu entre cette compagnie et le gouvernement pour l’approvisionnement des Autochtones. Macdonald estimait que le responsable était l’agent principal John H. McTavish. En 1881, il n’avait pas encore oublié que la Hudson’s Bay Company avait été pour quelque chose dans la rébellion de la Rivière-Rouge. Mais son vieil ami Brydges proposa un compromis raisonnable, qu’il accepta.
À ce moment, Macdonald avait besoin d’aide au département de l’Intérieur. David Lewis Macpherson était devenu ministre sans portefeuille et leader du gouvernement au Sénat en 1880. L’année suivante, Macdonald, qui se soignait outre-mer, lui confia une partie des affaires de l’Intérieur. Macpherson aimait ce travail et croyait bien l’exécuter. De Londres, en 1881, Macdonald suivit les progrès de Macpherson tout en tentant de se refaire une santé. Le travail était maintenant son unique plaisir. Quand il rentra à Ottawa, à la mi-septembre, il était bien plus en forme qu’à son départ. Dans le Grip de Toronto, le caricaturiste John Wilson Bengough* le montra en train de passer devant la borne de son soixante-septième anniversaire, où était gravée l’inscription suivante : « M.DCCC.L.XXX.II.JNO.A. O.K. » Aux élections générales de juin 1882, son triomphe fut à la mesure du bien-être qu’il ressentait. La campagne se déroula sans débat majeur, et les Canadiens donnèrent à Macdonald, élu dans la circonscription de Carleton, dans l’est de l’Ontario, une majorité presque aussi forte qu’en 1878.
Pourtant, durant les neuf années suivantes, Macdonald n’allait pas cesser de se battre pour conserver ses propres forces et celles de son cabinet, minées par le vieillissement, la maladie, l’incompétence ou simplement l’usure. Macpherson voyait, comme certains de ses collègues, que Macdonald en avait trop sur les épaules ; il prit donc officiellement le portefeuille de l’Intérieur en 1883. Cependant, il ne tarda pas à flancher à son tour et dès 1883, puis en 1884, il alla se soigner à l’étranger. Cette année-là, un problème foncier se posa en Colombie-Britannique ; c’est évidemment Macdonald qui dut s’en occuper. Il avait meilleure mine que la plupart des membres du cabinet, mais il affirmait se sentir plus mal qu’eux tous, à l’exception peut-être de John Henry Pope*. Même si sa faiblesse ne transparaissait ni sur son visage ni dans sa voix, il pensait déjà à ralentir son rythme, surtout durant les sessions parlementaires. Malheureusement, en 1884, Tupper partit occuper un poste de haut-commissaire en Angleterre, créant ainsi un vide important au cabinet. Il fallait de toute urgence un homme solide et compétent pour le remplacer. Ce fut long. « Nous avons désespérément besoin de sang neuf », dit Macdonald à Tupper en février 1885. Campbell et Archibald Woodbury McLelan* voulaient se retirer ; Tilley, aux Finances, n’allait pas bien et s’absentait très souvent ; Macpherson et Joseph-Adolphe Chapleau, malades, n’étaient pas à leur poste ; John Henry Pope était malade lui aussi, et John Costigan* était souvent ivre. Le travail retombait sur les épaules de Macdonald, qui en assumait volontiers toujours plus que sa part ; comme il l’admettait devant Campbell, « bien des choses, inévitablement, étaient mal faites [...] Si nous n’obtenons pas Thompson [John Sparrow David Thompson], ajoutait-il, je ne sais que faire. » À la fin de mars 1885, donc bien avant que Thompson n’entre au cabinet, le gouvernement fut aux prises avec la crise de la Saskatchewan.
Cette crise résultait d’une série de déceptions et, du côté gouvernemental, d’une surcharge de travail. En 1882, la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique étendit son tronçon principal bien avant dans le Sud ; en 1883 et 1884, la vallée de la Saskatchewan connut de mauvaises récoltes. Il aurait fallu que quelqu’un, à Ottawa, s’occupe de ce territoire ; personne ne pouvait le faire. Langevin se rendit dans l’Ouest en 1884, mais refusa de franchir 200 milles à cheval dans les Prairies pour aller entendre les griefs des Métis de Batoche (Saskatchewan) ou des Blancs de Prince Albert. À Regina, Edgar Dewdney*, lieutenant-gouverneur des Territoires du Nord-Ouest, faisait de son mieux avec des budgets insuffisants, et tentait d’épargner des problèmes à Macdonald.
L’arrivée de Riel dans la vallée de la Saskatchewan, en juillet 1884, créa un remous parmi les Métis et les Blancs. En décembre, Riel, William Henry Jackson* et Andrew Spence présentèrent une longue liste de doléances à Ottawa. Macpherson, revenu au travail, l’examina. Le 28 janvier 1885, le cabinet conclut qu’il devrait évaluer la situation des Métis de la Saskatchewan, en ayant en vue un recensement complet et probablement les certificats de concession de terres. Cette décision ne plut pas tellement à Macdonald, qui n’avait jamais privilégié les certificats comme solution. Tout de même, il allait former une commission de trois membres afin d’étudier les droits fonciers des Métis qui étaient encore admissibles mais n’avaient pas participé à la répartition des terres faite en vertu de l’Acte du Manitoba. On télégraphia la nouvelle à Dewdney le 4 février ; Riel l’apprit quatre jours plus tard de son cousin Charles Nolin*. La nomination d’une commission n’était pas simplement un faux-fuyant. Le gouvernement souhaitait former un organisme solide ; au début de mars, Macdonald et Macpherson soupesaient les candidats possibles. Une fois que les membres seraient nommés et se seraient mis au travail, une insurrection deviendrait sans objet, et tout règlement des droits fonciers personnels de Riel, improbable. Cet espoir serait vite déçu.
À la fin de mars, par un extraordinaire concours de circonstances, Macdonald dut faire face à deux problèmes majeurs. Le 26, au lac aux Canards (lac Duck), une bataille éclata entre les Métis de Gabriel Dumont* et un groupe de la Police à cheval du Nord-Ouest placé sous le commandement de Lief Newry Fitzroy Crozier*. Le même jour, Macdonald apprit finalement à George Stephen*, président de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, que le cabinet ne pouvait approuver aucun autre prêt pour l’achèvement de la ligne ferroviaire. Dès le lendemain, Macdonald entrevoyait qu’en réglant l’un des deux problèmes, il pourrait résoudre l’autre. En effet, on pouvait envisager d’accorder de nouveaux crédits au chemin de fer canadien du Pacifique parce qu’il servirait à transporter des troupes pour réprimer l’insurrection. Sur le plan tactique, c’était une solution brillante ; sur le plan politique, une solution de désespoir.
La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique était, comme Macdonald l’avait fait observer en 1884, « l’associée commanditaire (à responsabilité limitée) » du gouvernement. En février de cette année-là, il fit voir à George Stephen que, dans le conflit qui s’annonçait entre le Grand Tronc et la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, ce serait une bonne chose de renforcer la position de celle-ci dans certaines régions du pays. « La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, disait-il, doit s’engager dans la politique et obtenir du Parlement un appui aussi solide que possible. » Les nominations à la Compagnie du chemin de fer d’Ontario et Québec (loué par la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique à compter de janvier 1884) devaient « toutes être politiques. On peut, précisait-il, trouver quantité d’hommes compétents dans nos rangs. » En mars, Macdonald présenta l’affaire de manière plus facétieuse à Henry Hall Smith, l’organisateur des conservateurs ontariens. Il reprit la formule de William Cornelius Van Horne*, et affirma que seuls les conservateurs « circoncis » devaient travailler à la compagnie.
Stephen n’était pas un collaborateur accommodant. Il se plaignait de problèmes innombrables mais ne saisissait pas toujours ceux de Macdonald. Par exemple, en 1885, la compagnie voulut instituer un programme de revente de terres ; riche en biens fonciers et pauvre en liquidités, elle revendrait une partie de ses terres au gouvernement. Le cabinet s’y opposa et, le 26 mai, Macdonald rappela à Stephen que ce n’était qu’« avec beaucoup de difficulté » qu’il avait réussi à faire accepter le plan de crédit conçu pendant la rébellion. « La majorité de nos amis du Parl[ement], comme tous nos ennemis et les vôtres, voulaient que le gouv[ernement] prenne possession du chemin de fer, et seules mon influence personnelle sur nos partisans et une indication claire de ma démission les ont remis dans le droit chemin. Ceci a été fait par communication personnelle avec chacun d’eux [...] Vous parlez d’avoir à revenir à la prochaine session. J’espère que vous n’en avez parlé à personne d’autre. Une rumeur de ce genre vous serait néfaste. » Le plan d’aide à la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, qu’avait annoncé le premier ministre le 1er mai, fut présenté aux Communes le 16 juin et adopté en juillet. On peut se demander ce qui serait arrivé à la compagnie si Macdonald n’avait pas été au pouvoir, ou si lui et Stephen n’avaient pas travaillé ensemble le plus franchement du monde. On acheva plus tard en 1885 la ligne qui menait à la côte du Pacifique. À l’été de 1886, Macdonald se rendit en train en Colombie-Britannique ; c’était son premier voyage dans l’Ouest. Ironiquement, pendant la session parlementaire de ce printemps-là, la compagnie avait revendu au gouvernement 6,8 millions d’acres, d’une valeur de 10,2 millions de dollars, pour rembourser une partie de son emprunt.
La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique servit effectivement à transporter des soldats dans l’Ouest, quelque 3 000 au total. Les Métis et leurs alliés des Premières Nations connurent d’abord un certain succès, mais les troupes du major général Frederick Dobson Middleton finirent par les vaincre. Dumont s’enfuit dans le Montana, alors que Riel se livra le 15 mai 1885. Au début de juillet, Poundmaker [Pītikwahanapiwīyin*] et Gros Ours [Mistahimaskwa*], les plus importants chefs des Premières Nations, s’étaient également déjà rendus. On accusa Riel de haute trahison ; son procès et son exécution constituent l’un des épisodes les plus dramatiques de la rébellion.
Un aperçu de l’opinion personnelle de Macdonald sur le sort de Riel transparaît dans sa correspondance avec son grand ami l’ancien juge James Robert Gowan, qu’il avait nommé au Sénat en janvier 1885. Le 4 juin de cette même année, il lui écrivait que, si Riel était jugé coupable, « il sera[it] certainement exécuté mais [que], dans l’excitation bien compréhensible du moment, les gens maugré[aient] parce qu’on ne le pendait pas sur-le-champ ». À l’évidence, il régnait en Ontario une soif de venger la mort de Thomas Scott ; en revanche, les Canadiens français se montraient pour la plupart favorables à Riel, qu’ils considéraient comme un défenseur des valeurs françaises et catholiques. Lorsqu’il fut question de clémence après la condamnation de Riel en août, Gowan émit des avis politiques et juridiques assez semblables à ceux de Macdonald. Ce serait, lui dit-il en septembre, « une erreur funeste d’empêcher la justice de suivre son cours dans son cas. La seule défense [que Riel] pouvait faire valoir a été présentée pour lui au procès et elle a été rejetée. » On possède peu de lettres dans lesquelles Macdonald aborda cette question délicate, mais celle que lui écrivit Gowan le 18 novembre, soit le surlendemain de la pendaison de Riel, révèle assez bien sa pensée : « Étant donné ce que vous m’écriviez, je ne doutais pas de l’issue [de cette affaire,] mais j’ai été très mal à l’aise jusqu’à la fin, sachant combien les hommes publics sont souvent forcés d’adopter une position qu’ils n’approuvent pas personnellement. L’affaire vous nuira peut-être au Bas-Canada mais, en examinant [...] la question sous tous ses angles pour voir quel était le plus sage parti à prendre, j’ai pensé que cela aurait été fou, du point de vue politique, de céder tout simplement parce que cet homme était de sang français. » Affirmer, comme on le fait parfois, que Macdonald sacrifia Riel à l’opinion ontarienne, c’est donc lui imputer le raisonnement inverse de celui qu’il suivit. Riel fut victime de la loi. S’incliner devant l’opinion québécoise aurait pu être une façon de sortir de la crise. La Furia francese finit par s’épuiser, mais non sans dommages politiques. Même s’il récolta une majorité confortable aux élections fédérales de février 1887, Macdonald perdit du terrain dans la province de Québec ; au scrutin provincial, les libéraux d’Honoré Mercier arrachèrent le pouvoir aux conservateurs.
En avril 1885, dans le contexte de la rébellion de l’Ouest et des difficultés financières que connaissait la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, Macdonald présenta le projet de loi sur le cens électoral. Dans les circonstances, la démarche aurait pu sembler donquichottesque, pour ne pas dire casse-cou. Cependant, il apparaissait évident que, quoi qu’il soit advenu dans l’Ouest, il ne pourrait pas remporter les élections générales, qu’il devait tenir dans un délai de deux ans. Selon le système en vigueur, le droit de vote dans les provinces relevait de celles-ci, et les élections fédérales se faisaient à l’aide des listes d’électeurs dressées par les provinces. Comme la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario étaient alors gouvernés par les libéraux, il était opportun d’envisager de définir le droit de vote fédéral et de dresser des listes d’électeurs qui seraient administrées par les juges des tribunaux de comté ou, le cas échéant, par des barristers locaux. Macdonald voulait au moins l’impartialité ; il voulait certainement faire échec à la partialité des libéraux. Vigoureusement défendu par Macdonald contre un déluge d’attaques de l’opposition, le projet de loi sur le cens électoral fut adopté en juillet, presque à la fin de la session.
Macdonald dut céder sur une disposition du projet de loi : le droit de vote des Premières Nations. Il avait souhaité l’accorder à tout homme qualifié des Premières Nations, sans perte du statut d’Indien. Cette proposition souleva une vive controverse à la chambre des Communes, car le débat sur la question se déroula pendant la rébellion. David Mills, par exemple, engagea Macdonald dans un échange révélateur. Pour vérifier la signification du mot « Indien » dans le projet de loi, Mills demanda qui il désignait :
Mills : « Ceci comprendra les sauvages du Manitoba et de la Colombie-Britannique ? »
Macdonald : « Oui. »
Mills : « Faiseur-d’Étangs et Gros-Ours ? »
Macdonald : « Oui. »
Mills : « De sorte qu’ils peuvent entre deux massacres aller aux bureaux de votation. »
Macdonald se sentit obligé d’offrir un compromis : on révisa la disposition pour restreindre le droit de vote sans perte de statut aux membres admissibles des Premières Nations à l’est du Manitoba. (Le gouvernement de sir Wilfrid Laurier* abrogerait cette modification en 1898, moment à partir duquel seuls les hommes appartenant aux Premières Nations et ayant renoncé à leur statut purent voter.) La justification de Macdonald pour inclure les Premières Nations des « anciennes provinces » se révéla instructive : il n’y avait simplement aucune raison d’interdire le droit de vote aux « sauvages […] qui sont allés aux écoles – et tous vont aux écoles – qui sont instruits et vivent avec des blancs, qui connaissent tous les principes de la civilisation, et les mettent en pratique, qui ont acquis par eux-mêmes des propriétés, ont de bonnes maisons bien meublées, qui instruisent leurs enfants, qui contribuent au revenu public, dans la même mesure que les blancs ». Selon sa perception, les membres des Premières Nations souffraient souvent de lacunes sur le plan culturel, mais n’étaient pas ethniquement – ni irrémédiablement – inférieurs. Comme son gouvernement l’avait indiqué dès 1871, sa politique « voulait amener graduellement le peuple indien à se mêler à la race blanche dans les occupations ordinaires de la vie ». Quand des personnes, comme Thomas Daniel Green*, s’adaptaient à la nouvelle société dans laquelle elles se trouvaient, Macdonald avait la réputation de leur donner des encouragements.
Les nations et les régions qui accusaient un retard sur le plan culturel comparativement au reste de la population nécessitaient toutefois de l’encadrement. En 1870, ce principe avait amené le gouvernement à décider de garder la mainmise sur les terres de la couronne et les ressources naturelles de l’Ouest. Ce fut aussi la raison pour laquelle Macdonald choisit, en 1878, de superviser le développement de l’Ouest à titre de ministre de l’Intérieur et de surintendant des Affaires indiennes. En 1881, il expliqua sa pensée à Edgar Dewdney, alors commissaire aux Affaires indiennes : « Les affaires indiennes, et le système d’attribution des terres, constituent une partie si importante de la politique générale du gouvernement que j’estime nécessaire que le premier ministre, quel qu’il soit, s’en charge lui-même. »
En 1885, le département des Affaires indiennes était devenu une responsabilité plus onéreuse. La situation ne s’expliquait pas tant par la rébellion que par les échecs accumulés de la politique gouvernementale, notamment l’expansion des pensionnats pour les enfants des Premières Nations. En 1879, Macdonald avait demandé à Nicholas Flood Davin*, conservateur de Toronto, d’étudier la possibilité d’utiliser les écoles techniques comme moyen d’éducation pour les Premières Nations. Davin recommanda d’envoyer les enfants des Premières Nations et des Métis dans ces établissements chargés de leur garde, qui seraient gérés en partenariat avec de grandes Églises chrétiennes ; le gouvernement choisit toutefois, en 1883, de créer trois nouveaux pensionnats réservés aux Premières Nations dans les Prairies. Ces écoles à caractère confessionnel, principalement financées par le gouvernement, virent le jour à Dunbow (Alberta), sous la direction du père Albert Lacombe*, à Lebret (Saskatchewan), sous la direction du père Joseph Hugonard*, et à Battleford (Saskatchewan), sous la direction du révérend Thomas Clarke* de l’Église d’Angleterre. Elles avaient pour mission de loger les jeunes des Premières Nations et de leur enseigner des matières scolaires rudimentaires et des disciplines professionnelles. Les élèves passaient la moitié de la journée en classe, où ils apprenaient les mêmes matières que ceux qui fréquentaient des écoles non réservées aux Premières Nations, et se consacraient à diverses tâches pendant l’autre moitié. En théorie, ces enfants acquerraient ainsi des compétences susceptibles de les rendre capables de gagner leur vie, comme les autres élèves, après avoir quitté l’école. Dans la réalité, néanmoins, la formule de la demi-journée devint rapidement un moyen d’exploiter le travail des élèves pour financer le fonctionnement des établissements. À mesure que, confronté au coût de ces écoles et à leur insuccès, le gouvernement se désillusionnait, le système pesait encore plus sur les épaules des jeunes. La charge de travail excessive et un programme inapproprié sur le plan culturel s’accentuèrent en raison d’une autre faille importante : l’échec des Affaires indiennes à superviser efficacement les écoles. Le sous-financement et une surveillance laxiste se conjuguèrent pour miner les chances de réussite pédagogique, pour permettre au racisme, aux conditions insalubres et aux exactions du personnel de se développer et pour transformer largement ces pensionnats en machines oppressives. Les élèves y subissaient des sévices psychologiques, physiques et sexuels. Même si, au sein des Affaires indiennes, des voix s’élevèrent très tôt contre le mode de gestion de ces établissements, les mauvais traitements se poursuivraient pendant des décennies [V. Peter Henderson Bryce* ; Ovide Charlebois* ; Allen Patrick Willie*].
Les pensionnats ne constituaient aucunement la seule tache au dossier de Macdonald à la direction des Affaires indiennes, période pendant laquelle on mit sur pied une série de mesures qui causèrent de graves difficultés à de nombreuses Premières Nations, notamment à l’intérieur des terres de l’Ouest. La dégradation résultait principalement de la loi sur les Indiens de 1876. Le cœur du problème venait du fait que, selon la loi, le gouvernement agissait à titre d’administrateur responsable de ceux qu’il considérait comme ses pupilles, principe cohérent avec le but formulé en 1871 de conduire graduellement les Premières Nations à l’assimilation avec les colons. Un anthropologue qualifierait cette politique de « tutelle coercitive ».
Avec le temps et au fil des échecs des politiques gouvernementales, la coercition prima la tutelle, aspect pervers de cette position. On avait déjà constaté la tendance au début des années 1880, quand le programme de promotion de l’immigration et de la colonisation à l’intérieur des terres de l’Ouest battait de l’aile. Ce revers, combiné à l’augmentation des dépenses administratives, entraîna à Ottawa une attitude plus répressive envers les Premières Nations de l’Ouest. Par exemple, si certains de leurs membres ne s’établissaient pas dans les réserves et ne s’adonnaient pas à l’agriculture assez rapidement après les négociations des traités numérotés entre 1871 et 1877, le gouvernement les obligeait à le faire. Cette réaction sévère ne tenait pas compte de la responsabilité du gouvernement dans nombre des problèmes des futurs fermiers des réserves : on n’arpentait pas promptement les réserves, les fournitures et l’équipement promis dans certains traités étaient non livrés ou manquants, et les fonctionnaires des Affaires indiennes, trop peu nombreux sur le terrain, se trouvaient mal préparés pour procurer l’aide nécessaire aux chasseurs-cueilleurs appelés à s’adapter à l’agriculture.
En 1879, l’économie basée sur le bison était totalement effondrée, ce qui aggrava la situation. Le gouvernement considéra le dénuement, voire la famine dans certains cas, qui frappait les Premières Nations davantage comme une occasion de les contraindre à obéir aux volontés d’Ottawa que comme une crise humanitaire qui exigeait une réaction immédiate et magnanime. Le gouvernement de Macdonald défendit brutalement sa politique. Même si, en 1879, il reconnut que la misère régnait dans les Prairies, les secours n’étaient apportés qu’à certaines conditions. « Les agents ont reçu des instructions strictes d’exiger le travail des Indiens en bonne santé en échange de toutes provisions », rapporta cette année-là le sous-ministre de l’Intérieur, Lawrence Vankoughnet. « Ce principe a été imposé pour exercer un effet moral chez les Indiens en leur montrant qu’ils devaient donner quelque chose en retour de ce qu’ils reçoivent, et aussi dans le but de les empêcher de s’attendre par la suite à de l’aide gratuite du gouvernement. » En 1881, l’agent des Affaires indiennes Hayter Reed* informa ainsi Dewdney : « [L]e système – pas de travail pas de paie –, autant que j’ai pu l’imposer, fonctionne et, je suis heureux de le dire, avantageusement. » Dewdney lui-même favorisait une politique de « contrainte absolue ». Malgré la cruauté de la méthode du gouvernement, l’opposition libérale la critiquait constamment pour sa trop grande générosité. Certains députés libéraux allèrent jusqu’à déclarer qu’il ne fallait pas dépenser des sommes importantes d’argent public pour ce qu’ils considéraient comme une race en voie d’extinction. Voilà le contexte dans lequel Macdonald défendit la politique de rationnement à la chambre des Communes en 1882 : « J’ai lieu de croire que les agents en général […] font tout leur possible, pour réduire les dépenses, en refusant aux Sauvages des provisions jusqu’à ce qu’ils soient sur le bord de la détresse. »
En 1884, prévoyant des troubles dans les Prairies, Dewdney avait commencé à mettre en application son régime coercitif. Cette année-là, des modifications à la loi sur les Indiens autorisèrent le ministre à restreindre la distribution de munitions aux Premières Nations des Prairies et à criminaliser l’incitation à l’émeute. Dans les premières phases de la rébellion des Métis, Dewdney émit un décret selon lequel les Premières Nations devaient rester confinées dans leurs réserves sous peine de poursuites. Après le retour au calme, on remplaça cette mesure d’urgence par une exigence pour les résidents d’obtenir un laissez-passer de leur agent ou instructeur agricole avant de quitter leur réserve. Cette violation des promesses formulées pendant les négociations des traités une décennie auparavant n’avait aucun fondement juridique : ni la loi sur les Indiens ni un arrêté en conseil ne l’autorisaient. Le régime de laissez-passer s’accompagnait d’un système de permis, basé sur des dispositions établies dans la loi sur les Indiens depuis un certain temps, qui empêchait les fermiers de vendre en dehors des réserves des produits de leurs champs ou de leurs ateliers sans permission. Ironiquement, même si le gouvernement affirmait vouloir que les membres des Premières Nations deviennent des fermiers autonomes, il insistait pour les garder sous contrôle et réglementer la mise en marché de leurs biens.
D’autres mesures indiquaient de façon similaire que le gouvernement était plus déterminé que dans le passé à imposer ses volontés aux Premières Nations, à compromettre leur identité et à s’ingérer dans leurs traditions. La même modification de 1884, qui interdisait l’incitation à l’émeute, défendait également le potlatch. Cette cérémonie de partage, répandue sur le littoral nord-ouest, comprenait de grands festins et des danses, et durait parfois plusieurs jours ; elle servait de mécanisme essentiel pour régler les affaires des Premières Nations côtières et pour hiérarchiser les relations au sein de la collectivité [V. Paul Legaic]. Pour de nombreux missionnaires chrétiens, dont William Duncan* et William Henry Collison*, et pour certains agents des Affaires indiennes, tel Israel Wood Powell*, de nombreux aspects du potlatch avaient un caractère offensant. L’étalement des célébrations sur plusieurs jours distrayait apparemment les Premières Nations d’un usage plus judicieux de leur temps. Les danses comportant parfois la morsure d’un être humain ou d’un animal, les non-Autochtones jugeaient la pratique nuisible à la santé et à l’ordre public. Au cœur de l’opposition se trouvait l’idée que la cérémonie soutenait une éthique sociale diamétralement opposée aux valeurs économiques dont le gouvernement faisait la promotion. La première fois qu’on appliqua une interdiction contre des participants, le juge en chef sir Matthew Baillie Begbie de la Colombie-Britannique invoqua le flou de la loi pour rejeter la cause. En 1895, la prohibition du potlatch revêtit cependant une forme plus élargie et plus efficace.
Des motifs semblables sous-tendirent en partie l’attaque du gouvernement contre la propriété foncière communautaire que les Premières Nations privilégiaient. La promotion de la propriété privée constituait un élément de la politique officielle, sous une forme ou une autre, depuis les années 1830. Vers la fin des années 1880, une autre phase de cette campagne idéologique prit la forme du lotissement, tentative de subdiviser les terres des réserves et de détruire ce que Hayter Reed, successeur de Dewdney à titre de commissaire des Affaires indiennes, qualifia de « système tribal ou communiste ». En 1889, il déclara : « Tous les efforts [sont] faits pour inculquer plutôt un principe de responsabilité individuelle. » Pour Macdonald, le lotissement comportait un attrait : la subdivision des réserves recenserait des terres inoccupées détenues par des nations qui avaient connu de sérieuses pertes démographiques depuis leur installation dans des réserves ; ces terres pourraient être offertes aux immigrants de la prochaine vague. Cependant, des dispositions de la loi sur les Indiens, découlant de la Proclamation royale de 1763 [V. sir Samuel Henry Strong*], imposaient l’accord préalable d’une nation pour vendre des terres de sa réserve. (À la promulgation de la Confédération, l’obligation de suivre les exigences de la Proclamation royale faisait déjà quasiment office de principe absolu dans l’administration des Affaires indiennes.) Les nations refusèrent de coopérer, et la politique des terres individuelles échoua.
Dans une large mesure, la préférence de Macdonald pour l’élection des chefs de réserves plutôt que pour la transmission héréditaire se heurta à la même résistance passive. Son gouvernement avait inscrit, en 1869, une disposition sur la gouvernance eurocanadienne dans l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle. Dès la promulgation de cette loi, le cabinet put obliger les nations à élire des chefs et des conseillers (ou sous-chefs) pour un mandat limité, malgré la stipulation selon laquelle « les chefs à vie continuer[aient] d’agir comme tels jusqu’à leur décès ou résignation, ou jusqu’à ce qu’ils soient démis par le gouverneur pour malhonnêteté, intempérance ou immoralité ». La loi sur les Indiens de 1876 restreignit cette disposition au territoire à l’est du Manitoba. On renforça la politique par l’Acte de l’avancement des Sauvages de 1884, mais la gouvernance élective demeura une aspiration plutôt qu’une réalité au cours du règne de Macdonald.
Pendant la deuxième décennie du xxie siècle surgirent des allégations selon lesquelles les gouvernements de Macdonald s’étaient rendus coupables de génocide ou de génocide culturel. En mai 2015, dans un discours largement diffusé, la juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverley Marian McLachlin, déclara que l’histoire des relations entre l’État et les Autochtones au Canada reflétait un génocide culturel. Sept mois plus tard, dans son rapport final, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, mise sur pied pour reconnaître les conséquences des pensionnats sur les Autochtones et pour promouvoir « la vérité, la guérison et la réconciliation », conclut également que les gouvernements successifs avaient commis un génocide culturel. En 2019, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées alla beaucoup plus loin en qualifiant de génocide le traitement que l’État canadien avait fait subir aux Autochtones. Ces déclarations jetèrent un éclairage sévère sur les politiques nationales relatives aux Premières Nations et à d’autres nations autochtones, notamment les politiques des gouvernements de Macdonald. Le rapport ne visait pas précisément son époque, mais la portée de ses recommandations semblait englober la fin du xixe siècle ainsi que les xxe et xxie siècles.
La signification des termes « génocide culturel » et « génocide » est parfois floue. Habituellement, on emploie « génocide culturel » comme synonyme d’assimilation abusive, et on l’applique souvent aux pratiques canadiennes du xixe siècle. En règle générale, ceux qui utilisent le mot « génocide » pour décrire les politiques relatives aux Autochtones ne précisent pas dans quel sens ils le font, formulant souvent un flot de critiques contre les gestes rudes de l’État et clamant que ces politiques et leurs répercussions constituent un génocide.
Heureusement, il existe depuis longtemps une définition du génocide largement acceptée, à l’aune de laquelle la conduite du Canada envers les nations autochtones peut être jugée. En 1948, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies approuva la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui précise que « le génocide s’entend […] des actes […] commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Le texte fournit ensuite des exemples, notamment le « meurtre de membres du groupe », l’imposition de « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe » et le « transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe ». Dans les discussions sur le génocide au Canada, l’attention s’est portée sur le dernier exemple ; selon certains commentateurs, l’expérience des pensionnats correspond à ce critère. Cette opinion se révèle problématique. Même si les actions de l’État canadien contre les Autochtones, entre autres l’imposition des pensionnats, étaient haineuses et souvent destructrices, le gouvernement ne les mit jamais en œuvre « dans l’intention de détruire » un groupe particulier.
Les politiques suivies par le gouvernement de Macdonald avaient pour but de transformer les Premières Nations sur le plan culturel et de les assimiler « aussi rapidement que le changement p[ouvai]t se faire avec profit », de les soumettre à un génocide culturel, peut-être, mais pas de les détruire. Le premier ministre pouvait parfois se montrer impitoyable. En parlant des procès qui suivraient la rébellion du Nord-Ouest, il déclara : « Les exécutions des […] Indiens doivent convaincre l’homme rouge que l’homme blanc gouverne » ; néanmoins, rien dans ses paroles ou ses interventions ne justifie de l’accuser d’avoir été l’architecte raciste d’un génocide. Comme le révèle sa position sur le projet de loi sur le cens électoral, il manifestait plus de tolérance que la plupart des membres de l’opposition qu’il côtoyait tous les jours à la chambre des Communes. Malgré le caractère inapproprié de sa politique de rationnement à la suite de l’effondrement de l’économie basée sur le bison, les libéraux la trouvaient encore trop généreuse. En 1978, les historiens officiels de la loi sur les Indiens adoptèrent une attitude plus nuancée à l’égard de l’héritage de Macdonald. Ils conclurent que, « sans sa direction […], il aurait pu y avoir beaucoup plus d’ingérence et d’expérimentation dans le mode de vie des Indiens et une impulsion vers l’intégration beaucoup plus grande qu’elle ne l’a été ». Il demeure possible qu’une époque ultérieure, aux valeurs différentes de celles de l’époque de Macdonald, doive accepter ce jugement envers le ministre canadien des Affaires indiennes aux plus longs états de service.
Dans les années 1880, Macdonald mit en vigueur la loi sur les Indiens de 1876, fit face à l’agitation dans les Territoires du Nord-Ouest et contribua au financement de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique. Il eut également à régler un autre problème lié au chemin de fer : la colère grandissante, en Colombie-Britannique, causée par le recrutement de main-d’œuvre chinoise pour travailler à sa construction. L’arrivée de Chinois, attirés par la ruée vers l’or du fleuve Fraser, puis celle de Cariboo [V. William Barker], avait commencé en 1858. À la fin de ce mouvement, la majorité d’entre eux quittèrent le pays. Pourtant, on évalua que, en 1870, le nombre de ceux qui restaient s’élevait à 1 548, soit 4,3 % de la population totale de 36 247 personnes ou 15,3 % de la population non autochtone.
Avec le déclin de la ruée vers l’or et la stagnation de l’économie dans les années 1870, des critiques se firent entendre : on prétextait que ces immigrants de l’Empire céleste, comme on appelait la Chine à l’époque, exerçaient une concurrence injuste dans d’autres secteurs du marché du travail. Tel que le diraient les Chevaliers du travail, les Chinois « viv[ai]ent d’une façon à laquelle aucun homme blanc ne consentirait, avec des moyens qui réduiraient un homme blanc à la famine, et, par conséquent, p[ouvai]ent gagner un salaire et amasser des économies qui ne fourniraient pas les conditions de vie minimales à un homme blanc ». Des plaintes concernaient aussi de prétendus problèmes d’hygiène et de moralité. De plus, on croyait généralement que les Chinois étaient des gens de passage, ou des résidents temporaires, qui échappaient au fisc, envoyaient une grande partie de leurs revenus en Chine et dépensaient peu dans les commerces locaux.
En 1872, à la première session de l’Assemblée législative de la province, John Robson, représentant de Nanaimo, proposa un projet de loi pour empêcher l’embauche des Chinois dans tous les travaux publics provinciaux ou fédéraux en Colombie-Britannique. L’Assemblée le rejeta sous prétexte qu’il compromettrait la construction du chemin de fer transcontinental, promesse incluse dans les modalités de l’union de la province au Canada. Deux ans plus tard, le gouvernement du premier ministre George Anthony Walkem* retira le droit de vote aux Chinois (ainsi qu’aux membres des Premières Nations, qui formaient la majorité de la population). Trutch, alors lieutenant-gouverneur, refusa de sanctionner cette loi, mais, à titre de ministre de la Justice, Macdonald décréta que les provinces avaient le pouvoir de définir leur cens électoral et maintint la loi. Ce fut sa première intervention dans la « question chinoise ».
Dans les années 1870, le peu de progrès dans la construction du chemin de fer constituait l’une des principales préoccupations des milieux politiques en Colombie-Britannique. Aux élections générales de 1878, les électeurs de Kingston tournèrent le dos à Macdonald ; peu après, ce dernier remporta aisément l’un des deux sièges dans Victoria, et ce, sans avoir visité cette circonscription ni s’être exprimé sur le chemin de fer, les Chinois ou tout autre sujet. Les autres candidats, notamment Amor De Cosmos, élu au deuxième siège, entreprirent de s’opposer à l’embauche de Chinois dans les travaux publics. En février 1879, convaincu que le retour de Macdonald au pouvoir comme premier ministre du Canada accélérerait l’achèvement du chemin de fer, De Cosmos présenta au Parlement une pétition lancée par la Workingmen’s Protective Association [V. Noah Shakespeare*] et signée par « quinze [cents …] habitants de la Colombie-Britannique ». Le document énumérait les récriminations habituelles contre les Chinois et réclamait l’imposition de restrictions à leur immigration ainsi que leur exclusion des emplois relatifs au chemin de fer. « Il convient donc que la question soit bien étudiée avant que cette masse de population chinoise nous envahisse », reconnut Macdonald, qui accepta de constituer un comité d’enquête du Parlement, comme De Cosmos l’avait suggéré. En sa qualité de président, celui-ci fournit les questions de fond aux sept témoins, dont six politiciens fédéraux de la Colombie-Britannique et l’un qui le deviendrait bientôt. Le comité conclut que d’« après la preuve entendue […] l’immigration chinoise ne devrait pas être encouragée » et que « les Chinois ne devraient pas être employés dans les travaux publics du Canada ».
En 1879, la construction du chemin de fer semblait imminente et les manifestations anti-Chinois prirent de l’ampleur en Colombie-Britannique. À la mi-octobre, le cabinet provincial envoya à Ottawa un télégramme pour faire valoir que les contrats de construction du chemin de fer devraient inclure une clause pour proscrire l’embauche des Chinois. Le lendemain, on adopta des résolutions semblables dans des assemblées publiques à Victoria et à New Westminster. De Cosmos fit parvenir à Macdonald une coupure de presse décrivant ces réunions, accompagnée d’une note : « [L]’opinion [qui règne] parmi toutes les classes ici est favorable à l’interdiction d’engager des Chinois dans les travaux publics du dominion. » Macdonald se dit navré de l’agitation et écrivit à Walkem pour lui signaler qu’il « pouvait aussi bien interdire l’usage de machines à vapeur », car il n’y avait pas suffisamment de main-d’œuvre blanche. En 1880, Walkem se rendit néanmoins à Ottawa où, entre autres propos, il répéta les préoccupations de son gouvernement au sujet des Chinois. Macdonald répliqua qu’il ne pouvait dicter aux entrepreneurs le choix de leurs employés, que le problème comportait des aspects impériaux et nationaux, et qu’une interdiction complète « ne pourrait être défendue avec succès au Parlement ».
Pour Macdonald, la construction du chemin de fer demeurait la priorité, et les ouvriers chinois y jouaient un rôle essentiel. Comme il le déclarerait au Parlement deux ans plus tard : « Actuellement, de deux choses, l’une : il nous faut des Chinois, ou nous n’aurons point le chemin de fer. » Quand Andrew Onderdonk*, qui avait obtenu le contrat de construction du tronçon reliant la côte à Savona’s Ferry (Savona), sur le lac Kamloops, se plaignit d’une pénurie de main-d’œuvre, le gouvernement de Macdonald, en 1881, demanda au gouverneur de Hong Kong d’aider l’agent de recrutement délégué sur place par Onderdonk. À la fin des travaux, en novembre 1885, le nombre de travailleurs chinois venus en Colombie-Britannique se situerait, selon les estimations, entre 15 000 et 17 000, la plupart ayant participé à la construction de la voie ferrée [V. Dukesang Wong*]. La majorité d’entre eux retourneraient en Chine ou s’installeraient illégalement aux États-Unis, qui avaient interdit l’immigration chinoise en 1882.
En mai 1882, quand De Cosmos souleva de nouveau au Parlement l’« inquiétante » question de l’immigration chinoise, Macdonald admit que les Chinois étaient une « race […] décidément inférieure » et que, malgré leur utilité comme domestiques, ils représentaient « un élément malsain » en tant que colons permanents. Puisqu’ils n’amenaient avec eux ni leur femme ni leur famille et puisqu’il n’y avait pas « à craindre le mélange des races, ou miscégénation », il fallait seulement « supporter, pour quelque temps, cet inconvénient », car ils retourneraient en Chine une fois le chemin de fer construit. Dans un discours qu’il prononça cet été-là à Yorkville (Toronto) pendant la campagne électorale, Macdonald déclara qu’il n’obligerait pas les travailleurs canadiens « à concurrencer des semi-barbares qui ne possèdent que leur chemise et dont les dos sont si fertiles qu’ils pourraient favoriser la culture des pommes de terre ». Au cours des quelques années suivantes, dans des allocutions recyclées pour l’essentiel, il répéterait ces points de vue, en général dans des termes un peu plus modérés.
Malgré son mépris des Chinois, Macdonald ferait un geste humanitaire à leur endroit. En 1885, quand Shakespeare, élu député conservateur fédéral dans Victoria en 1882, proposa que les prisonniers chinois du British Columbia Penitentiary devaient subir la même coupe de cheveux que les autres, Macdonald rétorqua que tous les criminels devaient recevoir les mêmes punitions. Étant donné la signification culturelle particulière de la queue de cheval pour les Chinois, leur couper les cheveux constituerait une peine supplémentaire. La suggestion de Macdonald prévalut.
Même s’il entretenait un sentiment défavorable envers les Chinois en tant que colons et savait que la question chinoise aurait « des conséquences » pour les provinces de l’Est, où des organisations ouvrières avaient commencé à s’inquiéter de cette concurrence, Macdonald dut néanmoins envisager la possibilité de commercer avec la Chine. Ainsi, en 1883, quand Shakespeare présenta une motion visant à restreindre l’immigration chinoise en Colombie-Britannique, Macdonald s’y opposa. Il déclara qu’il était « toujours difficile pour un pays civilisé d’exclure un peuple avec lequel il fait commerce et qu’il traite comme un peuple civilisé ou quasi civilisé ». Peut-être pensait-il déjà à lier le chemin de fer canadien du Pacifique au transport transpacifique. Il promit toutefois que, quand la main-d’œuvre blanche redeviendrait accessible, il réglementerait l’immigration chinoise.
Les choses n’allaient pas assez rondement pour la Colombie-Britannique, où, malgré le chômage saisonnier important qui les affligeait, les Chinois continuaient d’arriver. Au début de 1884, l’Assemblée législative adopta An Act to prevent the Immigration of Chinese. Peu après, le premier ministre, William Smithe*, se rendit à Ottawa pour presser Macdonald de régler le problème de l’immigration. Le ministre de la Justice, Alexander Campbell, éprouvait de « sérieux doutes » sur le caractère constitutionnel d’une loi empêchant « des personnes de n’importe quel pays de venir dans une province », car une telle mesure toucherait les intérêts du dominion et peut-être même ceux de l’Empire. L’examen de la question relevait néanmoins de l’opportunisme plutôt que de la rectitude constitutionnelle. Le cabinet rejeta rapidement la loi provinciale sur l’immigration.
À la suite de ce désaveu, Macdonald promit à Smithe de mettre sur pied une commission pour enquêter sur l’immigration chinoise et, si on ne décelait pas d’inconvénients en matière de commerce ou de relations avec la Chine ou l’Angleterre, de soumettre une mesure pour limiter et réglementer cette immigration au Canada. Il avait auparavant conclu que toute restriction devait être de portée nationale, car le déplacement des gens à l’intérieur du pays échappait à tout contrôle. La commission royale fédérale d’enquête sur l’immigration chinoise, composée de Joseph-Adolphe Chapleau, secrétaire d’État, et de John Hamilton Gray*, alors juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, fut nommée le 4 juillet 1884. À la fin de février 1885, la commission déposa au Parlement son volumineux rapport, basé sur des enquêtes menées en Californie et en Colombie-Britannique. Elle recommandait des restrictions à l’immigration. Deux mois plus tard, Chapleau présenta le projet de loi du gouvernement. L’imposition d’une capitation (fixée ultérieurement à 50 $) à tout nouvel arrivant chinois et la limitation du nombre d’immigrants que les navires à l’abordage pouvaient contenir selon leur tonnage en constituaient les points principaux. Au cours des débats, Macdonald n’intervint qu’une seule fois, soit quand Edgar Crow Baker, conservateur élu dans Victoria avec Shakespeare en 1882, approuva les propos de Chapleau, qui soutenait que personne ne pouvait s’opposer à la religion des Chinois. Le premier ministre déclara alors : « Parce qu’ils n’en ont aucune. » L’Acte de l’immigration chinoise reçut la sanction royale le 20 juillet 1885. Macdonald avait soigneusement synchronisé le cheminement de cette loi, dont la mise en vigueur eut lieu le 1er janvier 1886, presque deux mois après la pose du dernier clou sur le chemin de fer [V. Donald Alexander Smith].
L’été suivant, Macdonald visita la Colombie-Britannique pour la première fois. Le conseil municipal de Victoria organisa une réception publique. Les rires et les acclamations fusèrent lorsque Macdonald parla du chemin de fer et des futurs échanges commerciaux transpacifiques. « Sur cette côte de l’océan Pacifique, vous êtes le terminus. Mais vous êtes simplement le terminus terrestre, car je crois que le terminus céleste se trouve en Chine. » Il reçut également une délégation des Chevaliers du travail, qui se plaignirent d’une concurrence injuste et du non-respect de la loi sur l’immigration. Ils pressèrent Macdonald de visiter le quartier chinois pour constater « la valeur des coolies chinois comme immigrants ». Macdonald demanda aux Chevaliers du travail de le tenir au courant de toute faille dans la mise en vigueur, mais leur rappela le besoin de tenir compte des intérêts de l’Empire. Il déclara à un autre groupe de travailleurs qu’il partageait leur préoccupation au sujet de la perte d’emplois au profit des Chinois, mais que l’« exclusion totale » des Chinois serait inconstitutionnelle et nuirait aux échanges commerciaux. Il s’attendait à ce qu’une application stricte de la loi fédérale limite la croissance de la population chinoise et que sa présence devienne « moins préjudiciable » grâce à l’augmentation prévue de l’immigration blanche. La Chinese Consolidated Benevolent Association [V. Chu* Lai] soumit également un dossier dans lequel elle exprima sa gratitude pour la « protection » et la « justice » que procuraient les lois canadiennes, et fit valoir que les résidents chinois étaient des contribuables. L’association se plaignit en même temps des « lois vexatoires » des gouvernements provincial et fédéral qui exposaient ses membres à la discrimination. Elle demanda aussi une extension de la période pendant laquelle les Chinois résidents pouvaient s’inscrire pour obtenir des certificats de départ, extension qui les exempterait de la capitation au retour de leurs passages en Chine. Il n’existe aucune preuve que Macdonald ait reçu des Chinois ou visité leur quartier.
Le premier contact de Macdonald avec la question chinoise concernait le droit de vote aux élections provinciales ; l’une de ses dernières interventions porta sur le suffrage au scrutin fédéral. La version initiale du projet de loi sur le cens électoral de 1885 ne mentionnait pas les Chinois. Macdonald avait voulu intégrer les Premières Nations en leur accordant le droit de vote, mais n’eut pas la même attitude face aux Chinois et présenta un amendement pour le leur interdire. « Les sauvages sont les enfants du sol [… Un Chinois] est un voyageur sur une terre étrangère, dans un but particulier et temporaire. Il n’a aucun intérêt commun avec nous ; il nous donne son travail et il est employé pour cela ; il est comme un moulin à battre ou tout autre instrument agricole, que nous pouvons emprunter ou louer […] et rendre à son propriétaire […] Il n’a ni instinct ni sentiment britannique, et il ne doit pas jouir du droit de suffrage », affirma-t-il. Tout en soutenant l’admission des Chinois pour la construction du chemin de fer, Macdonald mentionna une crainte éprouvée par les travailleurs de l’Ontario et de la province de Québec : « Ils voient […] cette race étrangère arriver, bouleverser les gages de la main-d’œuvre, et faire concurrence à nos propres compatriotes, lorsque la chose n’est pas nécessaire. » Contrairement à son opinion antérieure, il affirmait que l’immigration chinoise pouvait donner lieu à une « race mélangée » qui détruirait le « caractère ar[y]en » de l’Amérique britannique. Ce discours résumait ses raisons pratiques d’accepter les Chinois, et ses raisons racistes et politiques de restreindre leur entrée au Canada et leurs droits à l’intérieur du pays.
Si des préoccupations relatives à la présence d’« étrangers » secouaient la Colombie-Britannique, des appréhensions d’une autre nature grandissaient très loin de là, dans l’est du pays : l’Ontario se laissa gagner par la peur du catholicisme et des Français, tandis que la province de Québec se laissait envahir par la peur du protestantisme et des Anglais. L’anticatholicisme venait en partie des États-Unis, où un fort mouvement « nativiste » fit son apparition à la fin des années 1880. Cependant, l’Ontario comptait assez d’amadou protestant tout prêt à donner un brasier chaud et satisfaisant. Les journaux protestants de Toronto lancèrent l’offensive après que l’Acte relatif au règlement de la question des biens des jésuites eut reçu la sanction royale en juillet 1888 [V. Christopher William Bunting]. Les protestants ontariens en exigeaient l’annulation sous prétexte que le pape s’était immiscé dans une entente entre les jésuites et la province de Québec (propriétaire des biens depuis la Confédération). De leur côté, Macdonald et le ministre de la Justice, sir John Thompson, estimaient que l’on devait maintenir la loi. Le tumulte protestant pour obtenir des « droits égaux » se déclencha en mars 1889 [V. Daniel James Macdonnell]. William Edward O’Brien, député de Muskoka, prévint Macdonald qu’il présenterait une motion aux Communes dans le but de faire annuler la loi. Macdonald répondit qu’il le déplorait et ajouta, ce qui était bien de lui, qu’il serait désolé si un conservateur se sentait obligé de quitter le parti simplement parce qu’il avait voté pour la motion d’O’Brien. Il avertit le député de Winnipeg, William Bain Scarth*, son bras droit au Manitoba, de ne pas se mêler du tout de la question des « droits égaux ». Bien des conservateurs y militeraient peut-être, mais Macdonald estimait qu’ils seraient « hors de danger au moment des élections ». « Rien ne sert, ajoutait-il, de leur rappeler leur erreur. Telle est la perversité de la nature humaine que cela pourrait les amener à s’entêter. » Macdonald n’était guère enclin aux récriminations.
Aux Communes, pendant le débat de 1889 sur l’annulation, Thompson s’opposa au partisan déclaré d’O’Brien, D’Alton McCarthy, avec une logique froide, polie mais exaspérante. Selon Thompson, présenter pareille motion dans un pays comme le Canada, qui comptait 40 % de catholiques, c’était faire preuve d’un manque consternant de sens politique. Macdonald trouva son intervention brillante – trop brillante à vrai dire. Elle avait mis McCarthy en colère. Il rêvait du jour où O’Brien et McCarthy, tous deux conservateurs, se calmeraient et reviendraient au parti, mais Thompson avait peut-être compromis cette possibilité. Le gouvernement rejeta l’annulation par une majorité écrasante (188 voix contre 13), et ce, non seulement parce que l’argumentation de McCarthy répugnait au Parlement, mais parce qu’on avait dit aux conservateurs canadiens-français de se tenir cois et de laisser prévaloir le bon sens des députés anglophones. Néanmoins, Macdonald n’aimait pas la tournure des événements. Le Canada, dit-il à Gowan en juillet 1890, était justement puni de son ingratitude pour tous les bienfaits qu’il avait reçus et s’acheminait vers une période difficile : « Le démon de l’animosité religieuse, qui, je l’espérais, avait été enterré dans la tombe de George Brown, est ressuscité [...] McCarthy a semé les dents du Dragon. Je crains qu’elles ne sortent de terre sous forme d’hommes armés. »
En ce qui concerne la question des écoles du Manitoba, Macdonald était d’accord, en 1890, avec Thompson et Edward Blake : mieux valait laisser aux tribunaux, et non à la chambre des Communes, le soin de décider de la constitutionnalité de la loi manitobaine qui abolissait le financement public des écoles catholiques. Lui qui avait si facilement refusé de reconnaître des lois manitobaines afin de protéger la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique [V. John Norquay*] et une loi ontarienne, le Rivers and Streams Act [V. John Godfrey Spragge], capitulait à présent devant le simple bon sens. Si la loi des écoles du Manitoba était inconstitutionnelle, les tribunaux le déclareraient. Si elle était conforme à la constitution, pourquoi refuser de la reconnaître ?
En 1890, bien des collègues de Macdonald étaient morts ou avaient pris leur retraite, certains bien jeunes encore. Thomas White* mourut en 1888 à l’âge de 58 ans, après avoir mérité des louanges à titre de ministre de l’Intérieur ; Macdonald l’aimait comme un fils. L’année suivante, il perdit en John Henry Pope un compagnon enjoué, en qui il avait confiance. D’autres s’étaient vu offrir des sinécures : Tilley devint lieutenant-gouverneur à Fredericton en 1885, sir Alexander Campbell, lieutenant-gouverneur à Toronto en 1887. Les faiblesses de sir Adolphe-Philippe Caron*, ministre de la Milice et de la Défense, semblaient devenir plus évidentes, tout comme se manifestait le goût du secrétaire d’État Chapleau pour un portefeuille plus intéressant. Macdonald avait recruté des hommes plus jeunes, enthousiastes et travailleurs, mais qui manquaient d’expérience : John Graham Haggart*, Charles Carroll Colby, George Eulas Foster* et Charles Hibbert Tupper*. Ils étaient parfois difficiles à manœuvrer, surtout le jeune Tupper, député de Pictou, en Nouvelle-Écosse, et ministre de la Marine et des Pêches de 1888 à 1894. Il avait hérité une bonne partie du talent et toute l’outrecuidance de son père. Macdonald répondit ainsi à l’une de ses requêtes importunes : « Cher Charlie, Plumez vos propres pigeons. JAMD. » En 1889, Tupper s’offusqua du fait que des amis conservateurs de Pictou n’aient eu aucune part d’un contrat de charbon pour l’Intercolonial. Macdonald, alors titulaire des Chemins de fer et Canaux, lui rappela que c’était l’ingénieur en chef Collingwood Schreiber* qui s’occupait du contrat, et que celui-ci ne faisait que son devoir. Vous pouvez, dit-il à Tupper, « m’imputer tout le blâme si vous voulez ». Pourtant, il commença sa lettre avec une touche de bonne humeur : « Je vois qu’il faut vous trouver une circonscription où il n’y a pas de mines de charbon, sans quoi nous aurons des problèmes chaque année. »
Foster aussi avait des difficultés, même si ce n’était pas à titre de ministre des Finances. Son mariage avec Adeline Chisholm [Davis*], en 1889, désola Macdonald. Abandonnée par son mari, elle avait fini par obtenir un divorce dans l’Illinois. Macdonald exposa franchement la situation dans une lettre à l’ancien gouverneur général lord Lansdowne [Petty-Fitzmaurice*], alors en Inde. Mme Foster, disait-il, serait rejetée par les milieux mondains d’Ottawa, et Rideau Hall lui serait fermé. À la prochaine session parlementaire, Foster serait la cible de reproches cuisants. « Mais, ajoutait-il, comme sir Matthew Hale l’a dit il y a longtemps : Il n’y a pas de sagesse sous la ceinture. » En fait, Macdonald se trompait. Lady Macdonald refusait de voir Mme Foster, mais ce n’était pas le cas de lady Thompson [Affleck*], et en 1893 sir John Thompson convainquit le gouverneur général lord Aberdeen [Hamilton-Gordon*] et lady Aberdeen [Marjoribanks*] que cette absurdité avait assez duré.
Après la nomination de sir Charles Tupper à Londres en 1884 et le refus de McCarthy d’entrer au cabinet, c’est sir Hector-Louis Langevin qui était devenu le dauphin de Macdonald. On l’avait préparé à remplacer sir George-Étienne Cartier, sur qui Macdonald s’était tant appuyé. Homme écouté, respecté, doté d’une autorité réelle, Cartier avait été son lieutenant québécois. En outre, il avait été son bras droit aux Communes, où il avait assumé le leadership en son absence. Ces deux rôles auraient pu revenir à Langevin, mais il ne se montra jamais vraiment à la hauteur ni de l’un ni de l’autre. Il dut, à contrecœur, partager la direction politique de la province de Québec avec d’autres. Il travaillait d’arrache-pied dans son département (les Travaux publics) et c’était le doyen des ministres. Cependant, malgré des pressions de Macdonald, maîtriser les affaires courantes de la chambre sembla toujours hors de sa portée. Il conserva son autorité au cabinet mais, en 1890, Thompson était devenu le véritable lieutenant de Macdonald, avec qui il s’entendait bien. Il rédigeait de remarquables documents officiels et accomplissait beaucoup de travail. Néanmoins, Macdonald restait attaché à Langevin, qui l’avait soutenu à travers bien des épreuves. Et puis il avait toujours laissé les ministres chevronnés diriger eux-mêmes leur département. Malheureusement, la confiance pouvait l’aveugler. À Joseph-Israël Tarte*, Caron et d’autres, qui dès 1890 lui rapportaient des allégations selon lesquelles des irrégularités se commettaient au département de Langevin, il ne faisait que répondre : que puis-je faire ? Mais c’est peut-être parce qu’il soupçonnait un scandale impliquant Langevin et le député Thomas McGreevy, et qu’il en connaissait peut-être même les détails, qu’il chercha, au début de 1891, des raisons de dissoudre le Parlement. Selon Gowan, la crainte que des regards inquisiteurs ne se portent sur le département de Langevin ne le quittait pas. Il doutait fort que son gouvernement y survive.
Aux élections de mars 1891, les conservateurs allaient user d’arguments patriotiques pour combattre les libéraux, qui prônaient une réciprocité totale avec les États-Unis. Pour Macdonald, il était évident que le secrétaire d’État des États-Unis, James Gillespie Blaine, du Maine, était un expansionniste qui voulait que son pays prenne possession du Canada. Macdonald pouvait être un éloquent patriote. Quand il demanda au gouverneur général lord Stanley* de dissoudre le Parlement, celui-ci jugea plus que douteux d’user, comme arme politique, des épreuves d’un opuscule dans lequel le journaliste Edward Farrer* expliquait comment les États-Unis pouvaient manœuvrer pour annexer le Canada. Toutefois, comme les libéraux se disposaient à faire éclater le scandale Langevin, Macdonald voulait des élections avant d’entreprendre une autre session. Le 17 février, au cours d’une allocution enthousiaste à Toronto, il n’hésita pas à qualifier de foncièrement annexionnistes les projets libéraux de réciprocité totale. La célèbre phrase qu’il avait prononcée dans son discours électoral le 7 de ce mois, « Je suis sujet britannique et né britannique et j’espère mourir sujet britannique », doit être comprise plus comme une expression de nationalisme canadien que comme une envolée lyrique en faveur de l’Empire. En fait, dès 1884, il entrevoyait le jour où la Grande-Bretagne (« vieille Mère [plutôt] chancelante », disait-il) serait prise en charge par ses grands enfants. Cette année-là, il déplora que la Nouvelle-Galles du Sud repousse l’occasion de créer une fédération australienne ; avant peu, écrivit-il à Gowan, le Canada et l’Australie devraient aider la mère patrie. Cependant, quand il proposa, en 1889, de tenir une conférence avec les « colonies d’Australasie » et, peut-être pour suivre l’exemple des milieux d’affaires, d’envisager des relations commerciales avec elles, le cabinet ne manifesta qu’un intérêt mitigé.
L’ouverture du Parlement eut lieu à la fin d’avril 1891 et, le 11 mai, Tarte présenta une motion qui visait à instituer une enquête sur Langevin et McGreevy. Le lendemain, au cours d’un entretien avec le gouverneur général, Macdonald eut une attaque d’apoplexie. Thompson et lord Stanley étaient inquiets ; les élections, qui avaient porté au pouvoir un gouvernement conservateur à majorité réduite, avaient beaucoup fatigué Macdonald. Néanmoins, il se remit et, dix jours plus tard, reprit les fonctions, épuisantes et par trop familières, de ministre des Chemins de fer et Canaux. Le 22 mai, il répondit encore une fois à une demande importune de Charles Hibbert Tupper ; ce fut presque la dernière affaire dont il s’occupa. Tupper voulait un agent de police pour tenir la foule en respect à la gare de Pictou quand les trains arrivaient. Patient, Macdonald transmit la lettre à Schreiber, qui répondit ne pas pouvoir croire que les bonnes gens de Pictou étaient soudain devenus si difficiles à maîtriser ! On ne soupçonnait guère à quel point les journées de travail de Macdonald pouvaient être pénibles. Derrière les succès et les projets grandioses dont sa vie semblait faite se cachaient une montagne de détails, des piles de paperasse et une longue succession de tâches harassantes. Les dernières semaines, il travailla à son département et au cabinet, et tenta de conserver ses forces en évitant les séances de fin de soirée à la chambre. Le 21 mai, il eut la tristesse de voir une motion d’ajournement rejetée, par 65 voix contre 74, parce que des députés conservateurs étaient à des dîners offerts par Chapleau et Dewdney. Durant les 13 années où il avait été en poste, jamais il n’avait connu un échec de ce genre. Il dut se rendre lui-même en chambre. Cette défaite et le scandale Langevin redonnèrent de la vigueur à l’opposition.
Pour Macdonald, ce fut le contraire. Dans l’après-midi du 29 mai, tandis qu’il se remettait d’un rhume, au lit, il eut une attaque foudroyante. Il perdit l’usage de la parole et mourut une semaine plus tard, dans la soirée du 6 juin 1891. Après des funérailles nationales à Ottawa, il fut inhumé au Cataraqui Cemetery, aux côtés de ses parents, de sa première femme, de ses sœurs et de son enfant mort bien des années auparavant.
Dans son testament, daté du 4 septembre 1890, Macdonald confiait l’administration de sa succession à Edgar Dewdney, Frederick White (l’un de ses anciens secrétaires) et Joseph Pope, son secrétaire depuis 1882. Tous trois, avec Agnes, étaient les tuteurs officiels de Mary, qui vécut jusqu’en 1933. Tous les biens immobiliers de Macdonald à Ottawa (principalement Earnscliffe, la maison familiale depuis 1883) allèrent à Agnes, sans loyer. Elle était assurée d’un revenu grâce à son contrat de mariage et au fonds de reconnaissance de 67 000 $ que l’on avait remis aux Macdonald en 1872. Les deux polices d’assurance de Macdonald, chacune d’une valeur de £2 000, devaient être investies au profit de Hugh John, qui reçut aussi une partie de la succession et des actions léguées à sir John par sa sœur Louisa. Sans compter Earnscliffe et le produit du Testimonial Fund, Macdonald laissait environ 80 000 $.
« Pas de Macdonald, pas de Canada », écrivit Richard Gwyn. Cette déclaration, acceptée par les admirateurs de Macdonald et décriée par ses détracteurs, constitue une exagération anhistorique qui renferme néanmoins une part substantielle de vérité. La Confédération fut une entreprise collective, marquée par la figure dominante de Macdonald ; l’expansion du Canada résulta de la collaboration d’une foule de gens, mais Macdonald y joua le rôle principal. Acteur politique rusé qui se servit habilement des leviers du favoritisme, il s’adapta de manière pragmatique aux circonstances, et se fraya un chemin parmi les vives dissensions religieuses et linguistiques qui menaçaient parfois de déchirer le pays. Les structures politiques qu’il contribua à bâtir se révélèrent suffisamment solides pour durer plus longtemps que la plupart des institutions comparables ailleurs dans le monde, ce qui représente une réalisation de taille.
Selon les critères de son temps, Macdonald était un homme tolérant, à l’esprit ouvert, même s’il pouvait se montrer impitoyable. Il n’était pas rancunier et avait un sens de l’humour légendaire. Il exprimait souvent sa cordialité politique autour d’un verre d’alcool dans des salles enfumées, où il nouait des amitiés profondes et recrutait de loyaux partisans. Il pouvait être extrêmement drôle et d’une agressivité blessante. À l’occasion, ses beuveries le rendaient impuissant devant des affaires importantes qui exigeaient son attention. Pour ses collègues, il se distinguait toutefois par sa patience et sa ténacité face aux défis et aux difficultés ; il était exceptionnellement doué pour les projets de longue haleine.
Des recherches sur la politique de Macdonald à l’égard des Autochtones et des immigrants chinois posent cependant un nouveau regard sur l’homme. Sa volonté de confiner les Premières Nations de l’Ouest dans des réserves en restreignant leur approvisionnement jusqu’à les acculer à la famine sembla à l’époque une solution moins draconienne que celles que prônaient les libéraux, mais, au xxie siècle, elle suscite de vives critiques. La tentative de donner le droit de vote aux membres des Premières Nations sans perte de statut, la politique des pensionnats, l’interdiction du potlatch et les efforts déployés pour subdiviser les terres des réserves visaient tous à assimiler les Premières Nations à la culture dominante, celle qui, aux yeux de Macdonald et de ses contemporains, constituait la culture supérieure. Il dut néanmoins faire des compromis sur le droit de vote et sa stratégie d’assimilation offensive entraîna des conséquences terribles pour les Autochtones. Quant aux immigrants chinois, Macdonald amplifia le sentiment raciste que ressentaient nombre de ses contemporains à leur égard et l’exprima plus fermement que la plupart des gens : il soutint que l’immigration chinoise menacerait le « caractère ar[y]en » du Canada.
Sir John Alexander Macdonald incarna de nombreux personnages, dont le politicien brillant malgré ses défauts, le bâtisseur de nation impressionnant, l’architecte d’une assimilation agressive et un homme anti-Chinois. À l’image du pays qu’il contribua à fonder, il était imposant et infiniment complexe.
J. K. Johnson et P. B. Waite [1990]
Les papiers Macdonald conservés aux AN, MG 26, A, constituent la principale source manuscrite de cette étude. Les carnets de correspondance, nombreux pour la fin des années 1860 et le début des années 1870, sont particulièrement utiles. Il existe d’autres collections importantes aux AN, ce sont les papiers de sir James Robert Gowan (MG 27, I, E17), de Henry Hall Smith (MG 27, I, I19), de sir George Stephen (MG 29, A30), de sir John Thompson (MG 26, D), et de sir Charles Tupper (MG 26, F). On trouve aux AO ceux de sir Alexander Campbell (MU 469–87), d’Alexander Morris (MS 535), de T. C. Patteson (MS 22), et de W. B. Scarth (MS 77). Les papiers Langevin aux ANQ-Q (P-134) et les papiers Williamson aux QUA (2259) sont également utiles.
Les principales sources imprimées sont l’édition de sir Joseph Pope de Correspondence of Sir John Macdonald [...] (Toronto, 1921), toujours précieuse après plusieurs décennies, et la version plus détaillée et moderne de The letters of Sir John A. Macdonald [...], en deux volumes couvrant la période de 1836 à 1861, éditée par J. K. Johnson et C. B. Stelmack (Ottawa, 1968–1969). Une collection de la correspondance de la famille Macdonald, aussi éditée par Johnson, a été publiée sous le titre de Affectionately yours ; the letters of Sir John A. Macdonald and his family (Toronto, 1969). D’autres sources imprimées importantes comprennent Canada, prov. du, Parl., Débats parl. sur la confédération, et l’ouvrage de Pope, Memoirs of the Right Honourable Sir John A. Macdonald, G.C.B., first prime minister of the Dominion of Canada (2 vol., Ottawa, [1894]).
Il existe plusieurs biographies de Macdonald, mais il faut mentionner l’étude en deux volumes de Donald Grant Creighton*, Macdonald, young politician et Macdonald, old chieftain. Elle est inoubliable, mais elle contient des erreurs. Creighton y fait des suppositions hardies non seulement dans sa description de Macdonald mais aussi dans sa lecture des personnages qui l’ont côtoyé. Néanmoins, c’est probablement la meilleure biographie canadienne jamais publiée en anglais. Signalons d’autres travaux utiles : P. B. Waite, Macdonald : his life and world (Toronto et New York, 1975) et Life and times of confederation ; J. K. Johnson, « John A. Macdonald », The pre-confederation premiers : Ontario government leaders, 1841–1867, J. M. S. Careless, édit. (Toronto, 1980), 197–245 ; « John A. Macdonald, the young non-politician », SHC Communications hist., 1971 : 138–153, et « John A. Macdonald and the Kingston business community », To preserve & defend : essays on Kingston in the nineteenth century, G. [J. J.] Tulchinsky, édit. (Montréal et Londres, 1976), 141–155 ; et W. R. Teatero, « John A. Macdonald learns – articling with George Mackenzie », Historic Kingston, n° 27 (1979) : 92–112. [j. k. j. et p. b. w.]
Bibliographie des sections « Relations avec les Premières Nations », « Droit de vote et Premières Nations » et « Politiques relatives aux Premières Nations », préparées par J. R. Miller :
Plusieurs sources premières contiennent de l’information sur le rôle que Macdonald joua dans les relations avec les Premières Nations, notamment le Fonds Macdonald conservé à Bibliothèque et Arch. Canada, à Ottawa ; l’Edgar Dewdney fonds aux Glenbow Arch., à Calgary (de nombreux documents sont accessibles en ligne à searcharchives.ucalgary.ca/edgar-dewdney-fonds) ; les Débats de la Chambre des communes (accessibles en ligne à Bibliothèque du Parlement, « Ressources parlementaires historiques canadiennes » : parl.canadiana.ca) ; et les rapports annuels du ministère responsable des Affaires autochtones (accessibles en ligne à Bibliothèque et Arch. Canada, « Affaires indiennes : rapports annuels, 1864–1990 » : www.bac-lac.gc.ca/fra/decouvrez/patrimoine-autochtone/premieres-nations/affaires-indiennes-rapport-annuel/Pages/introduction.aspx).
Bien qu’il n’existe aucune monographie ayant pour thème principal les relations de Macdonald avec les Autochtones, deux chapitres de Macdonald at 200 : new reflections and legacies, P. [A.] Dutil et Roger Hall, édit. (Toronto, 2014), fournissent une vue d’ensemble intéressante sur la question : D. B. Smith, « Macdonald’s relationship with Aboriginal peoples », chap. 2, et J. R. Miller, « Macdonald as minister of Indian Affairs : the shaping of Canadian Indian policy », chap. 11. Canada, Affaires indiennes et du Nord, Centre de recherches hist. et d’étude des traités, Historique de la loi sur les Indiens (2e éd., [Ottawa], 1980 ; accessible en ligne à publications.gc.ca/pub?id=9.846327&sl=1), constitue une précieuse source d’information sur l’évolution des politiques en lien avec les Premières Nations, en particulier les lois sur l’émancipation créées dans les années 1850 et 1860, sujet étoffé à l’aide d’une approche narrative contextuelle dans Skyscrapers hide the heavens : a history of native-newcomer relations in Canada (4e éd., Toronto et Buffalo, N.Y., 2018), 116–121 et 162–163. Un compte rendu des politiques des années 1880 figure également dans Historique de la loi sur les Indiens et Skyscrapers hide the heavens, chap. 12.
Pour une analyse de la nature coercitive de l’approche du gouvernement Macdonald dans l’élaboration des traités conclus dans l’Ouest durant les années 1870, nous suggérons la lecture de : Noel Dyck, What is the Indian « problem » : tutelage and resistance in Canadian Indian administration (St John’s, 1991) ; J. L. Tobias, « Canada’s subjugation of the Plains Cree, 1879–1885 », d’abord publié dans CHR, 64 (1983) : 519–548, puis réimprimé dans plusieurs ouvrages, dont Sweet promises : a reader on Indian-white relations in Canada, J. R. Miller, édit. (Toronto, 1991), 212–240 ; E. B. Titley, A narrow vision : Duncan Campbell Scott and the administration of Indian Affairs in Canada (Vancouver, 1986) ; Sarah Carter, Lost harvests : prairie Indian reserve farmers and government policy (Montréal et Kingston, Ontario, 1990) ; M. K. Lux, Medicine that walks : disease, medicine, and Canadian plains native people, 1880–1940 (Toronto et Buffalo, 2001) ; et du livre, particulièrement critique, de James Daschuk, la Destruction des Indiens des Plaines : maladies, famines organisées, disparition du mode de vie autochtone, Catherine Ego, trad. ([Québec], 2015). Canada, Affaires indiennes et du Nord, Centre de recherches hist. et d’étude des traités, les Lois sur les Indiens et leurs lois modificatrices, 1868–1950 (2e éd., Ottawa, 1981 ; accessible en ligne à publications.gc.ca/site/fra/9.835893/publication.html), est un outil pratique pour suivre les changements apportés à l’ensemble des lois.
Bibliographie de la section « La “question chinoise” », préparée par Patricia E. Roy :
Cette section a été rédigée à partir des papiers de Macdonald conservés à Bibliothèque et Arch. Canada, à Ottawa, des Débats et Journaux de la Chambre des communes de l’époque, et des sources suivantes : British Columbia Arch. (Victoria), GR-0443 (Lieutenant Governor’s records) ; Bibliothèque et Arch. Canada, RG2, Bureau du Conseil privé, sér. A-1-a, no 1881-1423 (accessible à recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/accueil/notice?app=ordincou&IdNumber=19660) ; no 1886-0483 (accessible à recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/accueil/notice?idnumber=37158&app=ordincou) ; RG6-A-1, vol. 160, dossier 2458 (accessible à recherche-collection-search.bac-lac.gc.ca/fra/accueil/notice?app=fonandcol&IdNumber=1603625) ; C.-B., Legislative Assembly, Sessional papers (papiers relatifs à l’immigration chinoise et à la construction du chemin de fer canadien du Pacifique), 1880–1885 ; Daily Colonist (Victoria), 1872–1887 ; et Victoria Daily Standard, 1872–1887. Voir aussi le Globe, 2 juin 1882 : 8, et P. E. Roy, A white man’s province : British Columbia politicians and Chinese and Japanese immigrants, 1858–1914 (Vancouver, 1989), en particulier le chap. 3.
Bibliographie de la section « Legs », préparée par l’équipe du DBC/DCB :
Cette section cite l’ouvrage de Richard Gwyn, Nation maker : Sir John A. Macdonald : his life, our times : volume two, 1867–1891 (Toronto, 2012).
« Legs », équipe du DBC/DCB [2024], « MACDONALD, sir JOHN ALEXANDER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 9 déc. 2024, https://www.biographi.ca/fr/bio/macdonald_john_alexander_12F.html.
Permalien: | https://www.biographi.ca/fr/bio/macdonald_john_alexander_12F.html |
Auteur de l'article: | « Legs », équipe du DBC/DCB [2024] |
Titre de l'article: | MACDONALD, sir JOHN ALEXANDER |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 2024 |
Date de consultation: | 9 déc. 2024 |